Le disparu de Chorsin - Daniel Guillon - E-Book

Le disparu de Chorsin E-Book

Daniel Guillon

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Beschreibung

Des papiers d'identité sont découverts au pied de la cascade de Chorsin au fond de la forêt. Ils appartiennent à un retraité de Chalmazel. Sa maison est vide, sa voiture n'est plus là, son téléphone est coupé. Au fil du temps certains de ses vêtements et sous-vêtements sont découverts dans des endroits perdus des Monts du Forez. On lui découvre une maîtresse au passé sulfureux et aux mauvaises fréquentations. Que lui est-il arrivé ? Chacun se forge une hypothèse, quelques fois avec des idées farfelues, mais les voisins se lancent dans la recherche de la vérité. Venez participer à l'enquête des gendarmes de Saint Georges en Couzan qui tentent de solutionner l'énigme...

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Disparaître, c’est réussir...

Paul Éluard

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

I

Le soleil d’été darde ses rayons chauds sur les Monts du Forez et plus précisément sur la vallée de Chorsin. Dans cette ancienne vallée glaciaire, on peut faire de belles balades sur un chemin souvent ombragé sous les sapins. Un circuit propose pour les plus aguerris une boucle de 10 km qui alterne forêt, rochers, hautes chaumes et permet de découvrir la cascade de Chorsin et le ruisseau de la Pierre Brune.

Balade, c’est ce que la famille Boucher fait en ce samedi 4 septembre. Sophie adore venir dans cette vallée.

Après les fortes pluies, à l’automne mais plus encore au printemps après la fonte de la neige, on peut attraper des tritons dans les flaques, ou encore des salamandres sans parler de l’observation des grenouilles et crapauds de montagne… Certaines années, elle a ramassé des œufs de batraciens pour les ramener à la maîtresse et voir en classe leur métamorphose.

Sophie arrive à un tournant de sa vie scolaire. Le lundi suivant elle rentre au collège. Le plus proche et plus accessible les mois d’hiver est celui de Montbrison, la sous-préfecture.

Elle est accompagnée à Chorsin par ses parents Jean, le papa et Marie Claude la maman.

Cette famille habite le village voisin, Sauvain. Perché à près de 1000 mètres d’altitude, c’est un village de caractère, avec de vieilles maisons construites autour d’une église avec des remparts. Ils sont bien installés dans la maison en face la mairie et son parking.

Jean travaille à la laiterie et Marie Claude, amoureuse du pays où elle est née et aimant partager cette passion, est bénévole au musée du conseil général ouvert au sein du village. Ce musée est consacré à la fourme et aux traditions populaires. La visite du lieu est très prisée car il a vocation à faire découvrir la fourme, les chaumes et leur flore ainsi que les vieux métiers locaux.

Ils sont venus en voiture en empruntant la route de Courreau et en serpentant dans ce chemin de terre qui mène à une clairière où l’on peut se garer aisément.

À gauche on peut s’enfoncer dans la forêt et dans des éboulis où myrtilles et champignons sont nombreux, lieu idéal pour les chanterelles.

En face on peut également monter dans un chemin rocailleux le long du ruisseau de la Pierre Brune pour faire les même cueillettes.

À droite de la clairière un sentier partiellement entretenu permet de remonter dans les Monts et d’atteindre un chemin qui d’un côté va à la cascade et de l’autre rejoint Sauvain par le nord.

Pour entrer dans cette montée, il faut franchir un pont de pierres. Et depuis le pont on peut admirer une curiosité, qui a d’ailleurs donné son nom au ruisseau : au milieu du courant, au centre d’un rocher, une source d’eau ferrugineuse s’écoule en un filet marron-brun dans le ruisseau qui la contourne.

Il s’agit du ruisseau de la Pierre Brune et la source de la Fontfort...

Ils attaquent la montée en admirant ou photographiant les clairières couvertes de reines des prés, et plus loin des touffes d’arnica ou de bien nombreux chardons rouges.

