Le mensonge - Christian Iacono - E-Book

Le mensonge E-Book

Christian Iacono

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Beschreibung

Diffusé en Prime sur France3 le 30/03 !

Le cauchemar d’un homme accusé à tort, et qui n'a cessé de se battre pour rétablir la vérité.

Il y a 14 ans, Gabriel, un jeune garçon âgé de 9 ans, accusait son grand-père de l'avoir violé. À l'époque, l'affaire avait défrayé la chronique puisque l'accusé, Christian Iacono, médecin radiologue, n'était autre que le maire de Vence (Alpes-Maritimes). Pourtant, quelques années plus tard, le plaignant s'est rétracté et Christian Iacono a obtenu en 2015, l'annulation de sa condamnation après 15 ans de "calvaire". Gabriel a finalement décidé de sortir de son silence et a expliqué son attitude tout en présentant ses excuses.

Découvrez les dessous d’un fait divers ayant défrayé la chronique à travers ce témoignage poignant, bientôt adapté au cinéma !

EXTRAIT

Le 10 juillet 2000 à 9 heures du matin, ma vie s’est arrêtée.
C’était ma 65e année.

65 ans d’une vie largement remplie, depuis mon enfance dans les ruelles de Skikda, jusqu’à ces dernières années comme premier magistrat de la ville de Vence.
65 ans pour construire et consolider une famille, éduquer mes enfants, s’entourer d’amis.
65 ans pour faire ma place dans un monde compliqué, en pleine mutation et en plein doute.
65 ans de respect des institutions de mon pays, de foi dans ses valeurs démocratiques.
Toutes ces années d’action, d’épreuves, de succès et d’échecs à tenter de bâtir une vie d’homme, une vie que je voulais exemplaire pour mes enfants et petits-enfants, ont été rayées, niées, supprimées, anéanties par une accusation infâme, la plus infâme qui soit à mes yeux. Celle sortie de la bouche de l’enfant que j’aimais le plus au monde, de Gabriel, mon petit-fils.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Christian Iacono, 81 ans, médecin radiologue en retraite, a été maire de Vence de 1989 à 2001 et de 2008 à 2009.
Pour la première fois, il raconte. Dans Le mensonge, il parle à cœur ouvert de cette affaire qui lui a coûté bien plus que 15 ans de sa vie.

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« Au plus noir de notre nihilisme, j’ai cherché seulement les raisons de dépasser ce nihilisme. Et non point par vertu, ni par une rare élévation de l’âme, mais par fidélité instinctive à une lumière où je suis né et où depuis des millénaires, les hommes ont appris à saluer la vie jusque dans la souffrance. » (III.606)

Albert Camus

Le 10 juillet 2000 à 9 heures du matin, ma vie s’est arrêtée.

C’était ma 65e année.

65 ans d’une vie largement remplie, depuis mon enfance dans les ruelles de Skikda, jusqu’à ces dernières années comme premier magistrat de la ville de Vence.

65 ans pour construire et consolider une famille, éduquer mes enfants, s’entourer d’amis.

65 ans pour faire ma place dans un monde compliqué, en pleine mutation et en plein doute.

65 ans de respect des institutions de mon pays, de foi dans ses valeurs démocratiques.

Toutes ces années d’action, d’épreuves, de succès et d’échecs à tenter de bâtir une vie d’homme, une vie que je voulais exemplaire pour mes enfants et petits-enfants, ont été rayées, niées, supprimées, anéanties par une accusation infâme, la plus infâme qui soit à mes yeux. Celle sortie de la bouche de l’enfant que j’aimais le plus au monde, de Gabriel, mon petit-fils.

J’ai plus de 80 ans maintenant. La Justice m’a enfin acquitté et reconnu innocent.

Gabriel a avoué qu’il avait menti et avait porté le poids de ce mensonge pendant des années. Une charge bien trop lourde pour un gamin, une charge qu’il n’a pu renverser qu’en devenant un adulte, un homme, un père de famille.

C’est ce long chemin, celui que j’ai dû suivre jour après jour, nuit après nuit, pendant ces 15 années, que je veux faire connaître, à chacun de vous.

Afin que l’on ait bien conscience que, même dans ce pays, qui a inventé les droits de l’homme et du citoyen, qui clame haut et fort son souci constant de justice, l’innocent peut être condamné, emprisonné, détruit.

LA COUR DE REVISION

18 FEVRIER 2014

Un simple banc au fond de la vaste salle et me voilà assis entre mes deux avocats habillés de leur robe noire. Je suis silencieux, muet, indifférent au décor flamboyant, aux tapisseries murales, au plafond décoré, à tous les meubles en bois verni, aux petites lampes qui éclairent d’une lumière douce la salle. Seule m’intéresse, tout à l’autre bout, l’estrade où vont apparaître dans un instant la Cour de Révision, les magistrats et le Président.

Seul, seul dans mes pensées. Me voilà dans ce Palais de Justice de Paris, dans la première chambre criminelle de la Cour d’Appel, dans cette enceinte qui a accueilli tant de célébrités venues entendre prononcer ou confirmer leur condamnation. J’attends ce moment exceptionnel dans ma vie, ce moment où le Président de la Cour entre et lit le délibéré ; les quelques mots qu’il prononce peuvent rejeter ma demande de révision du procès et confirmer ma condamnation à 9 ans de prison pour viol de mon petit-fils Gabriel ou annuler le verdict de la Cour d’appel d’Aix en Provence et me renvoyer pour un troisième procès devant une autre Cour d’Assises.

