La wilaya II historique - Abdelaziz Khalfallah - E-Book

La wilaya II historique E-Book

Abdelaziz Khalfallah

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Beschreibung

L'auteur, Abdelaziz Khalfallah, connu sous le nom de Boutmira Mostefa, adhéra dans sa ville natale, Constantine, aux idées révolutionnaires du nationalisme et engagea dans sa wilaya un combat armé multiforme contre le colonialisme français, et ce, jusqu'à l'indépendance du pays. Dans son présent récit-témoignage, prenant exemple de sa wilaya, l'auteur se soucie, avant tout, de transmettre aux jeunes générations, le sens et la nature du combat en décrivant en termes clairs, les moyens et structures organisationnelles tout en faisant la genèse des principaux événements qui avaient eu lieu dans La wilaya II historique, et, dont certains avaient eu une portée nationale autant qu'internationale. Plongeant les lectrices et lecteurs dans le vif du combat en abordant les différents aspects et lieux de celui-ci, l'auteur les guide ensuite dans le dédale de la crise de l'été 1962 et déploie dans le détail le déroulement des événements jusqu'à "l'élection de la Constituante algérienne". L'auteur, en sa qualité de cadre de l'État engagé dans le combat pour le développement économique national, eut à connaître les rouages du pouvoir exercé après l'indépendance et de ce fait, il put évaluer l'impact lourdement négatif de cette crise de l'été, et ce, tant au niveau de la société qu'au niveau d'un État devenu dysfonctionnel et dévoyé.




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La wilaya II historiqueL’OMBRE DE CONSTANTINE

ABDELAZIZ KHALFALLAH

La wilaya II historique

L’OMBRE DE CONSTANTINE

CHIHAB EDITIONS

© Éditions Chihab, 2021.

www.chihab.com

Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

ISBN : 978-9947-39-405-2

Dépôt légal : juillet 2021.

À la mémoire de mon fils Mehdi qui tenait tant à ce que je publie ce témoignage.

À Nezha mon épouse qui m’a soutenu dans les moments difficiles, et à mes enfants bien-aimés.

AVANT-PROPOS

J’ai longtemps hésité à laisser un témoignage concernant les faits et événements que j’ai eu à connaître ou à subir, et qui étaient en relation avec ma contribution à la lutte armée. Il faut dire que j’ai été tenté, par devoir envers les combattants du Nord-Constantinois, d’écrire l’histoire de la Wilaya II, écriture que Boubnider Salah, ex-commandant de cette dernière voulait superviser de son vivant. Il était de ces responsables qui donnaient l’exemple par son courage, son humilité et son sens du partage, et il aurait pu associer de nombreux contributeurs à ce travail de mémoire. Au moment où j’ai commencé le travail d’approche, Boubnider s’occupait des relations avec les organisations de masse au sein du Secrétariat Exécutif du parti FLN1, organe issu du coup d’État du 19 juin 1965. J’étais son adjoint et je supervisais tout spécialement le syndicat UGTA2 dont le Secrétariat était issu d’un congrès auquel j’avais apporté une contribution active. En effet, je voulais soutenir et protéger le syndicat des travailleurs contre les visées corporatistes du système issu du putsch, souci que je partageais d’ailleurs avec Abdelaziz Zerdani qui était alors ministre du Travail, et avec lequel j’avais collaboré au sein de la Commission centrale d’orientation du FLN que présidait Hocine Zehouane en sa qualité de membre du Bureau Politique. Zerdani et moi faisions partie des rescapés de ceux qu’on appelait alors, la gauche nationaliste du Parti FLN, et avions décidé de défendre nos idées, croyant ou voulant faire semblant de croire en le soutien éventuel que certains hauts officiers de l’Armée nationale pourraient nous apporter.

Afin d’entreprendre les travaux d’écriture de l’histoire de la wilaya en question, j’avais conçu et mis au point un questionnaire devant être adressé à des responsables sélectionnés pour leurs connaissances des faits et événements marquants de la lutte armée dans le Nord-Constantinois. Ces questionnaires, une fois retournés, pouvaient constituer une base d’informations susceptibles de guider mon travail. Le formulaire fut donc mis en circulation et fut aussitôt repéré et récupéré par les services de sécurité de Boumediene, qui ne manquèrent pas d’alerter ce dernier, et lui en souligner la dangerosité. Boumediene s’empressa de convier Boubnider afin de lui conseiller de renoncer à ce projet en lui faisant remarquer qu’il s’agissait là d’un travail d’envergure nationale et qu’il valait mieux le réaliser dans le cadre d’une commission centrale, laquelle, promettait-il, était dotée de moyens audio-visuels modernes et de supports logistiques adéquats. Autrement dit, il lui signifiait gentiment de renoncer à son projet d’écriture craignant sans doute que ce travail n’apporte un éclairage sur certains aspects gênants pour les occupants illégitimes du pouvoir et ne nuise ainsi à leur image de marque et à celle de leurs troupes, devenues puissantes en dehors des champs de bataille. Les choses en restèrent là jusqu’au jour où le colonel Tahar Zbiri se rebella pour des raisons personnelles en relation avec l’exercice de ses prérogatives en sa qualité de chef d’État-major. L’échec prévisible de son coup de force nous éclaboussa et signa l’arrêt brusque de notre tentative d’opposer une quelconque résistance au groupe d’Oujda, un instrument politique de Boumediene qui prit alors de l’ascendance et s’attelant à squatter tous les espaces socio-politiques. Ainsi marginalisés, Boubnider et moi, abandonnâmes notre projet d’écriture et décidâmes, chacun de son côté, de nous retirer de la politique clandestine et de nous occuper de nos propres affaires pour survivre dans la décence et la dignité, et cela, jusqu’au jour où le destin nous réunit encore une fois en nous appelant au devoir national, celui de joindre nos efforts à d’autres forces républicaines pour sauver la patrie en danger, au lendemain de l’arrêt du processus électoral. En effet, c’était durant toute cette période dénommée la décennie noire, que je fus désigné comme membre du CCN3 puis membre du CNT4 pendant que Boubnider eut, de son côté, à assumer les fonctions de président de la Commission nationale de Surveillance des élections sous la présidence de Zeroual.