La famille bifurque au carrefour de la cascade et quelques instants plus tard Sophie est la première à descendre au pied de la belle chute d’eau, la plus belle diton des Monts du Forez. Les parents suivent. Cette cuvette étroite est ombragée.

La tentation est grande et voilà la gamine les pieds dans l’eau dans la vasque de réception. Marie Claude trempe ses mains et s’asperge le visage.

Toutes les deux s’amusent comme des gamines. Sophie arrose sa mère qui lui répond, le tout dans des éclats de rire.

Elles sont brutalement stoppées par un juron de Jean.

« Nom de Dzalle1, c’est quoi c’t’affaire ? ».

Il s’était éloigné pour suivre le ruisseau et tenter de dénicher un endroit à pieds de mouton, ces champignons qui poussent dans les endroits humides. Les deux femmes le rejoignent et tous trois sont obligés de constater que dans la mousse de l’éboulis il y a une veste et un peu plus loin, à moins d’un mètre il y a un portefeuille comme posé en évidence sur la mousse…

Cela ne peut pas être un oubli. La veste a l’air en bon état. Elle ne semble pas avoir souffert d’une exposition prolongée à la nature et aux insectes. Jean l’inspecte et ne trouve rien dans les poches, absolument rien.

Il se saisit du portefeuille. Il fait constater à Marie Claude que dans le soufflet à billets, il y de l’argent. Dans le portefeuille il y a une carte d’identité et une carte bancaire du crédit Agricole. On trouve également diverses cartes de visite à priori celles du propriétaires de l’objet, puisque toutes au même nom. Enfin il y a quelques cartes de commerces et magasins, Intermarché, Attac, etc.

Donc veste et portefeuille ne sont pas abandonnés là après un vol.

La carte d’identité est au nom de Rimbaud Marcel, habitant Chalmazel, à la Gouérie. Il est né en 1960.

Sophie explique en rigolant :

« Le gars il a eu peur quand un crocodile est sorti de la cascade ! »

Et sa mère ne pouvant s’empêcher de sourire :

« Et tu connais l’histoire du crocodile ? ».

« Celle avec l’éléphant ? » dit Sophie.

« Et vous trouvez çà drôle » conclut Jean tout sourire également.

Les parents sont bien dubitatifs sur leur trouvaille. Lui se dit qu’il vaut mieux rapporter cela à la mairie, encore que la chose étant tellement étonnante, il faut peut être avertir les gendarmes.

Le téléphone portable, cet instrument à la fois si pratique et si dérangeant mais invention fort utile en cas de souci, de détresse ou de recherche de secours… Mais là, dans Chorsin, il n’y a pas de porteuse… Il faut trouver un point d’appel possible.

Ils n’ont plus le coeur à patauger dans la cascade et les voilà qui redescendent jusqu’au pont de pierres.

En cours de route ils se prennent au jeu et inspectent sérieusement les bas côtés du chemin et vont même inspecter sur leur gauche en retrait du chemin les ruines d’une jasserie. Elle date du temps où un éleveur venait mettre ses bêtes en estives au printemps quand les herbes neuves et les fleurs donnent ce goût si particulier au lait et au beurre que l’on fabrique à cette saison là et qui se nomme ici le beurre aux herbes.

Ils remontent le long du ruisseau de la Pierre Brune pour rejoindre le pont de pierres lorsque Sophie alerte ses parents.

« Papa ! Maman ! ».

« R’gardez ! Comme c’est bizarre ! ».

Elle leur montre une chose qui ne devrait pas se trouver dans ce paysage. Une chemisette blanche à rayures bleues, manches courtes, poche de plastron, est enfilée par les deux manches sur une branche de bouleau… Jean constate qu’un mouchoir se trouve dans la pochette.

Plus de doute, il y a quelque chose de troublant dans tout cela.

En arrivant près de la voiture, le téléphone portable capte enfin un signal. On peut appeler. Jean compose le numéro d’alerte de la gendarmerie. Très vite une personne du central lui répond. Il explique son cas.