Je tourne la tête. Derrière moi, les journalistes sont là, se pressant les uns contre les autres, leurs appareils à la main. Seul, au milieu d’eux, le visage de ma fille, Cécile. Ce petit visage qui m’accompagne à chacune de mes épreuves depuis 14 ans, un sourire aux lèvres, un peu forcé tant se devine sur ses traits l’inquiétude. Un petit geste de tête pour m’encourager, pour me dire de ne pas "craquer", de tenir, quelle que soit la décision de la Cour, tenir comme elle le fait, comme toute la famille le fait, depuis des années.

Le silence est complet, impressionnant. Les appareils photo, les caméras, les micros sont maintenant rangés. Les journalistes se tiennent cois sous la surveillance d’un appariteur. L’attente se prolonge, interminable, éprouvante pour les nerfs.

Mes yeux fixent les sièges des magistrats là-bas, tout au fond. Pourquoi cette distance entre les juges et l’accusé ? Est-ce volontaire ? Est-ce une vieille tradition ?

La tension est forte. L’instant est empreint d’une grande solennité. Tout cela, le décor, le silence, les médias, tout cela me pèse, m’écrase. Mais il faut, malgré tout, garder la tête haute. Il en va de mon honneur, de celui de ma famille. Ma fille qui est là, au milieu des journalistes, attend ce moment depuis 14 ans, le moment de vérité, et espère qu’enfin la Justice admette l’innocence de son père. Toutes ces années de souffrance, de calomnies, de souillure, seront peut-être adoucies par les quelques mots que prononcera le président, ou aggravées définitivement pour me laisser finir mes jours dans cet univers carcéral que j’ai déjà connu à quatre reprises.

Vite, Monsieur le Président, ne nous faites plus attendre, ne nous faites plus souffrir. Depuis le 10 juillet 2000, pas un jour, pas une nuit sans un retour par la pensée vers cette accusation, immonde et ignoble accusation. Cela fait près de quatorze ans, quatorze années de vie gâchée, perdues à tout jamais. Quatorze ans à assister, impuissant, à l’effondrement de toute ma vie, à la perte de toutes mes activités professionnelles et sociales. Oui, Monsieur le Président, la Justice a détruit tout mon passé, a sali mon présent et va, peut-être, anéantir mon avenir. Une telle accusation, si elle n’est pas révisée, serait une nouvelle forme d’assassinat, l’anéantissement d’une vie humaine, tout en gardant les mains propres.

Ça y est, on devine au fond de la salle, une petite agitation. J’aperçois quelques robes noires. Les magistrats de la Cour entrent et montent sur l’estrade. Je me lève, toujours encadré par mes deux avocats. Le président nous demande de nous asseoir. Sa voix est faible et me parvient avec peine. La lecture du délibéré commence :

« Vu…

« Attendu…

« Attendu…

Je n’entends pas parfaitement le texte et je n’essaie pas de comprendre. Mais, à un moment, je sens la main de mon avocat à ma gauche qui vient presser mon genou. Je comprends que la décision de la Cour nous est favorable. Je retiens ma respiration, serre les mâchoires, garde une parfaite immobilité, apparemment impassible.

C’est confirmé. Le verdict du procès d’Aix est annulé. Il y aura un nouveau procès à Lyon. La Cour se retire. La porte d’entrée de la Chambre s’ouvre. Les journalistes, les photographes, les cameramen se précipitent pour occuper la meilleure place.

Mon premier regard est pour le petit visage de ma fille Cécile. Elle me sourit, un sourire éclatant, mais aussi quelques larmes qui perlent aux paupières. Je n’ai qu’une hâte, la serrer fort dans mes bras. Une foule de journalistes nous séparent. L’appariteur fait sortir dans le grand couloir tous les médias qui se précipitent sur mes avocats. Et nous nous retrouvons, Cécile et moi, seuls dans le petit hall. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre. Les mots ne sortent pas tant les gorges sont nouées par l’émotion. Nous sommes seuls au monde, heureux, si heureux. Le moment est trop fort. Les deux secrétaires, impressionnées par le tableau que nous offrons, nous proposent de sortir par une porte dérobée. Je refuse. J’ai tant envie de prendre à témoin le monde entier de notre victoire après une lutte de 14 années, une victoire de la vérité, une victoire de l’innocence. Tout n’est pas fini, mais je suis convaincu que nous allons enfin voir le bout du tunnel.

C’est main dans la main que Cécile et moi descendons les grandes marches du Palais de Justice, le sourire aux lèvres, le regard haut, tourné vers le ciel parisien avec une folle envie de crier, de chanter aux accusateurs, aux calomniateurs, aux incapables qui nous ont traînés dans la boue.

On a gagné ! On a gagné !

Nous ne l’avons pas encore gagné ce combat contre le mensonge, contre la souillure, mais une lumière est apparue au fond du puits, avec l’espoir de remonter vers le soleil, ce soleil qui nous réchauffait de ses rayons, il y a 14 ans, le premier janvier 2000, sur la place du Grand Jardin de Vence.

Le Soleil du nouveau millénaire

Ce premier janvier de l’an 2000, je suis sur la place centrale de Vence, au milieu de nombreux Vençois, attendant que le photographe de Nice-Matin qui est monté sur la terrasse d’un immeuble voisin, trouve le bon angle pour faire la photo, celle de l’évènement : le premier jour du troisième millénaire.

