Le littoral de la France - Valentine Vattier d'Ambroyse - E-Book

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Valentine Vattier d'Ambroyse

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Beschreibung

Nul pays, en Europe, n'est, au même degré que la France, favorisé par sa situation maritime.
De la frontière belge à la frontière espagnole; des Pyrénées-Orientales à la frontière italienne, deux merveilleuses lignes côtières se développent, offrant à nos navires de faciles communications avec le monde entier.
Cinq grands ports militaires, des ports marchands de premier ordre, enfin, nombre de petites stations donnant lieu à un sérieux mouvement commercial, prouvent bien qu'il suffirait à la France de vouloir, pour tenir promptement, sûrement le premier rang dans la marine européenne.

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LE LITTORAL DE LA FRANCE

COTES NORMANDES

LE LITTORAL DE LA FRANCE

COTES NORMANDES

DE DUNKERQUE AU MONT SAINT-MICHEL

COTES BRETONNES

DU MONT SAINT-MICHEL A LORIENT

COTES VENDÉENNES

DE LORIENT A LA ROCHELLE

COTES GASCONNES

DE LA ROCHELLE A HENDAYE

COTES LANGUEDOCIENNES

DU CAP CERBÈRE A MARSEILLE

COTES PROVENÇALES

DE MARSEILLE A LA FRONTIÈRE D'ITALIE

LE

LITTORAL DE LA FRANCE

COTES NORMANDES

DE DUNKERQUE AU MONT SAINT-MICHEL

CINQUIÈME ÉDITION

PAR

V. VATTIER D'AMBROYSE

OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

OUVRAGE COURONNÉ DEUX FOIS PAR L'ACADÉMIE FRANÇAISE

(Prix Montyon et Marcelin Guérin) HONORÉ D'UNE MÉDAILLE D'HONNEUR DE PREMIÈRE CLASSE (Société libre d'Instruction et d'Éducation.) ET D'UNE MÉDAILLE D'ARGENT Yacht-Club de France.

© 2021 Librorium Editions ISBN : 9782383831877

A NOS JEUNES MARINS ET AUX AMIS DE LA FRANCE

A LA FRANCE.... A MON PÈRE....

INTRODUCTION

Nul pays, en Europe, n'est, au même degré que la France, favorisé par sa situation maritime.

De la frontière belge à la frontière espagnole; des Pyrénées-Orientales à la frontière italienne, deux merveilleuses lignes côtières se développent, offrant à nos navires de faciles communications avec le monde entier.

Cinq grands ports militaires, des ports marchands de premier ordre, enfin, nombre de petites stations donnant lieu à un sérieux mouvement commercial, prouvent bien qu'il suffirait à la France de vouloir, pour tenir promptement, sûrement le premier rang dans la marine européenne.

Nous n'avons pas à rechercher les causes qui ont empêché notre pays de conquérir ce rang: l'étude en serait profondément douloureuse. Laissons à l'étranger le puéril plaisir de dénigrer nos richesses convoitées: nous avons mieux à faire. Nous devons les mettre au jour, ces richesses, notre devoir strict étant de n'en pas négliger une seule.

Voilà pourquoi l'idée d'un travail exclusivement borné à la description pittoresque, historique, utilitaire de nos rivages et de nos villes maritimes ne nous a pas fait reculer... Car, si modeste qu'il puisse être, nous espérons qu'on y retrouvera le souvenir de plus d'une noble action oubliée, qu'on y reconnaîtra, tout au moins, le désir de contribuer à faire davantage aimer notre patrie.

Il nous a paru nécessaire d'ordonner rigoureusement notre étude: la route géographique naturelle nous en fournissait le moyen. Nous sommes donc parti de la limite nord, pour nous arrêter, successivement, aux lieux remarquables, soit par leur importance commerciale, soit par la beauté de leur position. Nous ne terminerons, en réalité, notre travail qu'après avoir visité en entier le LITTORAL DE LA FRANCE.

Ainsi s'expliquera le titre choisi.

Ce premier volume prend fin au Mont Saint-Michel, le superbe joyau légué par le moyen-âge.

La grande presqu'île bretonne et la Vendée nous fourniront un second volume.

Puis les autres rivages de l'Atlantique et ceux de la Méditerranée deviendront le complément de notre tâche.

Mais nous avons tort d'employer le mot «tâche». Il comporte presque toujours une idée de labeur accepté à regret, tandis que notre joie de nous mettre à l'œuvre a été grande.

Parler de la France! nul sujet n'est mieux fait pour intéresser, pour fortifier une âme française. Ce que nos annales nous apprennent avoir été accompli, nous pouvons l'accomplir encore et donner à nos travaux futurs une grandeur, un caractère de stabilité que les incessants progrès de la science permettront certainement d'atteindre.

De notre célérité dépend le succès.

Il est juste, toutefois, de constater ce que l'on a fait depuis quelques années, ce que l'on se propose de continuer dans l'avenir.

En première ligne vient l'amélioration des ports qui, au point de vue de la situation stratégique, du développement des transactions ou de la facilité d'y créer des refuges, appelaient une sollicitude immédiate. Le réseau des chemins de fer côtiers reliera, entre elles, les stations jusqu'à présent trop éloignées d'un centre pouvant stimuler leur activité.

Toutefois, plus d'une critique s'est élevée. La principale, celle qui, en apparence, procède de la raison, de la vérité, fait un tableau assez sombre de nos ressources et, au nom d'une sage prévoyance, demande l'ajournement des travaux commencés.

Il suffit pourtant, ce nous semble, d'avoir pris soin de suivre la marche toujours ascendante du commerce de nos voisins et concurrents pour souhaiter, non l'arrêt, mais l'extension de travaux dont la nécessité se démontre d'elle-même.

Et n'est-ce pas le cas de se rappeler qu'un bon vieux proverbe fait cette remarque, naïve à force de sens commun:

«Qui ne hasarde rien, n'a rien!»

Seulement, ici, le hasard se réduit à peu de chose. Oui, à peu de chose. Une nation qui sut trouver avec tant de facilité la pesante rançon de la guerre, ne reculera pas devant la rançon de la paix.

L'argent demandé n'est point destiné à se stériliser entre nos mains. Tout au contraire, il doit créer une émulation féconde, mettre en œuvre des forces vives qui ne réclament rien que la possibilité de concourir à la prospérité du pays.

La philosophie du présent ne se dégage-t-elle point, lumineuse, de la philosophie du passé?

Longtemps notre génie maritime s'est brillamment affirmé. Que faisait la mère patrie pour les hardis navigateurs portant dans le monde entier la renommée de la France? Pour les colons dévoués dont le travail obstiné cherchait à maintenir le prestige du nom français?

L'histoire répond en ouvrant des pages cruelles.

Mais, si les erreurs d'autrefois furent la conséquence forcée d'une situation territoriale enviée, le temps est passé où de pareilles fautes puissent être renouvelées.