Son interlocuteur semble prendre la chose au sérieux. Il se faire réexpliquer les trouvailles, leur état de fraîcheur, l’endroit exact de la découverte.

Sur la demande du gendarme de permanence, Jean indique précisément où il se trouve après avoir décliné son identité et indique qu’il ne va pas bouger d’ici l’arrivée des gendarmes.

La brigade territoriale va être prévenue. Il s’agit de celle du chef lieu de canton à Saint Georges en Couzan. Ils ont près de 20 km dont une partie en chemin de terre avant d’arriver sur place. La famille attend en émettant toutes sortes d’hypothèses.

Il ne peut s’agir d’une personne s’étant dévêtue pour prendre un bain, l’eau des ruisseaux et du pied de la cascade est vraiment peu profonde.

Il est clair que si les vêtements avaient été perdus, ils ne seraient pas éloignés comme cela car il y a tout lieu de penser que la chemisette et la veste appartiennent à la même personne.

Alors qu’il n’y a rien dans les poches de la veste, il est curieux de trouver quelque chose dans la poche de la chemisette.

Est-on près du lieu d’un suicide ?

Voire d’un assassinat ?

Plus le temps passe, moins le moral de la famille Boucher est au positif. Ils soupçonnent tous trois être tombés sur une affaire… On devrait même en parler dans les journaux !

Au bout d’un long moment, le ronflement d’un moteur sur le chemin du bas, les informent de l’arrivée d’un véhicule. En effet un tout terrain de la gendarmerie arrive.

Deux gendarmes descendent du véhicule, dont une gendarmette et les présentations sont faites :

« Adjudant Chevalier ».

« Maréchal des logis chef Charbonnier » dit la femme.

« Famille Boucher de Sauvain ».

Jean raconte son histoire indiquée au téléphone. Il donne à l’adjudant la veste qu’il porte toujours sur le bras, et le portefeuille à la gendarme Charbonnier. Cette dernière se fait préciser que rien n’a été enlevé. Elle ouvre ensuite l’objet et pose tout son contenu sur le capot du 4X4.

L’adjudant demande au père de le suivre afin de lui indiquer l’endroit où se trouve la chemisette.

Pendant ce temps Marie Claire reste avec la gendarme comme témoin.

Et Sophie n’en perd pas une miette… Vous rendez-vous compte ce qu’elle va avoir à raconter aux copines ? Elles vont être jalouses…

L’inventaire méticuleux de la gendarme fait apparaître des choses que les découvreurs n’avaient pas vu.

Une carte Vitale.

Une carte de mutuelle santé Groupama.

Une photo sans mention au dos, celle d’une femme, brune, la quarantaine prise en intérieur.

Il y a 30 euros en billets et pas de monnaie dans la poche zippée.

Il y a bien la carte d’identité, et des cartes de magasins ou de réductions commerciales.

La gendarme recherche dans les fichiers accessibles aux services d’enquête et de sécurité, police et gendarmerie.

Dans le fichier des personnes disparues notre homme n’est pas inscrit. Il est possesseur d’un permis de conduire, sur lequel il n’y a rien de particulier à signaler.

La gendarme questionne la mère et la fille sur le détail de leur après midi.

Non elle n’ont rencontré aucune personne sur leur chemin.

Elles n’ont pas entendu de bruit de moteur avant l’arrivée du 4X4 bleu et son gyrophare.

Il n’y avait rien par terre autour de l’arbre où était accrochée la chemisette.

À la cascade, il n’y avait aucun détritus par terre, aucun indice…

Pendant ce temps l’adjudant est en train de décrocher la chemisette. Linge propre, récemment accroché… Rien autour de l’arbre.

Il tire de la poche un mouchoir blanc, mouchoir brodé avec les deux initiales L et A…

Ils redescendent et les gendarmes demandent au chef de famille de monter avec eux.