Le petit Adrien, mon second petit-fils, est juché sur mes épaules. Ma fille Cécile m’accompagne ainsi que mon épouse Jeanine et mon père. Le ciel est d’un bleu pur. Et les sourires sont sur tous les visages.

Dans deux jours l’affiche paraîtra. « J’y étais », dira-t-elle. Nous y étions toute la famille, le regard tourné vers le ciel, vers le bleu azur, vers notre avenir, le cœur rempli d’espoir.

Pourquoi ne serions-nous pas optimistes ? J’ai une situation sociale confortable. Maire de Vence depuis 1989, Président de la Communauté de communes Provence d’Azur, suppléant du sénateur Laffitte, mon avenir politique semble tout tracé.

Nous habitons une belle villa avec piscine et un vaste jardin. Ma fille est pharmacienne diplômée et envisage l’acquisition d’une officine. Elle a un magnifique enfant de 18 mois, Adrien, et un nouveau compagnon, passionné comme elle d’équitation.

Quant à mon fils, Philippe, il est médecin dans le laboratoire Bohringer à Reims. Il a un enfant, Gabriel, âgé de 9 ans. Son mariage avec Élisabeth, la mère de Gabriel, n’a pas résisté à l’installation du couple à Reims et le divorce doit être prononcé dans quelques mois.

Seule ombre au tableau familial, les reproches que me fait mon fils Philippe depuis son adolescence. Le dernier reproche, le plus violent, portait sur l’éducation de Gabriel, et s’est terminé par une rupture et un conflit familial sérieux. Nous avons été interdits de recevoir Gabriel. Après des mois d’hésitation et un blocage des parents, nous avons été contraints de demander à la Justice de faire respecter nos droits de visite. Ce qui est obtenu un an plus tard. Nous pouvons désormais recevoir notre petit-fils, deux semaines par an, depuis l’été 1997.

Vacances au ski

Il nous faut préparer les vacances de février. En effet, nous avons l’intention, Jeanine et moi, d’emmener les deux cousins, Adrien et Gabriel, avec nous à Auron, une station de ski à 90 kilomètres de Vence, dans l’arrière-pays niçois. Dans ce petit appartement où nous emmenions régulièrement nos deux enfants, Philippe et Cécile, nous allons recevoir les deux petits cousins, Adrien (18 mois) et Gabriel (9 ans). Cela nous rappellera de vieux souvenirs !

Gabriel débarque à Nice début février. Sans perdre de temps, nous prenons le chemin d’Auron avec les deux enfants. Nous nous installons dans le petit deux pièces. Nous équipons le plus grand qui va skier avec moi pendant six jours, lui louons des skis… Mais Gabriel se révèle particulièrement désagréable pendant ce court séjour. Il "râle", "boude", n’obéit pas. Je n’arrive pas à le faire skier. Je le trouve renfermé et peu affectueux à mon égard. Je m’interroge : est-ce la présence de son petit cousin, Adrien, objet de tous les soins de sa grand-mère ? Est-ce le divorce de ses parents ? Un problème avec son père ? Mais Gabriel ne se confie pas. Il ne parle pas de sa vie à Reims et nous ne l’interrogeons pas. Nous remarquons aussi qu’il n’a reçu aucun appel de ses parents pendant tout son séjour.

Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est la remarque qu’il m’a faite la veille de son départ. Nous étions tous les deux côte à côte sur le télésiège. Le ciel était d’une pureté parfaite comme il l’est quelquefois en montagne. À nos pieds se déroulait un immense tapis blanc parcouru par les skieurs aux couleurs vives. La neige étouffait tous les bruits. Gabriel me dit soudain en poussant un grand soupir :« Comme la vie est belle ici ! »Cette phrase d’un gamin de 9 ans, le ton, le soupir, tout cela me laissa songeur, muet. Je sentais chez lui une grande souffrance cachée, enfouie en lui, qu’il ne voulait pas ou ne pouvait pas exprimer. Je le réconfortais en parlant de l’avenir, des retrouvailles avec ses copains à Reims. Mais je sentais bien que cela ne servait à rien. C’était un enfant en souffrance et j’étais désarmé, impuissant. Je me promettais de l’appeler plus souvent mais son père avait dicté une règle absolue : ne téléphoner qu’un dimanche sur deux, et toujours en sa présence. Que faire ? Le cœur gros, je regardais ce petit bonhomme prendre l’avion qui le ramenait à Reims, vers cette vie qui semblait l’inquiéter, le tourmenter. Comprendre sa peine, partager ses soucis, pouvoir le rassurer, l’aider ? Encore aurait-il fallu qu’il me parle, qu’il nous parle, mais il restait muet sur sa vie à Reims et nous n’osions l’interroger ! Nous comprendrons mieux son attitude dans quelques mois.

Le divorce des parents

Quelques semaines plus tard, au mois de mars ou avril, j’appelle Gabriel, en téléphonant comme d’habitude à sa mère. J’entends sur le répondeur la voix d’Élisabeth qui m’informe que le divorce a été prononcé et que dorénavant nous ne pourrons plus joindre notre petit-fils en appelant chez elle. « Vous n’avez qu’à appeler chez son père », dit-elle d’un ton sévère, manifestement

en colère !

J’essaierai par la suite de joindre Gabriel chez l’un ou l’autre de ses parents. En vain.

Je retiens cependant la place d’avion pour Gabriel, un aller-retour accompagné depuis Reims, qu’il faudra annuler quelques semaines plus tard.

