Le cahier des cauchemars - Anne-Lise Le Saint - E-Book

Le cahier des cauchemars E-Book

Anne-Lise Le Saint

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Beschreibung

Ce livre est un recueil de poésies, suivi d'un essai, dont l'essence commune expose l'audace de nos cauchemars. "Si les rêveurs connaissaient ce que contiennent leurs cauchemars, ils n'auraient plus besoin des épreuves pour traverser l'oeuvre noire"

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Seitenzahl: 61

Veröffentlichungsjahr: 2022

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« Si j'étais réveillée, je serais cette petite fille qui regarde ailleurs, et qui dans le sous-bois des cauchemars trouve la Lumière. »

Sommaire

UN VENDREDI TREIZE

CAUCHEMAR AU COUTEAU

CENDRES

CE QUI ME TOUCHE

MEMOIRE CROUPIE

LE CAHIER DES CAUCHEMARS

CONATUS

CAUCHEMAR-MIROIR

LA MORT

LES PLUMES NOIRES

ESSAI SUR LE PROCESSUS ONIRIQUE

Un vendredi treize

Aujourd’hui, c’est vendredi treize. Voilà plusieurs heures que je suis réveillée, du moins, c'est ce que je pense, avec ce cauchemar, encore bien présent, encore trop glaçant, encore plus vivant...

Dans un demi-sommeil, je me trouvais allongée dans mon lit sans être tout à fait sûre que ce soit le mien, et ne reconnaissant plus vraiment, ni ma chambre, ni aucun des objets, pourtant familiers, qui s'y trouvaient. Mon corps inerte, tétanisé et froid, lui aussi, m'était étranger. Je le voyais respirer, sans pudeur aucune, la gorge largement déployée, comme sous l'emprise de puissantes forces, et s'agiter convulsivement, à grands renforts de halètements saccadés. Je compris alors qu'une bataille se livrait en moi entre deux mondes, entre deux parties de mon être, l'une, consciente, mon mental et l'autre, inconsciente, mon subconscient.

Je vivais chaque minute, chaque seconde, chaque instant de ces agitations compulsives, comme si j'étais en proie à un châtiment expiatoire, combiné à une épreuve d'endurance. Mon sommeil, fragile et encombré, s'employait à débusquer méthodiquement, les uns après les autres, les conflits intérieurs qui secouaient mon esprit torturé, de soubresauts chargés d'angoisses.

Des éveils de conscience, comme des passés lugubres ou triomphants, des futurs pleins d'histoires, des imaginations totalement libres, débridées. Mais aussi des cicatrices coupables, des têtes coupées, des contes du Moyen Âge avec des ogres, des monstres et le diable en personne.

A présent, même au beau milieu du jour, il arrive que ces batailles internes se livrent encore à travers moi. Mon corps s'en retrouve enserré, tendu comme un arc, et mon cerveau emmuré dans des images oniriques. Dès lors, des pensées sanglantes, affreuses, implacables se mettent à parcourir mon esprit, et le contrôle de mes pensées m'échappe.

Quoi que je fasse, en dépit de mes efforts de concentration, ce type de "cauchemar diurne" qui surgit, vient brouiller mes neurones. Alors, toutes ces visions qui me hantent, comme une nuée flottante à la surface des choses, me privent de tout discernement et rendent mon comportement affecté, totalement incompréhensible.

Cette nuit laisse des traces partout. Elle empoigne toutes ces choses que je voudrais fuir et chante des comptines affreuses, obsédantes qui me ramènent sans fin dans les mémoires que j'avais pourtant passé sous silence. Inutile d'essayer d'y échapper. Ce jour est maudit…

Je viens de prendre une douche, me disant que l'eau pouvait me purifier. Mais avant même que je m'active pour me sécher, je suis soudainement frappée par la saleté de ma salle de bains. Face à ce désordre déconcertant, et le dégoût que cette souillure fait naître en moi, j'ouvre grand les yeux. Devant l'immonde crasse ambiante, à travers les rayons du soleil de ce jour maudit, dans l'abjecte poussière et la répugnante moisissure, une odeur morbide de putréfaction me révulse. Je ne me sens pas propre après la douche…

Une belle matinée pourtant.

