Le bercail - Natyot - E-Book

Le bercail E-Book

Natyot

0,0

Beschreibung

 Alors qu’elle avait dû quitter la maison familiale dix ans auparavant, l a fille revient chez Pèremère.

Le huis clos d’un trio dysfonctionnel inoubliable où la folie guette, servi par la langue directe et percutante de Natyot.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Natyot vit à Montpellier. Très active dans le champ de la poésie, elle collabore à diverses revues et a publié plusieurs recueils. Elle est notamment l’autrice, à la Boucherie littéraire, de " ils, défaut de langue" (2021), et de "L’amour. Bouquet final" (2019). Après "Le Nord du monde", en 2018, et "Tribu", en 2022, "Le bercail" est son troisième roman à La Contre Allée. Il sort concomitamment au recueil "Bonjour suivi de Hotdog", qui paraît dans la collection La Sente.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 109

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



LE BERCAIL

natYOT

LE BERCAIL

NatYot

« Faute de soleil, sache mûrir dans la glace. »

Henri Michaux, Poteaux d’angle

« Ainsi soit-il du froid, maudit partenaire. »

Bertrand Belin, Vrac

« Les trois beaux camélias de mon jardinet ont bonne apparence bien verte sauf que les feuilles baissent le nez et se recroquevillent,

la question se pose s’ils vivent encore ou font seulement semblant. »

Jean Dubuffet & Valère Novarina,

Personne n’est à l’intérieur de rien

« Chez les ombres de la nuit

Au petit matin, au petit gris

Combien de crimes ont été commis

Contre les mensonges et soi-disant les lois du cœur

Combien sont là à cause de la folie. »

The Stranglers, La Folie

1

Elle rentre. La fille rentre. Ça fait longtemps. Très longtemps. Qu’elle n’est pas rentrée. Depuis elle ne sait plus quand. Depuis les cycles ont tourné. Plusieurs fois les cycles de la nature, elle les a vus tourner. Mais ses parents non. Les cycles étaient sans ses parents. Maintenant elle a peur. Un peu. Parce que quand même ça fait longtemps. Comment ses parents ont-ils tourné avec les cycles ? Comment les cycles ont-ils parcouru ses parents, traversé ses parents, sillonné ses parents, peuplé ses parents, comment ? Elle ne sait pas. Elle ne sait rien de ce qui l’attend. Et c’est pour ça qu’elle a peur. Un peu. Elle rentre. Au bercail. À la maison. Au royaume de son enfance. Avec les parents qui ont vécu des cycles sans elle. Mais ça va aller. Bien sûr ça va aller. Les parents normalement ça va.

Les parents normalement reconnaissent leur enfant parmi mille. À coup sûr. Les yeux fermés. Ils le reconnaissent en ouvrant leurs narines au maximum. Ils reniflent et ça suffit. C’est comme une bête les parents normalement. N’importe quelle bête. Un lémurien, une sauterelle, un rat, ou toutes les bêtes à la fois. Les parents peuvent être l’ensemble du monde animal. C’est comme ça qu’ils reconnaissent leur enfant. En imitant les bêtes.

Elle sourira. C’est la première chose qu’elle se dit. Je sourirai. Il faut sourire à ses parents quand ça fait longtemps. C’est un bon début de retrouvailles. Un début souriant. C’est mettre toutes les chances de son côté. Du côté de l’enfant qui rentre. On le dit qu’un enfant souriant c’est mieux. Ça plaît. À tout le monde ça plaît. Le début des retrouvailles commencera donc par un sourire. Et ensuite ?

Ensuite viendront les baisers. Les baisers maladroits. Ils feront dans la maladresse. Les trois. Père. Mère. Fille. On ne sait plus s’embrasser quand ça fait longtemps sans. Les bras ou pas les bras. La chaleur ou pas la chaleur. Qui va décider de ça ? Ils ne s’épancheront pas tout de suite. Ils ne s’épancheront peut-être pas d’ailleurs. Ils ne diront rien de l’éternité sans bras et sans chaleur. De la difficulté à réapprendre. Elle a peur. Un peu. De ça. Que ça ne revienne pas.

Elle est sur le pas de la porte. Elle reste là. Un bon moment. Un bon moment de rien. Ce n’était pas prévu. Autant. Alors que de l’autre côté de la porte. Dans le bercail. Dans le royaume de l’enfance. Ils attendent. Ils s’impatientent. Ils regardent à la fenêtre. Ils, c’est eux. Les parents à la fenêtre. Stupéfaits. Face à leur enfant sur le perron. Qui ne bouge pas. Enfant-statue. Alors ils font pareil. Les parents restent figés. Ils se disent que c’est la meilleure chose à faire. Pareil qu’elle. Ça fait que personne ne bouge. On dirait que personne ne va bouger. Même jamais. Ils pourraient rester comme ça. À ne pas savoir. À ne pas vouloir. La fille pourrait aussi choisir de repartir. Éviter les retrouvailles. Les baisers maladroits. L’incertitude de la chaleur retrouvée. Changer d’avis pourquoi pas. Décamper de là. À toute vitesse. S’en retourner d’où elle vient. Par la même route que celle par laquelle elle est venue. Pourquoi pas. Ça éviterait à la fille de sourire.