Le coup de téléphone

Les mois de mai et juin sont difficiles pour moi. Les réunions se multiplient, les assemblées générales, les fêtes des écoles. Je suis épuisé et ai besoin de m’échapper de Vence, quelques jours. Cela tombe bien. Quelques amis, passionnés de golf, me proposent de passer deux jours avec eux sur le parcours de Divonne les Bains.

J’organise mon agenda pour me libérer jeudi 6 et vendredi 7 juillet.

C’est ainsi que je passe 48 heures près du lac d’Evian, loin de tous les soucis habituels de Mairie. Le cadre est magnifique. Les amis sont sympathiques. Le second jour, alors que le parcours de golf est achevé, nous nous installons, mes amis et moi, à l’ombre des platanes pour déjeuner. Nous avions en mémoire un petit incident survenu la veille.

En effet, au moment de passer à table, Aldo, l’un des golfeurs, avait déclaré sur un ton sérieux : « Non, nous ne pouvons pas manger !

— Qu’y a-t-il, Aldo ?

— Compte, nous sommes treize.

— Tu nous embêtes, tu ne vas pas nous dire que tu es superstitieux à ce point ?

— Eh bien, si. Moi je ne mange pas. »

Alors nous avons séparé la table en deux et ainsi Aldo accepta de faire honneur au repas. Mais ce vendredi, est-ce la fatigue du parcours, est-ce l’ambiance festive ou l’euphorie après ces deux jours de vacances… bref, nous ne fîmes pas attention au nombre de convives. Arrivés au dessert, Bernard, l’œil taquin, apostrophe Aldo : « Alors, Aldo, tu as bien mangé ?

— Oui, très bien !

— Tu as vu combien on était à table ? »

Nous comptons… treize ! Le visage d’Aldo s’assombrit. Il serre les lèvres, vraiment mécontent et nous tous d’éclater de rire.

C’est à ce moment que ma secrétaire m’appelle sur mon portable, toujours rassurante : « Tout va bien, ici à Vence, monsieur le Maire. Tout est calme. Je n’ai rien à signaler… Sauf, peut-être, la visite de deux inspecteurs de la Police Judiciaire qui voulaient vous voir tout de suite. Ils m’ont demandé où vous étiez, quand devait avoir lieu le prochain conseil municipal, quel était l’ordre du jour… L’un d’eux a dit qu’il vous avait déjà rencontré, c’est monsieur Bl.. Bref, Frédéric (le Directeur Général des Services de la Mairie) et moi-même, nous les avons renseignés et leur avons donné rendez-vous, lundi matin à 9 heures, avant votre réunion avec les chefs de service.

— Bien… Mais ils n’ont pas dit pour quelle raison ils voulaient me voir, demandai-je.

— Non. Ils ont dit que ça pouvait attendre lundi, mais monsieur Bl. m’a laissé son numéro de téléphone et vous pouvez le joindre si vous voulez. »

Je note le numéro sur le coin de la nappe ; je finis mon dessert, m’écarte un peu des convives et appelle l’inspecteur Bl.. Une voix aimable me répond : « Oui, M. Iacono, nous voulions vous voir, mais nous avons rendez-vous lundi matin à 9 heures… Ce n’est pas urgent. Non, rien de grave… »

Je n’insiste pas et retourne à table pour le café, un peu songeur. J’en fais part à Bernard, mon adjoint depuis plus de dix ans. Il me dit : « Je n’aime pas trop ça. Surtout quelques mois avant les municipales, ils seraient bien capables de nous faire un coup tordu… »

Qui ils ? Des opposants politiques ?

Je hausse les épaules et je le rassure : « Mais non, mon pauvre Bernard, tu deviens parano ! »

Depuis ce jour, je ne me moque plus des superstitieux qui ne veulent pas être treize à table.

Dernier week-end en famille

Le week-end est assez calme et je le passe dans ma villa, en famille.

Mon père, fatigué et âgé de 86 ans, vient de faire un séjour chez nous, mais son état s’améliorant, il doit retourner dans son appartement dès lundi matin. Et c’est là le sujet essentiel de nos préoccupations.

Je ne parle pas à ma femme de mon rendez-vous avec les inspecteurs de la Police Judiciaire. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un problème extérieur à la Mairie. En effet, étant, par mon mandat de Maire, moi-même officier de police judiciaire, je peux être quelquefois consulté par les services de police pour des affaires qui concernent des Vençois.

Tel est mon état d’âme en ce début du mois de juillet 2000. Une satisfaction totale sur le plan social. Ma réélection à la Mairie ne fait aucun doute, ma réussite professionnelle est complète, ma famille est rassemblée autour de moi, à Vence… mais il y a un nuage dans ce ciel bleu et il vient de Reims. On ne se méfie pas assez d’un nuage. On estime qu’au pire il provoquera une averse ou un petit orage. On n’imagine pas qu’il peut engendrer une véritable tornade et bouleverser une vie. C’est ce que je vais vous conter maintenant.

LA TORNADE SUR VENCE

L’INTERPELLATION — 10 JUILLET 2000 — 9 HEURES DU MATIN

Lundi matin, comme à mon habitude, je me rends à la Mairie, ma sacoche de travail à la main.

