Laissez-moi partir - Marie Ambourg - E-Book

Laissez-moi partir E-Book

Marie Ambourg

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Beschreibung

Le harcèlement scolaire fait nombre de victimes... notamment l'auteure qui a décidé de partagé son expérience !

"Tu es un cafard, et nous les cafards, on les écrase !" C'est une phrase blessante qui m'a suivi toute ma vie.
Mon quotidien ? Intimidations, coups, moqueries, insultes... Durant plus de 10 ans, telle était ma vie. Elle se résumait à supporter et à subir le silence que je m'imposais par peur.
À travers cet ouvrage, j'ai décidé de mettre en lumière une souffrance qui pour moi, ne portait pas de nom, jusqu'à mon « réveil ».
Notre vie doit-elle s'arrêter au harcèlement scolaire ? Pouvons-nous nous reconstruire par la suite ? Telles sont les questions que je me pose chaque jour. J’ai dû faire preuve de courage pour affronter un passé, au-delà ce que j’imaginais… J’ai voulu partager dans ce livre, mon combat pour m’en sortir et celui pour devenir plus forte.
A travers mon histoire et divers témoignages, j'espère offrir, là, un espoir de guérison et apporter une aide à tous ceux qui ont souffert et/ou qui souffrent encore... Car ce n'est pas seulement mon histoire ; c'est la nôtre !

Ce témoignage poignant a pour vocation de transmettre un message d'espoir de guérison à tous ceux et celles qui souffrent de harcèlement...

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Laissez-moi partir

Le harcèlement scolaire m’a détruite

Autobiographie

ISBN : 979-10-388-0061-8

Collection : Hors Ligne

ISSN : 2109-629X

Dépôt légal : janvier 2021

© couverture Ex Aequo

©2021 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

Editions Ex Aequo

6 rue des Sybilles

« Je ne connais pas une meilleure façon d’aimer quelqu’un que de lui apprendre à s’aimer lui-même... »

Mattéo, Laura, Emma, Pauline, Marion… Tous ces noms vous disent peut-être quelque chose ? Ces noms ne vous évoquent rien ? Je vais vous raconter… Ils ont porté sur leurs épaules le poids que portent, encore aujourd’hui, nombre de jeunes. Tous ont un point commun. Tous ont été harcelés à l’école et… tous se sont suicidés à cause du harcèlement scolaire. J’ai appris, avec consternation, que le nombre de jeunes passant à l’acte et franchissant le pas vers un monde meilleur, mais laissant derrière eux des proches endeuillés par leur disparition tragique, est considérable. Partis bien trop tôt, ils laissent un manque atroce et parfois un vrai questionnement sur le pourquoi de leur geste.

Au moment où j’écris ces lignes, Emma et Laura se sont donné la mort à quelques semaines d’intervalle seulement. J’ai eu l’impression de m’enliser, car plus je me renseignais sur le sujet, plus j’accusais le coup de ce flot de mauvaises nouvelles. Ces dernières me sont tombées dessus par hasard et je l’ai très mal vécu. Comment peut-on réagir à cela ?

Mon corps a réagi… par une profonde colère, une indignation, et j’ai ressenti la nécessité pressante de faire quelque chose. Ce que je lisais faisait ressurgir en moi une extrême douleur.

Je suis à présent dans le combat depuis plusieurs mois, je tente par tous les moyens d’avancer et d’aider les autres, ceux qui ont été victimes de harcèlement ou le sont encore aujourd’hui, et c’est assez décourageant de constater que malgré le combat des associations, toutes leurs campagnes de prévention ou interventions sur le sujet, le suicide reste bien présent. Ça me rend furieuse. Les réseaux sociaux ont facilité les démarches et permis une grande avancée, mais le harcèlement est devenu plus difficile à contrer également, car il suit les victimes jusque chez elles !

J’ai voulu écrire un livre, au début à des fins trop personnelles et égoïstes. Je voulais me libérer de mon fardeau, m’exprimer… mais aujourd’hui, ce livre a pris, pour moi, une autre dimension. Le but a quelque peu changé puisqu’en effet, il ne sera plus exactement le mien à sa sortie. Il sera une sorte de journal d’enfants et/ou d’adolescents victimes de harcèlement scolaire qui n’aspirent qu’à sortir du silence. Certains avaient ce même besoin de s’exprimer, j’ai souhaité leur offrir l’opportunité. Mon témoignage n’est qu’une goutte dans un océan… Ensemble, nous sommes plus forts.

Cet ouvrage a pris de plus en plus de place, m’a obsédée jusqu’à l’insomnie. Mon besoin devenu obsession m’a fait prendre conscience que Laissez-moi partir sera le livre le plus lourd, grave, que je pourrais écrire de par son contenu, sur ce qu’il pourrait révéler, dévoiler, plus important que mon premier récit et que les prochains écrits qui seront miens.

Il a pris une ampleur grandiose à mes yeux. Pour moi, jeune auteure de presque vingt-sept ans, ma vie a été un combat et ce combat est devenu ma vie.

Si vous lisez ces lignes, peut-être avez-vous dans votre entourage une personne en souffrance, car harcelée, ou tout simplement cherchez-vous à vous informer. Quoi qu’il en soit, ce livre est un cri de rage, une ode à nous tous qui avons été victimes un jour de harcèlement scolaire, et à tous les proches de ces personnes.

Je pense à vous, vous qui êtes partis dans le plus grand des silences et qui, comme Mattéo, Laura, Emma, Pauline, Marion, n’avez pas supporté… C’est aussi pour vous, ceux dont le combat est de ne pas les laisser sombrer dans l’oubli. Ils ont commis l’irréparable et ont laissé un souvenir douloureux à leurs parents, proches et amis. Nous tous qui sommes encore là, faisons en sorte que leur terrible geste ne reste pas vain et continuons pour eux.

Vous qui en êtes victimes au moment où j’écris, n’oubliez jamais… que vous n’êtes pas seuls !

DÉGAGE ! TU NE SERS À RIEN ! T’ES MOCHE ! VA TE FAIRE FOUTRE ! VA MOURIR !

…sont des mots blessants ! Il en existe d’autres, tout aussi blessants. Ces derniers peuvent tomber sur n’importe qui ; votre frère ou votre sœur, votre cousin ou cousine, vos amis(es), ou même de parfaits inconnus que vous pourriez croiser dans la rue.

Il m’est arrivé coup sur coup de recevoir cette pluie d’insultes, d’humiliations en tout genre. En réalité, plus d’années que quiconque n’aurait pu supporter, mais j’ai supporté, car j’ai cru en l’être humain, trop peut-être ! Naïve, je pensais sincèrement que ça allait s’arrêter en ignorant.

Si vous tenez ce livre entre vos mains aujourd’hui, vous constaterez alors ma grande erreur ; celle de croire que les choses pouvaient changer. En quoi cela m’a-t-il avancée ? Puisqu’on se retrouve au même point. On aura beau faire tout ce que l’on peut, les mentalités ne changent guère.

Aujourd’hui, j’écris, je suis fière d’écrire et de continuer un combat commencé par d’autres personnes avant moi. J’ai décidé de me lever, de me battre, de parler et d’enlever ce scotch de ma bouche qui m’a empêchée de m’exprimer toutes ces années. Ce livre est plus qu’un simple témoignage, c’est une libération.

Plus qu’un appel à l’aide, plus qu’une ode à ces souffrances circulant dans mes veines, c’est avant tout un cri de rage et d’espoir que j’essaie de porter à travers mes écrits ; où d’autres personnes décèleraient une plainte. C’est également une envie profonde d’aider qui me permet aujourd’hui d’aligner des mots ; ces mêmes mots qui me paraissaient impossibles à prononcer il n’y a pas si longtemps que ça.