Aussi, rien ne nous surprend-il plus que d'entendre des Français dénier à leur pays les qualités et les ressources qui sont sa véritable force, qui lui ont permis de subir, sans tomber pour jamais écrasé, tant d'effroyables vicissitudes.

Rendons-nous un compte sérieux de la situation de nos ports marchands, grands et petits, nous verrons ce qu'ils sont appelés à devenir, si nous le voulons.

Les obstacles se sont vainement multipliés, une robuste vitalité les tient en échec. Qu'elle soit encouragée, aussitôt un splendide épanouissement suivra.

Nous ne pensons pas être aveuglé par l'optimisme, en croyant que nous ne manquons d'aucun élément de succès.

Nos marins sont braves, expérimentés; nos explorateurs font preuve d'une énergie d'autant plus remarquable que leurs ressources sont loin d'être à la hauteur de leurs entreprises.

Nous n'ajouterons pas que la protection dont ils sont couverts gagnerait à se montrer moins timide.

Cependant, notre influence est réelle, et, là où nous n'avons à combattre que l'ignorance, nous triomphons constamment.

Jamais, quoique l'allégation contraire soit devenue monnaie courante, même en France, jamais peuple a-t-il laissé trace aussi profonde que celle, bien distincte encore, de notre occupation dans des colonies perdues?

Partout nous sommes bien accueillis. Notre caractère national se plie avec une facilité remarquable à toutes les situations. Et ce que nous faisons, quand des raisons politiques ne viennent pas se jeter à la traverse, prend un caractère de simplicité forte, de bonhomie, de loyauté bien propre à nous concilier les populations qu'il s'agit de disposer en notre faveur.

Les pionniers français ne s'avancent point suivis d'un train grandiose. Ils arrivent, néanmoins, à leur but. Si un catalogue absolument véridique des découvertes et des colonisations était dressé, la surprise serait immense de voir, presque à chaque ligne, briller un nom français....

Malheureusement, nous nous sommes toujours laissés éblouir par le prestige militaire. Combien se souviennent avec admiration de la riche pléiade de nos généraux, qui ignorent la gloire dont nous sommes redevables aux Prégent, aux d'Harcourt, aux Paul, aux d'Estrées, aux La Bourdonnais, aux Suffren, aux d'Estaing, aux Château-Renault, aux Valbelle.... A peine bégayent-ils les noms du grand Duquesne, de Tourville, de Jean Bart, de Duguay-Trouin.

A peine soupçonnent-ils cette autre gloire, faite toute de dévouement à la Patrie, à la science, qui entoure les noms de Jacques Cartier, le grand Malouin; de Bougainville, le spirituel gentilhomme, le marin énergique; de La Pérouse, assassiné sur un écueil océanien, après des succès chèrement achetés; de D'Entrecasteaux, qui porta si fièrement le pavillon français sur tant de rivages nouveaux ou mal connus; de Dumont-d'Urville, un de nos navigateurs les plus illustres, mais dont les merveilleux travaux doivent, surtout, à la cruelle catastrophe du 8 mai 1842 leur popularité!

Cependant pourquoi continuer une telle énumération, quand il est une autre classe d'hommes dévoués, plus oubliés encore.

Rarement nos voyageurs peuvent espérer voir leurs efforts récompensés, nous ne disons pas même par de l'argent ou des distinctions, mais seulement par une attention légitime, un désir vrai de profiter de jalons souvent placés au prix des plus héroïques sacrifices.

Nous ne citerons pas de noms: ces souvenirs sont trop tristes.

Il nous suffira de copier des lignes éloquentes empruntées à un écrivain illustre[1].

[1]La France dans ses Colonies, discours lu à la séance trimestrielle de l'Institut, le 8 janvier 1873, par M. Xavier Marmier, de l'Académie Française.

«Nous ne pouvons trop honorer ceux qui ont porté si loin et défendu si vaillamment notre drapeau. Ce n'est pourtant point par ses ardentes batailles et ses nombreuses victoires que la France a acquis une place si distincte dans l'histoire des colonisations, c'est par son esprit de justice et de mansuétude, par ses facultés d'attraction et d'assimilation.

«Elle n'a point fait de cruelles ordonnances pour obtenir la plus abondante récolte de la terre conquise; elle n'a point, pour apaiser sa soif d'or, torturé d'innocentes peuplades vaincues. Elle n'a point écrasé, ou refoulé dans de sombres régions, des millions d'honnêtes familles pour n'avoir plus à leur disputer une parcelle de leurs domaines héréditaires.

«Ah! si en pensant à tout ce que nous avons possédé et à tout ce que nous avons perdu, il ne nous est pas possible de lire sans regrets la chronique de nos colonies, nous pouvons, du moins, la lire sans remords.

«Nulle de nos souverainetés n'a fait gémir l'âme d'un Las Casas: nulle de nos coutumes n'a suscité un désir insatiable de vengeance dans le cœur d'un Montbars, et nul de nos gouverneurs n'a, par ses rapacités, enflammé la foudroyante éloquence d'un Burke et d'un Sheridan.»

Nous ne persévérerons pas dans notre déplorable indifférence. Le moment est venu où la moindre des forces vives du pays doit être mise en œuvre.

La prépondérance que nos derniers revers nous ont arrachée, il nous est facile de la reconquérir avec nos seules ressources.

La France, avons-nous déjà dit ailleurs, n'est-elle pas une contrée exceptionnellement favorisée?

Le génie de ses enfants l'a portée bien haut dans toutes les branches de l'intelligence humaine, et le travail, appliqué à son sol, a toujours promptement réparé ses désastres.

Quel autre pays peut se vanter d'une situation maritime plus favorable, d'un air plus salubre, d'un climat plus tempéré, d'un territoire plus facile à toutes les cultures? Au nord, à l'ouest, au midi, elle a des ports commodes. Elle a des fleuves fournissant, à l'intérieur, des routes naturelles qui conduisent dans toutes les directions. Si imparfaitement cultivée qu'elle soit encore, la terre y produit, selon les régions, du vin, du cidre, de la bière, du blé excellent, dont on pourrait augmenter le rendement en aménageant de vastes espaces délaissés; elle donne de la viande savoureuse, des fruits délicieux, des légumes en quantités innombrables.

Elle possède de superbes races de chevaux, d'excellentes et belles races de bétail. Il lui reste d'assez vastes forêts; les mines de toute sorte ne lui manquent pas. Le lin et le chanvre y peuvent, toujours, prospérer. Ses nombreux troupeaux de moutons lui fournissent une laine soyeuse....

Supposons un instant que, par suite d'une cause soudaine, la France ne puisse communiquer avec aucun autre pays... Périrait-elle pour cela? Non, elle peut se suffire à elle-même.

En parlant ainsi, nous ne nous laissons pas emporter par un enthousiasme aveugle. Les relations commerciales entre peuples sont le grand moyen de civilisation et de progrès. Un pays qui s'isolerait complètement ne saurait longtemps, sans dommage, vivre ainsi.

