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Rabat, 1975. Un pays tout jeune où se télescopent les recherches d’identité d’une nation et d’une jeune fille forgée par l’école française ; l’auteure. De son regard aiguisé sur la société et sur le monde à son ton innocent, bienveillant et touchant, ses mémoires sont le reflet d’un cœur qui sera à jamais celui d’une jeune fille de vingt ans. 16 fragments comme autant d’échos de la vie d’une petite élève, d’une fille, d’une sœur, d’une amie, d’une épouse, d’une mère, d’une enseignante, d’une citoyenne, d’une humaine d’exception.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Tout au long de sa vie,
Saïda Rouqui a nourri sa passion pour les mots. Éteinte en 2020, la publication, à titre posthume, de son ouvrage
Le chemin est un hommage que lui rendent ses filles.
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Seitenzahl: 137
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Saïda Rouqui
Le chemin
Roman
© Lys Bleu Éditions – Saïda Rouqui
ISBN : 979-10-377-5047-1
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Préface
Lettre à ma maman
Ces mots que je t’adresse se veulent succincts et justes, à ton image.
Modèle absolu, tu étais l’incarnation absolue de tant de choses :
La distinction,
La délicatesse,
Le raffinement,
L’élégance,
La sagesse,
La bonté,
La discrétion,
L’érudition,
La tranquillité,
La douceur,
La lucidité,
La sensibilité,
La foi pure,
La générosité.
Tu as vécu et honoré ceux et ce que tu aimais par-dessus tout :
Laëna, ta petite-fille adorée qui était ta joie ultime,
Nous, tes 3 filles que tu as forgées,
Mon père, ton mari… ton jumeau,
Ta famille que tu illuminais de ton aura,
Les livres qui t’ont construite,
L’écriture, ta soupape,
Ton métier de professeur, ta passion que tu exerçais avec brio,
L’Andalousie où à chaque voyage tu t’épanouissais au contact de tes ancêtres d’un autre temps,
La France, ta culture d’adoption qui t’a ouvert la voie vers les Lumières depuis toute petite,
Le jus d’orange que tu aimais boire d’une traite pour te rafraîchir,
Les fromages dont la dégustation te mettait systématiquement en joie,
Nos virées toutes les deux durant lesquelles j’étais un peu ta maman à mon tour…
Quelle fierté d’être ta fille ! J’espère au moins que tu le sais.
Tu es partie après nous avoir légué l’envie de perpétuer ce que tu nous as appris ta vie durant :
Le respect de soi et d’autrui,
L’excellence dans tout ce qu’on entreprend,
La tolérance,
L’affirmation de nos choix et convictions,
Le scepticisme sur ce qu’on ne maîtrise pas,
La dignité même dans l’adversité,
Le don de tout ce qu’on peut donner,
L’amour inconditionnel.
Pars sans inquiétude, toi qui as vécu inquiète pour notre bonheur…
Nous serons heureuses et dignes de toi. C’est une promesse.
Une dernière chose : j’aurais aimé que tu restes pour te murmurer une dernière fois ma reconnaissance et ces mots.
Reçois-les comme une étreinte, éternellement tiède et enveloppante.
Imane Ettoubaji
Ce chemin-là, je l’avais emprunté régulièrement pendant les cinq années les plus riches en découvertes de ma vie de jeune fille des années soixante-dix.
Mon ciel était alors à peine laiteux, ne laissant entrevoir que ce que ma vie avec mes parents me permettait de concevoir ; beaucoup de naïveté, assez de tendresse et des tonnes de rêves et d’illusions.
Ce chemin-là était ma navette entre la faculté où j’étudiais la littérature et la cité universitaire où je logeais.
J’adorais mon quotidien ; ma timidité prononcée ne m’empêchait pas de me sentir enfin maîtresse de ma destinée. Mes rapports avec les autres restaient frileux mais ma capacité à accepter et à absorber la nouveauté fut étonnante.
Bien sûr, entre les années cinquante et soixante, dans un pays fraîchement indépendant, mon éducation fut essentiellement basée sur toutes les formes de respect et de retenue, bien délimitées par la famille, l’école, les traditions ; bref, toutes les institutions qui garantissaient la pérennité des systèmes en place depuis plus ou moins longtemps.