Je gare ma voiture dans le parking souterrain du centre-ville. Je salue et échange quelques paroles avec des administrés que je croise sur mon chemin. Je grimpe les escaliers qui me conduisent à mon bureau, au premier étage. Là, j’aperçois deux hommes, devant la porte de mon bureau, dans le hall. Je vais vers l’un d’eux dont le visage me semble connu. Je lui tends la main : « Bonjour, Monsieur B. je suppose ? Je ne vous ai pas fait attendre, j’espère ? »

Je serre la main du second. « Je vais vous recevoir, tout de suite. Ma secrétaire n’est pas encore arrivée… Et puis, on ne va pas l’attendre. Suivez-moi… » Ils me suivent tous les deux. Je pose ma serviette sur le bureau. Je m’assois et les invite à en faire autant.

Ils ne s’assoient pas.

Un de leurs collègues entre dans le bureau et reste en retrait. Je commence à être surpris. Mais sans attendre, M. B. me déclare : « Voilà, nous avons une plainte contre vous ; elle vient de Reims ; c’est assez grave. »

Le mot "Reims" me fait comme une explosion dans le crâne : Reims, mon fils Philippe, ma belle-fille Élisabeth, et surtout mon petit-fils, Gabriel ; tous ces problèmes depuis dix ans et qui débouchent maintenant sur une plainte. Lamentable ! Incroyable ! Comment en sont-ils arrivés là ? Après avoir essayé de nous enlever le droit de voir notre petit-fils, après cette procédure judiciaire qui nous avait rendu justice, ils remettent çà. Quand me laisseront-ils en paix ? Écœurement, découragement… J’écoute à peine M. B. qui continue : « Ils vous accusent de sévices sexuels sur leur enfant. » Les mots sont trop forts, à peine supportables à entendre, tellement énormes. B. guette ma réaction. Je sors de mon "songe" et je lui dis : « Oui, et alors ?

— Alors nous devons instruire la plainte et nous voudrions faire une visite chez vous.

— Oui, bien sûr, quand voulez-vous ? demandai-je bêtement.

—Nous allons le faire maintenant. »

Toujours engourdi dans mes pensées qui sont à Reims, je dis : « Bien, je préviens ma femme… » B. arrête mon geste vers le téléphone : « Non, non, nous allons y aller avec vous. »

— Bon, dis-je en me levant, que fais-je de ma sacoche ? Je la laisse là et la reprendrai tout à l’heure ?

— Non, non, prenez-la avec vous. »

LA PERQUISITION— 10 JUILLET 2000 — 10 HEURES DU MATIN

Et me voilà, descendant l’escalier de la mairie, encadré d’un inspecteur de police de chaque côté, un autre suivant derrière à quelques mètres. Ces détails me sont revenus à l’esprit par la suite. Sur le moment, j’étais tellement abasourdi que j’obéissais machinalement, presque sans réagir.

Sur la petite place devant la Mairie, j’aperçois d’autres inspecteurs. Deux voitures sont là sur cette place piétonne. On me fait monter à l’arrière de l’une d’elles, un inspecteur à ma gauche, deux sur le siège avant. Le conducteur est une jeune femme, au visage fermé, qui me dit d’un ton sec et péremptoire : « Indiquez-moi la route ! »

Nous traversons Vence, descendons la pénétrante et arrivons devant ma villa. J’essaie d’ouvrir, en vain, ma portière. Elle est bloquée de l’intérieur. Je compris par la suite qu’il en était toujours ainsi en cas d’interpellation. Mais j’étais loin de penser qu’il s’agissait d’une interpellation.

Suivi comme une ombre par les inspecteurs, je vais vers l’interphone en expliquant : « Je préviens ma femme pour qu’elle nous ouvre la porte. » L’un de ces messieurs se précipite et s’écrie : « Non, non, attendez ! »

Je commence à comprendre et je le rassure : « N’ayez crainte, je lui signale une simple visite. »

La porte s’ouvre et nous montons ensemble la petite route qui mène à l’entrée de la villa. La porte du garage est ouverte. Je leur dis : « Nous allons passer par là. » Les inspecteurs hésitent : ils apparaissent de plus en plus fébriles et moi je suis de plus en plus pressé d’en finir avec cette "histoire ".

Nous débouchons par un escalier dans le hall d’entrée où ma femme arrive à notre rencontre, demandant ce qui se passe.

Je cherche des mots rassurants : « Ces messieurs viennent faire une vérification à la suite d’une plainte contre moi, venant de Reims. »

Elle me jette un regard et, dans un grand soupir, s’exclame : « Ils ont osé !! »

Mais la perquisition s’organise. Certains vont avec ma femme. D’autres restent avec moi. Ils mettent tout sens dessus dessous. Mon bureau, mes dossiers, ouverts, jetés en vrac. La petite inspectrice est particulièrement agressive, acharnée. Elle découvre dans mes affaires un article imprimé à partir du CD-Rom du Monde Diplomatique de Denis Duclos qui parle de l’enfance maltraitée. Immédiatement : « Qu’est-ce que c’est cela ? »

J’explique que j’utilise régulièrement ce CD du Monde Diplomatique, que cela me donne quelquefois des idées pour mes discours… Pièce à conviction.

Ils envahissent notre chambre. Sur un petit secrétaire, sont empilés des journaux, des magazines, que je dois toujours lire mais que je n’ai jamais le temps de lire. Il y a deux vieux numéros du Monde. L’inspectrice se déchaîne ; elle feuillette à toute volée le premier numéro et tombe en arrêt devant un article relatant le procès de l’abbé Keller. Elle se tourne, triomphante, et montre le titre à son chef. Puis elle se précipite sur l’autre numéro du Monde et son visage s’illumine. Il y a un article sur le code génétique et son utilité en cas de délits sexuels. Je ne peux imaginer un instant que ces deux journaux sont des pièces à conviction. Toute cette agitation m’étourdit, me révulse et m’anéantit en même temps.