Nous avons simplement voulu exprimer, par la plus nette des images, les richesses enfouies dans le sol de notre patrie ou disséminées à sa surface. C'est un trésor caché aux yeux indifférents, une source inépuisable de biens pour qui veut les mettre en œuvre.

Dire: mettre en œuvre, suppose, nécessairement, la création d'un grand courant d'échanges. Qu'importerait l'augmentation du chiffre des produits reçus de l'étranger, si le total des marchandises expédiées par nos ports s'accroissait dans la même proportion?

Phénomène étonnant, nous sommes victimes, nous que l'on accuse si volontiers d'outrecuidance, du défaut de confiance en nous.

Il est temps, cependant, de rejeter bien loin cette timidité. Les esprits clairvoyants jugent et comparent.

Plusieurs des sources de nos revenus sont en train de se tarir, si nous n'y avisons.

Surexcités par la nécessité et, aussi, par le désir bien naturel de se soustraire à un lourd tribut, quelques pays ont fait faire à leur commerce, à leur industrie des progrès considérables. Sur le terrain de l'art, enfin, nous les retrouvons assez forts pour que nous devions, désormais, compter avec eux.

Tout cela serait alarmant, si nous poussions l'aveuglement jusqu'à nous croire à l'abri d'une dépossession complète. Il n'en est pas ainsi. Quoique faible encore, un courant s'établit dans l'opinion publique, des essais d'intelligente initiative se produisent. Nous avons l'espoir que les résultats obtenus seront de nature à encourager beaucoup d'essais semblables.

Nous n'en voulons citer que deux exemples, mais ils se rattachent d'une manière étroite à notre sujet, et prouvent que nos grandes administrations commencent à moins se préoccuper, heureusement! des bornes où elles se confinaient.

On sait quelles proportions, chaque jour croissantes, prennent les relations entre l'Europe centrale et les villes de l'Amérique du Nord, New-York principalement.

Pour attirer à notre profit fret et voyageurs, nous avons un port excellent, tant par sa situation que par les faciles communications à l'aide desquelles il rayonne sur l'Europe entière: c'est le Havre.

Néanmoins, Hambourg et Anvers lui font une concurrence acharnée, et il a besoin de plusieurs années avant que les travaux décidés en sa faveur puissent être achevés. Fallait-il donc laisser, chaque jour, s'amoindrir un important trafic! Une route négligée ne tarde guère à devenir une route abandonnée.

La Compagnie Transatlantique et la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest ont vu le danger. Résolument, elles y ont paré. Une entente commune a amené la création d'un train spécial rapide qui conduit, sans transbordement, les voyageurs de la gare Saint-Lazare au Havre, sous la tente d'accès des paquebots, deux heures avant le départ du navire en charge.

L'innovation est appréciée par tous ceux (le nombre en est grand) qu'une traversée prolongée et houleuse effraye. Sous ce dernier rapport, la réputation de la mer du Nord est faite. Les passagers qui l'ont franchie en peuvent témoigner.

Après l'intérêt des voyageurs, vient celui des marchandises, dont les risques à courir se trouvent amoindris. L'initiative sera donc certainement féconde.

Le second exemple nous est fourni par l'installation d'un service direct entre Marseille, l'Australie et la Nouvelle-Calédonie: la Compagnie de Lyon-Méditerranée y a beaucoup contribué.

Nous ne serons plus tributaires de la Grande-Bretagne pour l'importation des produits australiens, et l'itinéraire choisi amènera une favorable reprise de nos relations commerciales, non seulement avec la grande île océanienne, mais avec nos colonies de la mer des Indes.

C'est, peut-être, le signal du réveil sérieux de la sollicitude du pays pour ses laborieux marins qui, avec joie, mettront dans la balance l'enjeu de leur courage, de leur active volonté.

On ne demande, parmi nos populations côtières, qu'à se souvenir des travaux des ancêtres et, avec peu, on obtiendra beaucoup d'elles.

Les vieilles traditions sont loin d'être éteintes. Chaque fois que l'on entend le récit d'un voyage audacieux ou d'un empiètement sur nos droits, à propos de possessions incontestablement françaises, une légitime fierté évoque les fastes du passé.

Nous ne sommes plus au temps où Ango, simple armateur dieppois, traitait d'égal à égal avec un puissant souverain; mais le moment est venu où nous ne devons plus souffrir les dénis de justice, où nous devons soutenir nos droits, où nous devons, en un mot, assurer à notre marine marchande une large place dans le commerce du monde entier.

N'est-ce pas une chose attristante, quand les tables de statistique maritime mettent en regard la nomenclature des navires des différentes nations? On aurait peine à croire, si les chiffres ne parlaient trop haut, que la France occupe un rang à ce point modeste, et, si l'on jugeait uniquement par eux, il faudrait oublier notre situation continentale, de même que le nombre de nos ports. Il faudrait, surtout, oublier que nos marins comptent parmi les meilleurs et que les avantages pécuniaires, faible compensation d'un rude service, sont, en beaucoup de cas, inférieurs à ceux de l'armée de terre.

Chez plusieurs de nos voisins, nous trouverions une manière d'agir différente. Par tous les moyens possibles, on y encourage le développement de la marine militaire et marchande. Le pays entier suit d'un œil empressé les progrès réalisés, s'inquiète de trouver de nouveaux débouchés, organise des campagnes en faveur de possessions coloniales, acquises ou à acquérir.

Aussi la prospérité de ces peuples suit-elle une marche ascendante. La vive impulsion reçue par toutes les branches de leur industrie fait découvrir des richesses nouvelles, en ce sens qu'elle force le génie national à user de ressources jusqu'alors négligées.

Nous lisions, il y a peu de temps, une étude sur la marine allemande. Elle se terminait par une parole patriotique de l'auteur, suppliant la France de prendre garde aux surprises de l'avenir.

L'avertissement n'est pas, croyons-nous, prématuré, car, aujourd'hui, la marine allemande, protégée par le commun accord des provinces formant l'empire germanique, s'est affranchie des liens qui la constituaient vassale du travail franco-anglais.

Désormais, un navire allemand ne doit rien de son existence qu'à l'Allemagne. Le plus mince cordage, tout comme la machine la plus compliquée, la plus délicate, sortent des ateliers tudesques.

Reste à utiliser ce déploiement d'incessante activité. On y arrivera, sans nul doute, et ce n'est pas nous qui regretterons cette prospérité nouvelle, si notre patrie a eu la prudence de ne point se laisser devancer.

Le monde offre encore assez de vastes espaces où les pavillons des nations civilisées peuvent flotter côte à côte, non-seulement sans se nuire, mais avec un profit mutuel....

En attendant ce jour, ne perdons pas un instant. La question, pour nous, ne se réduit point à une perte ou à un gain plus ou moins sensible: c'est, vraiment, notre existence industrielle et commerciale qui se trouve en jeu.

Beaucoup d'esprits pessimistes signalent avec persistance les obstacles naturels défendant l'approche ou entravant l'amélioration de nos ports; mais la France n'est pas, que nous sachions, dans un état inférieur à la situation qui favorisa, autrefois, Dieppe et Saint-Malo, par exemple.

