Le Malin n'aime pas les grenouilles - Daniel Guillon - E-Book

Le Malin n'aime pas les grenouilles E-Book

Daniel Guillon

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Beschreibung

Un village bien tranquille. Sa quiétude se trouble. Des vols sont commis et un corbeau joue avec les nerfs des habitants. Un jeune journaliste est à la recherche d'indices. Le village se mobilise et fête ses succès. Vivez, vous aussi, cette enquête désopilante.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Bonum vinum laetificat cor hominis

“S'il fallait tenir compte des services rendus à la science, la grenouille occuperait la première place.”

Claude Bernard

Sommaire

Avant propos

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Avant propos

Lecteur, tu entres dans un village bien paisible aujourd’hui. Il n’en fut pas de même l’an passé, quand Saint André le Bouchoux fut secouée de terribles soubresauts, rancœurs, bassesses, et médisances. Et tout cela parce qu’en cette année 1958, un malotru a joué de nombreux bien mauvais tours aux habitants.

Si je vous présente mes voisins, il me semble que ce sera plus facile pour vous de m’accompagner.

Ce sont des bonnes gens qui tous, à un instant donné, se sont crus chargés d’une mission. Oui mission d’ordre pour les uns, divine pour d’autres, et d’une certaine manière ils ont tous sorti des placards, les souvenirs de la guerre encore toute fraîche dans les mémoires.

Gauche contre droite réactionnaire, anticléricaux contre catholiques engagés, sont déjà de sérieux clivages. Puis les âges font la différence. Jeunes contre vieux chnoques, vieux contre la modernité, les calmes contre le monde qui s’emballe, les taiseux luttant contre le bruit, les anars contre la maréchaussée, certains serviables, pas tous résistants loin de là durant la guerre, certains rêveurs, d’autres renfrognés.

Et comme partout il y a des j’ m’en foutistes, d’autres embrumés d’alcool allant dans le sens du vent le plus fort, et surtout des besogneux sans histoire.

Tous sont de braves gens. Voici donc les hommes et femmes de mon village que vous allez rencontrer. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait qu’un malencontreux hasard indépendant de ma volonté, même si les philosophes disent qu’il n’y a pas de hasard dans la vie.

Barge Auguste dentiste, conseiller d’opposition, secrétaire de la SFIO de l’Ain. Il est marié à la pharmacienne Paulette. Ils ont deux enfants, Louis en apprentissage à l’usine du village et Johannès en primaire.

Berthelot Marius, instituteur des garçons, marié à Suzon l’institutrice des filles. Jeunes mariés, sans enfant. Ils disposent d’un appartement dans l’école des garçons. Tous deux ont une culture politique de gauche.

Bonnaventure Gustave dit Tatave, adjudant, chef de la brigade de gendarmerie de Saint André, époux de Marie Jo. Au grand dam de cette dernière, ils n’ont pas d’enfant. Elle se passionne pour le point de croix et Gustave voyage dans sa collection de timbres.

Bonneau Max, anciennement charbonnier vivant dans sa cabane près de ses fourneaux dans les bois sur la route de Condeissat. Il est connu de toute la population et bien entendu des gendarmes pour faits de braconnage réguliers… Mais ni le garde chasse ni les gendarmes n’ont pu le prendre en faute malgré quelques opérations mémorables pour tenter de l’intercepter dans les bois… Par contre son lièvre vient chaque année régaler à la table de monsieur le comte…

Bribard Léo, rempailleur du village marié à Marie la couturière bien aimée dans la commune. Ils ont une belle progéniture à l’école primaire, Jean, Jacques, Pierre, Madeleine, Rolande et Yolande. Ce sont des catholiques pratiquants, ne manquant la messe que les jours de très forte fièvre au fond du lit.

Chateau Norbert, meunier de la Motte. Il a épousé Hélyette, encore mineure au mariage. Ils ont deux enfants, Antonin pas pressé de se lancer inconsidérément dans la vie active avec un bac tout neuf, et Josiane sortie de l’école avant le collège, qui aide au moulin.

Cheminat Popol, le mécano, bel homme célibataire. On lui prête des aventures, mais ne dit-on pas que l’on ne prête qu’aux riches ?

Courrayot Hubert, boulanger pâtissier, marié à Margot. Leur fille Julie est au pensionnat Sainte Marguerite à Bourg. Ce couple est très engagé au sein de la paroisse.

De Bonnefoix Eudes, comte, propriétaire du domaine du Bouchoux, le château du village, et de l’usine. Il est maire de Saint André. Centriste, il a été élu l’an passé pour un quatrième mandat. Il a épousé Marie Thérèse du quartier d’Ainay à Lyon, sa cadette de 22 ans, qui a eu bien du mal à s’intégrer dans la vie rurale. Le couple n’a pas d’enfant.

Descombes Simon, tenancier du célèbre « Bar de la Grenouille » au centre du village. Il est né dans cette commune où ses parents tenaient précédemment l’épicerie. Il est marié à Colombe, une belle fille qui avait été serveuse au « Bar des sports » à Marlieux. Ils n’ont pas d’enfant. Ils sont amoureux comme au premier jour et font de nombreux envieux…

Dorkeld Jacob, vieux gitan parcourant les routes. Descendant d’une tribu originaire de Roumanie, spécialiste de la vannerie. Il est accompagné dans son périple sans fin de son fils Désiré dans la quarantaine et de la femme de celui-ci, Édikta. Il se sont arrêtés en bordure d’un champ appartenant au maire, avec son accord.