Pour tout vous avouer, au moment où je commence à écrire ce livre, j’ignore complètement si j’en serai réellement capable… Comment vais-je pouvoir relater quinze ans de souffrance en un seul ouvrage ? Et surtout, serai-je suffisamment forte pour oser aller jusqu’au bout ?

Pendant très très longtemps, le silence a été mon meilleur ami et mon meilleur allié ; du moins, c’est ce que je pensais ! Parler ne m’aidait pas, mais garder le silence sur ce que je vivais était pire et sans doute le plus grand exploit qu’une personne puisse accomplir. À l’intérieur de moi, je l’ignorais alors, j’étais une bombe à retardement… Comment allais-je la désamorcer ? Cette fureur, cette rage et cette colère que j’accumulais au fur et à mesure des années allaient-elles me faire oublier la bonté ?

J’ai vingt-six ans aujourd’hui, bientôt vingt-sept… et comme beaucoup trop d’enfants ou d’adolescents, j’ai été victime de harcèlement scolaire !

Vous qui lisez ces quelques lignes, ne pouvez-vous pas percevoir le tremblement de mes doigts touchant le clavier de cet ordinateur, entendre le bruit sourd de mon cœur battant la chamade ? Pourquoi, d’après vous ? Car depuis toujours, je garde tout en moi… Et cela me fait peur de faire ça.

Ce livre sera donc un espoir de guérison, une envie de partager et d’essayer d’aider ceux qui souffrent de ce harcèlement.

Aujourd’hui, il ne suffit plus de vouloir guérir… simplement guérir… c’est un combat mené par tellement de gens… J’ai alors compris l’ampleur de ce phénomène. Ce phénomène « nouveau » qu’est le harcèlement scolaire. Du moins, ce phénomène qui sort enfin de l’ombre ; il était temps !

J’ai décidé de me lever et de dire non à tout ceci. Je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule à l’avoir subi et aujourd’hui, d’autres enfants le subissent… il est grand temps qu’on se lève et qu’ensemble, nous fassions en sorte que cela cesse. C’est aujourd’hui, c’est maintenant !

Dans ce livre, j’ai décidé de parler de ce mal-être qui m’a enfermée et m’a fait me replier sur moi-même. De ce silence qui m’a étouffée… mais, n’étant pas la seule, vous verrez que j’ai inclus certains témoignages venant d’autres personnes l’ayant vécu ou le vivant encore qui ont eu le courage de l’écrire et commencent juste leur combat ; car cela commence par oser et eux l’ont fait, plus ou moins facilement.

Vous lirez également mon histoire, celle d’une harcelée qui n’avait jamais osé se montrer… ni se lever… ni se dresser face à ce qu’elle a vécu. Je vous emmène à travers toutes mes mésaventures, celles qui, au fil du temps, m’ont forgé une carapace de peur et d’angoisse dont j’essaie de me défaire !

À travers l’amitié, la passion, l’amour de mes proches, j’ai sans doute trouvé les clefs afin de sortir d’un engrenage infernal et je souhaitais vous en faire part.

Parmi vous, certains ont peut-être déjà été harcelés, ou d’autres se retrouveront peut-être en tant que harceleurs ou témoins. J’espère que mon livre aidera tous ceux qui le liront !

Je vous souhaite de trouver le bonheur, tout le monde le mérite… prêts à vous battre ? Ça commence ici…

Qu’est-ce que le harcèlement scolaire ? Ce sont seulement des mots… c’est comme ça que cela commence. Que veulent dire ces mots ? Que signifient-ils ? Ils restent mystérieux jusqu’à ce qu’on les comprenne… J’ai fait leur connaissance bien trop tard ; une fois mon calvaire terminé. Ils étaient mystérieux, m’étaient inconnus – aujourd’hui, ils sont devenus ceux que je combats, et la souffrance que j’essaie de mettre au grand jour.

Le harcèlement scolaire est le malheur de beaucoup d’écoliers, de collégiens ou même de lycéens ; voire d’étudiants en prépa ou en fac, pourquoi pas ? Cela peut arriver à n’importe qui, à n’importe quel âge, n’importe où et n’importe quand.

Par définition, le harcèlement est une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique. Certains diraient que ce genre de violence se fonde sur le rejet de la différence même. Mais doit-on débattre sur la différence ? Nous sommes tous différents ; nous sommes égaux, mais ne nous ressemblons pas. Nous pouvons toujours trouver quelque chose pour nous moquer d’une autre personne : le physique ne plaît pas, l’orientation sexuelle n’est pas la même, la couleur de peau ou de cheveux, le handicap… Bref, autant de choses pouvant être facteurs de brimades, de moqueries, d’insultes ou d’humiliations. Le harcèlement doit être connu et combattu par tous, malheureusement…

La victime n’en parle pratiquement jamais. Et elle ne sait pas, la plupart du temps, que ces souffrances portent un nom ! Cela a été mon cas ! Je ne savais pas que j’étais victime de harcèlement scolaire jusqu’à ce que ces mots me sautent en plein visage.

Comment tout ceci a-t-il commencé ? Je suis incapable de le dire ; je pense n’avoir connu que ça ! Les raisons pour lesquelles j’ai été harcelée ? Je ne l’ai jamais su. Je n’ai que des suppositions.

Pendant très longtemps, j’ai fait partie de ces personnes qui, bien vite, se sont senties marginalisées dans une cour de récréation. Je ne faisais pas partie de ces enfants à l’aise dans leurs baskets, ni très entourés.

Je m’appelle Marie et ai été harcelée non pas un, ni deux, ni trois ans, mais toute ma vie scolaire. Cela n’a jamais cessé. Je n’ai jamais connu l’école sans harcèlement, je suppose que c’était normal, pour moi.

Je ne sais pas pourquoi… Se dire simplement : pourquoi moi ? me semble égoïste. Et pourtant, c’est ce que bon nombre de personnes se demandent lorsqu’elles sont victimes d’un harcèlement quelconque.

Mon premier problème de harcèlement remonte à des années de ça… à l’école primaire. En réalité, il m’est impossible de mettre une date, un jour ou une précision : quand, comment et pourquoi cela a commencé. C’est arrivé par de petites choses toutes simples qui ont fini par prendre une ampleur incroyablement malsaine.

Avez-vous déjà eu cette impression de sentir que les gens vous regardent un peu trop fixement ? Puis détournent les yeux à la seconde où l’on croise leurs regards ? Cette drôle de sensation lorsque vous sentez que les gens rient et que, sans en savoir la raison, vous ne pouvez y participer ? Vous sentez-vous exclu d’une conversation ou d’un jeu ? Personne ne s’assoit à côté de vous ? Ou bien vous êtes la dernière personne à être choisie lors d’un sport se jouant en équipe ? Ou agressé verbalement, physiquement, et régulièrement ?

Ne cherchez plus… Si vous ne vous sentez pas accepté, c’est que l’on voit en vous quelqu’un de différent. Et c’est connu : la différence… eh bien, ça fait peur !

Je suis quelqu’un de très timide à la base. J’ai toujours eu du mal à trouver ma place, communiquer a été sans doute ma plus grande difficulté dans les différentes classes. J’ai sans doute été programmée pour être différente, au vu de mes chers camarades.

Qui suis-je en réalité ? Une personne dont l’histoire tient en deux ouvrages. Je suis née avec malchance, c’est ce que je me dis souvent en riant. J’ai eu plusieurs combats dans ma vie : le combat à l’école, le combat contre la maladie, le combat contre le handicap… et également celui qui est sans doute le plus difficile à mener : le combat contre moi-même.

Je pense qu’il serait logique de commencer par une brève présentation pour que vous puissiez me connaître davantage. Qui suis-je ? Qui étais-je avant tout ça ? Où vais-je ? Où est-ce que je compte aller ? Quel est mon parcours ? Toutes ces petites choses qui font que vous serez davantage dans mon monde…

J’ai toujours été quelqu’un de réservé. Dotée d’une grande timidité, j’ai eu énormément de difficultés à rentrer dans le moule. Dès le primaire, mon souci premier était de me faire des amis ; je n’y arrivais pas.