Déjà, tous ces fondements furent un peu ébranlés par de précédentes découvertes, celles-là liées aux concepts de liberté, de libre-choix, de libre arbitre que de rares et remarquables professeurs du secondaire inculquèrent, à quelques exceptions près, à toute ma génération.
Mes références restaient essentiellement philosophiques : tous les aspects de la vie qui nous tendait les bras nous étaient présentés sous plusieurs angles, plus sous forme de questionnements que de vérités toutes faites ou de convictions sans appel.
Cette façon d’aborder les choses eut sur moi un retentissement formidable, me laissant entrevoir des lendemains moins étouffants.
La voie me semblait plus claire, le monde paraissait plus attrayant, les règles moins rigides ; et surtout cet horizon plus ou moins lointain qui était d’autant plus prometteur que se développait en moi ce désir de m’affranchir de mon cocon, de briser ces obstacles de peur et de timidité qui entravaient une trop grande aspiration à la liberté et à l’indépendance.
Et comme toute adolescente de quelque génération que ce soit, l’opposition au milieu familial ne fut pas en reste. Beaucoup plus que pour certains de mes camarades de classe, je vivais plus d’une contradiction ; j’eus toujours à composer avec un milieu scolaire totalement occidentalisé, francisé au point de vous interdire toute « ostentation » de votre culture d’origine, et un milieu familial, pas aussi imperméable que le premier, mais assez ancré dans ses traditions.
Et de là surgit ma profonde aversion pour l’intolérance, notion qui, pour moi, portait le nom d’injustice et d’étroitesse d’esprit.
Le seul lien qui me permettait de catalyser toutes ces mouvances dans lesquelles j’évoluais fut une personne qui me servit de boussole et qui me permit surtout de ne pas la perdre.
Mon père, bien qu’il participât, dans sa jeunesse, comme tout bon partisan de l’indépendance de son pays, avait tissé de forts liens avec nombre d’Occidentaux qui choisirent de ne pas partir et qui conservèrent des postes importants dans l’industrie, la santé et l’éducation en particulier.
Avant ma naissance, hormis quelques razzias et massacres perpétrés par certaines tribus contre des colons, propriétaires d’immenses terres agricoles des plaines fertiles du centre du pays, peu de privilèges leur furent confisqués ; et c’est presque en « maîtres bienveillants » qu’ils se comportaient, nous traitant souvent, même des années après, avec plus de condescendance que d’égalité. Autre impression qui ne fit qu’exacerber mon besoin de reconnaissance.
Toujours est-il que cette culture qu’ils véhiculaient correspondait parfaitement à la conception de mon lendemain. La personne phare de ma vie à cette époque-là avait pour moi les mêmes projets auxquels j’aspirais de tout cœur.
Nos visions du futur, de mon futur, convergeaient en tout point. Je crois même qu’il voyait plus loin que moi, qu’il avait pour moi plus d’ambition que moi-même.
Lui aussi avait adopté cette modernité qu’il accommodait si bien avec ses origines berbéro-sahariennes et sa fière appartenance arabo-musulmane.
Peu de gens aujourd’hui peuvent être aussi à l’aise dans cette culture multiple, exercice qui, somme toute, ne requiert que de la modestie, me semble-t-il.
Moi, en néophyte, je m’empêtrais souvent dans des confusions culturelles qui me faisaient renier un aspect ou un autre de mes cultures, le temps d’appréhender son importance et sa finalité et l’exercice n’est pas aisé. Jusqu’à présent, il m’arrive de me demander si tout cela n’a pas fait de moi un drôle d’oiseau sans nom.
Aujourd’hui, le monde a plutôt tendance à se replier, à se protéger d’une trop grande proximité de cultures différentes de la sienne ; les uns par souci de préserver des coutumes ancestrales qui garantissent un solide ascendant sur des populations fragilisées par l’ignorance et l’isolement, les autres par peur exagérée de perdre des acquis plus matériels que spirituels. Les uns et les autres ne font en réalité qu’exprimer un profond mépris pour la culture des autres.
Il est un sentiment qui me laisse un goût d’amertume et de peine profonde pour l’avoir trop souvent vécu, c’est celui de voir ses racines, son identité, sa civilisation dénigrées par ceux-là mêmes qui les ont enrichies et qui ne sauront jamais reconnaître, par ailleurs, la contribution de cette culture à la leur.