Un printemps fleuri, parfumé et délicat. Une douce lumière fraîche et colorée, la fenêtre ouverte pour chasser la buée... Tout semblait parfait pour une bonne journée !

Cela fait des heures que je me suis levée, des heures que mon esprit se cherche et que mon corps engourdi tente de se réveiller. Des heures sans savoir si vraiment je suis sortie du rêve. Tantôt lucide, tantôt confuse, constamment embrouillée, de l'inquiétude à la terreur. J'en finis par perdre l'équilibre, et glisse sur le carrelage. Sans dommage, je me redresse... Je suis épuisée !

Me traînant jusqu'à ma chambre, je découvre l'horreur. Celle qui m'avait conduite à ce cauchemar. Des rats morts jonchent le sol. L'air est chargé, comme après une lutte acharnée. Je suis encore nue, sortant de la douche, et je frémis d'effroi, lorsque l'air, empesté par cette vermine, vient me caresser outrageusement la peau ! Ces rats sont des archétypes de trahison, de souillures... Ils sont morts.

Impossible de rester là !

Et pourtant, l'explique qui pourra, dans la terreur qui m'envahit à cet instant, j'en tire une évanescente puissance. La puanteur et la saleté de ces bêtes sauvages sont bel et bien des mémoires enfouies, engrammées dans mon inconscient, qui impriment sur mes sommeils des cicatrices et des figures emblématiques.

Alors que je me retrouve allongée à même le plancher, le nez collé aux rats putrides et encore chauds, tantôt rampante, tantôt amorphe, je progresse vers les pieds du lit afin de m'agripper aux draps et reprendre mes esprits.

Des fantômes au fond de la chambre me toisent avec suffisance depuis un moment, sans nul doute satisfaits de leur gloire de pouvoir être vus. L'un d'entre eux a le visage blafard et l'air abattu. Mais ce n'est qu'une apparence. Rien dans sa contenance ne rappelle la souffrance. Je n'y devine que l'expression goguenarde de sa grande victoire obtenue avec courage, et de sa fierté d'être du cauchemar dans lequel il a pu prendre part.

Face à lui, la fenêtre est grande ouverte. J'entends crier dans le sous-bois des corbeaux charognards ; et sur le muret couvert de lierre, une pie railleuse, toute excitée, de son bec agacé, s'amuse à piqueter un vers de terre fiché dans le ventre d'une proie. Comment un décor aussi sinistre peut-il provenir de mon inconscient ?

Quelqu'un est venu désordonner mes rêves, c'est certain !

Effarée par tous ces symboles, je ne sais comment les interpréter. Toujours endormie, je m'entends respirer, le souffle long, l'âme entière sous la sentence du rêveur. Cependant, j'ai l'impression d'être réveillée, lorsqu'une volée de corbeaux, surgissant soudainement dans la pièce, s'en viennent saisir, de leurs becs triomphants, les dépouilles de rats. Puis, tout comme on attend la délivrance après l'accouchement, ils en ressortent en silence, et reprennent leur essor, leurs proies gluantes hissées, en chevaliers porte-glaive, tout glorieux, en vaillants combattants.

Nos fantômes sont les soldats de nos chimères. Ils se tiennent en sentinelles dans l'entre-deux des mondes ; entre conscience et inconscience, pour défendre nos territoires et démasquer les malfrats.

L'un des fantômes ne cesse de parler. C'est un avocat. Je ne l'entendais pas, car sa voix était couverte par le bruissement des oiseaux. Il s'avance lentement dans ma direction puis, parvenu à mes côtés, se penche vers moi un sourire aux lèvres.

- Le travail avance ! Dit-il.

Intimidée, je reste muette. Je m'entends toujours respirer... alors que mon cœur s'emballe.

Le dialogue s'établit :

- Je ne sais pas tout ce qui se trame, mais ces charognes leur ont bien fait la peau ! Constate-t-il.

- La nature est cruelle, maître ! Permettez-moi de le dire.

- Oui, je le conçois. Mais sans cela que seriez-vous ? Dites-moi !

Il m'est difficile d'admettre que la cruauté soit une solution, qui plus est, dans notre sommeil, aussi profond et confortable soit-il. Et il faut bien reconnaître qu'elle peut aussi bien nous préserver que nous détruire. Cette barbarie n'est pas gratuite. Ses intérêts se jouent de nous quand nous dormons.