Pendant ce temps, Marie Claude et Sophie attendront dans leur véhicule. Arrivés sur le chemin en surplomb de la cascade, les gendarmes descendent en observant attentivement les à côtés.

Jean leur montre du doigt le rocher où la veste a été retrouvée. Les gendarmes fouillent les éboulis, les herbes, le ruisseau.

Rien à se mettre sous la dent ni sous l’œil soupçonneux et rien encore sous le képi.

Sur la pierre où la veste était posée, il n’y a aucune trace.

Il est temps de rentrer à la brigade et de libérer les Boucher.

La famille rejoint sa maison de Sauvain.

Les gendarmes quant à eux traversent cette bourgade et bifurquent par Chevelière pour atteindre Chalmazel jusqu’au chemin de Gouerie au dessus de la scierie locale.

À l’adresse de Rimbaud Marcel, la maison est fermée, les volets clos et le jardin semble avoir été entretenu récemment.

Personne ne répond au coup de sonnette. Il n’y a personne apparemment.

Le couple de gendarmes fait le tour des 4 autres maisons du chemin.

Deux sont habitées.

À la première, un homme ouvre sa porte dès le premier coup de sonnette. Les gendarmes ont noté sur la boite aux lettres que c’était la maison de Joannès Goutorbe.

C’est bien lui en effet quand il décline son identité. Que peut-il dire de son voisin ? Un homme charmant, retraité de l’armée où il a fait partie des commandos parait-il.

Il n’a pas ouvert ses volets depuis les jours qui ont suivi la fête des airelles qui a lieu à Sauvain au 15 août.

« Ensemble, an’avait bu un coup à la pampille2. L’était accompagné de sa copine Liselette »

« Liselette vit pas avec lui ».

« Ils s’voient régulièrement chez l’un ou chez l’autre, soit Chalmazel soit Jeansagnières, histoire de s’faire un petit gâté3 ».

Mais il n’y avait pas de quoi s’inquiéter car il lui arrivait comme cela souvent de partir quelques jours sans avoir averti le voisinage.

« D’temps en temps on va ben ensemble ramasser des champignons ».

« On aime ben les colibris4 et ben plus encore les chanterelles ».

« Et not’ coin favori pour la girolle c’est Chorsin. Y a des accumoncellements5 de roches et de mousse ».

« A n’y trouve aussi des tubulaires, des pieds bleus et des pieds de mouton ».

Apparemment un homme sans histoire.

« Dites-donc l’est point arrivé malheur à Marcel pas rien6 ?

« Non non on enquête, une enquête de routine ».

« Alors tâchez moyen7 de trouver, pasque moi j’peux point vous aider ! ».

Un doigt au képi et les voilà sonnant à la maison d’en face.

La sonnette est stridente.

La porte est décrépie, comme la façade.

Il y a de la lumière dans la pièce du bas car la nuit commence à venir. Il est vrai qu’à l’abri des Monts, la nuit tombe plus vite et plus sombre.

La boîte aux lettres indique Drivet Lucie.

La porte s’ouvre et une femme, voûtée sous les ans, leur ouvre en essuyant les mains à son tablier.

« Queque vous voulez ? » ajoutant « Y a pas de voleur chez moi ! ».

La maréchaussée reprend ses questions sur son voisin d’en face.

Elle confirme qu’elle ne l’a pas vu depuis quelques temps. La dernière fois il était avec sa copine, Liselette. Ils rentraient de Sauvain et des Airelles, et semblaient bien gais. Dans la nuit, des bruits avaient sorti Lucie du sommeil.

« Pour sûr, une engueulade. Et pis elle a pris sa voiture et est partie en faisant crier l’moteur. C’est la dernière fois que je les ai vus. Vous s’vez, l’on peut pas la rater. L’est peinte comme tout, mal fagotée et forte en gueule. Si a l’est revenue, l’ai point vue. Faut-dire qu’je passe pas mon temps à appincher8 le voisinage ! ».

