Le Chandelier - Alfred de Musset - E-Book

Le Chandelier E-Book

Alfred De Musset

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Extrait : "JACQUELINE, dans son lit. Entre MAÎTRE ANDRÉ en robe de chambre. MAÎTRE ANDRÉ : Holà, ma femme ! hé, Jacqueline ! hé, holà, Jacqueline, ma femme ! La peste soit de l'endormie. Hé, hé, ma femme, éveillez-vous ! Holà, holà ! levez-vous, Jacqueline. Comme elle dort ! Holà, holà, holà, hé, hé, hé, ma femme, ma femme, ma femme ! c'est moi, André, votre mari, qui ai à vous parler de choses sérieuses. Hé, hé, pstt, pstt, hem ! brum ! frum ! pstt ! "À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Personnages

MAÎTRE ANDRÉ, notaire.

JACQUELINE, sa femme.

CLAVAROCHE, officier de dragons.

FORTUNIO, clercs.

LANDRY, clercs.

GUILLAUME, clercs.

Une Servante.

Un Jardinier, etc.

(Une petite ville.)

Acte premier
SCÈNE IUne chambre à coucher

Jacqueline, dans son lit. Entre maître André en robe de chambre.

MAÎTRE ANDRÉ

Holà, ma femme ! eh, Jacqueline ! eh, holà, Jacqueline, ma femme ! La peste soit de l’endormie, eh, eh, ma femme, éveillez-vous ! Holà, holà ! levez-vous, Jacqueline. Comme elle dort ! Holà, holà, holà, eh, eh, eh, ma femme, ma femme, ma femme ! c’est moi, André, votre mari, qui ai à vous parler de choses sérieuses. Eh, eh, pstt, pstt, hem ! brum ! frum ! pstt ! Jacqueline, êtes-vous morte ? Si vous ne vous éveillez tout à l’heure, je vous coiffe du pot à l’eau.

JACQUELINE

Qu’est-ce que c’est, mon bon ami ?

MAÎTRE ANDRÉ

Vertu de ma vie, ce n’est pas malheureux. Finirez-vous de vous tirer les bras ? c’est affaire à vous de dormir. Écoutez-moi, j’ai à vous parler. Hier au soir, Landry, mon clerc…

JACQUELINE

Eh, mais, bon Dieu, il ne fait pas jour. Devenez-vous fou, maître André, de m’éveiller ainsi sans raison ? de grâce, allez vous recoucher. Est-ce que vous êtes malade ?

MAÎTRE ANDRÉ

Je ne suis ni fou ni malade, et vous éveille à bon escient. J’ai à vous parler maintenant ; songez d’abord à m’écouter, et ensuite à me répondre. Voilà ce qui est arrivé à Landry, mon clerc ; vous le connaissez bien…

JACQUELINE

Quelle heure est-il donc, s’il vous plaît ?

MAÎTRE ANDRÉ

Il est six heures du matin. Faites attention à ce que je vous dis ; il ne s’agit de rien de plaisant, et je n’ai pas sujet de rire. Mon honneur, madame, le vôtre, et notre vie peut-être à tous deux, dépendent de l’explication que je vais avoir avec vous. Landry, mon clerc, a vu cette nuit…

JACQUELINE

Mais, maître André, si vous êtes malade, il fallait m’avertir tantôt. N’est-ce pas à moi, mon cher cœur, de vous soigner et de vous veiller ?

MAÎTRE ANDRÉ

Je me porte bien, vous dis-je ; êtes-vous d’humeur à m’écouter ?

JACQUELINE

Eh ! mon Dieu, vous me faites peur ; est-ce qu’on nous aurait volés ?

MAÎTRE ANDRÉ

Non, on ne nous a pas volés. Mettez-vous là, sur votre séant, et écoutez de vos deux oreilles. Landry, mon clerc, vient de m’éveiller, pour me remettre certain travail qu’il s’était chargé de finir cette nuit. Comme il était dans mon étude…

JACQUELINE

Ah ! sainte Vierge, j’en suis sûre, vous aurez eu quelque querelle à ce café où vous allez.

MAÎTRE ANDRÉ

Non, non, je n’ai point de querelle, et il ne m’est rien arrivé. Ne voulez-vous pas m’écouter ? Je vous dis que Landry, mon clerc, a vu un homme cette nuit se glisser par votre fenêtre.