Par ailleurs, je suis née prématurément, ce qui fait que d’énormes problèmes se sont ajoutés. J’ai redoublé deux classes : la grande section et le CE1. Le retard que j’ai accumulé scolairement s’est donc rapidement fait sentir. J’avais de grandes difficultés de compréhension, j’étais lente et j’avais beaucoup de mal à suivre. Ma première note était zéro ! J’avais beau faire des efforts… soit je ratais tous mes contrôles, soit je ne les finissais tout simplement pas.

Pour en rajouter, j’avais des soucis de vue : j’y voyais double. Croyant que tout le monde voyait de la même façon que moi, je ne disais rien. Je bougeais la tête sans m’en apercevoir afin d’adapter ma vue ; ce qui compliqua fortement mon intégration. C’est une de mes institutrices qui le remarqua et c’est grâce à elle si aujourd’hui, je n’agite plus la tête pour essayer de mieux voir. Du moins, elle fut la première à remarquer ce problème. Quant à moi, je ne me rendais compte de rien, lorsqu’on me disait que je bougeais la tête, je répondais que non.

Pour terminer avec ce beau pavé, j’avais un handicap invisible pour les autres, qui se ressent énormément lorsqu’on a le malheur de croiser son chemin : la dyspraxie. Appelée communément un trouble dys… il en existe plusieurs. Le plus connu, je pense, est la dyslexie. Cependant, il en existe davantage. Ce sont des troubles d’apprentissage !

Me concernant, voici une courte définition de la dyspraxie : c’est une altération de la capacité à exécuter de manière automatique des mouvements ; c’est-à-dire que j’ai une tendance à être maladroite et à devoir réfléchir à chacun de mes gestes. L’enfant ou l’adulte dyspraxique peut souvent être pris pour un déficient intellectuel, ou bien nous pouvons penser de lui qu’il met de la mauvaise volonté lors de la réalisation d’un exercice, par exemple, il peut être considéré comme fainéant. On avait dit à mes parents que j’étais autiste ou « simplement » débile légère. Ce qui fait très plaisir lorsqu’on est en âge de le comprendre, plus tard.

On leur avait également dit que je devrais aller sans aucun doute dans un établissement spécialisé, et que j’aurais de la chance si j’arrivais à aller jusqu’en troisième et à obtenir le brevet. Blessant, vous ne trouvez pas ? Voilà, j’étais cataloguée comme une débile et une personne qui ne ferait rien de sa vie, destinée à l’échec programmé par une équipe médicale. Quel plan de carrière m’aurait-on réservé si mes parents les avaient simplement écoutés ? Quelle chance que ces derniers n’aient pas abandonné, rares sont ceux qui ont des parents comme ça et je les en remercie chaque jour.

Je suis dyspraxique visuo-spatial ; ce qui, malheureusement, inclut aussi un problème de repérage dans l’espace et le temps. Ma dys me donne donc beaucoup de soucis pour m’orienter ; je peux me perdre plus facilement que des personnes « normales » ; et peux même me perdre sur une simple feuille, ne sachant pas très bien gérer l’espace se trouvant sous mes yeux. Les problèmes d’organisation liés à notre trouble et le rangement sont une véritable complication dans la vie de tous les jours, et lorsque nous devenons adultes, ce problème se constate davantage.

Lorsque vous êtes dyspraxique, les choses sont tellement différentes ! Lorsque vous lisez, les lignes se mélangent, les mots s’entrecroisent, vous vous perdez dans les paragraphes, ne sachant plus très bien où vous vous trouvez ; complètement perdus, vos yeux ne savent plus où se poser et vous lisez parfois la moitié d’une phrase et finissez par une autre.

Les graphiques, les dessins, les plans ou encore les formes géométriques deviennent des énigmes. Les codes couleur deviennent alors vos alliés dans votre combat contre l’incompréhension. Ils vous permettent d’identifier telle ou telle information. Lorsque vous lisez, vous ne comprenez pas toujours ; c’est souvent un dialecte inconnu, vous n’arrivez pas à le déchiffrer, ou très peu.

Et les nombres ? Je n’ai jamais eu de très bons rapports avec eux… Comme avec les camarades qui m’entouraient au quotidien.

Les choses de la vie, celles qui devraient vous sembler évidentes, deviennent votre plus grand questionnement.

Les informations changent ? Les questions se posent immédiatement. Une consigne qui ne change pas devient une amie qui ne nous inquiète plus, celle qui change redevient une inconnue.

Le rapport avec l’espace et le temps est également compliqué ; se mélangent la droite et la gauche… Vous changez d’endroit et les réponses ne sont plus les mêmes, la droite devient la gauche et la gauche devient la droite… alors, vous ne savez plus !

Lorsque je conduis, malgré moi, je reste dépendante à cause de ma dyspraxie qui, bien que je la côtoie depuis que je suis née, trouve toujours un moyen de m’étonner. On peut croire que je suis autonome, car j’ai obtenu mon permis, non sans mal (mais comme tout le monde après tout). J’ai ma propre voiture, mais un nouveau chemin ou quelque chose d’inhabituel en travers de ma route, des travaux par exemple, peut tout bouleverser, et la panique m’envahir. Qui dit nouvelle route dit nouveau problème, nouveau challenge, nouvelles angoisses.

Lorsque je monte à cheval, le problème est le même… Il y a la main intérieure et la main extérieure, la jambe intérieure et la jambe extérieure ; ce qui est censé nous donner des repères… Pourtant, suivant ma position dans la carrière, je ne sais plus qui est qui, ça change suivant où je me trouve ! Du moins, c’est ce que ma tête me raconte, je ne sais même pas vous dire si c’est vrai.

Les plus gros désagréments de la dyspraxie : le rapport que l’on peut avoir avec son corps… ne pas savoir utiliser ses mains comme on le voudrait ; les images de personnes qui exécutent les gestes semblant si faciles et si normaux auront beau me tourner dans la tête… les informations ne passent pas de mes pensées aux mains, aux pieds ; rien n’est simple, tout est réfléchi et répété des milliers de fois pour que l’ordre que j’envoie se fasse presque correctement. Rien n’est automatique ; même quand vous croyez que vous y arrivez, tout devient une souffrance, car vous êtes quelqu’un qui ne sait pas, qui ne comprend pas, qui est lent et qui peut se tromper en mettant un simple manteau ou un pull à l’envers.

Le monde est un point d’interrogation ; il représente l’inconnu dans le connu. Tout ce qui doit être fait devient source d’inquiétudes, de doutes… La plupart des blocages deviennent même incohérents, pour nous.

Comment expliquer aux personnes qui ne comprennent pas que même la chose la plus simple et la plus logique peut devenir une montagne impossible à gravir ? On se frotte souvent à l’incompréhension de notre entourage proche ou plus éloigné ; c’est ainsi que même une explication devient laborieuse !

Ma dys est un handicap invisible. Ce qui me rend vulnérable et sensible aux regards désapprobateurs autour de moi. Comment faire au quotidien ? Toujours cette envie de justifier pourquoi on n’y arrive pas quand on est regardé de travers… ils ne savent pas ! Se perdre dans un grand magasin ; ne pas réussir à couper des fruits ou des légumes alors que cela devrait être acquis ! Ne pas savoir prendre les informations dans un texte, un tableau ou une situation… Un tableau, je le vois comme… un tableau. C’est une mine d’informations que, malheureusement, il m’est compliqué de décrypter. Que vois-je ? Des lignes, des rectangles, des diagonales parfois ; je ne peux pas déterminer ce qu’il me faudrait pour réussir un exercice. Perdue, incapable de comprendre cet assortiment de lignes et de chiffres mélangés… Telle est ma vie ; un capharnaüm, un ordre dérangé, une organisation désorganisée, un innommable chaos dont je suis la seule responsable.