Les conditions économiques ont changé, voilà tout. Il s'agit de tenir compte exact des nécessités du présent, puis de reporter une sollicitude attentive sur ceux des points que l'expérience montre comme étant appelés à un avenir assuré.

En dehors des catastrophes soudaines, impossibles à prévoir, il n'est plus guère d'obstacles dont la science n'arrive à triompher, et ceux que l'on ne saurait vaincre, on les tourne.

Prudence, quant à l'emploi des ressources.

Ténacité, quant à la conduite des travaux.

Hardiesse, quant à la campagne soutenue contre la routine.

Avec ces trois éléments, la victoire nous est assurée.

Notre conviction a puisé une force extrême dans chaque halte que nous venons de faire sur les rivages du nord-ouest.

Depuis les Dunes, cachant l'industrieux pays flamand; depuis les bancs de sable, cherchant à gagner les plaines du Boulonnais et de l'Artois; depuis les falaises crayeuses, dissimulant les belles campagnes cauchoises; depuis les plages, continuation maintenant féconde des admirables champs du Calvados; partout, de même qu'aux rochers granitiques défendant l'accès du Cotentin, l'élan reçu pourrait prendre d'incalculables proportions.... Seulement..., seulement, il ne nous est pas permis d'entrer plus avant au cœur de la question.

Nous n'avons eu d'autre prétention que d'offrir un tableau succinct de nos rivages. La matière du travail ne nous a pas manqué. En parcourant les chroniques de chaque cité visitée, nous sommes resté sous l'impression d'une pensée consolante: la facilité de relèvement dont est douée notre nation.

Sans remonter à plus de deux siècles dans le passé, on pourrait presque se demander comment, du milieu de tant de ruines accumulées, un seul de nos ports marchands subsiste encore; comment, du moins, son commerce a pu prendre un essor rapide.

Certes, l'oubli complet des maux subis n'est pas venu, mais, au découragement d'un instant, a vite succédé la foi en l'avenir.

Que cette foi rencontre un généreux appui et la France, dont les malheurs ont étonné le monde, l'étonnera de nouveau par sa vitalité.

Nous répétons ici, sous une autre forme, les paroles entendues au cours de notre voyage.

A Dunkerque, à Calais, à Boulogne, à Saint-Valery, à Dieppe, au Havre, à Caen, à Cherbourg, à Granville, ainsi que dans les nombreux petits ports, plus d'une plainte très vive se fait entendre. Les pêcheurs, particulièrement, réclament, à bon droit, une aide sérieuse, mais l'intérêt du pays prime, en général, toutes les préoccupations.

Si jamais l'amour de la patrie pouvait s'éteindre dans la majorité des cœurs français, on le retrouverait chez nos marins.

Moins favorisés que nos soldats, ils ont fait preuve, au même degré, d'un dévouement admirable.

Soumis à une existence beaucoup plus pénible, tous les sacrifices les trouvent prêts et ils se rattachent avec ardeur à l'espoir qu'un rôle important leur est réservé.

Nous, aussi, nous l'espérons. Merveilleux instrument de progrès, la marine est loin d'avoir dit son dernier mot. Pour une large, très large part, elle s'associera à notre grandeur future. Déjà, plus qu'on ne le croit, elle entre dans les spéculations de la science.

Plusieurs des missions astronomiques ont été ou seront confiées à des officiers de notre marine militaire. L'Observatoire de Paris est dirigé par M. l'amiral Mouchez. Il semble, d'ailleurs, que ces fonctions conviennent particulièrement à des hommes familiarisés avec l'étude des phénomènes célestes.

On sait, encore, quels précieux résultats donnent les voyages de circumnavigation, et nous venons d'admirer la prodigieuse moisson de faits surprenants dus aux expéditions des avisos le Travailleur et le Talisman.

Les savants qui montaient ces navires portaient des noms illustres, mais le concours empressé des officiers a aidé dans une large mesure au succès.

Nous entendions un jour formuler, par un capitaine de marine marchande, ce regret mélancolique:

—Pourquoi ne sommes-nous pas plus nombreux! Ah! je passe de mauvaises heures lorsque, dans des ports dont le trafic viendrait si volontiers à nous, je me trouve seul ou avec un, deux autres capitaines français au plus, contre dix fois ce même nombre de concurrents anglais. Mes regrets augmentent encore lorsque je vois, en la possession de compagnies étrangères, des lignes de transit productives aboutissant à des ports français. Et ils ne diminuent pas, lorsque mon trois-mâts croise la route de tant de superbes paquebots naviguant sous pavillon anglais.... Nous ne sommes pas dégénérés, cependant. Nous valons bien nos rivaux. Trouvez des marins plus solides que les nôtres, de meilleurs navires...

Le capitaine terminait par des considérations qui, clairement, selon lui, prouvaient la possibilité, pour notre pays, de regagner le temps perdu.

Nous partageons sa conviction: l'avenir dira qu'elle est fondée.

En terminant ce livre, en nous souvenant des joies intimes qu'il nous a données, nous ressentons une crainte: celle de n'avoir peut-être pas entièrement réussi à prouver notre amour pour la France.

Pays de générosité souvent exaltée, où l'esprit s'allie au cœur, où le dévouement prend sans peine une forme héroïque, où l'art se fait aimable et la science accessible, où le travail n'est jamais oublié, notre patrie ne peut déchoir du rang que les siècles lui ont assigné, même aux jours terribles de son existence.

Grande et noble entre toutes, elle nous apparaît d'autant plus sacrée que son cœur a été plus violemment frappé.

Cependant les tourmentes s'apaisent, les chutes peuvent être l'occasion d'un relèvement éclatant, et les victoires perdues devenir la leçon salutaire qui prépare l'avenir heureux.

C'était le vœu de celui dont le nom placé en tête de ces pages ravive nos meilleurs souvenirs.

Il nous apprit à aimer la France. Il eût encouragé notre travail....

Puissent ses leçons nous avoir bien guidé....

Mais il est temps de laisser la parole aux faits eux-mêmes. Leur éloquence sera puissante, si nous avons su conserver la simplicité qui les distingue.

La vérité ne réclame aucun ornement, encore faut-il, néanmoins, la présenter vive, claire, frappante....

Notre désir d'y parvenir a été grand!

Salut au drapeau.
DUNKERQUE

[Pg xiv][Pg 1]

LE

LITTORAL DE LA FRANCE

PREMIÈRE PARTIE

DE DUNKERQUE AU MONT SAINT-MICHEL

CHAPITRE I

LA MER DU NORD.—SES RIVAGES.—DUNKERQUE

C'est, seulement, sur une étendue d'environ quatre-vingt-dix kilomètres que la mer du Nord baigne les rivages français; mais bien grande est l'importance d'une semblable route vers les contrées septentrionales de l'Europe.