Engoulevent Toine célibataire, domestique à la Goutte, amoureux transi de la fille de la maison.

Fourneyron Johannès, facteur, fonctionnaire la tête encore remplie des slogans de la gauche du front populaire de 1936. Avec lui, la tournée est stricte quant aux horaires. À table à midi et pas midi 5.

Gaillard Paul, gendarme maréchal des logis-chef, strict, voire buté à certaines occasions, marié à Germaine. Ils ont 2 enfants, Paul et Jules tous deux au lycée à Bourg. Elle se console avec la botanique et se plonge avec délectation dans son herbier dès qu’elle en a l’occasion. Lui ne pense que gendarmerie matin, midi et soir… Il rêve même de gendarmerie la nuit !

Girodet Charlot, ancien fermier, célibataire, ancien combattant, maréchaliste de la dernière guerre, que personne n’a encore vu un seul jour sans son béret qui fut noir au moment de son achat !

Gobert Sylvain, secrétaire de mairie marié à Adeline la postière. Fonctionnaires se croyant dépositaires des bienfaits de la gauche… Ils ne ratent ni action syndicale, ni jour de grève.

Gonon Marie, ma voisine, la mégère du village, grenouille de bénitier mais aussi fouine et mauvaise langue. Elle fut fiancée début 1914, mariée en juillet mais son chéri fut tué dès les premières semaines de guerre. Restée seule, elle s’enfonça dans une vie aigrie.

Gouttefangeas Jean Marie, affûteur à l’usine. Veuf avec une fille Marie d’une quinzaine d’années en pension à Bourg, qu’il chérit plus que tout au monde, soleil de sa vie.…

Grataloup Gustave, garde champêtre, mutilé 14-18, plus républicain que ne peut l’être un républicain. Excellent joueur de tambour. Il s’est essayé au clairon, mais ses voisins se sont plaint car tous les chiens du quartier aboyaient à qui mieux mieux…

Jobard Marcel, épicier qui comme son épouse est natif du bourg, mari de Liselette qui vient de lui donner un beau bébé, Suzette.

Joyeux Ladislas, gendarme maréchal des logis, célibataire, le plus souple de la brigade, toujours prêt à trouver un arrangement. Il est grand amateur d’opérettes.

Largeau Robert, chômeur professionnel et alcoolique, mari de Micheline, parents de 7 enfants de 15 à 3 ans dont les aînés Jean et Paul, sont déjà de fieffés garnements. Je ne sais même pas si Robert se rappelle du métier qu’il exerçait dans le temps !

Leduc Auguste, célibataire, retraité des chemins de fer, membre du parti de la dive bouteille, client assidu du bar. « Le comte doit respect au duc » dit-il à qui veut l’entendre…

Marchand Clopin, éleveur de charolaises sur la route de la Victoire, marié à Marthe la femme de ménage du cabinet médical. Le couple n’a pas d’enfant. On a toujours l’impression d’un couple qui vit ensemble séparément.

Mardoire Octave, célibataire, gendarme originaire de l‘Allier, jeune maréchal des logis, nouveau à la brigade,

Marolleau Aubert dit le parisien, retraité, fonctionnaire à la mairie de Vincennes jusqu’à sa retraite. Il vit depuis lors en ménage avec Maurin Joséphine une ancienne danseuse de revue d’un cabaret parisien. Ce sont des clients assidus des agences de voyages…

Mattefon Prosper, gendarme maréchal des logis, célibataire. Fait tout pour être bien noté et passer au grade supérieur.

Mercier Josette, dite « La Josette », dite « La Déjantée ». Pauvre femme que la vie sur les trottoirs de Bourg a repoussée, avec l’âge, comme misérable alcoolique dans le bourg de Saint André.

Neyret Jean le médecin diplômé de la faculté de Paris. Il a épousé une jeune étudiante en lettres Hortense. Leur fils, Juste, rêve après son bac d’entrer aux assurances place du champ de foire à Bourg.

Sabourin Joseph dit Jojo, cordonnier du village, marié à Juliette lingère au château du Bouchoux. Un couple de travailleurs. Ils ont un fils, Gérard dit Gégé, plus enclin à la gaudriole qu’au travail.

Soulard Jean, le fermier du Bouchoux, marié à Justine. Parents de trois enfants, Toinon, Juliette et Françoise. Ils ont le coeur sur la main et rendent bien des services à tout le village.

Tarin Maurice dit Momo, célibataire, retraité de la coopérative agricole des éleveurs de poissons de la Dombes de Villard, jardinier.

Tavard Simon, curé de la paroisse de Saint André né dans le Rhône à Écully. Il a une gouvernante, la mère Bédouin. C’est une ancienne cuisinière à l’hôpital de Bourg qui a trouvé pour sa retraite cette activité logée nourrie. Peu de personnes connaisse son prénom Marie Louise, car pour tous elle est la mère Bédouin.

Thévenon Marius, fermier polyculteur à la ferme de la Goutte, derrière le parc du Bouchoux. Il est marié à Mauricette qui élève surtout des canards, et fait les marchés du canton. Ce couple est un duo solide au poste, toujours en recherche d’innovation tant dans la culture que dans la fabrication de produits dérivés. Il est aidé par un ouvrier, le Toine, et par Marinette leur fille tout juste majeure.