Les richesses désormais, ne sont plus culturelles. Nombre de gens diraient « ainsi va le monde » alors que « le monde ne va pas bien », à mon avis. Les peuples commettent périodiquement et inévitablement les mêmes erreurs qu’ils déploraient à une époque pas si lointaine.
Le mélange peine et tarde à être homogène, on ne peut pas le nier, mais il s’est toujours fait naturellement sans les ajouts toxiques que sont les manipulations démagogiques, les inepties politiques volontaires.
On ne sait pas ce qu’il adviendra du monde dans les siècles à venir mais ce qui est sûr c’est qu’il changera. Le mélange s’opérera.
Le mélange, le changement furent les objectifs qui me menèrent sur ce chemin-là entre ma faculté et ma cité universitaire.
Ma liberté ne fut pas facile à acquérir. Il fallut combattre le véto maternel à mon éloignement de la résidence familiale : la distance de cent kilomètres pour ma mère devait équivaloir aux quelques milliers qui me séparent aujourd’hui de mes filles ; et ce que je sais pour l’avoir vécu du côté filial, le retour au cocon familial peut être assez douloureux pour ne pas dire impossible. Mais, en tant que maman, maintenant j’ose croire qu’il n’en serait pas de même pour mes filles si elles décidaient de revenir à la maison ; du moins jusqu’à ce qu’elles en aient assez de nous et qu’elles reprennent leur envol.
Dans mon cas, encore une fois, l’intervention de l’autorité paternelle prit le dessus, heureusement, et me sauva d’une perspective de jeunesse bien calée dans les pans du caftan de ma mère, plus frustrants que protecteurs en fin de compte.
Les obstacles à mon affranchissement ne s’arrêtèrent pas là, il fallut passer aussi par une année d’assistance du frère aîné et je me retrouvai enfin hors des voies balisées qui ne m’apportaient rien de nouveau.
Le renouveau, la renaissance c’était maintenant. Pour la première fois de ma vie, je me voyais en taille réelle ; je m’affirmais enfin en tant qu’individu en phase avec lui-même puisque personne ne me renvoyait l’image de la petite assistée qui peine à s’assumer.
Alors je m’assurai bien que c’était mon chemin, ma clé, ma chambre, ma bourse d’études, ma fac, mes cours, mes camarades, mes amis, ma vie.
Et c’est bien ce chemin où je m’arrête presque quarante ans après. Le même, tranquille, bordé d’arbres offrant leur ombre et exhalant leur fraîcheur.
Le chemin de ma vie sur lequel j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai réussi et j’ai recommencé ; pendant lequel j’ai perdu mon phare mais j’ai repris la route ; je me suis mariée peu après et j’ai eu des enfants pour perpétuer sa mémoire ; j’ai partagé les joies de mes trois filles et j’ai souffert de leurs peines quand elles voulaient bien m’en parler ; j’ai vu naître ma petite fille et j’ai puisé le courage en cours de chemin pour continuer à vivre, à vivre pour elles.
Chaque fois que je rentrais du lycée, le bus scolaire me déposait sur le boulevard principal du quartier où je vivais avec mes parents et ma grande bande de frères et sœurs. Dans la fratrie, j’étais confortablement installée au milieu, entre les trois premiers et les trois derniers.
L’avantage de cette quatrième place est qu’on peut passer inaperçu. Cela a tout de même été un souci pendant une bonne partie de mon adolescence.
L’effervescence dans la maison était telle qu’on ne pouvait presque pas avoir de moment de tranquillité ; il y avait toujours quelque cousine ou même voisine qui venait aux nouvelles jusque dans nos chambres à coucher. Après plusieurs tentatives échouées, j’avais déniché l’endroit idéal pour pouvoir m’adonner à mes deux grandes passions : la lecture et l’écriture ; j’avais élu domicile sur le rebord d’une fenêtre donnant sur les escaliers de la terrasse.
Durant les vacances d’été, la fraîcheur de ce petit nid me procurait l’isolement dont j’avais tant besoin dans cette grande maison généreuse surtout avec les nombreux invités qui en investissaient tous les recoins.