Aussi, pendant plusieurs siècles, nous a-t-elle été disputée avec acharnement, et, même après qu'un contrat nous eut livré son principal port, les entraves de tout genre furent multipliées pour anéantir les avantages que nous en devions recueillir.

Aujourd'hui, ces vicissitudes sont oubliées: nous pouvons travailler à améliorer nos stations navales.

Ici, néanmoins, nous avons affaire à un ennemi redoutable, car l'extrémité nord de l'ancienne Flandre et de l'Ardrésis participe, pour la nature de son sol, de la constitution géologique de la Hollande et de la Belgique. Sa côte, de même que les côtes de ces deux royaumes, a été, en partie, conquise sur les eaux marines. Depuis plus de douze cents ans, l'industrie et la ténacité des Flamands luttent contre cette force irrésistible appelée la mer, et, d'un golfe aux émanations malfaisantes, de vases, de sables mouvants ont réussi à créer des campagnes renommées pour leur fertilité.

L'aspect du rivage ne le laisserait pas soupçonner. Soumis à l'action incessante des flots, il se recouvre de tertres, de monticules sablonneux, appelés Dunes, variant de deux mètres jusqu'à cinquante mètres de hauteur. La chaîne se continue ainsi, à peu près sans interruption, depuis Dunkerque jusqu'à l'ouest de Calais.

La lutte est continuelle entre le travail de l'homme et l'action destructive du fléau qui a comblé plusieurs ports jadis florissants.

En effet, les Dunes sont voyageuses. Formées de sable très fin, très léger, elles subissent sans peine la double influence du vent et de la mer. Si l'on ne s'opposait par tous les moyens à leurs envahissements, le pays riverain ne tarderait guère à reprendre sa constitution d'estuaire saumâtre.

Ce phénomène explique l'anéantissement successif des ports secondaires. Il y avait nécessité absolue à concentrer sur les points les plus avantageux les efforts et les énormes dépenses réclamés par la configuration de la côte.

Les Dunes.
L'ENTRÉE DU PORT DE DUNKERQUE Vue de la RadeRéduite de la Collection des Ports de France dessinés pour le Roi en 1776.Par le Sr Ozanne Ingénieur de la Marine Pensionnaire de Sa Majesté.

[Pg 4][Pg 5]

Dunkerque fut, avec raison, choisie. C'est la sentinelle établie vers l'extrême nord non seulement de notre pays, mais de l'Europe, puisque la mer sur laquelle ouvre son port conduit aux côtes occidentales de la Norvège, aux côtes orientales de l'Angleterre, de l'Écosse, à l'océan Glacial....

Enfin, qu'elle est le chemin permettant aux navires de pénétrer dans la Baltique.

Une telle position était trop précieuse pour qu'on la négligeât, et Dunkerque figure au premier rang sur les projets de travaux destinés à rendre nos ports véritablement dignes d'un grand pays.

Ainsi que beaucoup d'autres villes, la vieille cité flamande prit naissance autour d'une église.

Baudouin le Jeune, comte de Flandre, trouva avantageuse, pour la défense de sa principauté, la situation d'une modeste petite chapelle, bâtie par saint Éloi, au milieu des tertres sablonneux du rivage, d'où, selon l'opinion commune, le nom de la ville: Duin-Kerken, église des Dunes.

Attirés par le comte, des travailleurs affluèrent et, bientôt, un centre d'agglomération fut fondé. On était alors vers la fin du dixième siècle (960).

Mais il ne suffisait pas de désirer prendre possession du sol, on devait, avant tout, le rendre habitable. Or, jusqu'au dixième siècle, les empiétements des flots donnaient, disent les plus sûrs géographes, facilité aux navires marchands de pénétrer dans la ville de Saint-Omer, par la voie du petit fleuve l'Aa.

De distance en distance se dressaient, sur l'immense étendue marécageuse, des îlots et des promontoires reliés, çà et là, par des cordons sablonneux.

Ce que les forces naturelles avaient commencé, l'énergie des Flamands le continua. Peu à peu, les endiguements augmentèrent et des campagnes, situées en contre-bas des marées, furent conquises à l'agriculture. On perfectionna l'œuvre gigantesque en ménageant des canaux destinés à drainer ces terrains spongieux. Tout un admirable système hydrographique se trouva ainsi créé. Selon l'état des lieux, des rigoles d'assèchement portent le trop-plein des eaux à des fossés plus profonds qui, eux-mêmes, le déversent dans des canaux aboutissant à la mer. Ces canaux sont préservés de l'irruption des flots par des écluses s'ouvrant à l'heure du reflux, et se fermant aussitôt que la marée commence à monter.

L'arrondissement de Dunkerque, en entier, a cette origine. Il occupe le lit de l'ancien golfe maritime et de deux lacs: la Grande et la Petite Moëre. Ces derniers terrains sont les plus bas de la contrée.

On nomme Watteringhes l'ensemble des canaux du golfe.

Désormais, les Dunkerquois pouvaient tirer parti de leur position: ils n'y manquèrent pas.

Rapidement la ville, tout en gardant une réelle importance militaire, devint un entrepôt commercial, un centre naturel de ralliement pour l'industrie de la pêche.

Mais sa prospérité lui créait un danger permanent. Toutes les guerres dont la Flandre fut le théâtre eurent une action forcée sur Dunkerque.

Espagnols, Hollandais, Anglais, Français se la disputèrent avec acharnement. Maintes fois prise, perdue, puis reprise, elle vit passer dans ses murs les plus grands capitaines et subit trop souvent la loi implacable des vainqueurs.

Philippe le Bel s'en empara en 1299; il la garda jusqu'en 1305. Moins d'un siècle plus tard, les Anglais la brûlaient. En 1558, elle était, de nouveau, ville française. Un an après, elle était espagnole et ne redevint nôtre qu'en 1646, époque où Condé la reprit. Victoire éphémère, puisque nous voyons Turenne obligé, en 1658, de s'unir aux Anglais pour l'enlever à l'archiduc Léopold.

Peu s'en fallut qu'elle restât à jamais possession anglaise. Heureusement, Louis XIV eut une inspiration de génie. Comprenant l'importance de la place, il offrit cinq millions de livres au roi d'Angleterre pour la racheter. L'insouciant Charles II saisit cette occasion de remplir son trésor obéré, il accepta.

Nous avions, désormais, une porte ouverte sur la mer du Nord et Dunkerque prenait rang parmi les villes fortes de France.

Cependant, elle devait encore éprouver un cruel malheur. Le traité d'Utrecht (1715) obligeait Louis XIV, au déclin de sa gloire, à combler le port flamand et à en raser les fortifications. Mais ces clauses si dures ne furent point entièrement exécutées; Louis XV put réparer, au moins en partie, le dommage causé. Le duc d'York s'en aperçut bien, quand, en 1793, il voulut reprendre Dunkerque.

DUNKERQUE.—LE PORT.