JACQUELINE

Je devine à votre visage que vous avez perdu au jeu.

MAÎTRE ANDRÉ

Ah ! ça, ma femme, êtes-vous sourde ? Vous avez un amant, madame ; cela est-il clair ? Vous me trompez. Un homme, cette nuit, a escaladé nos murailles. Qu’est-ce que cela signifie ?

JACQUELINE

Faites-moi le plaisir d’ouvrir le volet.

MAÎTRE ANDRÉ

Le voilà ouvert ; vous bâillerez après dîner ; Dieu merci, vous n’y manquez guère. Prenez garde à vous, Jacqueline ! Je suis un homme d’humeur paisible, et qui ai pris grand soin de vous. J’étais l’ami de votre père, et vous êtes ma fille presque autant que ma femme. J’ai résolu, en venant ici, de vous traiter avec douceur ; et vous voyez que je le fais, puisque avant de vous condamner je veux m’en rapporter à vous, et vous donner sujet de vous défendre et de vous expliquer catégoriquement. Si vous refusez, prenez garde. Il y a garnison dans la ville, et vous voyez, Dieu me pardonne, bonne quantité de hussards. Votre silence peut confirmer des doutes que je nourris depuis longtemps.

JACQUELINE

Ah ! maître André, vous ne m’aimez plus. C’est, vainement que vous dissimulez par des paroles bienveillantes la mortelle froideur qui a remplacé tant d’amour. Il n’en eut pas été ainsi jadis ; vous ne parliez pas de ce ton ; ce n’est pas alors sur un mot que vous m’eussiez condamnée sans m’entendre. Deux ans de paix, d’amour et de bonheur, ne se seraient pas, sur un mot, évanouis comme des ombres. Mais quoi ! la jalousie vous pousse ; depuis longtemps la froide indifférence lui a ouvert la porte de votre cœur. De quoi servirait l’évidence ? l’innocence même aurait tort devant vous. Vous ne m’aimez plus, puisque vous m’accusez.

MAÎTRE ANDRÉ

Voilà qui est bon, Jacqueline, il ne s’agit pas de cela. Landry, mon clerc, a vu un homme…

JACQUELINE

Eh ! mon Dieu, j’ai bien entendu. Me prenez-vous pour une brute, de me rebattre ainsi la tête ? C’est une fatigue qui n’est pas supportable.

MAÎTRE ANDRÉ

À quoi tient-il que vous ne répondiez ?

JACQUELINE,pleurant.

Seigneur, mon Dieu, que je suis malheureuse ! qu’est-ce que je vais devenir ? Je le vois bien, vous avez résolu ma mort ; vous ferez de moi ce qui vous plaira ; vous êtes homme, et je suis femme ; la force est de votre côté. Je suis résignée ; je m’y attendais ; vous saisissez le premier prétexte pour justifier votre violence. Je n’ai plus qu’à partir d’ici ; je m’en irai avec ma fille, dans un couvent, dans un désert, s’il est possible ; j’y emporterai avec moi, j’y ensevelirai dans mon cœur le souvenir du temps qui n’est plus.

MAÎTRE ANDRÉ

Ma femme, ma femme, pour l’amour de Dieu et des saints, est-ce que vous vous moquez de moi ?

JACQUELINE

Ah ! ça, tout de bon, maître André, est-ce sérieux ce que vous dites ?

MAÎTRE ANDRÉ

Si ce que je dis est sérieux ? Jour de Dieu ! la patience m’échappe, et je ne sais à quoi il tient que je ne vous mène en justice.

JACQUELINE

Vous, en justice ?

MAÎTRE ANDRÉ

Moi, en justice ; il y a de quoi faire damner un homme, d’avoir affaire à une telle mule ; je n’avais jamais ouï dire qu’on pût être aussi entêté.

JACQUELINE,sautant à bas du lit.

Vous avez vu un homme entrer par la fenêtre ? l’avez-vous vu, monsieur, oui ou non ?

MAÎTRE ANDRÉ

Je ne l’ai pas vu de mes yeux.

JACQUELINE

Vous ne l’avez pas vu de vos yeux, et vous voulez me mener en justice ?