Thinet Jean, boucher charcutier, jeune marié à Violette, vivant encore leur lune de miel après un pèlerinage à l’église du curé d’Ars.

Tijou Jeannot, dit le Babet. Il fait divers petits boulots et est souvent rémunéré en victuailles. Il bénéficie d’une aide financière compte tenu de son handicap. Tout le village l’adore.

Tournaire Claudius, rentier, propriétaire des étangs du Grand Romans et du Bataillard. Il est époux de Marie-Jeanne qui lui a donné un fils Hippolyte, marié à Suzanne. Claudius est président de l’association de pêche « les gaules bouchoussoises ». Il est président de la caisse d’assurances agricoles de Marlieux-Saint André.

Turpin Émile, le menuisier ayant payé d’un auriculaire son travail à la scie, marié à Brigitte qui s’occupe des œuvres de la paroisse. Leur fils Serge est employé à la boucherie.

Watrin Gontrand, juge d’instruction au parquet de Bourg en Bresse. Dans l’année de sa prise de retraite au moment des évènements qui nous intéressent, il est connu pour sa nonchalance et son amour démesuré pour la bonne table.

Dans cette commune dynamique, la gestion en est parfaitement assurée par un conseil municipal constructif, innovateur et dynamique animé par monsieur le comte. Il est maire et entame son quatrième mandat. Ses réalisations sont nombreuses.

Il a terminé les trottoirs et fait installer l’éclairage public dans toutes les rues, même si certaines ruelles restent dans le sombre il est vrai. Il a fait aménager des parterres de fleurs au pied de chaque statue, dans l’allée menant au cimetière, et devant le monument aux morts. Il a également fait voter la pose chaque année au printemps de très belles jardinières de géraniums lierre accrochées à la rambarde du pont de l’Irance. Il vient d’inscrire sa commune au concours des villes fleuries. Il a fait réhabiliter les fontaines des hameaux.

On peut ajouter que dans Saint André les routes sont bien goudronnées ce qui montre également son influence au département.

Le conseil est composé depuis l’an passé de 11 conseillers tous élus au premier tour de scrutin.

Vous en connaissez déjà quelques uns, mais je vous donne la liste exhaustive du conseil :

Barge Auguste, conseiller d’opposition

Bribard Léo, conseiller d’opposition

Château Norbert, conseiller de la majorité

De Bonnefoix Eudes, maire

Giroux Régis retraité du hameau de la Brosse, conseiller d’opposition. Il a fait sa carrière professionnelle à l’étude notariale de Bourg. Aujourd’hui il goûte au plaisir d’élever de belles fleurs

Gobert Sylvain, second adjoint

Jobard Marcel, troisième adjoint

Martin Pierre du hameau de la Treille, éleveur, conseiller de la majorité. Veuf sans enfant. Il cultive un fabuleux potager et livre même une partie de sa production dans tout le village.

Neyret Hortense, femme du médecin du village, de la majorité.

Sanfoin Pierrot, conseiller de la majorité, célibataire, maréchal ferrant

Soulice Marthe du hameau de la Poire, apicultrice, conseillère de la majorité, son mari Paul est propriétaire d’étangs. Elle vend sa production sur les marchés. Ils ont un fils Joannès.

Tournaire Claudius, premier adjoint

Enfin, nous n’oublierons pas de saluer le formidable dévouement sans limite et la vaillance exemplaire de la brigade des sapeurs pompiers volontaires de Saint André.

La brigade est depuis 5 ans sous le commandement éclairé de l’adjudant chef Pierrot Sanfouin, le maréchal ferrant.

Outre ceux que nous avons déjà nommés ci-dessus, à savoir Popol Cheminat le mécano, Marius Thévenon le fermier de la Goutte et Serge Turpin l’employé de la boucherie, nous avons 6 autres sapeurs volontaires.

Arnaud Paul, cultivateur au hameau du Piron, caporal chef.

Bribard Léo, caporal chef.

Fantin Claudius, cultivateur au hameau du Saut.

Giroux René, éleveur de cochons au hameau de la Brosse, caporal.

Sanfoin Pierrot, sergent chef.

Tournaire Hippolyte, ouvrier aux « Lames de l’Irance », caporal.

Il y a deux ans, cette brigade a fait les gros titres des journaux de toute la région.

Ils furent appelés en renfort à Saint Paul de Varax pour participer à la lutte contre un incendie déclaré dans un garage automobile.

Malgré les explosions des bouteilles de gaz et d’oxygène stockées, des réservoirs chargés d’essence et des pneus des véhicules, sans parler de la toxicité des fumées de caoutchouc et autres produits, les quatre sapeurs de Saint André avaient pu sortir du brasier les deux ouvriers blessés lors de la déflagration initiale.

Aujourd’hui ces deux hommes ont repris leur travail et si les pompiers ont eu quelques poils roussis, par chance il n’y eut pas de blessés parmi eux.

Quant au village lui même, hors ses nombreux hameaux, il est traversé par deux routes qui se croisent au centre du village, place centrale avec le monument aux morts et la croix de la mission.

Il s’agit de la route de Condeissat à Marlieux d’ouest en est et celle de Romans à St Paul de Varax du sud au nord.