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Depuis longtemps, au reste, nos ennemis savaient qu'il leur fallait compter non seulement avec la situation de la place, mais encore avec le patriotisme de ses habitants. Les corsaires dunkerquois étaient, à juste titre, redoutés et se montraient dignes des souvenirs laissés par Jean Bart. Dans la seule année 1756, ils capturèrent six cent vingt et un navires.

De nos jours, Dunkerque est, surtout, un port de commerce, quoique l'État ne néglige pas d'y entretenir les établissements nécessaires à sa marine.

Dunkerque.—La tour de Leughenaer.

La ville se présente agréablement, car le périmètre des fortifications ayant été agrandi, on a pu transformer les vieux quartiers, où, jusque vers 1850, les rues étroites, mal bâties, encombrées de caves, semblaient interdire le passage même aux piétons; la santé publique y a gagné et l'on ne se hâte plus de courir aux quais pour chercher un peu d'air respirable.

En dehors du port et de ce qui s'y rattache, trois monuments attirent le voyageur: ils résument, pour ainsi dire, l'histoire de Dunkerque.

Le nom seul de l'église Saint-Éloi rappelle l'origine de la ville créée autour du petit oratoire bâti par le saint populaire, qui fut un grand ministre du royaume de France.

Le phare et les signaux de marée. Marée montante. Marée haute. Marée descendante.

Mais, pour livrer passage à une rue, sans doute très utile, on a séparé l'église de sa tour! Devenu le Beffroi, le vieux clocher, haut de 90 mètres, porte, à son sommet, des signaux pour les navires en danger; aujourd'hui, on s'en sert peu, le sémaphore, c'est-à-dire le télégraphe maritime, est installé ailleurs. Le Beffroi contient le carillon.

A ce simple mot, la physionomie des Dunkerquois s'épanouit. Elle leur est si douce, la voix de ces cloches habituées à s'harmoniser avec les souhaits, mêlés de larmes, faits au départ..., avec les cris joyeux saluant le retour....

Combien de fois, loin du pays, le matelot croit-il entendre le gai carillon! Combien de fois, impatiemment, alors que le rivage est signalé, cherche-t-il à percevoir le doux écho de la ville natale!

Ne lui dites pas que c'est folie, que le musicien inconscient ne saurait s'associer à ses travaux.

«Folie! soit, répondrait-il; mais elle aide à supporter bien des misères, à consoler bien des regrets. D'ailleurs, peut-il y avoir folie à conserver vivace la pensée de la Patrie!»

L'église Saint-Éloi possède les tombeaux de Jean Bart, de sa femme et de son fils, le vice-amiral François-Cornil Bart; après nous être inclinés devant eux, allons saluer la statue du plus illustre des enfants de Dunkerque.

Tombeau de Jean Bart et de sa femme dans l'église Saint-Éloi.

Quelle noble, vaillante et glorieuse figure!

Il n'en est pas de plus populaire, de plus universellement connue.

Jean Bart était, non le fils d'un simple pêcheur, mais le descendant d'une famille d'armateurs à la course, très aimée en Flandre.

«Dès l'âge de douze ans, dit M. Léon Guérin, le savant historien des Marins Illustres, il commence la vie de bord sous Jérôme Valbué, homme assez instruit pour qu'on l'ait élevé au grade de pilote hauturier des vaisseaux du roi, mais d'un caractère violent et féroce. La France étant alors en alliance avec la Hollande, Jean Bart en profite pour quitter un homme qui le rendait chaque jour témoin des plus tragiques actions.»

Il prend du service sur les vaisseaux de la flotte hollandaise, alors si puissante; mais, en 1672, la guerre éclatant entre les deux pays, le futur chef d'escadre n'hésite point. Il s'enfuit avec son ami Charles Keyser et revient à Dunkerque. Tout aussitôt, on le voit commander un bâtiment corsaire et se rendre tellement redoutable à nos ennemis que l'attention de Colbert se fixe sur lui. En 1676, Louis XIV lui envoie une chaîne d'or comme témoignage de son estime, et bientôt, sur les instances de Vauban, le nomme lieutenant de vaisseau dans sa marine militaire.

C'est peu après cette nomination que se place l'un des épisodes tragiques de la vie de l'intrépide marin. Chargé, avec le chevalier de Forbin, d'escorter un convoi marchand, il fut attaqué par des forces très supérieures. Son audace, son courage sauvèrent le convoi, mais il fut, ainsi que Forbin, cruellement blessé et emmené prisonnier.

La captivité ne dura pas longtemps. Rien de plus émouvant que le récit de l'évasion des deux indomptables marins. Ils osèrent traverser la Manche sur une pauvre chaloupe et vinrent aborder à Saint-Malo, où ils furent reçus avec des démonstrations d'autant plus enthousiastes que le bruit de leur mort s'était répandu.

Quelques jours après, Jean Bart recevait le brevet de capitaine de vaisseau du roi (20 juin 1689). Sa carrière devait être, désormais, une suite de brillants faits d'armes et de succès.

En 1691, étant parvenu à sortir, avec sept frégates seulement, du port de Dunkerque, sa ville bien-aimée, bloquée par les Anglais, il brûle quatre-vingts des navires employés au blocus, et pousse l'audace jusqu'à faire une descente en Angleterre!

Trois ans plus tard, il préservait encore Dunkerque de la famine en y conduisant une flotte chargée de grains. Vainement l'ennemi voulut-il s'opposer à sa marche puissante, Jean Bart, presque toujours, presque partout, était vainqueur. Infatigable, il se jouait des entreprises les plus périlleuses. De lui, on peut vraiment dire que son courage ne connaissait aucun obstacle.

ÉVASION DE JEAN BART D'après une vieille gravure du Musée de la Marine à Paris.

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La légende s'est emparée de plusieurs traits de sa vie.

Authentiques ou légèrement amplifiés ils n'en peignent pas moins, avec la verve qui convient, le caractère plein de franchise, l'esprit d'à-propos de l'héroïque capitaine.

On le voit, à bord d'un navire anglais, menacé, malgré la foi jurée, d'être retenu prisonnier. Jean Bart ne se trouble pas, il ne cherche pas, peine perdue, il le sait, à faire rougir son hôte d'une telle trahison, mais, bondissant vers un baril plein de poudre:

Jean Bart.

—J'y mettrai le feu et sauterai avec vous! s'écrie-t-il. L'ennemi tressaille, Jean Bart est laissé libre.

On le voit encore donnant, en présence de Louis XIV, une rude leçon aux courtisans du grand roi, qui semblaient douter de sa véracité.

Nous le répétons, la légende s'est mêlée à l'histoire, qu'importe: elle reste toujours vraisemblable.

Jean Bart était trempé pour l'action. Sa vie, trop courte (né en 1650, il mourut en 1702), est marquée par tant de faits éclatants qu'il restera dans la mémoire des Français comme le type le plus populaire, le plus sympathique du marin au dix-septième siècle.

Rendons-nous, maintenant, au Mynck, une des curiosités de la ville. Dans quelques ports, Dunkerque est du nombre, on ne permet pas les ventes de gré à gré entre pêcheurs, apportant le produit de leur travail, et marchands, qui distribuent le poisson au loin.