MAÎTRE ANDRÉ

Oui, par le ciel ! si vous ne répondez.

JACQUELINE

Savez-vous une chose, maître André, que ma grand-mère a apprise de la sienne ? Quand un mari se fie à sa femme, il garde pour lui les mauvais propos, et quand il est sûr de son fait, il n’a que faire de la consulter. Quand on a des doutes, on les lève ; quand on manque de preuves, on se tait ; et quand on ne peut pas démontrer qu’on a raison, on a tort. Allons, venez ; sortons d’ici.

MAÎTRE ANDRÉ

C’est donc ainsi que vous le prenez ?

JACQUELINE

Oui, c’est ainsi ; marchez, je vous suis.

MAÎTRE ANDRÉ

Et où veux-tu que j’aille à cette heure ?

JACQUELINE

En justice.

MAÎTRE ANDRÉ

Mais, Jacqueline…

JACQUELINE

Marchez, marchez ; quand on menace, il ne faut pas menacer en vain.

MAÎTRE ANDRÉ

Allons, voyons, calme-toi un peu.

JACQUELINE

Non ; vous voulez me mener en justice, et j’y veux aller de ce pas.

MAÎTRE ANDRÉ

Que diras-tu pour ta défense ? dis-le-moi aussi bien maintenant.

JACQUELINE

Non, je ne veux rien dire ici.

MAÎTRE ANDRÉ

Pourquoi ?

JACQUELINE

Parce que je veux aller en justice.

MAÎTRE ANDRÉ

Vous êtes capable de me rendre fou, et il me semble que je rêve. Éternel Dieu, créateur du monde ! je m’en vais faire une maladie. Comment ? quoi ? cela est possible ? J’étais dans mon lit ; je dormais, et je prends les murs à témoin que c’était de toute mon âme. Landry, mon clerc, un enfant de seize ans, qui de sa vie n’a médit de personne, le plus candide garçon du monde, qui venait de passer la nuit à copier un inventaire, voit entrer un homme par la fenêtre ; il me le dit, je prends ma robe de chambre, je viens vous trouver en ami, je vous demande pour toute grâce de m’expliquer ce que cela signifie, et vous me dites des injures ! vous me traitez de furieux, jusqu’à vous élancer du lit et à me saisir à la gorge ! Non, cela passe toute idée ; je serai hors d’état pour huit jours de faire une addition qui ait le sens commun. Jacqueline, ma petite femme ! c’est vous qui me traitez ainsi !

JACQUELINE

Allez, allez, vous êtes un pauvre homme.

MAÎTRE ANDRÉ

Mais enfin, ma chère petite, qu’est-ce que cela te fait de me répondre ? Crois-tu que je puisse penser que tu me trompes réellement ? Hélas ! mon Dieu, un mot te suffit. Pourquoi ne veux-tu pas le dire ? C’était peut-être quelque voleur qui se glissait par notre fenêtre ; ce quartier-ci n’est pas des plus sûrs, et nous ferions bien d’en changer. Tous ces soldats me déplaisent fort, ma toute belle, mon bijou chéri. Quand nous allons à la promenade, au spectacle, au bal, et jusque chez nous, ces gens-là ne nous quittent pas ; je ne saurais te dire un mot de près sans me heurter à leurs épaulettes, et sans qu’un grand sabre crochu ne s’embarrasse dans mes jambes. Qui sait si leur impertinence ne pourrait aller jusqu’à escalader nos fenêtres ? Tu n’en sais rien, je le vois bien ; ce n’est pas toi qui les encourages ; ces vilaines gens sont capables de tout. Allons, voyons, donne la main ; est-ce que tu m’en veux, Jacqueline ?

JACQUELINE

Assurément, je vous en veux. Me menacer d’aller en justice ! Lorsque ma mère le saura, elle vous fera bon visage !

MAÎTRE ANDRÉ

Eh ! mon enfant, ne le lui dis pas. À quoi bon faire part aux autres de nos petites brouilleries ? Ce sont quelques légers nuages qui passent un instant dans le ciel, pour le laisser plus tranquille et plus pur.

JACQUELINE

À la bonne heure, louchez là.

MAÎTRE ANDRÉ