Le reste du bourg est constitué de rues et chemins avec quelques uns aux noms poétiques comme le chemin du moulin, celui du lavoir ou encore et ce n’est pas exhaustif le chemin de la Victoire.

Les espaces verts sont nombreux avec en ceinture de la commune, les prés et les rives de l’Irance.

Un chemin piétonnier est accessible le long de la rivière entre le moulin de la Mothe et la rue des prés via le lavoir.

Il fait bon s’y promener au bord de cette eau claire et sous l’ombre agréable des arbres.

Le chemin de la Victoire est également prisé des promeneurs et des cyclistes. Il est calme, peu passant et en pleine campagne à travers champs.

Dans le bourg un champ communal ouvert à tous, vieux vestige de la révolution, sert surtout de terrain de jeux, le stade étant situé à l’écart du bourg.

Deux espaces de jardins ont été installés par la municipalité et par la paroisse.

Celui de la municipalité est un ensemble de jardins ouvriers communautaires. Ils sont situés près du moulin.

Sur l’ancien jardin de la Cure, le curé a ouvert un lieu de repos et de tranquillité surtout pour les mamans, faisant une pause ou donnant à goûter au calme à tous leurs garnements excités par une journée de classe...

Voici donc Saint André le Bouchoux et ses habitants.

Toute ressemblance avec des faits, des entreprises et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence.

Ne dit-on pas que les coïncidences sont une manière pour Dieu de rester anonyme ?

Je suis convaincu pour ma part que le hasard n’existe pas et que, comme disait également Albert Einstein, le hasard c’est tout simplement Dieu se promenant incognito…

././././.

Bonum vinum laetificat cor hominis = Le bon vin réjouit le cœur de l'homme

Chapitre I

Avec mes 27 printemps je suis un garçon bien dans ma peau. Oui, à la fois bien dans ma vie et amoureux de mon travail.

Mes parents sont agriculteurs à Saint Jean La Vêtre, mon petit village des contreforts des Monts du Forez.

Papa s’occupe d’une dizaine de vaches laitières et des cochons, maman fait l’élevage de chèvres mohair dont elle fait commerce de la laine qu’elle teint selon de vieilles méthodes de nos ancêtres.

Maman fait également du fromage et du beurre.

Papa tue les cochons et fait la préparation. J’ai encore dans le nez les arômes des rillettes cuisant dans le chaudron de la cheminée, ou bien ceux du jambon salé, voire des saucisses en préparation…

Ils vont tous les deux, une fois par semaine au marché de Noirétable vendre une partie de leur production.

Après ce marché et avant de rentrer à la maison ils montent avec leur vieille juva-quatre, jusqu’à Notre Dame de l’Ermitage, à un peu moins de 5 kilomètres de la place du marché.

C’est là que bien souvent les sœurs trouvent satisfaction dans les restes, soit pour la congrégation soit pour leurs hôtes, des gens de la ville venant faire retraite.

Il est rare que les parents aient beaucoup de marchandises à remporter, voire même très rare.

Après avoir fait une scolarité sans souci en primaire, j’ai ensuite enchaîné des études secondaires à Saint Étienne au lycée Honoré d’Urfé.

Interne j’avais la chance de pouvoir faire les trajets hebdomadaires par le train, cette voie qui en partant de Saint Étienne, passant par Thiers et au-delà Clermont Ferrand.

Je donnais un sérieux coup de main à la ferme durant mes deux journées à la maison

Mes parents avaient une activité très intense, et quand je n’ai plus eu l’occasion de rentrer chaque fin de semaine du lycée, ils ont cherché une aide extérieure.

Joseph, un gars de la ferme des Loges à St Jean la Vêtre accepta de venir faire l’ouvrier à la maison. Comme en plus il avait le permis de conduire, cela changea radicalement leur vie.

Il faut dire que mes pauvres vieux n’ont pas eu d’autre garçon, mais j’ai eu deux sœurs.

La première est décédée vers ses un an d’une méningite foudroyante, et la dernière, de 13 ans ma cadette est de santé si fragile qu’elle ne peut guère aider à la ferme...

Après le bac, c’est le début d’un cursus de lettres à l’institut A.L.L., arts lettres et langues, une faculté créée vers les années 30 dans la bonne cité stéphanoise.

Je logeais à la cité étudiante et ne rentrais à la maison qu’aux vacances. La sanction est une licence de lettres qui me projeta dans le monde du travail, sans savoir vraiment quelle serait ma voie.

À la suite de quoi je suis hésitant sur la carrière à choisir, je ne sais quoi prendre… Entre chercher un poste de professeur de français dans un institut privé, ou tenter une carrière de journaliste, les voies sont si différentes… Et puis dans le journalisme, les rubriques sur les arts et les spectacles, ou encore celle des sports me semblent les plus intéressantes…

Ce fut la voie que j’ai pris et me cela plongea rapidement dans l’inconnu. Jeune diplômé, je trouvais rapidement une rédaction prête à m’accueillir.

Ma première activité est une place de pigiste au journal lyonnais « L’agriculture du Rhône », feuille de chou qui parait une fois par semaine et dont le nombre d’exemplaires tirés diminue chaque année…

Ce départ dans la vie implique un déménagement pour m’installer dans la métropole régionale, à Lyon pour mon travail et à Caluire comme lieu d’habitation.