Ici, chaque charge de bateau doit être mynckée, autrement dit passer à la criée du Mynck.

Usage étrange! les lots de poissons ne sont jamais l'objet d'une enchère. Tous, au contraire, sont rigoureusement mis à prix pour une somme de beaucoup au-dessus de la valeur réelle. Cela fait, le mynckeur, ou crieur, abaisse successivement le taux de la demande, jusqu'à ce qu'une voix vienne, enfin, arrêter cette étonnante dégringolade....

Le tableau offert par ces transactions est plein d'imprévu. Vieille construction du quinzième siècle, le Mynck encadre pittoresquement la foule bigarrée qui vient y supputer le produit de son labeur.

Pêcheuses en jupons rouges, pêcheurs encore revêtus du lourd costume de mer; crieur affairé et menant sa besogne avec une force de poumons, une vélocité de langue prodigieuses; marchands aux aguets, calculant le bénéfice probable; curieux essayant de comprendre ce qui se dit, ce qui se passe...

Une heure s'écoule, on croyait être arrivé depuis cinq minutes à peine! Si l'oreille se fatigue un peu, l'œil ébloui, suit les variations du spectacle, et le reflet chatoyant de ces montagnes de poissons, aux vives couleurs, n'est pas un des moindres attraits qui le charment.

Très certainement, si le spectacle est attrayant, il est encore le motif de réflexions mélancoliques.

Ces intrépides pêcheurs exercent le plus dur, le plus périlleux des métiers. Au prix de fatigues excessives, ils varient notre alimentation, mais ce que nous pourrions dire de leur existence resterait au-dessous de la réalité, voyons-les, plutôt, à l'œuvre.

Le 1er avril de chaque année est un jour de vive émotion pour Dunkerque. Les Islandais, c'est-à-dire les pêcheurs partant vers les côtes[Pg 17][Pg 18][Pg 19] d'Islande à la recherche de la Morue, qui y foisonne, sont prêts à lever l'ancre.

COPIE D'UNE ANCIENNE GRAVURE FAISANT PARTIE DE LA COLLECTION MUSÉE DE MARINE, A PARIS A la fin de la campagne de 1675, Jean Bart, avec un corsaire de dix canons, croise dans la Baltique, y attaque une flotte hollandaise convoyée par deux frégates, l'une de dix-huit canons, l'autre de douze; il prend la première à l'abordage détruit une partie de la flotte et s'empare de l'autre.

Ils quittent leur famille, leur pays, ils vont, pendant un laps de temps de quatre à cinq mois, se livrer au plus dur, au plus périlleux, au plus ingrat travail. Suivons un moment, par la pensée, ces infatigables marins.

Voyons-les bravant un climat glacial, les brouillards et les tempêtes si fréquents sous les latitudes nord, manœuvrant intrépidement leurs navires, ne se donnant point de repos avant que les tonnes embarquées soient bondées de poisson.

Les rivages d'Islande, abrupts et déchirés, sont redoutables quand les flots se soulèvent impétueux. Parfois, pourtant, il faut aller pêcher dans des parages plus inhospitaliers encore. Les récifs des îles Féroë donnent asile à une morue renommée. Sa taille peut atteindre 1m.40, et les couches accumulées de sa chair n'ont pas moins de 10 à 12 centimètres d'épaisseur. Sa valeur commerciale est donc plus considérable; mais la navigation au milieu de ces archipels resserrés, hérissés d'écueils, exige une habileté, une prudence toujours en éveil.

Beaucoup de ceux qui, avec dédain, repoussent un plat de morue salée, se doutent-ils de la somme de courage, d'abnégation, de souffrances, et, aussi, du prodigieux mouvement commercial représentés par l'humble poisson?

Les Dunkerquois le savent, eux. Voilà pourquoi le départ des Islandais devient l'occasion des manifestations les plus sympathiques envers ces indomptables travailleurs. Pour la solennité, le carillon lance dans l'air ses notes pénétrantes....

Hélas! Tous ceux qui l'écoutent aujourd'hui reviendront-ils, de nouveau, prêter avec ravissement l'oreille à son harmonie?...

Et les femmes, les mères, les enfants se groupent, anxieux, autour de celui qui, au prix de sa vie peut-être, essaiera d'assurer leur propre existence.

La situation de Dunkerque en a fait une ville très industrieuse. Le mouvement commercial et maritime va prendre encore une extension nouvelle, par suite des travaux récents destinés à protéger et à améliorer le port.

Tel qu'il se présente actuellement, on y trouve des digues, des jetées, un avant-port, un port d'échouage, trois bassins à flot, quatre canaux, plus un bassin de chasse.

Les travaux projetés ne s'arrêteront pas, avant que le chenal soit élargi et approfondi, avant que les bassins soient étendus, avant qu'une longueur d'environ huit kilomètres ait été ajoutée aux quais.

Dunkerque.—Le Musée.

Voilà ce que l'on veut faire pour rendre à Dunkerque toute l'importance dont elle est capable d'assumer le poids, et pour la mettre en état de disputer à Anvers la prépondérance que cette dernière ville a su conquérir.

Dunkerque.—Chantier de construction.

Nous croyons possible la réalisation de ce plan, car il a été facile d'apprécier les avantages obtenus depuis les dernières améliorations faites au port.

De semblables dépenses sont éminemment productives. On doit souhaiter qu'elles se continuent avec la même intelligence, la même perspicacité des besoins du pays.

Une promenade sur les quais de Dunkerque peut, en quelques instants, donner une parfaite idée des relations de la ville avec le monde entier.

Dunkerque.—L'Arsenal.

Ainsi qu'il est naturel de le penser, la Belgique, la Hollande, le Danemark, l'Angleterre, la Prusse, la Russie, la Norvège et la Suède y ont des consulats. Les pays du midi de l'Europe ne sont pas, non plus, restés en arrière, et tous les centres commerciaux d'Amérique ont suivi l'exemple.

Les établissements de la marine de guerre, ceux de la marine marchande sont vastes, très bien aménagés. Le chantier de construction est toujours fort animé pour le service de la pêche côtière, de la pêche de la morue et du cabotage, qui est très considérable.

De plus, des canaux de communication avec l'intérieur du pays contribuent à la prospérité des transactions.

Vue de ses murailles, par une belle journée, Dunkerque apparaît imposante, quoique gracieuse. Du côté de la terre, les tours du Beffroi et de Leughenaer,—cette dernière surmontée d'un phare, se dessinent fièrement sur l'azur du ciel.

Rosendaël.

Du côté de la mer, les quais, avec leur population affairée; le port, pavoisé de tous les drapeaux connus; la rade splendide, sillonnée de bâtiments entrant ou sortant, les longues jetées, puis les flots qui se confondent avec l'horizon....

Peut-être, cependant, le paysage gagne-t-il encore en beauté quand vient le crépuscule, alors que les phares tournants ou fixes, et les feux flottants, projettent au loin leur lumière sur la vague mobile....

