Le cachet d'onyx - Jules Barbey d' Aurevilly - E-Book

Le cachet d'onyx E-Book

Jules Barbey d'Aurevilly

0,0

Beschreibung

Lorsqu'il écrit Le cachet d'onyx, Barbey a 23 ans. Il vit à Caen où il suit des études de Droit et s'intéresse à la politique. Ces années sont aussi marquées par la relation avec Louise, épouse d'Alfred de Méril, ainsi devenue cousine par alliance de l'auteur, relation qui bouleverse sa vie entière. Il semblerait que Louise soit la Maria à qui le narrateur s'adresse. Ce conte sonne ainsi comme une vengeance d'un jeune auteur déçu et blessé, à travers un récit brutal et froid.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 70

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Le cachet d'onyx

Le cachet d'onyx-Le cachet d’onyxLéaPage de copyright

Le cachet d'onyx

Jules Barbey d'Aurevilly

-Le cachet d’onyx

Othello vous paraît donc bien horrible, douce Maria ? Hier votre front si blanc, si limpide, se crispait rien qu’à le voir, ce diable noir, comme l’appelle Émilia. Votre haleine traînait sur vos lèvres entr’ouvertes ; vos larmes, vos sanglots, votre pose, tout en vous disait : « Pitié ! » à Othello, comme si vous aviez été la Vénitienne, la Desdemona, couchée sur le lit, comme si Othello avait pu vous entendre alors, comme si une prière d’ange agenouillé devant un homme, essuyant ses pieds de sa chevelure divine, ou, plus éloquent encore, une femme qui supplie, eût pu aller jusqu’à ce cœur possédé, affolé, enragé de jalousie et d’amour. Oh ! ne le maudissez cependant pas, cet Othello inflexible. N’ayez pas peur de cette belle création d’un poète ; n’ayez pas peur de cette admirable nature d’homme, si riche en tendresses jusque dans ses fureurs, et à qui Desdemona pardonne en mourant comme par reconnaissance de l’amour qu’il lui avait donné. Savez-vous que personne n’aima plus que cet homme qui faisait oublier un père chéri, à cheveux blancs, sur le bord de la fosse, à une fille respectueuse et tendre ; qui l’avait prise intrépidement dans ses bras, elle défaillante sous le poids d’une malédiction terrible, et qui la rendit si heureuse que jamais le souvenir de cette malédiction ne troubla une heure de la vie de cette femme timide ? Ne le maudissez pas, Maria, mais plaignez-le plutôt ! plaignez-le plus que Desdemona, qui vous fait pleurer à chaudes larmes. Son infortune est plus grande que celle de Desdemona qui crie : Ne me tuez pas ce soir ! Vous me tuerez demain ! qui s’est sentie écrasée sous la calomnie, sous les injures d’Othello.

Desdemona est l’heureuse dans ceci : l’infortuné, c’est Othello !

Il n’est pas besoin d’être Africain, d’avoir du soleil liquéfié sous une peau noire et plein ses larges veines ; il n’est pas besoin d’avoir du lion et du tigre dans sa nature pour être jaloux et se venger. Il ne faut qu’assez d’intelligence pour comprendre le mot trahison. Eh bien, quand avec ce peu d’intelligence on a de l’amour aussi, comme Othello, qui oserait appeler coupable celui-là qui est jaloux et qui se venge ! Et quand cette vengeance qui n’apaise point est finie, et que l’on est si malheureux que le remords soulagerait, le remords qu’il est impossible d’avoir parce que l’amour a tout envahi dans l’âme, oh ! qui ne donnerait pas à tant de souffrance au moins une larme, quand il reste une larme à donner.

Pleurez donc sur Othello, jeune femme, je vous le répète, sur cette âme que la douleur a sillonnée, noircie, brûlée, ensanglantée, mise en pièces comme des balles mâchées dans de la chair et des os. Il n’y a qu’Émilia qui soit en droit de l’appeler monstre, car elle avait soigné Desdemona toute petite, puis adolescente, puis épousée, et de chagrin elle délirait quand elle appelait Othello ainsi. Mais vous, Maria, vous ne le pouvez pas !

La vengeance d’Othello ne fut point d’un monstre. Il pleura avant de tuer sa femme, et quels pleurs ! Il pleura aussi quand il l’eut tuée et avant d’être détrompé ! Et quand il n’eut plus de larmes sous sa paupière, il en chercha à la source, avec la pointe d’un poignard ; mais celles-là étaient du sang, et elles aussi, elles se tarirent.

Voulez-vous que je vous raconte une histoire de jalousie ? Voulez-vous que je vous dise une vengeance plus cruelle que celle accomplie avec des sanglots, des mains tremblantes et des baisers, – ces derniers baisers donnés furtivement à la perfide pendant qu’elle dort, sublime lâcheté de la passion que Shakespeare avait devinée, – enfin que cet étouffement d’une mariée de vingt ans sous l’oreiller du lit nuptial, et dont l’idée seule vous fait rejeter en arrière votre jolie tête comme si la hache vous l’abattait par-devant ? Allons ! si vous êtes brave ce soir, voulez-vous que je vous dise une vengeance auprès de laquelle la vengeance d’Hassan, qui fait noyer vive dans un sac cousu la belle Leïla du Giaour, est la chose du monde la plus rose et la plus gracieuse ? Voulez-vous que je vous dise une réalité dont la poésie dramatique, cette poésie du réel, ne pourrait s’emparer, parce qu’elle ne saurait comment la prendre dans ses mains de reine sans les souiller ? Voulez-vous que je vous fasse aimer Othello ?