Après bon nombre d’autres questions sans réponse, il est clair que l’on ne pourrait tirer aucune autre information de la part de cette voisine, même pas les marques des voitures de Marcel et Liselette.

Les gendarmes décident de reprendre contact avec le premier voisin.

Ils apprennent ainsi que la nuit de la fête il était rentré un peu trop gai, était tombé d’une masse dans son lit et n’avait rien entendu.

La voiture de Liselette ?

Oui une Citroën 2 CV grise.

Celle de Marcel, une Seat Ibiza blanche.

Il est parti semble-t-il avec sa voiture, car elle n’est plus devant chez lui.

« Mainnant9 que j’y pense, il a eu de la visite en début d’août. Je m’en rappelle, c’était le 2, je rentrais de faire mes courses à Boën ».

« C’était un couple arrivés en Renault twingo blanche. J’me demande si c’était pas son fils et sa copine ? Son fils vit à Sail. Il est cantonnier là-bas».

« A-t-il d’autres enfants ? ».

« Une fille. J’crois que l’est nounou à Boën mais l’ai rarement vu chez son père ».

« C’est tout ce qu’j’sais ! ».

Les gendarmes saluent leur interlocuteur, le remercient et reprennent le chemin de la brigade.

Ils connaissent la route par coeur et en profitent pour blaguer sur cette histoire :

« Je parie que la Liselette est partie elle aussi de chez elle. Cela sent la disparition d’un couple illégitime qui veut se faire oublier... » résume l’adjudant...

« Ah l’amour des quadragénaires est un monde insondable ! » rigole Edwige en regardant son adjudant lui aussi quadra…

II

À la brigade c’est l’heure maintenant du compte rendu à l’adjudant chef Alphonse Bony.

« Avez vous vérifié si elle était aussi portée disparue ? ».

« Non mon adjudant chef. Nous rentrons directement et il serait préférable d’attendre demain matin et le jour surtout ».

« On fait une main courante ? Un majeur disparu et, pas de plainte, y a pas de quoi faire autre chose chef ? ».

« Oui. Et vous interrogerez aussi le médecin du disparu. On ne sait jamais ce qu’il peut nous indiquer pour y voir plus clair ».

Et comme dans toute brigade qui se respecte, le devoir de rédaction de la main courante retomba sur la gendarme au grade le moins élevé…

Ce qui lui attira une pensée déviante pour un militaire qui doit obéir le petit doigt sur la couture du pantalon :

« C’est mal d’utiliser inutilement son personnel qu’à des emplois subalternes... ».

Au petit matin l’adjudant et la gendarme relancent les travaux d’enquête.

Il existe bien une Liselette, avec le patronyme Agoyer, habitant Jeansagnières au chemin des Sagnes, un chemin qui monte sur la droite quand on arrive dans le village.

Elle est détentrice d’un permis de conduire.

À l’état civil, il semble qu’elle soit divorcée.

Pour en savoir plus, le couple de gendarmes remonte en voiture en direction de Jeansagnières. Après Chalmazel, ils tombent dans la montée du col de la Croix Ladret sur un épais brouillard et un début de journée frisquet.

La route sur la plateau jusqu’à leur destination est elle aussi dans la poix tout du long.

Chemin des Sagnes, une 2CV grise stationne devant une petite maison. Sur la boîte aux lettres on peut lire Liselette Agoyer. Pas de doute c’est ici ! Des aboiements de chien répondent au coup de sonnette.

« Mignon tais toi ! ».

La porte s’ouvre sur une femme en robe de chambre avec un museau de petit chien sortant d’entre ses chevilles.

« Bonjour. Vous êtes bien Liselette Agoyer madame. Soyez sans crainte nous faisons une enquête de routine ».

« Oui, pour sûr, vous m’faîtes an de ces faouettes10 ! » osa la femme toute tremblante comme son chien ratier mécontent de la venue des uniformes et n’arrêtant pas de grogner.

Les gendarmes reconnaissent en elle la photo trouvée dans le portefeuille du disparu. Elle leur propose d’entrer. Un intérieur petit et propret. Installés à la table de la salle à vivre, les gendarmes commencent leur interrogatoire.