La dyspraxie, cette amie présente depuis ma plus tendre enfance, serait-elle l’origine, du moins en partie, de mon cauchemar ? Je le crois et n’ai pas d’autre choix que de l’accepter. Elle me connaît mieux que quiconque, plus que je ne pourrai jamais la connaître sans doute. Elle n’est cependant pas la seule à faire partie de mon désarroi, car c’est également lors de ces années de primaire que mes problèmes de santé se sont déclenchés.

J’avais des malaises. Le premier était apparu en cours de sport, en classe de CM1. Dans ces moments-là, je perdais mes repères : ma tête tournait, ma vue se brouillait, je ne pouvais plus marcher correctement, car mes jambes flageolantes tremblaient et ne me portaient plus, je me sentais projetée lorsque je tentais en vain d’attraper les objets, mon cœur battait la chamade, ma respiration devenait saccadée… Mes malaises n’avaient pas de nom, personne ne savait à quoi ils étaient dus ni à quelle maladie ils étaient liés, s’il y en avait une. Je les appelais ainsi pour parler de mes absences, mes paralysies, car je ne voyais aucun autre mot pour les qualifier.

Malheureusement pour moi, dyspraxique, ces malaises me donnaient l’impression de perdre encore plus l’autonomie de mon corps. Il est effrayant de perdre une partie de sa conscience et de devenir incapable de se diriger. Perdre le contrôle est une chose horrible et déclenche une panique intense que l’on est seul à devoir maîtriser, et sans que personne puisse vous aider… la seule solution étant d’attendre que cela passe.

La différence effraie tout le monde. Je pense que j’en ai peur moi-même… À force de la côtoyer, j’ai fini par me méfier des tours qu’elle aime me jouer ! Elle a été un fardeau autant qu’une alliée dans mes combats. Elle m’a aussi permis d’accepter les autres et de devenir meilleure. Elle peut être belle.

Je suppose que mes camarades ont trouvé en moi une proie facile, car j’ai eu de nombreuses difficultés au tout début de ma vie. Cependant, c’est ce qui m’a permis d’être celle que je suis aujourd’hui : l’auteure de deux livres{1} qui, je l’espère, contribueront à faire changer le regard des gens sur les handicaps et maladies invisibles ainsi qu’à briser le tabou de la méchanceté gratuite que l’on tait dans les écoles…

Mais qui dit lot de problèmes dit aussi lot de bonheurs, car j’ai également, heureusement, reçu beaucoup de joies et de bonheurs divers dans ma vie.

J’ai toujours eu la chance d’être une fille passionnée. D’un esprit créatif et toujours à la recherche de nouvelles expériences artistiques, j’étais assez rêveuse, mais prête à donner le meilleur dans ce que j’aimais.

J’ai eu la chance d’être acceptée dans le monde du cheval. J’ai commencé l’équitation à l’âge de neuf ans. J’y ai rencontré mon premier amour, un petit poney shetland qui m’a donné le virus de l’équitation. Beaucoup de gens reçoivent un jour une flèche en plein cœur pour ce magnifique animal qu’est le cheval. J’ai trouvé en l’équitation un refuge, un secours, une sécurité et un soutien que je ne trouvais ni à l’école ni ailleurs.

Je parlerai souvent de cet univers dans ce livre, car cette passion extraordinaire est au cœur de toute ma jeune vie.

Par ailleurs, j’ai découvert que j’aimais la danse, la photographie, le montage vidéo, le cinéma, la lecture, ainsi que… l’écriture. J’ai trouvé en tout cela des aides et des moyens d’expression inégalables.

Maintenant, vous me connaissez mieux. Changer les mentalités est un chemin long et ardu ; à ma manière, j’espère débroussailler un tout petit mètre de ce long parcours.

Le harcèlement scolaire est un sujet extrêmement sensible pour moi. Non seulement parce qu’il ne doit pas être mis en lumière pour sauver la crédibilité des lieux d’enseignement primaire et secondaire. Le silence est leur maître-mot, beaucoup en ont fait les frais.

J’ai eu parfois l’impression de revivre certains moments qui m’ont marquée et de devenir folle. J’étais obligée d’écrire sur d’autres sujets pour à nouveau respirer.

Existe-t-il des gens comme moi, quelque part, qui ont cette peur étrange d’écrire sur leur passé ? Oui, j’ai peur de lui pour une raison : parce que je ne me suis pas totalement reconstruite, parce que j’ai envie d’avancer vers la vie, ce retour en arrière est à la fois une nécessité et un frein à la cicatrisation de violentes blessures.

Mais il est bien là, ce passé qui revient sans arrêt… Les jours se succèdent et je m’enfonce dans l’angoisse… L’angoisse de la parole, l’angoisse de la vie qui passe et de me sentir comme une martienne aux yeux des autres, de ne pas trouver ma place dans ce monde.

Le passé m’effraie, le futur me terrifie… Comment avancer dans ces conditions ? Eh bien, je crois qu’il est temps de trouver les réponses.

Je compte bien les découvrir… Je vous emmène à travers les difficultés que la vie m’a réservées ; celles d’une enfant harcelée devenue adulte qui ne demande qu’une chose : tourner la page !

Témoignage :

« En attendant, j’aimerais bien que tu lises un texte que j’ai écrit pendant mon insomnie d’hier soir.

Mon handicap, j’en fais une force, même si parfois, mon handicap me fait sentir enfant ou qu’il me gêne. Il m’a aussi beaucoup apporté : ma combativité, ce côté fonceuse…

Je réalise presque des exploits par rapport à certains dyspraxiques. La “dysfférence” n’est pas une fatalité ! J’ai su compenser dans d’autres domaines. Même si je peine encore à trouver dans quoi je pourrais m’épanouir plus tard. La dyspraxie, je l’ai et je l’aurai toute ma vie ; quand je me retrouverai seule dans mon appartement, quand je voudrai passer le permis, quand j’aurai des enfants… peu importe l’événement, le moment, elle pointera toujours le bout de son nez. Elle est là au moment où je me lève et reste présente lorsque je vais me coucher… Quand je suis fatiguée, elle m’emmerde d’autant plus !

Je suis sûre que sans cette dys, je ne serais pas tout à fait celle que je suis aujourd’hui. Certes, elle ne me définit pas, mais elle fait partie de moi, de ce que je suis en grande partie. Au travail, j’y serai toujours confrontée. Quand j’y penserai le moins, elle sera quand même là ! Elle ne dort jamais, toujours bien présente, mais maintenant, je prends le dessus. Je la gère de mieux en mieux et la gêne s’atténue avec le temps. Je trouve mes propres stratégies, des astuces pour la contrer, en espérant que cela marche.

Cependant, cela ne fonctionne pas souvent, malheureusement, mais je relativise en me rassurant et en me disant : “Ça ira mieux demain, ne t’en fais pas.”

Il faut constamment prouver qu’être dys ne nous rend pas “débiles” ou “inintéressants” ! On a de bonnes capacités, on peine seulement à les exploiter.

On a souvent vécu le rejet, les critiques, les regards moqueurs, et avons été les têtes de Turc des autres. Notre différence dérange. Beaucoup d’entre nous l’avons compris assez vite durant les années d’école.

La dyspraxie, pour moi, n’est pas une honte ! Sans elle, je vivrais plus confortablement, c’est vrai. Mais elle m’apporte beaucoup ! Elle m’apporte tellement plus de tolérance envers les autres, une grande sensibilité et surtout beaucoup d’empathie ! Elle me fait parfois me sentir nulle, inutile, incapable… Néanmoins, elle me donne toujours plus envie de me surpasser, de repousser mes limites un peu plus loin chaque jour. Elle m’a donné l’envie d’être toujours plus indépendante, de gagner en autonomie, de me sentir réellement une jeune adulte.