Les années passèrent et je finis par chasser nombre de mes scrupules tel que le manque de conviction consistant à croire que mon témoignage ne serait d’aucune utilité historique et ne pourrait en aucun cas changer l’image que voulaient donner certains fabulateurs ou falsificateurs de l’histoire de notre guerre de libération. Il faut aussi dire que, d’une façon générale, j’étais comme tant d’autres collègues, découragé par le niveau de dégradation et d’indigence atteint par la culture générale des Algériens dans leur ensemble, et du désintéressement pour la connaissance de l’histoire nationale de la part d’une large catégorie sociale de notre pays. Les nouvelles générations, habituées à la tricherie et à la consommation sauvage sans rapport avec le labeur et l’honnêteté, n’ont plus d’intérêt à la chose publique ni d’attachement aux valeurs républicaines ni même au civisme tout court. Combien de fois lors d’un contact avec le public n’ai-je pas entendu des réflexions éhontées comme celle-ci : « Ya El Hadj, pourquoi avez-vous chassé la France ? ».

En effet, pour la génération présente, faire de la politique, consiste à user de tous les recours possibles afin de s’intégrer dans un clan de prédation, comme un parti politique au pouvoir, un syndicat professionnel, une association civile ou même un groupement quelconque, l’essentiel étant de se positionner dans une file d’attente au sein d’un réseau de clientélisme porteur. Certains éléments de ces générations, lassés de trop attendre, instruits ou non, démunis ou non, et qui ont eu la chance d’échapper aux rets de l’islamisme, ont fini par fuir une situation intenable pour aller vivre et travailler, en sécurité, dans des pays où l’on respecte les libertés fondamentales et le mérite.

Par souci d’accomplir un devoir de mémoire, je me suis finalement résolu à laisser ce témoignage en essayant de lever le voile sur des faits qui ont marqué des moments périlleux de notre Révolution. Étant auteur et acteur de ce récit-témoignage, le lecteur ou la lectrice aura probablement à se faire une idée de ma personne à travers mes activités et comportements durant mon engagement dans la lutte armée, et au cours de la crise de l’été 1962. Toutefois il m’a semblé utile d’ajouter quelques informations personnelles permettant au lecteur ou à la lectrice de mieux me situer. Né en 1933 à Constantine, je suis issu d’une famille de montagnards de la région de Taher (Ouled Asker) et composée de trois frères. Jeunes orphelins, ces derniers, à l’ombre de leur oncle installé à Constantine, s’adonnèrent à l’activité de ramasseurs de peaux auprès de l’abattoir municipal de la ville et finirent par prospérer dans le métier et devenir propriétaires de tanneries et de commerces, dont un café maure géré par mon père, Boutmira Tahar5, qui fut enlevé, à l’âge de 58 ans en août 1956, par la Main rouge et exécuté sommairement. C’était un notable très estimé dans le quartier, et un fervent supporteur des associations sportives, artistiques et culturelles. Personnellement, ayant été renvoyé du collège moderne de garçons de Constantine pour longues absences, que je consacrais aux activités clandestines, je me présentai alors en candidat libre pour le BAC en 1955, et je m’inscrivis ensuite, après l’obtention du diplôme, en classe de Philosophie au Lycée d’Aumale où j’eus un rôle actif dans le déclenchement de la grève des étudiants à Constantine6 et qui eut des répercussions à l’échelle régionale puis nationale7. Après l’indépendance, je m’inscrivis à la Faculté de droit et sciences économiques d’Alger où j’obtins ma Licence en droit international et économie en 1968. Au cours de ma carrière professionnelle, je devins un spécialiste dans la gestion des entreprises publiques après avoir obtenu un diplôme en Gestion et Organisation (DES, CNAM à Paris, France, 1976). J’eus à occuper des postes à l’étranger, dont le plus important fut celui de directeur-adjoint du CIEP8 et dont le siège se trouvait à Ljubljana en Yougoslavie socialiste, d’où je sortis en retraite administrative en 1989. Lors de « la décennie noire », en ma qualité de membre du Conseil national de l’ONM9, je fus coopté pour devenir membre du CCN sous la présidence de Boudiaf Mohamed puis reconduit comme membre du CNT sous la présidence de Zeroual. Je pris définitivement ma retraite politique après la mort lente du CCDR10 dont je fus membre et adjoint de Boubnider Salah en sa qualité de président de ce Comité, et avec lequel je partageais d’une manière constante les mêmes objectifs patriotiques et républicains.

Mon témoignage va peut-être soulever des pans d’ombre concernant la courte période de l’été 1962 qui fut chargée d’événements qui ont eu des répercussions considérables sur le cours de l’histoire de notre pays, au point que, toutes proportions gardées, je les ai assimilés aux Dix jours les plus longs de John Reed, un journaliste américain, relatant la prise du pouvoir par les bolcheviques en octobre 1917. On verra que tous les faits et événements qui relèvent de ce qui, désormais, a pris le nom de la crise de l’été 1962, ont fait l’objet de plusieurs écrits confus et parfois malintentionnés qui ont été publiés et qui risquent de travestir la vérité historique. C’est encore une autre raison qui m’a incité à ajouter mon grain de sel en espérant que cela permettra aux spécialistes de se faire leur propre jugement et que des lecteurs curieux y trouveront pour leur part des informations restées longtemps dans l’ombre.

Dans la première partie, j’ai souhaité, ne serait-ce que superficiellement, en tant qu’acteur, relater le parcours de notre wilaya historique qui porta, après le Congrès de la Soummam, le nom de Wilaya II. Elle couvrait l’étendue de l’est du pays qu’elle engloba de manière homogène selon un modèle qui favorisait les initiatives collégiales et individuelles, avec une composante sociale de militants aguerris issus du mouvement nationaliste et qui constituèrent sa grande force face aux infiltrations ennemies et aux opérations « Challe et Crépin ». Il va sans dire que la Wilaya II reposait également sur la ville de Constantine, devenue Zone V, et à laquelle je consacre un chapitre spécial en ajoutant son « ombre » au titre même du présent ouvrage. En effet, Constantine était devenue le cœur de cette wilaya, battant fort et arrosant de son sang les bras qui frappaient sans laisser aucun répit à l’ennemi et qui approvisionnaient régulièrement la résistance armée en équipements, armements, informations et finance. C’est une ville restée fidèle à sa réputation de combattante, et, durant la guerre de libération, de par la ténacité et l’héroïsme de ses fidâyyine, elle finit par être surnommée la citadelle du fidâ.