« Avez-vous un téléphone portable ? ».

« Nan11 j’ai que l’fixe ».

« Nous avons en effet trouvé votre numéro dans le bottin. Nous avons quelques questions à vous poser. Quand avez vous vu Marcel Rimbaud pour la dernière fois ? ».

« Fouilla12 ! À la fête de Sauvain au 15 août. On s’est fâché ce jour là et on a décidé de plus se revoir ».

« Un témoin nous a dit une engueulade. Vous confirmez donc ? ».

« Oui oui, le Marcel c’était un franc13 jaloux. Parait qu’ j’avais serré de trop près le vendeur de tartelettes, vous savez le boulanger de Chalmazel ».

« Et après qu’avez vous fait ce soir là ? ».

« Ben j’suis rentrée chez moi. Que voulez vous qu’je fasse d’autre ? »

« Et pis pourquoi vous me demandez tout çà ? ».

« Nous avons toutes les raisons de penser que Rimbaud a disparu ».

« On a retrouvé ses affaires et ses papiers dans les bois de Chorsin ».

« Milapiat14 ! ».

Bien qu’elle se dise fâchée avec Marcel, cela lui fait un sacré coup au coeur… Blanche, elle se décompose et les tremblements recommencent. L’adjudant se dit en lui même que si cette femme est pour quelque chose dans la disparition de son ex copain, elle est une sacrée belle comédienne…

On ne peut guère lui tirer d’autres informations sauf les noms et adresse de son ex mari et de ses deux enfants.

« Ernest Piron, mon ex, un ancien de la Manu15, habitant place Carnot près de l’église à Boën sur Lignon, ouvrier aux lames du Forez».

« Paul Piron mon fils, employé aux services techniques de la mairie de Sail sous Couzan, habitant aux Places dans cette commune ».

« Monique Piron, ma fille, aide maternelle, habitant 9 boulevard Dunant à Boën sur Lignon.

« Madame Agoyer, avez vous d’autre famille ? ».

« Oui un frère, Jean, qu’habite pas par ici. L’est en Vendée. J’crois qu’ y répare des bateaux ».

« Vous avez son adresse ? ».

« On s’écrit pour dire jamais. J’m’en rappelle pas ben d’là où y zabite. C’est à Bouin j’crois ben».

« Merci et bonne journée madame ».

La maréchaussée se retire en laissant la pauvre avec ses tremblements.

Avant de repartir, ils décident de poser quelques questions dans le voisinage. La descente du chemin des Sagnes jusqu’au centre du village mène quasiment au bar du bourg. Elle se fait dans un brouillard qui se lève.

Le soleil va bientôt briller sur la montagne en face, Pierre sur Haute et ses radars de l’armée de l’air.

Tout d’abord visite au bistrot du centre du village, Chez Rose, qui comme tous les bistrots est une source traditionnelle de renseignements pour un enquêteur.

La tenancière est là derrière son comptoir et une personne est assise à une petite table recouverte d’une nappe à carreaux roses et blancs.

« Messieurs dames bonjour. Brigade de St Georges. Connaissez-vous un certain Rimbaud habitant à Chalmazel ? ».

Par ici les gens sont quand même assez taiseux et ne se livrent pas facilement.

« Çà me dit rien » dit la femme.

« P’t’êt ben » dit l’homme en relevant la visière de sa casquette.

«Comment cela p’t’êt ben ? ».

« Rambaud, Rimbaud, Rombaud, c’est des noms de chez nous ».

« Mais vous connaissez madame Agoyer ? ».

« Qui connaît pas la Liselette ? Sacrée gambelle16 !» s’exclame en rigolant le vieux qui frémit de la moustache en se tapant sur la cuisse.

« Ben oui, elle est de là ! Une belle bajafle17 par dessus l’marché...».

« Vous pouvez nous en dire plus ? ».