Mais elle n’est pas de celles-là. La fille n’est pas une fuyante. La fille ne renonce pas. Ça ne lui ressemblerait pas. Elle s’en voudrait à mort. Rebrousser chemin par peur. Elle s’en voudrait à mort. Il lui faut être courageuse. Et on dit d’elle qu’elle est courageuse. Souvent on le dit. Elle l’entend dire. Alors c’est vrai. Puisqu’on le dit. De l’entendre dire lui plaît. Parce qu’elle le pense aussi. Je suis une courageuse. Une vaillante. Un sacré bout de femme. Alors fuir non. Il en est hors de question. Ce serait faire mentir les autres. Ce serait tourner le dos au courage qu’on dit qu’elle a. Tout s’effondrerait. Tout serait à recommencer. Et ça rajouterait des cycles supplémentaires aux retrouvailles. Elle s’en voudrait à mort. Les parents, c’est aujourd’hui.

Elle sonne. Elle frappe. Elle fait les deux. Elle ne peut plus attendre. C’est le moment. C’est maintenant. Ça la met hors d’elle. Elle sort d’elle.

Furibonde. Virulente. Emportée. Frénétique.

Dans le bercail, on met du temps à réagir. Père. Mère. Les deux entendent frapper. Ils se regardent. Les yeux se touchent. Se questionnent. Ils ne sont plus sûrs de vouloir ouvrir. Valse-hésitation. Ils ne savent pas pourquoi ils hésitent mais ils hésitent. De l’avoir vue hésiter peut-être. Ça les a refroidis. Elle sonne encore. Elle frappe encore. Sans retenue. Elle devient folle ou quoi ? Les parents paniquent. Mais ils y vont. Ensemble. Les deux ensemble. Pèremère. La fille a bien de la chance d’avoir ses deux parents encore ensemble. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. Elle ferait bien de le prendre en compte. Les deux ensemble se dirigent vers la porte. La porte qui résonne des coups de la fille, leur fille, Fifille, qui ne s’arrête plus de vouloir rentrer. Retrouver ses parents. La chaleur de ses parents. Depuis tout ce temps.

Ils ouvrent. Ils la voient. Ils la redécouvrent. Ils avaient oublié son visage. La vie de son visage. Les traits mouvants de son visage. Rien à voir avec les photos cachées dans le tiroir de la commode. Un visage en vrai ça frétille. Ça sautille. Ça gigote. Ça fait ce que ça veut un visage. Ce n’est pas domptable un visage. Personne ne dompte son visage. Personne ne dit à son visage : tu m’obéis maintenant, tu t’arrêtes de bouger, tu t’arrêtes d’être vivant. Non, personne. Et puis un visage, ça marque aussi. Ça prend les marques des cycles. Les parents voient les marques des cycles qui ont tourné sur le visage de leur fille. Ils voient qu’elle a traversé des choses qu’elle ne leur dira pas. Des choses personnelles. Ses choses à elle. Pourtant ils aimeraient tout savoir. Surtout lui. Père. Mère moins. Mère pas tout. Elle en lit bien assez sur le visage de la fille dans l’encadrement de la porte. C’est déjà beaucoup ce qu’elle voit là. Mère est secouée par les marques du visage. La fille fait comme elle a dit. Elle sourit.

Ils la font entrer avant même de l’embrasser. À la queue leu leu. Les trois. Dans le bercail. S’embrasser, ils le feront dedans. À l’abri. C’est préférable à l’abri. Les trois le pensent. La fille pose son sac. Regarde tout autour d’elle. Constate que rien n’a changé. Elle ne sait pas si elle aurait voulu que ça ait changé.

Elle décide du moment où il faut s’embrasser qui est pratiquement tout de suite. Juste après le sac posé. Avant les mots. Dans le silence de la constatation du non-changement de ce qui l’entoure. Et elle décide finalement de joindre les bras aux baisers. Pour entrer dans le vif du sujet. Dans le lard des parents. La couenne familiale. Elle attaque par Mère. La première à s’être présentée à elle. La fille n’avait pas de priorité. Ce fut Mère. Ce fut rapide. Sec. Même avec les bras. On ne s’est pas éternisées. Puis vint Père. Pas mieux.

Les bras auraient pu faire des millions de fois le tour des parents. Autant de tours que d’années, de mois, d’heures sans eux. Si les bras avaient été autonomes.