Elle peut être très gênante lors d’activités en groupe, de sorties entre amis, avec la famille… Maintenant, je sais la cerner et quoi faire pour la canaliser. J’ai toujours vécu avec ma dyspraxie sans le savoir vraiment, en pensant réellement que j’avais un retard mental profond. À présent que je sais d’où me viennent ces difficultés, je suis soulagée et à la fois anxieuse pour l’avenir. Vais-je m’en sortir ou cette foutue dys va-t-elle me mettre des barrières à ce que je souhaite faire ? Va-t-elle prendre trop de place ? J’ai de nombreux doutes, mais j’y crois ! Cela fait de moi une personne handicapée aux yeux de la société. Ce statut de handicapée… j’ai mis du temps avant de l’accepter. Je sais que je le suis, mais n’y pense pas vraiment.

Mon handicap, j’en ferai une force ! J’apporterai tout mon soutien aux parents démunis par ce trouble, aux personnes dys qui ont perdu confiance en elles. Je les aiderai du mieux que je peux. Leur combat est le mien aussi.

Lorsque je vois de jeunes dyspraxiques qui veulent en finir… qui sont complètement dépités par l’annonce de leur “dysfférence” de la bouche d’un médecin, ça me fait beaucoup de mal. J’étais dans le même état d’esprit auparavant, mais la vie vaut le coup d’être vécue ; handicap ou non ! On porte tous une croix plus ou moins lourde…

Avoir un handicap ne m’aide pas non plus, car je dois sans cesse expliquer mes limitations, le pourquoi du comment, par exemple quand je me perds dans un endroit… Ce n’est pas parce je suis tête en l’air ! Attacher mes lacets, manger proprement, couper ma viande… le quotidien, tout simplement… devient pour moi inaccessible et si facile pour les autres ! Ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est mon handicap qui impose ça.

Ah, je t’ai haïe, ma dys ! Je t’ai détestée ! Tu ne me laisses pas un moment de répit… Beaucoup de difficultés, de sacrés coups au moral… Parfois, je me sens ridicule, mal à l’aise ; quand j’ai appris que tu étais là, je voulais disparaître, mourir ! L’annonce de ta présence a été brutale ! Je pensais qu’il n’y avait plus aucune issue. Je ne me voyais pas faire face à un tel combat et ai voulu jeter l’éponge avant même d’avancer… Mais cette envie d’y arriver est plus forte que tout le reste.

Tu n’es pas le plus sévère des troubles, mais tu m’embêtes toujours autant, me mènes la vie dure, n’en fais qu’à ta tête.

Quand je pense que j’ai acquis le geste, c’est là que je me rends compte que cela ne va pas être de tout repos.

Depuis ta connaissance, mes parents ne comprennent pas qui tu es, d’où tu viens. Ils croient que tu es le fruit de mon imagination ! Les difficultés que tu me causes les font bien rire, ils me critiquent… ne cherchant pas à te connaître ; ils pensent que tu partiras avec le temps. Ils sont dans le déni, comme moi je l’ai été ! J’espère que cela leur passera, car j’en souffre.

J’ai droit à des “Tu es une merde !”, “Tu vaux rien !”, “Tu sers à rien !” Avec le temps, je les ignore… même si ça fait toujours aussi mal.

J’aurai beaucoup de défis dans ma vie, liés à elle sans aucun doute. Mais je tenterai toujours ! Si je sais que c’est perdu d’avance, je ne dirai jamais : “Je ne peux pas, car je suis dyspraxique !”

C’est justement la raison pour laquelle je n’abandonnerai pas ! Je me prouverai que j’ai les capacités pour y arriver.

Avoir ce côté maladroit et enfantin nous rend attachants… On me le dit souvent, sans doute pour m’aider à positiver.

Dès aujourd’hui, je me le promets… Je ne me laisserai pas vaincre ! Mon handicap ne m’empêchera pas d’être heureuse ni de vivre une vie plus ou moins ordinaire. Je pourrais, de temps en temps, baisser les bras, mais renoncer : JAMAIS !

Carina »

Merci, Carina, pour ce texte qui m’avait profondément touchée ─, car j’ai appris à te connaître et je sais qu’il t’en a fallu du temps, du courage, de la volonté pour qu’on voie enfin cette combativité hors norme que j’apprécie et admire. Tu es une vraie guerrière ! Merci à toi pour cette leçon.

Quand l’enfer se met en place…

Je m’appelle Marie, j’ai trois ans… je rentre enfin à l’école. Je vais pouvoir me faire des amis, apprendre, bien entendu, mais rigoler, surtout m’amuser. Comme tous les enfants de cet âge, j’ai un peu de mal à me séparer de mes parents, mais j’y vais quand même ! Je suis timide, je n’aime pas parler, mais je reste curieuse de savoir ce que je vais bien pouvoir faire ici.

La rentrée se passe bien, et comme je le pensais, j’ai trouvé des amis avec qui jouer… C’est génial d’être en maternelle ! J’apprends des choses rigolotes, les formes essentiellement…

Quelques enfants ne sont pas spécialement gentils, mais je m’en fiche, je me suis fait deux ou trois amies et j’ai même un copain. Celui-ci m’a même offert une boîte de maquillage sans raison particulière, c’est gentil, quand même. À la récréation, j’aime bien jouer dans le sable et faire des châteaux avec mes amies. Je me découvre petit à petit dans cet univers qu’est la petite l’école. Pendant la dernière année de maternelle, en grande section, nous avons même quelques jours en semaine dans la « grande » école pour prendre nos marques et nous habituer à la classe au-dessus, le CP. Je trouve ça plutôt amusant de changer de maîtresse ; vivement l’année prochaine. C’est sûr, l’école, c’est génial !

Je croyais que je n’allais faire qu’une année de grande section et qu’enfin, j’allais devenir grande ; comme ma sœur l’avait fait avant moi ! Mais non, ils n’ont pas voulu… ça veut dire quoi « redoubler » ?

Eh oui, je ne suis pas passée dans la classe au-dessus. Je rencontrais déjà quelques problèmes pendant les cours. Je n’arrivais pas à dessiner comme les autres, à parler aussi bien, à découper facilement comme mes camarades. Je manquais de maturité pour passer à l’étape supérieure, d’après eux. Mais moi, je voulais être avec mes amies.

J’ai redoublé cette année, on m’a même assuré que j’aurais d’autres amies et que je rejoindrais les autres dans la grande école après. Eh bien tant pis, s’il le faut… !

Ça y est, j’étais arrivée (enfin) en classe de CP. J’appris de nouvelles choses ; notamment de nouvelles règles à suivre. À la cantine, nous devions porter nos plateaux… Impressionnés, on avait peur de les faire tomber.

Avec ma maîtresse, je commençai un nouveau programme. Les lettres de l’alphabet en faisaient partie ; j’appris même à les écrire puis, petit à petit, je formai des mots. Je rencontrais malgré tout quelques difficultés à écrire, mais je n’en tins pas compte ; je venais juste de commencer, après tout…Et je travaillai aussi les chiffres ; je m’habituai à les compter… C’était un autre monde !

Tout allait très vite pour moi. Je regardais autour, tous mes camarades semblaient s’accommoder de ces changements. Je ne comprenais pas tout ce que racontait la maîtresse… Je me souviens d’un blocage pour faire un simple trait qui soulignait un titre ; je ne compris pas tout de suite où il fallait commencer et surtout où il fallait arrêter ; le soulignement se retrouva plus d’une fois jusqu’au rebord de la feuille. L’une de mes plus grandes difficultés résidait également dans le fait de tenir la règle et de faire un trait droit ! Je n’accordais aucune importance à toutes ces petites différences avec mes camarades, tant pis, je m’accrochais comme je le pouvais ! Et puis, j’avais des amies…

Le CP, le CE1, puis la deuxième classe de CE1… Je n’avais toujours pas le niveau de mes camarades. Si bien que le corps enseignant décida de me faire redoubler une seconde classe. Cela pouvait être une chance, pour moi… qui avais tant de difficultés. J’ignorais à ce moment-là que ce serait certainement un véritable tournant dans mon histoire.