C’est à ce journal que je fais mes premières armes dans la rubrique des productions et des cours du marché, bien loin de mes espoirs artistiques ou sportifs.

Durant une année je me forme à l’enquête, à la rédaction, à la relecture, à la gestion des chiffres en tous sens…

J’ai apprécié la blague de mon chef le jour de mon arrivée.

« Jeune homme dites vous bien qu’un journal découpé en morceaux n’intéresse pas les femmes, mais par contre une femme découpée en morceaux cela intéresse les journalistes ! ».

Je me forme aussi aux expressions lyonnaises en abandonnant celles du Forez...

Quand on m’a dit à la boulangerie « voyez-y donc », il me fallut plusieurs fois avant de comprendre cette expression voulant dire « merci et voilà votre monnaie »…

Par contre quand j’ai dit à un collègue qu’une personne était « badabeu » ou encore qu’une collègue était un peu « peton » j’ai du m’expliquer et donner les traductions, respectivement de bébête et de chipie.

Ici les équevilles ont remplacé la gandouze, ce qui pour moi deviendra au fil du temps les déchets de la poubelle !

Un jour mon collègue Pineau m’indique qu’il vient de lire l’annonce d’un recrutement au poste de journaliste dans l’Ain…

Je dois dire que cela survient à deux mois de la fin de ma pige et dans une période où le cours du kilo de bœuf à Saint Christophe en Brionnais ne m’intéresse plus guère.

Je fais acte de candidature et suis embauché tout de suite.

Serait-ce que le nombre de candidats est si faible pour qu’il n’y ait pas de challenge ?

Habitant à Caluire dans un petit studio au dernier étage d’un vieux bâtiment du début du siècle, cela me fait un long trajet aller et retour chaque jour pour aller à cette rédaction.

Celle-ci est installée à Saint Paul de Varax à une vingtaine de kilomètres au sud de Bourg en Bresse.

Pour le trajet, je me suis acheté une vieille Motobécane, moto d’avant la guerre.

Ce deux roues me fait bien quelques caprices, un peu comme une vieille fille qui un matin est toute enrouée, un autre matin refuse de sortir du lit sous prétexte qu’il fait trop froid dehors, en un mot une compagne.

Je n’avais pas le sou pour acheter une voiture bien chère à notre époque de fin des années 1950, et je ne pouvais décemment pas absorber 51 kilomètres deux fois par jour en vélo, surtout sur nos routes gravillonnées et poussiéreuses qui allaient me coûter si cher en rustines et en fatigue !

Ayant pris mes fonctions à « La dépêche de la Dombes » depuis pratiquement 7 mois, je suis affecté à la rubrique des faits divers.

Dans ce travail varié, depuis le vol de vélo jusqu’à l’accident de tracteur, depuis l’incendie de la grange à la centenaire de la maison de retraite, tout me plaît par la quantité et la diversité des personnes que je peux côtoyer et par les nouveautés que cela me procure.

Chaque matin, en partant travailler, je me dis que je vais bien avoir quelque chose de nouveau à me mettre sous le crayon… Peut être un meurtre, une bagarre de fin de soirée, un scandale politique local, une cabale contre le restaurateur du village, un empoisonnement, qui sait ?

Étant titularisé depuis le mois passé, je me suis dis qu’il serait bon de trouver un autre lieu de vie, plus près du bureau. D’autant que je peux déménager sans souci, n’ayant pas de charge de famille et venant même de quitter ma copine, lasse de me voir rentrer tard, me faisant tant et tant de remontrances que j’ai choisi un beau soir.

Entre ses jérémiades quotidiennes et mon travail, ce sera mon métier la priorité ! Je lui demandais donc de quitter les lieux qu’elle avait investi quelques mois plus tôt…

Mufle d’accord, mais j’avais moins de scrupule car je savais qu’elle avait toujours son ancien appartement, un héritage de ses parents et un large échantillon de connaissances qui ne devait pas la laisser dans une longue solitude…

C’est sûrement ce qui déclencha mon envie de me rapprocher de Saint Paul.

Cette commune se situe à l’est d’une zone d’étangs nommée la Dombes. Ceux-ci sont très nombreux car on en compte près de mille. Ils ont été creusés par les moines dans des dépôts d’argile. Leur profil est déterminé par le type de pêche qui y est pratiqué. Ils permettent la pratique d’une pisciculture de carpes qui depuis le moyen âge alimente les lyonnais en poissons les jours maigres. On y élève également des carnassiers, brochets et sandres, dans de vastes étangs à friture. Et la célèbre gourmandise culinaire lyonnaise y prend sa source : la quenelle !

Lors de leur vidange environ tous les 5 ans, c’est l’occasion d’une pêche gigantesque au filet. Les pièces d’eau sont ensuite laissées à sec puis les années suivantes cultivées en céréales et particulièrement en maïs (la volaille de Bresse n’est pas loin !!).

Je questionne mes collègues sur le marché de l’immobilier de location dans le coin. Pour tout dire, ils n’ont comme réponse que de chercher en ville, à Bourg…

Ce n’est pas mon objectif. Je me vois déjà dans la campagne, une petite maison, un jardinet pour des fleurs et un jardin de curé, pouvant aller le week-end passer un moment au bord de l’eau à taquiner la friture. Depuis que je suis parti de la maison familiale située au bord de l’Anzon, je ne suis pas retourné à la pêche, et cela me manque beaucoup.