Dans la deuxième partie, je relaterai les événements et faits qui ont constitué l’engrenage de cette crise en fournissant quelques détails, et cela en ma qualité d’acteur impliqué entièrement dans cette dernière.

Sachant que la génération actuelle n’a qu’une vague idée de la lutte de libération, j’ai voulu, par ce récit-témoignage, mettre dans le bain tous les lecteurs, en leur faisant vivre certaines péripéties de notre combat, tant au niveau du maquis qu’en ville, et, montrer à travers mon expérience personnelle, la participation réelle et le dévouement fidèle de tout un peuple à la cause nationale. En annexes, le lecteur trouvera des documents, des articles de presse et des photos qui illustrent mon témoignage et qui peuvent surtout servir de base de recherche pour des historiens et autres spécialistes. Enfin il est à remarquer que cet ouvrage ne constitue nullement un bilan des opérations militaires ou de fidâ. Pour ce faire, il est loisible de trouver toutes ces informations auprès des Organismes des Moudjahidine des wilayas administratives ONM. L’ONM de Constantine, par exemple, a répertorié l’ensemble des activités de fidâ, du 1er Novembre 1954 au cessez-le-feu 1962, dans un fichier numérique.

PREMIÈRE PARTIE : LA WILAYA II FACE À L’ENNEMI

I.LE NORD-CONSTANTINOIS

1. Le mouvement politique dans le Constantinois

L’Est algérien, couramment appelé le Constantinois à l’époque coloniale, constituait un vaste espace allant de Souk-el-Tnine (Oued Kherrata) en longeant la côte jusqu’à Oum-Teboul (frontière tunisienne) puis se dirigeant vers le Grand Sud, dépassait l’Oasis de l’Oued, longeant encore les frontières de la Libye et du Niger puis remontant vers Touggourt, Sétif, en fermant la boucle à Souk-el-Tnine. C’était le plus grand département français d’Algérie dont la population était majoritairement musulmane, une caractéristique qui peut expliquer pourquoi cet espace a été, à l’époque coloniale, une source importante de recrutement de militants politiques et nationalistes, et où les manifestations les plus marquantes du nationalisme algérien ont eu lieu.

Sur le plan historique et selon des sources romaines, cet espace correspondait grosso modo à celui qu’occupait le royaume de Numidie, habité par des tribus amazighes, et dont le siège était la ville de Cirta11 où régnaient les rois numides dont le célèbre Massinissa qui avait fini par s’allier aux Romains et se mettre à leur disposition pour combattre les Carthaginois établis en Tunisie. Après la longue occupation romaine, ce fut celle des Vandales puis celle des Byzantins dont l’Empire commençait à se délabrer, situation qui profita à des conquérants religieux venus d’Arabie qui avancèrent vers l’Afrique du nord où ils firent face à la résistance des tribus berbères, notamment dans le Sud-Est. Le Maghreb se convertit à l’Islam sans abandonner ses croyances ancestrales et ses traditions païennes. Les confédérations tribales du Maghreb central formèrent des dynasties qui régnèrent, à l’exception de celles des Almohades et des Hammadites, d’une manière turbulente et instable, et ce, jusqu’à l’avènement du tutorat turc, sous lequel la population s’organisa en tribus ayant chacune à sa tête un Cheikh qui jouait en quelque sorte le rôle de vassal du Bey. À l’occupation française, le Bey de Constantine, Bey Ahmed, eut le soutien actif de tous les Cheikhs, y compris Bengana, (devenus plus tard les suppôts zélés de la pacification coloniale), qu’il mobilisa pour repousser un premier assaut des forces d’occupation, et pour opposer une résistance héroïque lors du deuxième assaut qui avait bénéficié de la complicité des tribus de Cheikh Mokrani qui contrôlaient l’accès au défilé de Palestro, ainsi que celle du Bey de Bône qui avait favorisé le débarquement d’une partie de l’armement lourd et des troupes coloniales. Le chef-lieu, Constantine, repoussa vaillamment un premier assaut et ne capitula au deuxième qu’après avoir livré une bataille de rue historique. Le Bey Ahmed fut également lâché par le Sultan turc qui le bernait en lui faisant croire que du matériel de guerre lui serait incessamment livré via la Libye pendant que ses diplomates négociaient l’abandon de l’Algérie aux Occidentaux en échange de quelques futiles concessions dans les Balkans.