Deux ans de retard… oui, deux ans de retard que je n’ai jamais su rattraper… Pas en ce qui concerne mes difficultés scolaires, mais par rapport au contact que je pouvais établir avec les autres. Je devins une marginale parmi mes nouveaux camarades. Mon redoublement ouvrit la première brèche aux moqueries, aux différents « jeux » que pouvaient inventer les enfants. Je pense que le fait que je ne fasse pas réellement mon âge me sauva les premières années de ma vie scolaire. Je passais presque inaperçue… !

Cependant, mon corps et mon esprit n’étaient pas d’accord avec ces changements ! Cela marqua définitivement la différence entre mon âge réel et mon comportement plus enfantin que celui de mes anciens camarades de maternelle, qui avaient à présent deux ans de plus scolairement, mais qui avaient également cette maturité que je n’avais pas encore. Malgré tout, je ne jouais pas aux mêmes jeux que mes nouveaux amis de classe, je les jugeais trop gamins. Je bataillais pour trouver une place, déchirée entre ces trois réalités…

Timide et très réservée, je ressentis ma propre différence avec une réelle violence. Ce fut le début d’un véritable engrenage, un engrenage infernal… Un combat commençait, une bataille contre moi-même ; qui finit par avoir raison de moi. Il est difficile d’expliquer cette sensation d’être deux personnes à la fois. Vers l’âge de neuf ans, cela se limitait seulement à ne pas vouloir jouer comme les autres, car ils en avaient sept… Cela ne m’amusait plus du tout. En ce qui concernait le travail scolaire, je n’avais vraiment pas un bon niveau et mes notes étaient inférieures à la moyenne de la classe.

Heureusement, ma maîtresse était une personne très à l’écoute. Ce qui me permettait de me sentir soutenue, entourée et encouragée.

J’avais quelques amies, pas beaucoup… et j’avais tendance à penser, quelquefois, que certaines personnes se moquaient de moi. J’avais alors pris l’habitude de les ignorer, je me fichais de ce qu’elles pouvaient penser de moi.

Je voyais très mal, à cette époque… C’est ainsi que les premiers « Débile » et les « Autiste » firent leur apparition. Comprenaient-ils ces mots, à l’époque ? Le pire, c’était que je ne comprenais pas du tout pourquoi ils riaient de moi, me montraient du doigt. Aujourd’hui, j’ai conscience que je bougeais la tête pour compenser ma vue déficiente. Je ne m’en rendais pas compte, je ne sentais même pas ma tête remuer ; comme la Terre qui tourne, mais on ne sent rien. J’avais décidé d’ignorer leurs sourires moqueurs, pour moi, ce n’était pas fondé, j’étais comme eux.

Mes difficultés du CE1 se sont aggravées en CE2. Je n’en tins pas compte, car j’étais vraiment petite, et parce que d’autres soucis s’accumulaient… Les problèmes que je rencontrais pour suivre un simple cours étaient pour moi un vrai parcours du combattant. Je m’en sortais en français, mais pas en mathématiques ni en compréhension globale des consignes… C’était une véritable catastrophe. Mes bulletins en étaient les témoins trimestre après trimestre.

J’avais une meilleure amie, à l’époque. Lorsqu’elle eut déménagé, je n’eus plus jamais de nouvelles ; nous étions trop jeunes pour penser à nous téléphoner. J’ai très peu de souvenirs d’elle. Il m’arrive de repenser à elle de temps à autre. Un jour où je ne compris pas un exercice, comme souvent, distraite par le travail des autres, je l’ai regardée un bref instant. Elle avait compris ce qu’il fallait faire, mais avait fait une faute. Elle effaça ce qu’elle venait d’écrire avec un blanco et recommença… J’ignore pour quelle raison cette image me marqua à ce point. C’est sans doute parce que je me disais que plus jamais je ne la verrais. J’espérais peut-être capturer l’instant ; c’est ce qui se passa puisque des années plus tard, elle reste présente dans ma mémoire. J’eus une autre camarade qui devint ma meilleure amie… sans en être réellement une. Je ne vis pas directement comme elle était toxique. Cette « meilleure amie » me disait sans arrêt aux récréations que si je ne lui passais pas une partie de mon goûter, elle ne me parlerait plus… Aujourd’hui, je ne parlerais plus d’elle comme telle, bien évidemment. Une meilleure amie qui, me proposant de jouer au fameux cache-cache qu’aiment tant les enfants, lassée de ne pas me trouver, finit par jouer avec d’autres élèves pendant que j’attendais patiemment qu’elle me trouve. Avec une jolie phrase bien tournée qui me tourna dans la tête pendant longtemps : « Désolée, j’ai oublié de te prévenir. »

Il est clair que je n’étais rien pour elle. C’est vrai qu’il vaut mieux rire de cette situation grotesque : un enfant caché et qui attend qu’on le trouve pendant que d’autres jouent à… ne pas le trouver ! Et lui, rigolant en pensant que sa cachette est la bonne ! Bien sûr, cette situation est comique… sauf que l’enfant caché ressent l’abandon d’une personne à qui il tient ou croit tenir. Je ressentis une frustration énorme qui me montra à quel point j’étais seule. Notre « amitié » dura de la maternelle à quelques années de primaire. Elle avait rencontré des amies plus intéressantes et, avec elles, m’adressait des moqueries. Cela avait pris une telle ampleur qu’un jour, son père l’amena chez nous pour qu’elle présente ses excuses. Ses parents étaient sourds, peut-être se sentait-elle invincible ? Cette situation me mit autant mal à l’aise qu’elle. C’était une double punition que de la recevoir chez moi et de lui faire la bise après ses excuses, que je n’acceptais pas et que je sentais plus dédaigneuses que sincères. Après cette journée, je n’entendis plus jamais parler de cette meilleure amie-nouvelle ennemie, qui finit d’ailleurs par déménager.

Malheureusement, les autres camarades de l’école n’avaient pas besoin d’elle pour se moquer de moi. En CE2, j’entendais déjà des choses horribles que je ne compris pas de suite, comme : « mongole », « gogole », « attardée » ajoutées aux éternels « moche » auxquels je m’étais quelque peu habituée. Lorsque je regardais autour de moi, je voyais les sourires narquois des autres enfants et leurs regards emplis de méchanceté, ils devenaient encore plus moqueurs face à mon incompréhension. Je m’affolais et me demandais ce que j’avais fait pour qu’on me montre du doigt en permanence.

Dans cette même classe de CE2, je me souviens avoir reçu une énorme gifle pour une raison stupide. Il y avait des arbres dans la cour de l’école. Autour, des rebords délimitaient la terre du béton. J’aimais m’amuser à y garder mon équilibre. Une camarade de classe voulut m’imiter ; pensant être sympa, je lui dis que je finissais mon tour avant de lui laisser la place. Elle m’envoya une claque à m’en faire voir trente-six chandelles ; tout ça pour me faire partir. Est-ce normal, à votre avis ? Mon infériorité a été de dégager. J’ai été assez bête pour ne pas lui tenir tête, pour m’en aller, pour me soumettre, en clair. Je m’en suis voulu ! Pourtant, tout cela était bien peu par rapport à ce que j’allais vivre…

Lorsque j’arrivai en classe de CM1, beaucoup de choses avaient changé. Une nouvelle classe venait d’ouvrir à l’école. Elle était dite pour des élèves en difficultés. J’y avais passé mon année de CP, elle venait de changer de statut. Elle devint la classe la plus détestée et la plus crainte de l’école. Les élèves qui la composaient présentaient diverses difficultés ; que ce soit sur le plan scolaire ou social. Certains se comportaient de façon particulièrement turbulente ou agressive. Il fallait les encadrer constamment, comme disait le corps enseignant.