Mère dit qu’il faut qu’on s’installe. Installés, on sera mieux. Ce sera plus confortable. Ça va nous détendre. Ils s’installent dans la cuisine. C’est chaleureux la cuisine. Mère dit aussi qu’il faut boire un verre d’alcool. Ça fera venir les histoires. Normalement l’alcool fait venir les histoires. Ils ne savent pas par où commencer. Depuis tout ce temps.

Ils forment un triangle. Chacun sur une chaise. Autour de la table. Personne ne s’est mis à côté de personne. Tous à égale distance les uns des autres. Un triangle équilatéral. La fille en a dessiné ici des triangles. Avec tout l’attirail pour la géométrie. Règle compas rapporteur. Dans la cuisine. Pendant que Mère s’affairait. La fille aimait bien faire la géométrie dans la cuisine. Même si Mère hurlait à cause des trous de compas dans la table. Le premier mot de Père surgit. Il dit : alors. Sans que ce ne soit une question. Un alors comme un râle. Un alors nous y voilà. Effectivement ils y sont. Les parents avec la fille rentrée au bercail.

Ils parlent de la vie en général. Mais pas des sujets qui fâchent. Y en a quand même quelques-uns. Des sujets épineux. Alors ils préfèrent survoler de haut. De très haut. Se faire une idée approximative pour l’instant. On verra pour les détails si la fille reste un peu. On doit y aller doucement. Faire revenir la chaleur. Ce n’est pas si simple. La cuisine ne suffira pas. On ne peut pas compter sur la convivialité d’une cuisine pour faire tout le boulot.

Encore quelques survols. Puis ils vont se coucher. Ils se disent qu’il est tard. Ils sont tous les trois d’accord. Ça commençait à faire long dans la cuisine. En triangle. À slalomer entre les sujets épineux. La fatigue est tombée. La chambre était prête depuis longtemps pour Fifille. Il n’y avait rien d’autre à faire que de se mettre au lit.

2

La fille est dans son lit d’avant. Les yeux accrochés au plafond. Le même plafond qu’avant. Elle cogite. Dans la chambre rien n’a changé non plus. Ça fait dix ans. Elle se demande si Mère vient aérer de temps en temps. Elle pense que oui. Elle imagine Mère en train d’aérer. La tête qu’elle fait. L’air doit lui faire du bien quand elle ouvre les fenêtres, pense-t-elle. Souvent l’air lave. La fille n’éprouve aucune peine pour Mère en train d’aérer. À cause du temps qui est passé et qui les a éloignées. Dix ans. À l’époque elles étaient proches. Elles se disaient presque tout. La fille ne sait pas si elle va pouvoir dormir. Les souvenirs lui tombent dessus. Trois tonnes chacun. Ça la plaque dans son lit d’enfance.

Tu prends tes cliques et tes claques.

Et tu t’en vas.

Tu vas où tu veux.

Ça nous est égal.

Nous, on n’en peut plus.

Ouste.

Il ne l’a pas dit avec des mots. Il l’a dit avec la surface des yeux. La fille a entendu la surface des yeux de Père qui parlait. Des insultes et des injonctions qui sortaient du brillant des yeux. Du scintillant des yeux. Ça ne faisait pas de doute. Il fallait qu’elle s’en aille. Qu’elle dégage.

Elle est partie sans rien sous le bras. Même pas la base de ce qu’on prend quand on part. Hormis son corps. Qu’elle aurait bien laissé aussi. Plié dans un tiroir. Avec tout le reste.

Maintenant elle revient comme ça. Au bout de dix ans. Pour essayer de rabibocher. Faire du rafistolage. Dans toutes les maisons, ça rafistole. La fille le sait bien. Elle a pu le constater chez les autres. On met des agrafes on agrafe, on met de la colle on recolle, on met du fil on recoud. Dans toutes les maisons, on fait des réparations. Selon les familles ça passe.

Il a fallu la chambre. Juste la chambre. Son poster de Friends. Ses billets de concert. Sa collection de capsules de bières. Pour que ça revienne dans sa tête. Le bon et le mauvais. Plutôt le mauvais. Elle aurait préféré dormir en bas. Sur le canapé. Sans les souvenirs. Avec le chien qu’elle n’a pas connu. Que les parents ont pris après elle. Après les cliques et les claques. Le chien qui s’appelle Mars. Une planète. Ou une barre chocolatée. Elle n’a pas demandé. Elle n’a rien demandé d’ailleurs. Ce sont les parents qui ont comblé en racontant. La nouvelle gazinière. Les nouvelles activités. Les nouveaux magasins en périphérie. La pharmacie qu’on a rasée pour faire un grand centre médical bien pratique. Tout ce qui est nouveau ils ont raconté. Rien d’avant. Père n’arrêtait pas de se racler la gorge et de tousser. La fille a pensé : il va mourir peut-être.

Toute la nuit à réfléchir. Se remémorer. Épaissir la sauce du cerveau avec cette histoire d’il y a dix ans qui a fait tout déborder. Les parents surtout.