Et voilà nos deux personnages qui déballent leurs connaissances.

« Faut voir la donzelle. L’a ben vécu paraîtrait » dit le vieux en opinant du chef, comme quelqu’un qui en sait plus qu’il n’en dit...

« Son mari s’est sauvé et l’a laissé 2 grabots18 en bas âge » ajoute Rose Jacot.

« C’est monsieur Piron n’est-ce pas ? » demande la gendarme.

« Oui » dit-elle.

« Ah pis y a les amants. L’dernier l’est de Chalmazel, mais j’ai pas son nom » complète le père Dufoix.

« Çà fait longtemps qu’ils sont ensemble ?» interroge l’adjudant.

« Dès qu’elle a commencé son travail au château des Talaru » répond Rose.

« Avant paraît qu’elle a fait serveuse à Boën au café de la mairie ».

« Pis avant, on l’dit, a l’était dans un bar de strip-tease à Sainté19 et avant à Lyon… Mais bon c’est des on-dit, j’suis pas été voir ! » ajoute en souriant le père Dufoix.

« C’est des on-dit ! On n’en sait rien. Faut pas dire n’importe quoi père Dufoix » s’empresse d’ajouter la Rose.

« Et que fait-elle au château ? » demande la gendarme.

« Ben femme de ménage. Le château a des chambres d’hôtes et la maîtresse de maison peut pas s’occuper de tout » répond Rose comme si c’était évident..

« La Liselette quéque fois fait la cuisine pour la table d’hôtes. Et même le service » complète Dufoix.

« D’après sa patronne, elle leur fait des menus régalants : bec de cane20 ou côtis21, avec avant une salade de barabans22 et des lardons » précise Rose.

Les gendarmes connaissaient bien entendu cette activité touristique lancée au château, derrière ses tours austères.

Mine de rien, ils ont trouvé là une source d’informations, tant pour conforter des choses connues que pour en apprendre de nouvelles.

Pour tester les deux indicateurs la gendarme glisse perfidement :

« On s’est laissé dire qu’elle faisait quelques fois des histoires et qu’elle se faisait bien remarquer ».

« Pour sûr ! La dernière fois c’est à la pampille des airelles à Sauvain » répond de suite le vieux qui poursuit :

« L’avait voulu faire péter les viailles23 à Jojo, le boulanger pâtissier de Chalmazel ».

« Çà c’est pas passé dans la rigolade… Pensez qu’la femme à Jojo et elle se sont fait péter les bognes24, et elle lui a mis un de ces ramponneaux... »

« Ahh non, ici on n’embrasse pas sur la bouche !» rigole le père Dufoix en secouant la main pour montrer la vigueur de la torgnole.

« Faut dire que l’avait liqué25 tout l’après midi. Oui l’était bien mûre, bichette26 ».

« Son copain l’a prise sous le bras et sont retournés chez lui » ajoute Rose.

« Père Dufoix, j’vous en remet un ballon ? ».

Et en attendant son gorgeon27 supplémentaire il ajoute :

« Attention l’gars qu’est avec elle, c’est un costaud. L’est de Chalmazel et c’est un ancien parachutiste ».

« Comme moi, nom de Dieu, caporal chef Dufoix Edmond, du 1er régiment de chasseurs parachutistes à Pamiers» dit-il brutalement en se levant avec le salut réglementaire de la main à la tempe….« Ah nom de d’là ! ».

« Il s’appellerait pas Rimbaud par hasard ? ».

« J’sais pas ».

« Marcel Rimbaud ? ».

« Oui c’est çà. Marcel qui s’appelle » dit le vieux dont le visage s’éclaire à la fois du fait d’avoir retrouvé le prénom de la personne dont on parle et peut être, et surtout, de voir arriver son ballon de rouge..

« Il est jamais venu ici boire un coup ? ».

« Non, jamais vu ici » dit Rose Jacot en servant, ce qui est confirmé par le père Dufoix.