Je rencontrai rapidement des amies, dans cette classe, qui m’autorisaient, du moins le croyais-je, une certaine intégration. Naïve et surtout très influençable, je changeai de comportement, délaissant parfois mes devoirs pour être avec elles. Fréquentant très peu les autres enfants, cela représentait beaucoup pour moi que d’être entourée de deux ou trois personnes. C’était le bout du monde. Il fallut une certaine prise de conscience afin de revenir à mon attitude normale. Je devenais étourdie, travaillais moins, ne pensant qu’à garder ces quelques amies. Mes parents s’en étaient beaucoup inquiétés.

Je me réveillai brutalement de cette situation lorsqu’aucune d’entre elles ne put venir à mon anniversaire, prévu depuis longtemps. La plupart me répondirent qu’elles ne pouvaient pas venir. La seule qui devait être présente fut attendue, en vain ! C’est seulement lorsque je retournai à l’école qu’elle me dit avoir égaré mon invitation et n’avoir pas pu me prévenir. Ce fut pour moi une trahison malgré ses « Je suis désolée » devant mes pleurs. Pour une enfant, un tel « incident » devient un terrible événement.

Avais-je vraiment des amies ? Il est vrai que mon institutrice pensait qu’elles avaient une mauvaise influence sur moi à cause de mes notes en chute libre. Elle finit par prévenir mes parents, qui tirèrent les mêmes conclusions qu’elle, évidemment.

Je ne sais plus combien de temps durèrent ces « amitiés » ni quand elles se terminèrent, ce fut néanmoins peu après cet épisode.

L’un des garçons de leur classe devint extrêmement agressif envers moi. Il me prit pour cible sans que j’en sache réellement la raison. Peut-être n’y en avait-il pas ? Je me souviens de ce garçon comme d’un enfant à la cruauté insupportable. Son souvenir ravive une tristesse, une incompréhension et une souffrance sans nom. Le fameux « pourquoi ? » dans cette situation.

Il devint pote avec mes amies ; ma situation empira. Dès le jour de la rentrée en classe de CM1, j’eus de nouvelles camarades. J’étais contente ! Mes ex-complices, elles, étaient parties définitivement. Mais ma vie était loin d’être un conte de fées pour autant.

Je le vis toutes les semaines, tous les jours ; mon angoisse résidait dans le simple fait de le voir. C’était inévitable. Ce qui me frappa surtout, c’était que mes soi-disant amies ne levaient pas le petit doigt pour m’aider. Pire ! Le sourire en coin, elles riaient franchement avec mon bourreau. Ses moments préférés à l’école étaient sans aucun doute ceux où il faisait de ma vie un enfer sur Terre.

Parfois, lorsque j’étais assise dans un coin avec elles, il me prenait les pieds et me tirait sur le sol. Je me débattais pour qu’il me lâche et me collais contre le mur, espérant une quelconque réaction de mes « amies ». Je me recroquevillais pour me protéger ; et il recommençait. Il me faisait rapidement craquer au sens propre, les larmes montaient et je ne pouvais les empêcher de couler. Mes nerfs ne supportaient plus ces violences à répétition. Je lui demandais d’arrêter, mais il restait sourd à mes supplications et s’acharnait sur moi de plus belle.

Quand ce n’étaient pas les pieds, les bras faisaient très bien l’affaire. De cette manière, il me fit tomber d’une marche et je me fis terriblement mal au coccyx. Je ne peux oublier la douleur lancinante que je ressentis au moment de mon atterrissage incontrôlé sur le bitume.

Chaque jour, j’avais droit au même scénario. Une fois il me fit tellement mal… Ce jour-là, il avait décidé de m’empoigner dans l’optique de me faire tomber. Il m’attrapa par les épaules, puis le cou, jusqu’au moment où je sentis mon corps réagir violemment à un accrochage. Mon oreille était en sang et ma boucle d’oreille gisait à côté de moi. En me débattant, je sentis la tige sur la paume de ma main. Je ne la vis pas tout de suite ; je me piquai alors que j’essayais de me détacher de lui ; j’essayais de me dégager, en vain. Un bleu apparut à cet endroit précis. Je l’avais senti passer.

Avec la peur au ventre et attristée, je décidai de prendre congé de ma « bande d’amies », qui ne m’accompagnèrent pas…

Arrivée aux toilettes, je me regardai dans le miroir au-dessus des lavabos, vérifiai l’état de mon oreille, lavai le sang, observai ma main et regardai l’état de ma boucle d’oreille. La tige était un peu tordue. J’étais à la fois horrifiée et soulagée. J’aurais pu m’arracher le lobe avec ma boucle. J’étais cependant heureuse qu’elle ne soit pas cassée. J’y tenais énormément. À cette époque, j’avais tendance à accorder une grande importance à mes affaires, et davantage du fait de mon jeune âge.

Je me regardai avec attention, j’étais encore sous le choc et à bout de nerfs. Néanmoins, je décidai de ne pas m’abandonner à la peur, au chagrin ou à la douleur de mon oreille rougie. Mes yeux étaient brillants de larmes. La rage m’étouffait.

Ma maîtresse de CM1, encore dans la classe en train de corriger des copies, ne devait pas savoir ! Je ne voulais pas qu’elle s’inquiète ou se pose des questions ; surtout qu’elle était proche de mes parents. Arrivée devant la salle de classe, encore choquée et tremblante, je l’appelai de l’entrée :

— Maîtresse ?

— Oui, Marie ?

Je m’avançai vers son bureau :

— Ma boucle d’oreille est tombée. Est-ce que tu pourrais m’aider à la remettre, s’il te plaît ?

Bien sûr, elle accepta. En réalité, je n’avais pas besoin d’aide, car je savais très bien le faire, et sans miroir. C’était juste une excuse afin de me rapprocher d’un adulte et de me sentir en sécurité.

Elle me demanda comment elle était tombée. Je lui répondis, hésitante, que je m’étais accrochée avec mon manteau, et que l’attache avait lâché. Elle accepta ma réponse ; bien qu’elle sentît que quelque chose clochait. De même, je remarquai bien qu’elle devinait mon désarroi. Je fis un effort surhumain afin de contrôler ma voix, qui pouvait trahir mon malaise grandissant. Je devais lui mentir et avoir l’air sûre de moi.

Après l’avoir remerciée et une fois certaine qu’elle avait accepté ma réponse, je ressortis avec l’air le plus assuré possible. Derrière le mur, pourtant, je n’avais pas envie de retourner en cour de récréation. Je paniquais à cette idée. Alors que j’hésitais, la sonnerie me sauva. C’était l’heure de rentrer en classe. Ce n’était pas pour me rassurer, car lorsqu’un problème était mis de côté, c’était un autre qui pointait le bout de son nez ; affronter les cours, ma classe, les exercices parfois oraux que je détestais plus que toute autre chose… Et cette question que me posa une de mes « amies » :

« Pourquoi tu es partie ? »

Improbable ! Je m’assis à ma table sans répondre, en attendant les prochaines récréations.