Durant les années trente, le Constantinois connut les premières effervescences politiques à travers des mouvements d’inspiration égalitaire et identitaire à la fois, et qui furent portées notamment par le Docteur Bendjelloul, le pharmacien Ferhat Abbas, le Docteur Sadane et Cheikh Abdelhamid Ben Badis, pendant que naissait en banlieue ouvrière parisienne, un mouvement nationaliste porté par le parti populaire algérien sous la direction d’Ahmed Messali Hadj, un leader nationaliste d’un charisme exceptionnel, qui insuffla aux Algériens un nationalisme populaire et fort.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale à laquelle participèrent de nombreux jeunes algériens au sein de l’Armée française pour combattre l’Armée hitlérienne, les mouvements unifiés algériens, dans une déclaration des AML12 soutenue par Lamine Debaghine et endossée par Ferhat Abbas, exprimèrent ouvertement leurs revendications nationalistes. La réponse à ce manifeste, ne tarda pas à venir à l’occasion de manifestations organisées les premiers jours du mois de mai. En effet, le 8 mai 1945, les forces coloniales déclenchèrent à travers le Constantinois et notamment dans la région de Sétif et de Guelma, une répression aveugle qui toucha particulièrement les militants du PPA13 et une partie de la population. Une répression qui restera gravée à jamais dans la mémoire de l’histoire de l’Algérie. À la suite de ces événements douloureux, le mouvement nationaliste PPA fut interdit et ses adeptes durent changer le nom de leur parti afin de pouvoir reprendre leurs activités militantes. C’est ainsi que le parti PPA devint le MTLD14. En son sein prit naissance une tendance dure, acquise à l’idée que seul le recours à l’action armée pourrait changer le statut des Algériens et les affranchir du colonialisme. C’est alors que pour répondre aux vœux de cette tendance fut créée une organisation spéciale, l’OS, chargée de préparer les structures de base pour enrôler des militants aguerris et disciplinés en vue de mener une lutte armée le jour venu. Mohamed Belouizdad en fut le valeureux artisan. Il avait trouvé dans le Constantinois, au lendemain des massacres du 8 mai 1945, un terrain propice au recrutement de fervents éléments, prêts à s’engager dans l’insurrection armée, comme Guerras Abderrahmane, Zoubir Daksi, Mohamed Méchati et Habachi Abdeslam. Il fit de Constantine son siège pour lancer l’OS qui fut créée officiellement au sein du MTLD lors de la réunion constitutive de ce dernier. Il retourna à Constantine pour confier sa succession à Boudiaf Mohamed assisté de Didouche Mourad, Guerras Abderrahmane et Tayeb Thaalbi dit « Si Allal ». Terrassé par la tuberculose qui l’empêchait d’assumer convenablement sa responsabilité, il mourut en 1952, après une longue hospitalisation en France, à Paris. Après son départ de Constantine, l’OS fut rudement secouée par un événement malheureux qui eut lieu dans le Constantinois, connu sous le nom de l’affaire de Tébessa, et qui provoqua, en 1950, des arrestations massives, dont la plupart des membres de cette organisation.

La réorganisation de l’OS connut des moments difficiles car la situation nouvellement créée exigeait des responsables légaux du parti de s’occuper des rescapés de l’OS comme Bentobal Lakhdar, Méchati Mohamed, Abdeslam Bekkouche dit « Sassi », Abdeslam Habachi et les évadés de la prison d’Annaba comme Zighoud Youcef, Amar Benaouda, Slimane Barkat, etc.

Il serait long de décrire la situation dans laquelle s’étaient retrouvés ces éléments activement recherchés par la police, et, souvent abandonnés à leur triste sort par le parti. Ils changeaient souvent de lieu d’hébergement et vivaient de subsides comme des parias. Ils étaient nombreux, ces héros anonymes, à avoir sacrifié leur vie et leur jeunesse pour que la voie d’un combat libérateur devienne, un jour, une idée ancrée dans l’esprit populaire.

Un autre événement vint ensuite ébranler le pays au cours de l’année 1953. En effet, le Comité central du parti MTLD, sous l’égide de Lahouel Hocine, entra en dissidence avec Messali et se rapprocha de Boudiaf et de Ben Boulaïd, pour créer en mars 1954 un comité de réconciliation, en vue de la tenue d’un congrès extraordinaire permettant de dépasser le conflit et de réunifier les forces militantes du MTLD, avec l’objectif de passer à l’action. Ce comité, qui prit le nom de CRUA15 échoua dans sa tentative de réaliser sa mission. C’est ainsi qu’après la publication d’un bulletin dénommé le Patriote, et peu après la réunion du « groupe des 22 », Boudiaf décida de mettre fin à l’existence du CRUA dans un communiqué qu’il rendit public le 4 juillet 1954. Pour les jeunes lecteurs, rappelons que le parti MTLD connut une scission entre deux partisans : ceux qui voulaient donner plus de pouvoir au Comité central ayant comme secrétaire général à l’époque, Benkhedda Benyoucef, et, ceux qui étaient pour donner les pleins pouvoirs au président du parti, à savoir, Messali Hadj. Les militants de l’OS, dans leur majorité, adoptèrent une position de neutralisme positif, c’est-à-dire, qu’ils n’étaient ni pour l’une, ni pour l’autre position ; mais la plupart étaient acquis à l’idée de passer à l’action, à l’instar des Marocains et des Tunisiens entrés dans une phase de revendication indépendantiste offensive. Le noyau dur des neutralistes représentés par Ben Boulaïd, Boudiaf, Didouche et Ben M’hidi voulait passer à l’action dans l’immédiat alors que les centralistes continuaient à tergiverser arguant du fait que les conditions n’étaient pas encore remplies, pendant que les messalistes, tout en étant de leur côté également d’accord pour l’action armée, soulignaient que le déclenchement de celle-ci relevait de la seule prérogative de leur chef, Messali. Cependant, malgré leur position, de nombreux neutralistes furent malmenés par les messalistes surtout après la publication du Patriote. Boudiaf fut accusé d’avoir détourné les moyens et le budget du parti à une fin partisane, ce qui lui valut d’être molesté par les messalistes. C’est dans ces circonstances que le noyau dur des neutralistes chargea Boudiaf de réunir les principaux responsables de l’OS pour organiser le déclenchement de la lutte armée, ce qui amena la réunion de 22 membres de l’OS, le 27 juin 1954 au Clos Salembier, à Alger.