« La Liselette nan pus ! A se prend pour de la haute et fréquente point les bistrots de campagne. Mais y a pas longtemps a l’était dans le caniveau ! » complète le vieux en hochant la tête pour bien monter qu’il en connaissait pas mal sur la donzelle...

« Voulez-vous boire quelque chose, un pot28, une mousse29 ? » demande-t-elle aux gendarmes.

« Non merci. Service service ! » répond la gendarmette sans respecter la hiérarchie, avant que l’adjudant ne donne un avis…

Comme pour rentrer à la brigade il faut passer par Chalmazel, les gendarmes démarrent dans cette direction.

Le soleil s’est levé et illumine les Hautes Chaumes et le col du Béal. Dans le bourg, au dessus du cimetière, les gendarmes s’arrêtent devant la maison de la santé. Il y a là le cabinet d’un médecin, le local d’une infirmière et le bureau d’un chauffeur de taxi-VSL. Ils s’adressent à la secrétaire du médecin, et demandent à rencontrer le praticien.

« Le docteur Champier est en visites à domicile. Je ne sais pas quand il va rentrer car il n’a pas de consultations au cabinet avant 16 heures » leur répond la secrétaire.

« Prévenez le que l’adjudant Chevalier de la gendarmerie de St Georges souhaite s’entretenir avec lui sur un de ses patients ».

« Merci et bonne journée Mademoiselle ».

De retour à la brigade, ils font leur compte rendu à l’adjudant chef Bony, et bien entendu la gendarme Edwige se met à la main courante.

Le chef et son adjoint conviennent que tant qu’il n’y a pas d’autre évènement, et que la disparition n’est signalée par personne, on ne peut aller plus loin.

Il faut donc attendre une éventuelle suite, un peu probable rebondissement.

Il n’y a pas de quoi en référer au parquet.

Dans l’après midi, l’adjudant Chevalier est tiré de sa douce torpeur d’après manger par le grelot du téléphone.

« Docteur Louis Champier. Vous m’avez cherché parait-il ? ».

« Oui bonjour docteur. Merci de me rappeler ».

« En effet nous avons souhaité nous entretenir avec vous. Je vous explique ».

« Nous avons retrouvé des vêtements et les papiers d’un de vos concitoyens, le tout abandonné dans les bois de Chorsin ».

« Diable... ».

« Chez la personne, tout est fermé et ses voisins disent que c’est ainsi depuis quelques jours ».

« Il s’agit de Marcel Rimbaud ».

« Pouvez-vous nous dire quelque chose sur cet homme. Que savez-vous Docteur sans trahir le secret médical ? ».

« Je vois de qui vous parlez. Je ne connais guère cet homme puisque en tout et pour tout je ne l’ai vu que deux fois ».

« En décembre pour le vaccin contre la grippe et en début juin dernier pour soigner une plaie qu’il s’était faite à un pouce en faisant du bois ».

« Vous n’avez rien de particulier à nous dire pouvant nous éclairer sur une éventuelle disparition ? ».

« Non désolé ».

« Par contre mon adjudant avez-vous interrogé son frère ? ».

« Pour l’instant nous ne lui connaissions pas de famille. Et son frère on peut le joindre comment ? ».

« Facilement c’est un confrère que j’ai rencontré plusieurs fois dans divers manifestations. Il tient un cabinet rue de la Claire à Lyon dans le quartier de Vaise. Amant Rimbaud, vous trouverez dans le bottin ».

« Merci Docteur, bonne fin de journée ».

L’adjudant convoque dans son bureau la gendarme Charbonnier, et demande au stagiaire Kevin Pardon de les rejoindre et de leur faire un compte rendu de son coup de fil.

Chevalier demande ensuite à la gendarme de briffer le jeune sur le reste des éléments en leur possession pendant qu’il va informer le chef.

Ce dernier approuve l’intérêt d’appeler le frère pour progresser dans la connaissance du disparu.

Un petit coup de fil tout en douceur pour voir…

C’est à ce moment que quelqu’un se présente à l’accueil.