Vous n’avez pas connu Auguste Dorsay. C’était un de ces jeunes gens qui sont très bien nommés les heureux du siècle, parce qu’ils ont juste ce qu’il faut pour réussir dans le monde : un caractère de jonc, des formes élégantes, de la beauté, de l’esprit, – et de celui-là qui ne fâche personne parce qu’il manque d’originalité. Quant à des passions violentes, jamais les amis de Dorsay ne s’aperçurent qu’il en entrât le moindre germe dans son organisation. Il est vrai que Dorsay se mettait souvent en colère contre son jockey, contre son cheval, contre les plis de sa cravate quand ils n’allaient pas comme il l’entendait, qu’il jouait son argent avec des couleurs sur les joues et qu’il ne perdait pas sans émotion, qu’il se grisait parfois de champagne et de punch, et qu’il savait supérieurement le prix d’une femme, depuis la grande dame jusqu’à la modiste.

Mais dans tout cela y a-t-il une passion ? Y a-t-il vestige d’âme ? Nullement. Nous autres jeunes gens comme l’était Dorsay alors, nous n’avons qu’à prendre la jeunesse de nos pères à morale, la morale de position, aux cheveux maintenant grisonnants, nous verrons que les passions sont plus rares qu’on ne pense, et qu’à part quelques scènes de salon d’assez mauvais goût, un ou deux duels, peut-être, et force coucheries qu’on appelle de l’amour jusqu’à vingt-cinq ans avec un enthousiasme un peu niais, et qui ne sont pas même du libertinage, il n’y a pas, morbleu ! en inventoriant toutes ces jeunesses, de quoi dire si haut : Je fus jeune et fou comme vous ! Taisez-vous donc, les catéchistes modèles, ne parlez jamais des orages de vos jeunesses, phrase ridicule et qui passe de la main à la main. Voici une vanterie que je vous défends ! Vous avez vieilli, c’est-à-dire vous avez perdu vos dents et vous vous êtes coulés à fond dans le mariage, comme dit mon ami Sheridan, et puis c’est tout. Mais jamais rien ne battit fort dans vos artères carotides et votre cœur est toujours allé du même pas.

Cependant, messieurs nos pères, puisque nous fouillons dans votre vie, serait-il impossible d’y trouver de ces choses qui, rappelées à votre mémoire, vous couperaient la voix à l’instant lorsque vous jetez les hauts cris sur les passions de nos jeunesses, à nous, quand nous sommes passionnés ? N’y trouverait-on pas des noirceurs, peut-être une infamie, quelquefois une atrocité ? Vous ne savez pas ce que c’est qu’une âme, ce que c’est qu’une passion, ce que c’est que cet ouragan, cette trombe qui tourbillonne dans les anfractuosités d’une poitrine d’homme, et qui finit par les briser…

Mais, ce qui vous était si facile, êtes-vous toujours restés de plats honnêtes gens ?

Demandons à Dorsay. Il a vécu votre vie de jeune homme ; il vit à présent votre vie d’époux et de père de famille. Interrogeons son passé et voyons ce que ce passé nous répondra.

Hortense de *** était une des femmes de Paris la plus aimable par le tour de son esprit et l’abandon de ses manières. Sa beauté était éblouissante. Mariée à un homme qu’elle n’avait jamais aimé, entourée d’hommages dans le monde et n’ayant plus de parents qui la cuirassent de leurs conseils, qui la fortifient de leur prudence, on l’eût prise pour orgueilleuse et frivole. Cependant son âme était sérieuse. Sérieuse parce qu’elle était passionnée. On l’entrevoyait aisément, car si ces passions toutes frémissantes enfermées dans un sein de jeune femme n’avaient pas encore quitté le fond de ce cratère d’albâtre, il volait parfois de leur écume dans la fougue de coquetterie d’Hortense.

Auguste Dorsay rencontrait souvent Mme de *** dans les salons qu’il fréquentait. Il s’occupa d’elle parce qu’il avait sa réputation d’homme à la mode à soutenir et qu’Hortense fixait l’attention générale alors. Puis, d’ailleurs, elle était si belle ! Quand ses cheveux noirs luisaient déroulés sur des épaules qui semblaient faites de lumière, il y avait là assez pour l’amour de cent poètes et le bonheur de tout un enfer !

Hortense aima Dorsay. Femme avant tout, avant d’être un cœur élevé et un esprit supérieur, elle s’encapriça d’un beau visage. Elle eut de l’amour pour Dorsay comme en durent avoir les filles des hommes pour les anges, quand les anges s’imaginèrent qu’il y avait plus de paradis dans l’adultère que dans les cieux.

Elle en eut que ce fut une honte ! Qu’aurait-elle donné de plus à un homme de génie ? Mais c’est que le génie n’est pour une femme, même la plus distinguée, rien, hélas ! en comparaison d’une lèvre rose et d’une flamme de santé dans les yeux.