2. Divergence au sein de l’Organisation Spéciale (OS) constantinoise

On s’était beaucoup interrogés sur la prédominance des Constantinois au sein du groupe des « 22 », dont 17 membres étaient originaires de la région alors que les 7 autres venaient de la ville même. Cela peut s’expliquer de deux manières. La première est que c’était dans l’ancienne région de Constantine que résidait la majeure partie de la population musulmane et donc, statiquement, il devait y avoir plus de sympathisants nationalistes incorporés dans les partis politiques que dans les autres régions du pays. Cela était tellement évident que le général de Gaulle, à un certain moment de la guerre d’Algérie, avait sérieusement envisagé de céder tout l’Est algérien aux musulmans. La deuxième raison était que Boudiaf, qui avait pris l’initiative de cette réunion avec l’aval notamment de Ben Boulaïd et de Ben M’hidi, fut chargé de procéder à la sélection des éléments devant y assister. Boudiaf, ayant eu à exercer ses responsabilités durant de longues années comme responsable régional de l’OS dans le Constantinois, il était normal que son choix se portât sur des militants et responsables qu’il avait vus à l’œuvre et dont il connaissait la prédisposition à s’engager dans la lutte armée. Il faut signaler que le critère géographique n’avait pas non plus été négligé par Boudiaf puisque les éléments convoqués à cette réunion représentaient organiquement toute l’Algérie, même s’ils étaient natifs d’une même région. Au cours de cette réunion dite des « 22 », Ben Boulaïd et Ben M’hidi proposèrent Boudiaf comme coordonnateur de la direction élue, laquelle, composée au départ de cinq membres : Ben Boulaïd Mostefa, Ben M’hidi Larbi, Bitat Rabah et Didouche Mourad, fut élargie par la suite à un sixième membre en la personne de Krim Belkacem. Celui-ci, sollicité par l’intermédiaire de Ouamrane Amar, finit par se joindre au groupe des cinq non sans avoir au préalable tenté de convaincre vainement Messali El Hadj, ainsi que le Dr  Lamine Debaghine, Abdelhamid Mehri et Demagh El-Attrous, qui jugèrent qu’il était prématuré d’engager la résistance armée, de parrainer la Révolution. Enfin, au cours de ladite réunion, les membres de Constantine-ville furent surpris de constater que leur ancien chef et compagnon, Guerras Abderrahmane, ne comptait pas parmi les présents. Dès leur retour à Constantine, ils l’informèrent de ce qui s’était passé. Celui-ci, sans coup férir, prit la décision de quitter le poste qu’il occupait en France en qualité d’adjoint de Boudiaf, sans avoir au préalable pris le soin de prévenir ce dernier, et qu’il rencontra incidemment dans les rues d’Alger. Boudiaf, surpris, ne manqua pas de lui demander les raisons de sa présence et le somma aussitôt de rejoindre immédiatement son poste en France ( Boudiaf nous raconta de vive voix cette péripétie). Après concertations, les membres de Constantine, notamment Mohamed Méchati, Bouali Saïd, Habachi Abdeslam, Guerras Abderrahmane et Mellah Slimane dit « Rachid » se mirent d’accord pour proposer à Boudiaf la tenue d’une nouvelle réunion afin d’examiner les questions relatives à la logistique et à l’armement, en faisant de cet examen un préalable au déclenchement de la lutte armée. Il faut reconnaître que la non-convocation de Guerras par Boudiaf un responsable de l’envergure d’Abane Ramdane, également leader politique du groupe de Constantine, était étrange et constituait pour eux une sorte d’injustice à l’endroit de Guerras, surtout en comparaison avec d’autres Constantinois convoqués, comme Bitat, Mellah et Bouali, qui n’assumaient pas d’importantes responsabilités. On a toujours cherché à connaître la raison qui a motivé l’exclusion de Guerras par Boudiaf à cette réunion. Ce dernier connaissait parfaitement le caractère et les compétences de Guerras, et, outre le fait qu’il pouvait arguer qu’il avait essayé d’obtenir au sein du « groupe des 22 » une représentation régionale équitable, on peut lui trouver une autre raison cachée. En effet, après avoir fait plus ample connaissance avec Boudiaf, je me suis rendu à l’évidence qu’il avait exclu Guerras parce que, connaissant la subtilité de son raisonnement et le degré d’influence qu’il avait sur ses compagnons, il craignait qu’il ne puisse constituer un obstacle à son objectif majeur, à savoir, obtenir sans discussion sérieuse le feu vert pour le déclenchement de la lutte armée. Au fond, ce problème de passage immédiat à l’action était l’enjeu essentiel de tous les débats politiques qui avaient eu lieu car tout le monde était d’accord pour passer à l’acte mais c’était la question du quand qui posait problème. Les centralistes voulaient réunir de meilleures conditions et, de ce point de vue, le groupe de Constantine avait adopté, dans une autre perspective, la même position. Quant aux messalistes, c’était à leur gourou qu’ils s’en remettaient toujours pour toute décision à prendre. Boudiaf faisait partie de ce noyau dur de l’OS qui ne voulait plus attendre, poussé aussi par une base parfaitement représentée par Souidani Boudjema, un vrai baroudeur originaire de Guelma (Constantinois), qui trouvait qu’on avait trop tardé en ironisant qu’il en avait « marre » de s’entendre recommander « de lire et relire » le mémorandum adressé à l’ONU par le MTLD.

La réunion proposée par les Constantinois eut effectivement lieu chez Haddad Youssef, le responsable de l’OS à Constantine, le 17 octobre 1954. Sassi Benhamla me raconta que lui et d’autres responsables, au courant de la tenue de cette réunion, étaient là, à en attendre les résultats mais il n’en sortit rien. Haddad Youssef, l’hôte de cette rencontre, me précisa d’une manière catégorique qu’il n’y assista pas et que son rôle s’était limité à offrir le lieu de la réunion. Boudiaf y avait délégué Didouche Mourad, Bentobal Lakhdar et Zighoud Youcef. Ce dernier s’absenta sans donner de raison, par contre, Badji Mokhtar et Chihani Bachir y participèrent. Probablement que ce dernier n’y avait assisté qu’après consentement de Mostefa Ben Boulaïd. Le groupe constantinois proprement dit était composé de Guerras Abderrahmane, leader, Habachi Abdeslam, Saïd Bouhali, Méchati Mohamed et Mellah Slimane. L’ordre du jour proposé par le groupe, à savoir l’examen des moyens d’action, ne fut pas abordé. Didouche Mourad montra d’entrée de jeu une inflexibilité à cet égard, annonçant laconiquement que la décision de passer à l’action était définitivement arrêtée et qu’en conséquence il appartenait à chacun de prendre ses responsabilités. Propos interprétés par les Constantinois comme une réponse méprisante et autoritaire. Méchati s’adressa à Bentobal qui n’avait dit mot au cours des entretiens : « Alors comme ça, vous décidez de passer à l’action sans prendre en considération notre devenir, sûrement que nous allions nous retrouver en prison ! », - « Alors allez en prison » répondit Bentobal. Cet échange m’a été confirmé par les deux concernés, à savoir Bentobal et Méchati. Plus tard, le groupe de Constantine critiqua la forme même de la réunion prétendant que la composition de l’Exécutif et la désignation de Boudiaf comme coordonnateur avaient été préparées très à l’avance. N’étant pas du même avis, ce sujet anima souvent nos débats, Méchati et moi, d’une manière passionnée mais aussi ô combien fraternelle car je savais qu’il était sincère et courageux, et, excédé par l’autoritarisme de Boudiaf, il montrait une animosité obsessionnelle envers son ancien chef. J’ai une sympathie particulière pour Mohamed Méchati, non seulement parce qu’il avait bien connu mon père, épicier face à son domicile et chez lequel, enfant, il venait s’approvisionner en bonbons et autres gâteries, mais aussi parce que nous habitions le même quartier et appartenions au même parti politique. Plus tard, et face au barbarisme religieux, nous eûmes, durant la décennie noire les mêmes positions républicaines et surtout, nous eûmes à passer, durant les dernières années de sa vie, des moments de loisirs et de plaisirs mémorables.