La cantine… un passage obligé et angoissant ! Un véritable défi, un challenge ou une mission impossible pour certains élèves peinant à traverser un couloir sans croiser un regard perçant et humiliant. Pour ma part, étant très timide, cela n’arrangeait rien… J’ai toujours préféré les coins, les murs, ou encore la dernière rangée de tables et sur le côté, dans une classe. Au milieu de tous, je me sentais démunie, piégée et en danger : prendre son plateau, essayer de ne pas le faire tomber, trouver une place, s’asseoir, parfois retraverser pour aller chercher de l’eau, manger en essayant de se dire que personne ne nous observe… Puis, se lever à nouveau, aller poser le plateau et retourner dans la cour de récréation. Vous imaginez également la fatigue si on y ajoute un handicap invisible qui me faisait passer pour une débile aux yeux des autres. Ne pas faire tomber le plateau ? OK, mais alors, bien réfléchir avant d’agir. Quel stress ! Pourtant, cela est a priori quelque chose de simple, de normal pour un écolier. Ce sont des situations à devenir paranoïaque ; à se sentir visé même lorsque ce n’est pas le cas, surtout quand on est habitué à encaisser. Tel un animal traqué, on se félicite d’être encore en vie à la fin de la journée.

C’était mon quotidien ! J’étais la cible de vacheries plus humiliantes les unes que les autres et autres plaisanteries douteuses…quand je ne me faisais pas traîner, bousculer ou que ce garçon ne me faisait pas tomber. Il ne me laissa jamais de répit. Toutes les récréations, il me faisait mal. Je voyais quelqu’un, car j’étais mal dans ma peau. Cela accrut ce mal-être, je pensais que c’était moi qui avais un problème et que je devais le régler. Quand je disais à ma mère que je n’avais pas beaucoup d’amis, elle me répondait qu’il fallait que je travaille sur le rapport que j’établissais avec les autres, car même chez moi, j’étais renfermée.

Un jour, ce harceleur partit, ce qui permit ma libération, ou disons que je signais pour un peu de tranquillité. Mais il me laissa une peur qui ne me quitta pas et qui permit que d’autres en profitent.

D’autres prenaient sa place au fur et à mesure du temps qui passait. Certains auxquels je pense me passent vaguement dans la tête au moment où j’écris. Cependant, comme s’ils ne voulaient pas réapparaître, certains noms ont été oubliés, mais pas leur visage.

Toujours est-il que dans la classe de ce garçon, je me fis une amie. Presque quinze ans d’amitié, à présent. Je la voyais de temps en temps ; à l’époque, elle était tellement timide qu’il m’était difficile de lui parler. Elle n’osait jamais ouvrir la bouche, même dans la cour de récréation. Elle me chuchotait dans l’oreille, si bas que je ne l’entendais pas à cause des cris enfantins.

Ce qui nous avait rapprochées était l’amour des animaux en général et des chevaux en particulier. C’est notamment grâce à elle que je sus qu’il y avait un club dans notre village, et c’est avec elle que j’allai faire mon premier stage équestre, ce qui finit par nous rendre inséparables. D’une certaine manière, elle fut témoin de tout : de ce que j’endurais jusqu’à ma « presque » guérison.

« Hé, Marie ! Tu es un cafard, et nous, les cafards, on les écrase ! »

Aujourd’hui, j’ai vingt-six ans et cette phrase résonne encore en moi comme au jour où je l’ai entendue. Je suis capable de la répéter avec exactitude. Elle a été prononcée par une élève de ma classe de CM2 à la sortie de l’école. Je n’ai jamais oublié ses mots !

Je me souviens toujours du nom de ma camarade en question alors que je ne me souviens pas des trois quarts de mes anciens camarades… Je ne cite personne pour des raisons d’anonymat, mais cela ne veut pas dire que je ne l’ai pas en tête. J’ai contenu une colère si forte à son égard durant tellement d’années !

C’était LA phrase qui me resterait… et aujourd’hui, je le sais ! C’est LA phrase qui a réellement commencé à faire son œuvre : me détruire, de par la haine qu’elle engendrait. Elle est restée en moi comme une blessure non cicatrisée. Comment cela a-t-il bien pu se produire ? Je ne saurais vous dire avec exactitude le pourquoi du comment. Je sais seulement que cette élève avait accusé l’institutrice d’une chose qui n’était pas vraie, tourné une punition en « c’est la faute à la maîtresse ». Vous comprenez, c’était un ange ! Donc, elle ne pouvait pas être punie et… se plaignit ! Une vraie guerre commença entre elles deux. Et allez savoir pourquoi, je m’étais malheureusement trouvée au milieu.

À la sortie, la première chose qu’elle fit fut de me mettre à l’écart et de me dire droit dans les yeux :

— C’est toi qui m’as balancée. Elle m’a punie par ta faute.

— Non !

— C’est ça ! Ça ne peut être que toi ! Tu vas le regretter.

Son amie rajouta qu’il fallait que j’arrête de mentir. Puis, la fameuse phrase que j’ai citée plus haut de la part de cette fille juste après le moment où j’avais décidé d’ignorer, précisément quand j’allais partir.

Sur l’instant, j’ai été tellement prise au dépourvu que je suis restée muette et n’ai pas su que dire pour me défendre.

C’est une de mes amies, enfin, une vraie, qui a pris ma défense. Elle m’a prise par le bras tout en la rabrouant pour son idiotie.Ellem’avait défendue comme une véritable amie… Sortie de ma torpeur, je regrettai tellement de ne pas avoir pu réagir sur l’instant ! C’était tout le temps mon problème : je ne réagissais jamais au bon moment. J’imaginais des réponses salées qui auraient pu les clouer sur place, et ensuite, regrettais de ne pas pouvoir le faire. Je n’avais aucun répondant. Je m’imaginais de bons scénarios, mais dans cette histoire, je n’étais pas une héroïne ; juste une lâche rêvant à une meilleure vie et surtout à une vie où se défendre aurait été une évidence, et même un acquis ! J’étais un souffre-douleur, et même ignorer ne m’aidait pas, car j’encaissais sans rien dire ; cela devint dur à porter.

On nous dit souvent de ne pas en tenir compte, dans ces cas-là, et croyez-moi, c’est pire que de rentrer dans le tas ; cela nous rend plus faibles. Plus on ignore et plus ça continue. C’est bien le pire des conseils !

J’en avais marre, marre d’être la tête de Turc des élèves de ma classe. Je ne pouvais jamais rien faire sans risquer des persécutions, et là, alors que je n’avais rien fait… elles avaient trouvé un nouveau moyen. Elles le faisaient exprès afin d’avoir un « mobile » pour continuer à me contrarier… ça, c’est une évidence. Les harceleurs trouvent toujours une manière ou une raison pour pourrir la vie des autres ; et cela ne date pas d’hier.

Ces paroles se sont installées dans ma tête, ont tourné… retourné… et se sont accrochées à moi. Elles ont fait des ravages. Ce que j’ignorais alors… c’est que plus de dix ans plus tard, je m’en souviendrais encore, mot pour mot. Je les ai mises dans un coin de mon esprit afin d’essayer de les oublier, mais le mal était fait. Mesquines, elles firent leur œuvre et détruisirent une partie de ma confiance en moi et en la vie.

Y a-t-il pire que cela à longueur de journée ? Cette gêne constante d’être dans une classe avec tous ces regards hostiles me glaçant.

Après avoir grandi et mûri, je me rends compte que se faire accuser de choses qui n’avaient pas lieu d’être n’était pas si grave, finalement, par rapport à ce qui m’attendait.

Je ne pensais pas connaître pire. C’est la dernière année de primaire qui a sans doute été la plus horrible de mes années de silence lorsque j’étais enfant.

Je voyais toujours mes soi-disant amies aux récréations dès que je le pouvais, mais également ma vraie et seule amie, qui se trouvait dans ma nouvelle classe.

Malheureusement, les choses ont empiré… Il est commun de dire que les enfants peuvent être d’une grande cruauté. Je trouvais celle déversée contre moi sans limites.

J’étais débarrassée de ce garçon qui me traînait par les pieds et faisait tant rire ma bande « d’amies », mais un autre persécuteur, plus violent, plus intimidant, prit rapidement sa place, me harcelant sans répit. J’aurais aimé oublier son nom.