En entrant dans la pièce, les inspecteurs m’avaient demandé : « Avez-vous une arme ? »

J’ai répondu : « Oui, j’ai un 22 long rifle qu’un ami m’a offert, il y a des années. Je ne sais pas où il est et ne m’en suis jamais servi. » Ils le trouvent et s’en saisissent. J’ai une pensée pour cet ami, Jacques, qui avait eu cette fameuse idée de cadeau !

Et puis ma femme leur dit : « Il y a aussi un pistolet de défense… » Je l’avais complètement oublié. Ils le saisissent et le mettent dans un sac en plastique. C’est comme dans les films. C’est tellement ridicule tout ce remue-ménage, ces allures de "flics" de feuilletons télévisés, que je ne sais s’il faut en rire ou en pleurer.

Mais ce qui semble le plus les intéresser, ce sont mes cassettes vidéo. Là, ils sont servis. Ma petite salle de télévision en est pleine. Ils ne savent pas par où commencer. Ils en choisissent quelques-unes étiquetées Gabriel ; il y en a bien une dizaine. C’est le récit en images de sa naissance, de ses premiers sourires, des anniversaires, des vacances…

Ils me demandent de les projeter sur la télévision. Cela n’est pas si facile, parce que certaines cassettes ont été tournées avec un caméscope analogique alors que les plus récentes l’ont été avec un caméscope numérique que l’on m’a offert pour mon départ à la retraite. Mais je réussis le tour de force de faire tous les branchements sans faire d’erreur. C’est assez exceptionnel mais aucun ne pense à me féliciter ou à me remercier de leur faciliter ainsi leur travail…

Ils regardent les cassettes sur le poste télé, le plus souvent en faisant défiler la bande en accéléré. Rien d’intéressant apparemment. Je sens la déception dans leurs yeux.

Mais l’inspectrice de la PJ "à qui on ne la fait pas" a plongé la tête sous le meuble qui supporte le poste de télé et ramène, toute fière, le regard brillant d’espoir, deux cassettes VHS. Hélas, trois fois hélas, ce sont des enregistrements de films passés récemment à la télévision.

Les inspecteurs commencent à ramasser leur butin : les armes, les journaux, quelques cassettes. Ils se précipitent sur un jouet "magnétophone » qui se trouve dans la chambre de l’enfant, et sur lequel on peut jouer les contines et ensuite les chanter en s’enregistrant. J’ai compris un peu plus tard pourquoi ce jouet avait tant d’importance pour eux : l’enfant avait dit qu’il avait enregistré son grand-père sur ce jouet, en cachette, pendant qu’il lui faisait subir des sévices sexuels. Enregistrer quoi ? Comment ? Ridicule, pensez-vous. Pas pour l’inspecteur Bl. qui m’affirma, sans rire, que c’était très vraisemblable. Et lorsque l’enfant modifia deux mois plus tard ses déclarations, en affirmant qu’il y avait toujours un deuxième homme "à côté du grand-père" pour lui montrer comment faire, et bien il n’y eut ni un policier, ni un magistrat, encore moins un psychologue qui lui demanda comment il avait pu amener son magnétophone dans la salle de bains, tromper la surveillance du grand-père "violeur" et de son complice et enregistrer… C’est vrai qu’il ne faut pas poser de questions « embarrassantes » à un enfant. Ce serait faire pression sur lui et ce serait intolérable. Qu’un homme de 65 ans qui a travaillé toute sa vie pour sa famille, ses enfants, le service public, qui est estimé dans tous les milieux qu’il a fréquentés, soit mis en prison et ruiné sur tous les plans, est-ce si grave que cela ? En tout cas pas au point de poser des questions ennuyeuses à un enfant, estime la Justice en France.

Ils saisissent aussi l’ordinateur, les disquettes, les Zips qui servent à archiver les dossiers. Dans le sous-sol, ils explorent un tas de vieilles disquettes dont je devais me débarrasser depuis longtemps, mais je ne sais pas très bien comment faire pour éliminer de tels supports d’information. Ils en saisissent une qui porte l’étiquette "Drag Thing". "Drag", c’est bien suspect, ça, Monsieur l’inspecteur ! L’auteur de ce logiciel n’avait probablement jamais imaginé que le nom qu’il avait trouvé pourrait un jour justifier une vérification policière.

Au milieu de tout ce remue-ménage, cette mise sens dessus dessous de la villa, arrivent mon frère et ma belle-sœur chargés de ramener mon père à son appartement. Je leur explique en quelques mots. Arrive aussi ma fille, Cécile, qui encaisse le choc. Mais c’est le moment de partir, les inspecteurs me bousculent pour vite me faire regagner la voiture. Je ne peux embrasser personne.

« De toute façon, votre femme et votre fille, sont convoquées pour être auditionnées à 14 heures » me dit l’inspecteur.