Un vendredi, en début d’après midi, dans un moment tranquille à la rédaction, je demande à mon rédacteur en chef s’il connaît un petit village calme, à proximité, où je pourrais dans un premier temps trouver une petite maison en location, pas loin d’un lieu de pêche…

Je dois dire que c’était mon jour de chance et que j’avais frappé à la bonne porte.

Il m’invite à m’asseoir face à lui et me dit qu’il va se renseigner sur ce que l’on pouvait trouver dans Saint André le Bouchoux, un village proche de Saint Paul. Il connaît particulièrement le maire du village, un de ses collègues de chasse et de bridge mensuel, monsieur De Bonnefoix.

« Êtes vous toujours partant pour venir vous installer dans le coin ? »

« Plus que jamais M’sieur Landreau ».

« Je pense vous trouver quelque chose qui va vous convenir. Ne bougez pas, je me renseigne de suite.».

Prenant son téléphone, il compose rapidement un numéro qu’il connaissait par cœur celui du standard de Bourg.

« Allo mademoiselle, bonjour. Pourriez-vous me passer le 10-21 à St André, pour le 17-12 à Saint Paul, c’est urgent. »

« Oui, merci j’attends. »

Et quelques courts instants plus tard, après que son combiné de bakélite noir se soit réveillé dans un vacarme de sonnerie stridente, il s’exclame d’un ton joyeux :

« Allo, Bonnefoix, ici c’est Landreau ! Comment vas-tu ? … Oui… Pas très chaud… Et si humide… Y en a marre de ce brouillard… Mais paraît qu’on va vers le chaud et le soleil. Et ta bergère ? ...Ah je suis content qu’elle aille mieux ».

« Dis moi, es-tu toujours prêt à louer ta maison des gardiens ?

« Oui j’ai ici un jeune et talentueux journaliste qui en ce moment habite vers Lyon et qui cherche une location dans le coin, au calme et pas trop loin de la rédaction ».

« Ah tu sais pas ? Tu verras avec lui. Tu veux quoi comme rendez vous ? Ce soir ? Je lui demande... »

Et devant mon accord d’un signe de tête, il ajoute :

« Pour lui c’est bon. Je lui indique le chemin et vous vous verrez vers 18 heures chez toi ».

« Dis moi avant de raccrocher, un de ces jours t’aurais un moment avec Marie Thérèse pour venir dîner à la maison ? Un brochet au beurre blanc vous tendrait les bras. J’ai ramené de ma dernière balade en mâconnais avec Madeleine, un petit Pouilly qui irait bien le bercer. D’accord, t’en parles à ta femme et tu me rappelles, pour nous c’est bon tous les soirs des prochains quinze jours sauf les samedis. Allez, salut Bonnefoix et que Dieu te garde... »

Je me redresse alors dans mon fauteuil, et le regard vrillé sur mon chef, j’attends qu’il m’en dise plus.

Il a pris langue avec son collègue de lycée, Bonnefoix. Il a quelque chose qu’il pourrait louer sous réserve d’y faire un peu de nettoyage avant d’emménager. Il s’agit d’une maison de gardien de sa propriété. Celle-ci a une entrée distincte de la sienne, possède à l’étage deux chambres et un grenier, alors qu’au rez de chaussée il y a une belle disposition : une grande pièce à vivre, cuisine salon salle à manger, une belle chambre donnant sur un jardinet privatif. Il y a l’eau courante. Les toilettes sont dans le jardin. En plus il y a une petite cave.

Il me donne les coordonnées du Bouchoux que je trouverais en arrivant dans ce village de Saint André le Bouchoux, à gauche de la route en face de l’école des garçons. Et puis il y a d’autres intérêts que mon chef ne manque pas de mettre en lumière : moins de 5 kilomètres de la rédaction, le calme et la présence d’étangs et d’une rivière, l’Irance qui rejoint plus loin La Veyle.

Et pour finir, mon chef m’indique ne pas savoir combien le propriétaire pourra louer sa bâtisse, ce sera à moi de voir.

Pour clore notre entretien il se laisse aller à la blague du jour :

« Quand vous aurez une compagne, si elle vous demande de déménager pour un logement plus cher, allez voir Bonnefoix et demandez-lui d’augmenter le loyer ça vous évitera un déménagement! coûteux!! Ah ! Ah!Ah ! ».

Ah que cet après midi fut longue. En face de mon bureau je vois cette horloge murale qui semble faire du surplace.

Et puis mon travail du jour n’a rien de folichon, ce qui accentue encore la lourdeur de l’après midi… Pensez-donc, j’ai mission de faire la nécrologie d’Ernest Fridolin Courtejoie, décédé hier à 101 ans, maire de Saint Paul durant 39 ans. Ancien notaire, ancien maire, ancien conseiller général, croix de guerre, légion d’honneur, président de la Boule varaquoise, président d’honneur de l’amicale des anciens combattants et tant d’autres choses qui vont m’occuper un moment, d’autant que je ne le connais pas du tout et même n’en avais pas entendu parlé !

Je dois ensuite faire la présentation de la fête des fleurs de Saint Didier sur Chalaronne qui se déroulera sous quinzaine.