Le groupe de Constantine fut donc tenu à l’écart et ne fut pas mis au courant de la réunion de St-Eugène qui s’est tenue chez Boukchoura le 23 octobre 1954, à seulement quelques jours du déclenchement de l’action armée, et au cours de laquelle fut arrêtée la date du 1er Novembre et choisies les dernières affectations aux postes de responsabilité dans les zones créées pour l’organisation de la lutte armée. Ces affectations avaient été décidées sur la base de la connaissance du terrain dans le cadre de l’activité militante de chacun et non pas en fonction du lieu de leur naissance comme on l’avait souvent laissé croire. Ce fut par exemple le cas de la nomination de Bitat Rabah à la tête de la zone algéroise et de celle de Didouche Mourad à la tête de la zone constantinoise parce qu’ils avaient respectivement exercé des responsabilités précisément dans les secteurs auxquels ils étaient affectés. En effet, on avait laissé croire que c’était un choix de la part de Boudiaf pour se prémunir de toute éventuelle coalition des Constantinois contre lui. En un mot, le 1er Novembre 1954 prit de court le groupe de Constantine qui apprit le déclenchement des actions armées comme tout un chacun, avec comme conséquence, la marginalisation d’une soixantaine de cellules paramilitaires qui n’eurent pas l’honneur de participer aux actions à cette date symbolique. Mais ces militants, bien que lâchés, prirent vite le train en marche et s’accrochèrent à la locomotive de la Révolution. C’est ainsi qu’aussi bien individuellement que par petits groupes, ils prirent contact avec le maquis de Smendou, tenu par Didouche Mourad et son adjoint Zighoud Youcef, afin de se joindre à leurs compagnons de toujours et participer ainsi activement au combat pour la libération de leur pays. Et, comme l’avait prévu Méchati, les dirigeants constantinois furent arrêtés. Mais certains d’entre eux furent aussitôt relâchés par Soustelle, le Gouverneur de l’Algérie coloniale, qui tenta au départ de prôner une politique d’apaisement en libérant les responsables et militants du MTLD. Ces derniers ne manquèrent pas cette occasion pour renforcer les rangs de la Révolution, comme ce fut le cas de Mellah Slimane et Bouali Saïd. Les deux tombèrent au champ d’honneur, sans avoir occupé des responsabilités, l’un dans la Wilaya III et l’autre dans la Wilaya II. Haddad Youssef put rejoindre la Fédération de France auprès de Guerras qui s’y trouvait déjà avec Méchati Mohamed. Quant à Habachi Abdeslam, il fut arrêté à Alger dès les premiers jours de la Révolution et ne fut relâché qu’au lendemain du cessez-le-feu.

II.L’EMPREINTE DE ZIGHOUD YOUCEF

1. Le maquis de Smendou

Lors de leur dernière réunion du 23 octobre à la Pointe-Pescade à Alger, chez Boukchoura, les six partagèrent les secteurs d’activité à l’intérieur du pays en cinq zones : celle des Aurès-Nememchas, Zone I, du Nord-Constantinois, Zone II, de la petite et grande Kabylie, Zone III, de l’Algérois, Zone IV et celle de l’Oranie, Zone V, en laissant pour plus tard la création et la désignation du chef de la Zone du sud. Didouche Mourad fut désigné comme chef de la Zone II du Nord-Constantinois, une région qu’il connaissait bien pour y avoir exercé assez longtemps la responsabilité de chef de l’OS. Au déclenchement du 1er Novembre, il coordonnait quatre formations armées qui furent communément appelées groupe de Smendou, groupe de Mila, groupe de Bône et groupe de Souk-Ahras, dirigés respectivement par Zighoud Youcef dit « Si Ahmed » pour le secteur de Smendou englobant Constantine, Skikda, Collo, Bentobal Lakhdar dit « Si Abdallah » pour le secteur de Mila englobant Mila, El-Mélia, Jijel jusqu’à Sétif, Benaouda Amar pour le secteur de Bône englobant la région de Guelma, et Badji Mokhtar pour le secteur de Souk-Ahras allant jusqu’aux confins de la frontière tunisienne. Le groupe de Smendou était le plus fort en nombre de combattants et était le mieux organisé. C’est d’ailleurs dans ce secteur que Didouche Mourad établit son poste de Commandement et où il trouva la mort lors d’un accrochage début janvier 1955, près de Collo, et c’est Zighoud qui prit alors naturellement la relève.

Zighoud Youcef, né à Smendou en 1921, après avoir suivi, comme la plupart des enfants algériens, l’école coranique, fréquenta l’école française jusqu’au niveau du certificat d’études primaires. Il se mit tout jeune à apprendre un métier à l’école professionnelle puis à travailler avec un artisan français. Il adhéra au PPA et fut recruté par Tayeb Thaalbi, chef de section du PPA-MTLD au niveau de Smendou, puis s’enrôla dans l’OS, dans la section de Smendou sous la responsabilité de Si Abdelkader16. Emprisonné lors des arrestations massives qui touchèrent les militants de l’OS en 1950 suite à « l’affaire de Tébessa », il se fit remarquer par son évasion spectaculaire de la prison de Bône17 en avril 1954. Il rejoignit les Aurès où étaient déjà réfugiés de nombreux militants et brigands (bandits de grands chemins) recherchés par la police, puis de là, regagna son secteur à Smendou où il monta le premier maquis avant le 1er Novembre. Il fut rejoint ensuite par Bentobal Lakhdar qui devint son adjoint après la disparition de Didouche Mourad survenue le 18 janvier 1955 à Oued-Bou Kerker, près de Collo, suite à un accrochage avec l’ennemi. La mort de Didouche fut une grosse perte pour l’élite nationaliste. Né en 1927 à Alger, il était issu d’une famille relativement aisée. Il arrêta ses études secondaires et se mit au travail dans les « chemins de fer », la SNCF18 en devenant membre actif du syndicat CGT19. Pour son sens de la justice et pour sa probité exemplaire, il fut surnommé « St Just ». Il connaissait tous les militants nationalistes du Constantinois où il avait passé la plus grande partie de son militantisme et fut le soutien intelligent et indéfectible de Boudiaf.