Je me tourne vers ma fille : « Ne t’inquiète pas, fais ce qu’ils te disent. Je n’ai pas envie de dormir à Grasse ce soir… »

CECILE, MA FILLE, RACONTE

Lundi 10 juillet 2000. Comme tous les lundis matin, je suis libre. Je ne vais pas travailler à la pharmacie de M. Aubert à Vence. C’est ma demi-journée de repos. De repos ! Pas vraiment car j’en profite pour m’occuper de ma famille et surtout de mon fils, Adrien. Ce lundi 10 juillet 2000, donc, j’emmène d’abord Adrien à la crèche puis je me rends à la villa de mes parents. Il fait beau. Le ciel est d’un bleu parfait et l’on sent déjà la chaleur monter doucement. Je conduis sereinement, paisiblement. Il est environ 9 heures 30. Je n’imagine pas un instant que cette journée serait à jamais gravée dans ma mémoire comme la journée du malheur pour toute notre famille.

Arrivée à la villa, j’aperçois mon grand-père allongé sur une chaise longue sur la terrasse près de la piscine. Il était bien fatigué et mes parents l’avaient accueilli pendant quelque temps pour le soigner. Je l’embrasse, lui demande de ses nouvelles et c’est alors que je perçois à l’intérieur de la villa un véritable remue-ménage. Des hommes vont et viennent dans toutes les pièces. Qui sont-ils ? Que font-ils ? J’ouvre de grands yeux. Je n’ai pas le temps de poser de questions car l’un d’eux se précipite vers moi et me demande mon identité. D’un coup je comprends. Ce sont des policiers en civil. Une chape de plomb s’abat sur moi. Que se passe-t-il ? Je vois ma mère et mon père dans une pièce à l’intérieur et fais un geste pour me précipiter vers eux.

Le policier en civil me barre la route. Il me dit : « Savez-vous pourquoi nous sommes là ? » Je lui réponds : « Évidemment non ! Dites-le-moi, vous. » Il ne répond pas. J’insiste en élevant la voix : « Dites-moi ce qui se passe, qu’est-ce que vous faites dans la villa de mes parents. » Encore un moment de silence puis le policier se rapproche de moi et avec un regard froid etune voix douce que je ne pourrai jamais oublier, m’annonce : « Une plainte de Reims a été déposée contre votre père. » Tout au fond de moi, c’est une explosion, une explosion de révolte, de colère. Je ne peux me retenir et les mots jaillissent comme un cri : « Ça, c’est Philippe ! Il n’est quand même pas allé jusque-là. » Pour moi, c’est tellement évident. Je connaissais tellement bien la haine que Philippe avait développée contre mon père. Il me l’avait exprimée, me l’avait "crachée" au téléphone, l’avait écrite dans plusieurs lettres. Je me souvenais d’un coup avec quelle "rage" il m’avait jeté : « J’irai cracher sur leurs tombes. » Mais jamais, jamais, je n’aurais pensé qu’il aurait pu en arriver à accuser son père d’agressions sexuelles. Ma première pensée a été : « Quelle honte pour lui ! Quelle honte de salir toute une famille pour se venger. »

Le policier rajoute : « Votre père est accusé d’agressions sexuelles sur son petit-fils, c’est très grave. » Je suis pétrifiée. Non pas par l’accusation que je trouve tellement ridicule, irréaliste, inimaginable, mais par l’attitude de mon frère. Il me l’avait prédit qu’il enverrait à son tour mon père devant un tribunal. Il avait été mortifié par la procédure ouverte par mon père pour faire respecter le droit de visite et de garde de son petit-fils. Mais en arriver là, non, ce n’est pas possible qu’un être humain puisse agir comme cela. Et je répète inlassablement devant le policier : « Comment ont-ils osé ? Comment ont-ils osé ? »

Je commence à expliquer au policier cette haine de mon frère à l’égard de son père. Je parle du conflit sur le droit de visite, de la procédure… Et soudain, je lui crie : « Mais, j’ai une lettre… une lettre qui vous prouvera que mon frère est derrière tout cela. »

Ah, cette fameuse lettre ! Celle de Philippe adressée à mon père, que j’ai délibérément interceptée avec la complicité de ma mère. C’était en réalité la troisième lettre que mon frère envoyait à notre père. Les deux premières avaient marqué toute la famille et surtout mon père qui les avait lues les larmes aux yeux. Je l’avais vu profondément touché par la violence des reproches, des critiques, par l’ingratitude et la haine qui transparaissaient à travers chaque mot, chaque phrase. On sentait bien que l’objectif de l’auteur de la lettre était de faire mal, de blesser. Il y avait même une forme de jouissance dans l’injure, dans la critique, dans le mépris affiché. L’objectif était atteint, car mon père avait été marqué pendant plusieurs jours. Nous aussi. C’est pourquoi, lorsqu’arriva cette troisième lettre, nous décidâmes, avec ma mère, de l’intercepter, de la lire et de la lui cacher si elle était aussi violente que les autres. Il faut dire qu’en mars 1998, je vivais chez mes parents après un échec amoureux et j’étais enceinte de 6 mois. Je réceptionne donc cette troisième lettre de Philippe. Je la lis avec ma mère. À la lecture de ces horreurs et de cette violence, je me mets à trembler puis à pleurer. Une très longue lettre de reproches, de critiques… Il décrit mon père comme un "gourou", un "nazi": des termes tellement inappropriés pour un humaniste comme mon père. Et puis, nous arrivons au dernier paragraphe, à cette phrase, cette phrase que nous lisons plusieurs fois, tant notre surprise est grande. Nous voudrions ne pas y croire.

Mais les mots sont là, implacables, écrits sur la feuille blanche. Ils sont signés.

« Je n’hésiterai pas à utiliser cet enfant comme une arme pour te détruire. À bon entendeur, salut. Philippe. »

L’horreur et l’intensité de ces mots, de cette phrase ont résonné dans ma tête pendant toutes ces années et ils résonnent encore.