Dans la foulée je dois rendre pour le soir même ma copie sur les dernières investigations des gendarmes de Saint Paul concernant l’histoire du vol au Prieuré de Vèze. Un vol peu ordinaire durant la messe de dimanche dernier : le vol des couronnes de fleurs déposées par le conseil municipal et l’amicale des anciens combattants sur la tombe du résistant fusillé il y a quelques années par les allemands en train de battre en retraite.

Je ne pense qu’à ma visite du soir !

L’œil rivé sur la pendule, personne n’aurait pu la voler, je vous le dis !

Avant de partir du journal, je passe un moment à nettoyer ma moto pour faire que les rares chromes intacts brillent un tant soit peu et que les roues soient débarrassées de la terre et de la boue ramassées durant mes trajets. Il faut épater ces gens de la terre, ces bouseux comme on disait quelques fois au journal.

Oui il faut en jeter ! Alors, tête haute, bien droit sur ce vieux machin crachant et fumant, je regarde cette belle nature m’entourant, le ciel tout bleu comme dans un tableau naïf.

Rapidement et tout guilleret j’arrive à Saint André. Sur ma droite je trouve les écoles, garçons puis filles. En face, sur la gauche de la route… surprise !!!

Une jolie maison de pierres couvertes de tuiles brunes. Au centre une belle porte en bois avec de chaque côté une fenêtre aux volets clos. Au premier étage deux volets clos également avec au milieu un œil de bœuf… À sa droite un portillon en fer donnant sur le jardin.

L’ensemble s’intègre dans un plus vaste domaine clos de grilles en fer forgé au milieu desquelles un magnifique large portail ouvre sur une allée. En ligne droite elle traverse un parc menant à une belle maison cossue, on peut même dire un château. Au portail, une plaque fixée aux barreaux indique : « Le Bouchoux »…

Mazette ! Belle propriété bourgeoise ! La blague de mon père sur les bourgeois me revient en tête :

« Un mendiant sonne à la porte d’un bourgeois en indiquant qu’il a perdu un œil. Sans attendre la maîtresse de maison lui répond : il n’est pas ici, au revoir ! ».

Large et belle bâtisse, arbres et massifs inondant de verdure et de couleurs tout le devant du château, des communs sur la gauche laissent voir des stalles avec des chevaux tête au dehors, impatients d’aller faire un tour dans le domaine… Ce sont de beaux pur-sang intrigués par la pétarade de mon engin arrivant devant le portail…

C’est donc ici la demeure de monsieur De Bonnefoix. C’est tout juste si j’ose entrer, tellement je me trouve intimidé. J’ai coupé mon moteur et je juge incongru de le remettre en marche de crainte de troubler cette quiétude et effrayer les chevaux. Je fais une entrée nettement moins glorieuse qu’espérée !

Poussant ma moto, j’entre à pied et traverse le parc. Arrivé au perron, je vois d’un coup à la fenêtre de droite un monsieur aux tempes grisonnantes qui m’observe… Il sourit…

Ayant mis ma moto sur quille, je monte les 3 marches du perron et tire sur le fil de la clochette qui annonce de son ton métallique à toute la maisonnée qu’un visiteur se présente à la porte principale. L’instant d’après l’homme aperçu derrière sa vitre m’ouvre la porte et me tend une main directe et solide :

« Comte Eudes De Bonnefoix. Je suis le châtelain du Bouchoux ».

« Euh... » tout impressionné avant de répondre… « Je suis l’envoyé de monsieur Landreau qui a pris contact avec vous ».

« Entrez jeune homme », dit-il en me priant du geste de la main de le suivre dans le hall.

Il se dirige vers le bureau où il était à mon arrivée et me propose de prendre place dans un des fauteuils. Quittant la pièce un instant en s’excusant, je l’entend appeler plusieurs fois.

« Marie Thérèse… Marie Thérèse… Voulez vous descendre mon amie pour accueillir le protégé à Landreau »…

Plus cela avance moins je suis à l’aise. Je passe de motocycliste pétaradant et timide à protégé du rédacteur en chef… Il prend place derrière son bureau.

Bel homme ma foi, cheveux gris marqués d’une belle raie, petite moustache sud-américaine, nœud papillon sur une chemise blanche, petit gilet brun sous une veste pied de poule, pantalon de velours, bottes de cavalier… La classe de la vieille aristocratie…

Prenant mon courage à deux mains, je tente d’excuser mon impolitesse.

« Monsieur le comte, je suis confus je ne savais pas quand je vous ai téléphoné. Vous avez me trouver bien malpoli derrière mes monsieur par ci ou monsieur par là... »

« C’est pas grave... ». Et il ajoute sobrement...

« Certains m’appellent monsieur le Maire, mais ce sont ceux qui sont dans l’opposition municipale, d’autres monsieur le directeur car ce sont ceux qui travaillent à mon usine des « Lames de l’Irance » située en bas du village près de la rivière. Enfin la grande majorité m’appelle monsieur le comte tout simplement ».

« Alors faites comme eux ! »

J’avoue que je suis estomaqué.

Ce « simplement » avec le « monsieur le comte » sonne curieusement. Un martellement de talons dans l’escalier de pierres coupe là ma réflexion annonçant une tornade entrant dans le bureau.

Il s’agit d’une femme de moyenne stature, manifestement gaillarde et tonique, la tête sous des bigoudis forts disgracieux enveloppés par une espèce de charlotte rose.