Le rythme était toujours le même ; la matinée était immanquablement dédiéeau ménage, à la préparation du pain et du déjeuner alors que l’après-midi voyait s’ouvrir une sorte de « diwan » des femmes et hommes de la famille, des amis, des voisins, des connaissances de ma mère qui présidait et menait la conversation tout en dirigeant à la baguette les filles de la maison : mes deux sœurs aînées, ma sœur adoptive et quelque autre cousine ou tante s’affairaient vaillamment en cuisine pour préparer gâteaux, crêpes traditionnelles et autres.
Cette ambiance ne me déplaisait pas totalement lorsque nos convives étaient des gens que j’appréciais et que je chérissais. Ce qui était, hélas, rarement le cas.
Dans toute cette hiérarchie domestique strictement féminine, je ne correspondais à aucun maillon et je ne m’en plaignais pas du tout. J’essayais plutôt de me faire toute petite ou mieux, de disparaître juste au moment où l’on prononçait mon nom ; j’évitais qu’on me charge de quelque mission que j’aurais été incapable de mener à bien.
Même dans ces situations, il y avait toujours une de mes sœurs aînées, la deuxième, pour être précise, qui me sortait de l’impasse en me prêtant mainforte. Il est vrai que mes frères et sœurs m’ont toujours protégée d’une façon ou d’une autre, sans que j’en comprenne exactement la raison ; aujourd’hui, à presque soixante ans, ils n’ont toujours pas cessé de me soutenir et même les plus jeunes que moi s’y mettent. Il y eut pourtant une époque de ma vie où j’avais ressenti la nécessité de m’aguerrir et de me débrouiller toute seule mais loin du milieu familial dont les règles m’échappaient un peu.
Ce sentiment grandissait en même temps que moi et à mon adolescence il était encore à l’état d’embryon, ma connaissance du monde étant bien sommaire. Je ne m’aventurais pas plus loin que le trajet qui me menait de la maison au lycée.
Le retour se faisait généralement en bus scolaire ; le chauffeur me déposait sur le boulevard qui surplombait le pâté de villas dont la nôtre faisait partie.
Je descendais donc presque tous les jours vers la maison par une rue dégagée au bout de laquelle trônait un mûrier protégeant un banc de pierre ; c’était un seul arbre, devant la porte d’une école coquette et verdoyante où je fis toute ma scolarité primaire.
À cette époque-là, nous étions encore des enfants émerveillés par tout ce qui nous entourait et cet arbre à lui seul symbolisait tout le respect et l’admiration que nous inspirait alors l’institution scolaire avec tous ses représentants.
Mais les vacances venues, nous nous laissions aller à considérer qu’après tout c’était notre école et qu’on pouvait l’approcher d’une façon plus familière. Alors nous nous installions mon frère aîné et moi sur le banc, et nous finissions même par cueillir quelques petits fruits que nous dégustions rapidement ; nous ne pouvions pas courir le risque de nous faire attraper par le gardien qui habitait une petite dépendance à côté.
Le risque était d’autant plus grand que ce monsieur était notre voisin et qu’il avait pour notre père un grand respect.
Un de ces jours de vacances où nous étions peut-être particulièrement désœuvrés mon frère et moi, assis sur le petit banc de la porte de l’école, il eut sur le coup l’idée de génie d’utiliser les feuilles du mûrier qui foisonnaient à cette saison-là ; jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas comment ni quand il apprit qu’il y avait un lien entre ce genre d’arbre et la production de la soie naturelle.
La mise en application ne se fit pas attendre ; il réussit à acheter des vers à soie, je ne sais pas non plus comment. Il prépara toutes les étapes en organisant la logistique nécessaire. Une multitude de petits vers gris pullulaient dans des boîtes à chaussures tapissées de feuilles de mûrier et disposées au frais, au-dessus du placard de sa chambre. Souvent, je restais des heures à regarder ces insectes gloutons ronger soigneusement les feuilles et grossir presque à vue d’œil ou tout au moins en avais-je l’impression.
Mon frère s’était engagé corps et âme dans cette aventure et je trouvais cela admirable ; je crois que j’étais la seule à prendre au sérieux sa nouvelle passion et je suivais de près toutes les mutations : des chenilles aux chrysalides enfermées dans de jolis cocons couleur pastel ; ensuite des papillons les perçaient et en sortaient pour pondre des œufs minuscules qui donneront des chenilles pour recommencer tout le cycle.