Zighoud, pour ses premiers pas et ses contacts avec la population, eut à ses côtés Cheikh Boularès Bouchriha, un militant rural respecté et aimé par la population, comme ce fut le cas des familles Hassayni qui apportèrent une grande contribution à la Révolution à ses débuts, ainsi que d’autres valeureux militants tels que Ramdane Younes et Keddid Mohamed qui survécurent à la guerre et qui l’aidèrent à étendre l’organisation sur l’ensemble de l’axe Constantine-Skikda-Collo, laissant la région de l’Ouest d’Oued-el-Kébir à Bentobal et celle de Guelma et Annaba à Benaouda. Après la mort de Badji Mokhtar le 19 novembre 1954, lors d’un accrochage avec l’ennemi à Medjez Sfaa aux environs de Souk-Ahras, alors qu’il était responsable de la région de Souk-Ahras-La Calle-Tébessa qui s’étendait jusqu’aux frontières algéro-tunisienne, Amara Bouglèse prit la relève et évolua presque de manière autonome jusqu’à son incorporation dans ce qu’on appellera plus tard la Base de l’Est.

Après les premières actions du 1er Novembre plus ou moins réussies militairement et qui avaient vu Zighoud faire son baptême de feu en s’attaquant au poste de Gendarmerie de Smendou, il faut noter que, n’eut été les combats acharnés, héroïques et médiatisés qui se déroulaient dans la région des Aurès les premiers mois de la lutte armée et, à part quelques actes de sabotage et d’escarmouches, le Constantinois restait calme au point que l’on doutait de l’existence même de cette résistance armée. En effet, les sceptiques commençaient à croire que le soulèvement du 1er Novembre était un non-événement. Certains allèrent jusqu’à juger sévèrement les auteurs du déclenchement, les considérant comme de dangereux aventuriers. Ce fut une étape difficile durant laquelle de nombreux et valeureux militants tombèrent très tôt sous les balles ennemies, comme ce fut le cas pour Didouche Mourad et Badji Mokhtar. L’Armée coloniale et les services de sécurité s’étaient mobilisés et avaient recouru à la traditionnelle administration indigène, tels les caïds et les gardes-champêtres, en les renforçant par des supplétifs qui constituèrent les premiers noyaux de harkis. La population méfiante n’était pas encore habituée à ce tout nouveau mouvement de groupes armés. En outre, les indigènes gardaient toujours les stigmates d’une domination par la terreur que représentait la peur du gendarme. Les déplacements étaient donc dangereux et l’armement manquait affreusement. Il fallut procéder à des collectes d’armes auprès d’une population qui, par atavisme, était réticente et cherchait à garder jalousement son armement pour se protéger en cas de nécessité. Zighoud était conscient de cet état d’esprit et arrivait à obtenir le consentement des réticents qui remettaient alors volontairement leurs armes, essentiellement des fusils de chasse. Il était de ces responsables, connu et admiré pour son intégrité, sa modestie, sa grande attention, son respect, envers la population. Il prenait les décisions en consultant ses compagnons d’une manière collégiale. Aussi bien ces derniers que la population, tout le monde le portait dans son cœur.

L’hiver 1955 fut dur pour ces premiers combattants de la liberté, mais, dès le printemps l’espoir commença à renaître. Une partie de la population se montra plus accueillante, et de nouveaux militants de l’OS commençaient à arriver au maquis. Ce fut le cas du groupe d’Oued Zénati dirigé par Salah Boubnider, un camarade de prison de Zighoud. Ce groupe était composé de onze éléments, dont Kahlarras Abdelmadjid et Rabah Belloucif, qui eurent à assumer des responsabilités zonales, puis de membres du Commandement de la Wilaya II à la veille du cessez-le-feu. Le groupe profita d’une importante opération de désarmement d’une section de goumiers en plein village de Smendou pour s’armer copieusement et devenir aussitôt opérationnel. Du côté de Constantine, un autre groupe vint agrandir le staff avec, à sa tête, Zighed Smaïn et son compagnon Zadi Abdelwahab dit « Cherif », pendant que Cheikh Boularès établissait pour le compte de Zighoud des liaisons avec Ali Zâmouche et Mostefa Aouati, chargés de l’organisation de la ville de Constantine. Une autre filière fut également organisée sous la direction de Cheikh Salah Boudrâ et Amar Rouag (réseau des tailleurs). Bekkouche Abdeslam, qui était aux côtés de Zighoud bien avant le 1er Novembre, prit, pour sa part, contact avec Messaoud Boudjerriou et Belkacem Kheriss qui le rejoignirent au maquis. Du côté de Bône (Annaba), Benaouda vit l’arrivée de nouveaux éléments comme Tahar Bouderbala qui devint chef de cette zone après le départ de Benaouda pour la Tunisie.