Les bains de mer des environs de Dunkerque sont très fréquentés.

DUNKERQUE.—STATUE DE JEAN BART.

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Rosendaël, située à 5 kilomètres, prend, chaque année, plus d'importance. Un très joli casino y a été bâti. Son aspect délasse un peu de la vue des cheminées d'usines diverses, rencontrées si fréquemment, car tout un monde industriel occupe la banlieue dunkerquoise. Sécheries de morue, filatures, raffineries de sucre, distilleries, corroieries, fonderies, forges, poteries, brasseries, fabriques de tulle.... On voit bien que l'on se trouve dans le département du Nord, le plus peuplé et le plus riche de la France, après le département de la Seine.

Il est impossible de quitter Dunkerque sans visiter Bergues, sa voisine, qui, comme elle, doit sa fondation aux comtes de Flandre.

Baudoin le Chauve la fortifia; mais, en 1083, elle fut entièrement détruite par un incendie. Relevée de ses ruines, elle était de nouveau, en 1125, la proie des flammes et, moins d'un siècle plus tard, en 1215, la même cause la rejetait dans une profonde misère.

Il semble, en vérité, que la pauvre ville dût, périodiquement, subir cette affreuse épreuve: on note, encore, un incendie en 1494, et un autre en 1558. Ce dernier avait été allumé par le maréchal de Thermes, qui luttait pour la France contre les Espagnols.

Le roi d'Espagne Philippe II s'intéressa beaucoup à Bergues. Turenne la prit en 1658, mais pour peu de temps, et la France dut attendre que la paix d'Aix-la-Chapelle (1668) confirmât la capitulation définitive obtenue de la cité, par Louis XIV, l'année précédente.

Bergues possède un des plus beaux beffrois de la Flandre, justement classé parmi les édifices historiques.

Jadis, la ville était très malsaine à cause des marécages dont elle se trouvait entourée. On a remédié à cet état de choses par de grands travaux de dessèchement. Plusieurs canaux viennent y aboutir. L'un d'eux, long de huit mille mètres, la réunit à Dunkerque.

Tout est prévu pour permettre, en cas d'invasion, de submerger et de rendre, par conséquent, impraticables, les campagnes situées entre le port de Dunkerque et la place forte de Bergues, c'est-à-dire sur une étendue de plus de dix kilomètres.

La nappe d'eau n'atteindrait pas moins de un mètre cinquante centimètres de profondeur....

Le moyen de défense serait extrême et coûterait, le danger passé, de longues années de travail pour rétablir les canaux actuels.

Mais, quand il s'agit de défendre sa patrie, aucun sacrifice peut-il être refusé!

La côte aux environs de Boulogne.
BERGUES.—LE BEFFROI.

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CHAPITRE II

LA PÊCHE DE LA MORUE EN ISLANDE

Nous n'avons dit que quelques mots de la pêche de la morue sur les côtes islandaises, mais cette industrie mérite bien un chapitre spécial. A tous les points de vue, elle est intéressante.

Les pêcheurs qui s'y adonnent sont d'admirables marins, des travailleurs infatigables.

Chaque année, au mois de mars, les engagements sont contractés, car il faut être prêt pour quitter le port à l'époque ordinaire: 1er avril.

Autrefois, les navires employés étaient d'une forme particulière, assez disgracieuse, se conduisant bien à la mer, mais très lourds et d'une marche lente.

Depuis une quarantaine d'années, on emploie des goélettes, bâtiments à deux mâts, légers et fins voiliers, que l'on aménage spécialement en vue du travail accompli à bord. L'achat de chacun de ces navires, leur armement, c'est-à-dire tous les frais nécessités par l'assurance, par l'embarquement des vivres, par le bon entretien de chaque objet utile à la pêche future, ainsi que par les avances de solde à faire à l'équipage; enfin, le désarmement, consistant dans le payement de ce qui reste dû aux pêcheurs, le déchargement des tonnes de poisson, les réparations à la goélette,...toutes ces dépenses réunies varient de 80 à 90 000 francs. Or, il y a de cent à cent cinquante navires dunkerquois occupés, par année, dans les mers d'Islande, et chacun d'eux embarque de douze à quinze hommes.

Voilà donc toute une petite armée et une somme d'au moins dix millions engagées dans la plus rude des campagnes. Quand la pêche a été abondante, c'est un peu d'aisance qui entre chez le matelot, car, en général, les Islandais sont payés à la prime; autrement dit, ils reçoivent un prix déterminé par chaque tonne de morue rapportée.

Mais si le poisson n'a pas donné, si les mauvais temps ont causé des avaries graves au bâtiment ou contrarié constamment le travail, une misère véritable devient le partage de la famille du pêcheur.

Aucun métier ne réclame plus d'abnégation, n'expose à de plus grands efforts, à des privations plus pénibles.

La morue est rangée par les naturalistes dans le genre Gade, dont font partie la merluche, le merlan, le lieu, la lotte. On reconnaît l'espèce à ses nageoires ventrales jugulaires, qui sont étroites et pointues. Les nageoires sont appelées jugulaires, lorsque, comme dans les poissons que nous venons de citer, elles sont placées sous la gorge, en avant des pectorales. Ces dernières, situées aux deux côtés de l'animal, jouent fort bien le rôle de bras.

Pêcheur de morue.

La morue se multiplie beaucoup. Un savant hollandais, Leuwenhoeck, a été assez patient pour en compter les œufs. Il a trouvé un total étourdissant: plus de neuf millions!

On comprend, dès lors, l'existence de ces bancs exploités depuis si longtemps et non encore épuisés.

Tout est utile dans la morue: Aucun de ses débris n'est perdu.

Les œufs, mis à part, sont entassés avec un peu de sel. Ils fournissent le meilleur des appâts pour la pêche de la sardine. Cette préparation est connue sous le nom de rogue. Nous verrons les sardiniers de Douarnenez et autres ports de pêche bretons en faire un incessant usage.

Le poisson étant capturé, on tranche sa tête et on la divise en plusieurs morceaux; l'un d'eux, plus délicat, est appelé langue, mais n'est autre chose que le palais. Les intestins serviront à amorcer les lignes mêmes auxquelles se laisseront prendre des centaines d'autres morues. La vessie natatoire donne une très bonne colle; le foie, convenablement préparé, abandonne une huile dont les propriétés médicinales sont bien connues. La chair, enfin, fournira un aliment sain et qui, grâce au salage, peut se conserver très longtemps.

Morutier.

Le matelot chargé de disséquer le poisson s'appelle, à bord des navires dunkerquois, paqueur; après lui, vient le saleur, qui dispose les morues dans des tonnes et les recouvre, au fur et à mesure, du sel nécessaire pour les protéger de la corruption. Ensuite, le tonnelier ferme, aussi hermétiquement que possible, chaque baril, et le marque du chiffre spécial à l'armateur.

Au retour des bâtiments, le contenu des tonnes est, de nouveau, visité, les morceaux sont triés et séchés.