Elle fait beaucoup plus jeune que le comte et je lui donne à peine la quarantaine. C’est une femme élancée, avec une très belle silhouette ma foi… Ses yeux sont noirs et inquisiteurs. C’est le genre de femme qui vous déstabilise rien qu’au regard… Chaussée de mules en poils de lapin, de couleur assortie à son peignoir bien échancré, en molleton rose avec des fleurs jaunes, la bouche étonnamment marquée d’un rouge à lèvre aussi rose qu’un rouge à lèvre rose peut être rose !

Ouah… Je n’irai pas jusqu’à dire que l’emballage vaut le contenu, loin de là ! Comment dire ? Ma première réflexion est qu’elle « déménage » la comtesse !

« Bonjour jeune homme ». dit-elle en entrée en matière en me scrutant de la tête aux pieds, dans un examen que je trouve désagréable au possible….

« Excusez ma tenue mais je n’ai pas une minute à perdre. Nous sommes invités à dîner à l’évêché alors il faut faire vite ».

« D’abord comment vous appelez vous ? Quel est votre âge ? Êtes vous marié ? Avez vous une petite amie ? Avez vous des enfants ? Êtes vous sportif ?» et quand enfin elle arrête sa mitraillette, je peux commencer mes réponses.

« Euh… Geo Montreuil, 27 ans, né à... ».

« C’est bon jeune homme, cela suffit, voyez le reste avec monsieur le comte ».

« Et vous mon ami je vous rappelle que nous partons dans quelques minutes. »

Et hop, la tornade a disparu dans une envolée de rose…

Le maître des lieux tranquillement continue la discussion comme si de rien était… On voit qu’il a l’habitude de la tonicité de sa femme et qu’il n’en fait plus de cas.

Il me propose la visite.

Sortis par le grand portail, nous nous retrouvons devant la maison en location. Tout de suite un couloir avec en face une autre porte qui doit donner sur le jardin. Mon hypothèse est vérifiée de suite avec un petit tour de cet endroit demandant fleurs et aromatiques.

Ensuite, je vais voir les commodités accolées à un petit appentis dans lequel vieillissent des bûches.

À Caluire, j’avais les toilettes et la salle d’eau communes avec les autres locataires de l’étage. Ici je pourrais avoir la salle d’eau dans la cuisine et les toilettes dans le jardin sans les partager avec des voisins plus ou moins propres.

Dans la maison, il y a quelques meubles venant des grands parents du comte. Il accepte de me louer la chose avec une partie du mobilier si j’ai besoin. On visite les chambres dans lesquelles s’imposent des lits, une armoire massive avec une glace sur la porte centrale, deux tables de chevets, deux chaises en paille et un guéridon. Dans la grande salle à vivre, une belle cheminée attire le regard, avec ses chenets anciens noircis du travail accompli durant de nombreuses années. Près d’un grand évier, une cuisinière à bois offre un espace cuisine avec four et réserve d’eau chaude.

Au centre de la pièce trône une table de ferme avec bancs et deux belles chaises en paille. Le mobilier est complété d’un grand vaisselier montant presque jusqu’au plafond, d’un coffre pouvant offrir un rangement de torchons par exemple, d’un guéridon d’angle portant un vieux nécessaire à toilette en faïence avec le petit broc et la bassine. Dans l’angle opposé un grand fauteuil Voltaire tend ses bras.

Du plafond tombe un gros lustre avec 5 ampoules ce qui donne une lumière extraordinaire dans la pièce…

J’avoue de suite être intéressé, mais qu’il me faut un temps de réflexion.

Le comte me demande alors à combien se monte mon loyer actuel, à cette époque où le journal vaut 10 centimes de francs et le salaire horaire du manœuvre de l’ordre de 1,60 francs pour 48 heures par semaine.

« Je paie mon loyer charges comprises 87 francs.».

Le comte se met à réfléchir, se tenant le menton dans la main.

« Bon, à la fois pour faire plaisir à mon ami Landreau qui a l’air de vous avoir à la bonne, et parce que vous m’êtes sympathique, je vous fais la proposition suivante : loyer électricité et eau comprise avec une dotation d’un stère de bois pour 90 francs mensuels. Si vous avez besoin de plus, je pourrais vous en fournir contre une petite rétribution. Vous aurez toutefois à nettoyer et rafraîchir la maison. Je demanderais à Soulard mon fermier de vous aider pour cela et à faire votre déménagement avec son tracteur et sa remorque ».

« Comme base est-ce que ça vous va ? De la même manière vous me direz quels meubles vous souhaitez conserver et on demandera à Soulard d’enlever les autres. On les mettra dans l’orangerie qui est derrière le château. Il vous apportera déjà un stère de bois qu’il déposera dans le jardin et je lui demanderais de mettre une porte à l’appentis pour que le bois et votre moto soient à l’abri de la pluie.»

Je n’ai pas pu répondre à chacune de ses questions ni me positionner sur ses propositions tant il enchaîne sans arrêt. Même pas le temps de me retourner que déjà il passe à une autre idée, toutes ne demandant de ma part qu’un simple acquiescement…

« Et si ça vous convient le loyer sera payé le 5 du mois. Je vous propose d’emménager le 1er du mois prochain. D’ici là vous avez largement le temps de faire les nettoyages et travaux. Qu’en dites vous ? »…