2. L’offensive du 20 août 1955

Zighoud redoubla d’activité en direction de Skikda et Collo et étendit la présence de l’organisation ALN-FLN sur l’ensemble de sa zone. Il voulait sortir la Révolution de l’anonymat et extirper la peur du gendarme qui hantait encore l’esprit rural. Il fallait mettre un terme à cette torpeur de la population en l’impliquant d’une manière franche dans des actions de masse, comme celles qui viseraient à détruire ou à incendier des fermes de colons ou des hangars, ou encore à saboter des infrastructures, ponts, chaussées, poteaux, etc. Les chefs aurassiens ayant eu à leur tête Mostefa Ben Boulaïd qui se trouvait en prison, subissaient une forte pression des forces coloniales. Zighoud pensait sans doute faire un geste de diversion pour desserrer l’étau sur les Aurès. Et, tant d’autres idées lui vinrent à l’esprit dont l’une prit corps et se traduisit par la décision de lancer une opération de grande envergure. Pour cela, il fallait un travail d’organisation de haut niveau nécessitant à la foi discrétion et précision. Il fallait également choisir des cibles à la fois accessibles à la population et ayant une portée médiatique évidente, de telle sorte que l’ennemi soit dans l’impossibilité de les taire, mais aussi, créer des comités de douars et recruter des supplétifs, pour encadrer une population en action, qui porteront plus tard le nom de moussebeline20.

Le jour « J », tenu secret jusqu’au dernier moment, arriva. C’était un samedi, le 20 Août 1955, à midi, une date inscrite à jamais dans les annales de l’histoire de l’Algérie révolutionnaire. Elle fut grandiose par son ampleur, son degré d’organisation, la nature des cibles et le mode populaire choisi pour sa réalisation. Le 20 Août 1955 donna un second souffle au 1er Novembre ; il eut un retentissement autant national qu’international. On a même pensé que la date avait été choisie par Zighoud pour commémorer la déportation du roi du Maroc, Mohamed V. Boubnider qui était très proche de lui m’affirma avant sa mort que, jusqu’à une semaine des attaques du 20 Août, personne, à part Zighoud, n’était au courant de la date précise du déclenchement des opérations, et que les réunions qui avaient eu lieu auparavant à ce sujet portaient uniquement sur les modalités d’organisation des actions à entreprendre. On est enclin à croire que le choix du samedi était plutôt inspiré par le fait que les colons et leurs forces de protection avaient l’habitude de se relaxer durant cette journée et à montrer moins de vigilance. Comme exemple montrant le niveau du secret qui entourait cette date, notre cellule de renseignement et d’action politique, sous la direction de Mostefa Aouati et Tatèche Belkacem à Constantine, mena des enquêtes sur les personnalités ciblées par les actions armées ce jour-là, sans que nous en sachions les motifs.

Quoi qu’il en soit, les actions coordonnées du 20 Août 1955 relancèrent la lutte armée en l’enracinant dans la population et créèrent un mouvement irréversible de rupture avec le joug colonial tout en faisant paraître au grand jour la question algérienne qui fit l’objet d’une première tentative d’inscription à l’examen de l’Assemblée générale de l’ONU, le 25 novembre 1955. En France, le mouvement messaliste avait gagné de l’influence auprès de l’immigration algérienne et les actions insurrectionnelles du 20 Août fournirent à celle-ci la preuve que, sur le terrain, c’était plutôt le FLN qui menait réellement le combat. De fait, l’immigration algérienne en France commença à douter du patriotisme de Messali Hadj et apporta un plus grand soutien aux militants du FLN. Par ailleurs, les représailles et massacres massifs qui frappèrent aveuglément et sauvagement une population désarmée, notamment dans la région de Skikda, au lendemain du 20 Août, unifièrent toutes les forces populaires autour du FLN-ALN, car le visage haineux des colons français apparaissait au grand jour, dans toute sa laideur, provoquant une rupture définitive avec la communauté des pieds noirs, et rendant ainsi toute cohabitation future difficilement réalisable. Les répercussions au niveau de la politique nationale furent toutes aussi payantes. En effet, les dirigeants des autres mouvements algériens comme l’UDMA21, l’Association des Oulémas, et le PCA22 furent acculés à se positionner par rapport à ce qui était désormais devenu un sérieux affrontement armé contre un système colonial inhumain. La plupart de ces mouvements déclarèrent leur soutien au FLN, une opportunité qu’Abane Ramdane, un responsable d’envergure nationale qui, aussitôt sorti de prison assuma un rôle politique national, n’hésita pas à saisir pour projeter l’organisation de la Révolution algérienne sur des bases solides. De fait, par ses capacités de visionnaire et en politicien aguerri, Abane sut exploiter les opérations du 20 Août 1955 en renforçant politiquement le FLN et en entreprenant le rassemblement de toutes les forces vives de la nation. Épaulé solidement par Ben M’hidi Larbi, Abane comprit vite l’urgence d’organiser de manière cohérente le combat national. Il entama aussitôt des contacts avec Zighoud Youcef afin de le sonder sur la tenue éventuelle d’une réunion de tous les responsables de la lutte armée dans le Nord-Constantinois. Il lui délégua à cet effet plusieurs émissaires entre autres, Saad Dahlab, Amara Rachid et Temam. Zighoud accepta le principe de la réunion tout en suggérant que celle-ci gagnerait à être plutôt tenue en un lieu qui serait à égale distance des régions de l’ensemble des responsables concernés. Et, c’est ce qui fut fait. Abane Ramdane, trouvant à ses côtés un autre grand homme en la personne de Larbi Ben M’hidi, décida, en commémoration de la date du 20 Août constantinois, d’organiser cet autre grand événement historique de la Révolution, à savoir, la tenue du Congrès de la Soummam qui eut donc lieu le 20 Août 1956, à la Soummam, au lieu-dit Ifri, dans la région de Sidi Aïch. Il était temps que cette rencontre, prévue par « le groupe des six », entre les principaux acteurs de la lutte armée, eût lieu. À cette époque, la région des Aurès connaissait des conflits internes et Ahmed Mahsas, poussé par Ben Bella, s’ingérait dans leurs affaires attisant ainsi leur hostilité à l’égard d’Abane Ramdane, lequel, était également considéré par le président égyptien Gamal Abdenasser, le parrain de Ben Bella, comme un pro-occidental. Et, n’eut été l’arrestation de ce dernier avec ses compagnons deux mois après, le 22 octobre 1956, le risque aurait été grand de voir Ben Bella non seulement contester les décisions de la Soummam mais aussi de tenter d’embrigader la Révolution dans le panarabisme nassérien et connaître peut-être le même sort que celui de la cause palestinienne.

Sur le plan interne de la wilaya, au lendemain du 20 Août constantinois, un appel de notre wilaya23