Je ne montrai donc pas cette lettre à mon père. Je la dissimulai et l’emmenai sans y prendre garde dans mon déménagement quelques mois plus tard.

Je rencontre Rodolphe, mon futur époux, en avril 2000, juste avant l’affaire. Cette relation débutante me pousse à dévoiler à Rodolphe l’existence du conflit familial, à lui décrire l’attitude d’un frère devenu fou de haine contre son père. Je lui dis le bonheur du petit Gabriel lors de ses courts séjours à Vence et sa tristesse à chacun de ses départs. Puis je lui fais lire la lettre, notamment la menace d’utiliser l’enfant pour "détruire mon père". Rodolphe en est tout retourné et garde un souvenir intact de la scène et de la lecture de la lettre. Et puis je décide de ranger cette lettre parmi toutes les lettres de mon enfance.

En ce lundi matin, 10 juillet 2000, je suis certaine, absolument certaine qu’il y a un lien entre la lettre menaçante et l’accusation. Je pense que les policiers vont vite comprendre le mécanisme de l’accusation lorsqu’ils auront lu la lettre et la menace d’utiliser l’enfant pour "détruire" mon père. Je fonce à mon appartement, jette le contenu de mon placard au sol, fouille parmi tout un paquet de lettres et au bout de quelques minutes, je m’empare d’elle comme d’un trésor et je retourne à toute allure à la villa.

Je donne la lettre au policier qui m’avait interpellée. J’ai appris ensuite qu’il s’agissait de l’inspecteur Bl.. Il la lit attentivement en faisant quelques pas sur la terrasse de la villa. Je le suis des yeux, guettant la moindre réaction. Je vois l’expression de son visage s’obscurcir. Il me semble avoir pâli. Il se tourne vers moi, me regarde et me dit : « C’est important ! » Puis il glisse la lettre dans sa poche de veste, et me demande : « Avez-vous une copie de cette lettre ? » J’ai répondu : « Non ». Et c’était bien la vérité. Je n’avais pas pensé à faire une copie de cette lettre. Et l’idée ne me vient pas d’en faire une avant de la remettre à l’inspecteur. J’ai une telle confiance dans les services de police. J’ai le sentiment qu’après avoir lu la lettre de menace, la police va vite comprendre le conflit familial et l’attitude de mon frère. Cette lettre que l’inspecteur Bl. a mise dans sa poche alors qu’ilétait sur la terrasse de la villa de mes parents, je ne l’ai plus revue. Je l’affirme solennellement. J’essaie bien d’en reparler au policier qui m’interroge au moment de ma déposition à la caserne Auvare, dans l’après-midi de ce funeste lundi 10 juillet 2000, mais manifestement cela ne l’intéresse pas et il ne relève rien de ce que je dis au sujet de la menace écrite. En colère, révoltée, je signe ma déposition sans relire le texte.

Cette lettre a été mise sous scellés. Mon père n’a pas été interrogé à ce sujet. Je ne sais si le Juge d’Instruction en avait connaissance. L’avocat de mon père a demandé à plusieurs reprises à la Justice de lui fournir une copie de la lettre. Il n’a obtenu aucune réponse à ses demandes. Nous n’avons plus insisté après quelques années pensant que mon père allait obtenir un non-lieu, à la suite des expertises médicales qui lui étaient favorables.

L’affaire est renvoyée fin 2005 ! Nous faisons appel auprès de la Chambre d’Instruction d’Aix. Dans le mémoire, notre défenseur signale l’existence de cette lettre de menace. Cela interpelle la Chambre qui demande l’ouverture du scellé et la communication de la lettre aux parties.

Je me souviens du jour où la Chambre a entendu nos avocats après connaissance de cette lettre. J’étais dans ma pharmacie à Grasse. Il était environ 13 heures. Mon père appelle sur son portable depuis Aix. Il me dit : Il n’y a pas sur la lettre de menace la phrase et surtout les mots "utiliser l’enfant pour te détruire". Je lui dis que ce n’est pas possible, que j’ai bien vu, retenu chaque mot, que ma mère les a lus comme moi ainsi que mon mari. Quelle bêtise ai-je faite en oubliant d’avoir fait une copie de l’original ! Je me sens terriblement coupable de cette négligence. Encore plus, lorsqu’un de mes avocats me déclare au téléphone : « Si vous aviez fait une copie, votre père aurait aujourd’hui un non-lieu ».

La lettre était telle que je l’avais décrite. Il ne manquait qu’une phrase, celle où "Philippe était prêt à utiliser l’enfant pour détruire son père". L’avais-je imaginée, inventée, cette phrase ? Ma mémoire faisait-elle défaut 5 ans plus tard ? Chacun en pensera ce qu’il veut. Mais moi je suis certaine de l’existence de cette phrase au moment où j’ai donné la lettre à l’inspecteur Bl.. Je suis certaine de l’avoir fait lire à ma mère et à mon mari qui confirment en tout point ce que j’avance. Je suis certaine que l’inspecteur Bl. l’a mise dans sa poche et qu’ensuite les policiers ne m’en ont plus parlé. Alors comment se fait-il que le compte-rendu de ma déposition à la caserne Auvare signale que je remets la lettre à ce moment-là, donc lundi après-midi et que j’authentifie la dernière phrase de la lettre, une phrase qui ne contient pas le mot "détruire".