Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Le pas suivant est celui que nous devons faire pour sortir des impasses et des situations répétitives qui souvent jalonnent notre vie. Plutôt que de les subir, il peut être opportun de chercher à comprendre l'éventuel sens dont elles sont porteuses. En quoi ces déceptions, ces blessures cherchent-elles à nous proposer des changements dans nos comportements et dans les valeurs qui les motivent ? Dans la perspective d'une évolution intérieure se faisant au cours de vies successives, une question semble bienvenue : que suis-je venu apprendre cette fois-ci ? A partir d'échanges recueillis dans le cadre de psychothérapies individuelles ou en groupe, ce récit nous aide à identifier dans la vie quotidienne "ce qui freine encore". Car il est possible de décoder des signes de dysfonctionnement dans notre présent qui révèlent les sources de nos difficultés récurrentes. Pour certains, cependant, c'est en cherchant des racines plus lointaines dans des vies passées qu'ils trouveront le fil rouge qui explique la détresse du présent. Une fois ces prises de conscience effectuées, il nous reste alors à apprendre à affronter l'inconnu pour acquérir les outils nécessaires à la prise en main de notre destin, forts de nos acquis antérieurs et conscients des obstacles qui demeurent. Sur notre route vers la liberté et l'autonomie, nous allons devoir remettre en question notre attachement aux biens matériels, notre dépendance à certains liens affectifs , nos identifications avec des croyances et des opinions qui vont s'avérer illusoires et passagères. Afin qu'au terme de cette vie nous puissions jeter un regard apaisé sur le chemin parcouru, avec le sentiment de la tâche accomplie.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 236
Veröffentlichungsjahr: 2020
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Le pas suivantest celui que nous devons faire pour sortir des impasses et des situations répétitives qui souvent jalonnent notre vie. Plutôt que de les subir, il peut être opportun de chercher à comprendre l'éventuel sens dont elles sont porteuses. En quoi ces déceptions, ces blessures cherchent-elles à nous proposer des changements dans nos comportements et dans les valeurs qui les motivent ? Dans la perspective d'une évolution intérieure se faisant au cours de vies successives, une question semble bienvenue : que suis-je venu apprendre cette fois-ci ?
A partir d'échanges recueillis dans le cadre de psychothérapies individuelles ou en groupe, ce récit nous aide à identifier dans la vie quotidienne « ce qui freine encore ». Car il est possible de décoder des signes de dysfonctionnement dans notre présent qui révèlent les sources de nos difficultés récurrentes. Pour certains cependant, c'est en cherchant des racines plus lointaines dans des vies passées qu'ils trouveront le fil rouge qui explique la détresse du présent.
Une fois ces prises de conscience effectuées, il nous reste alors à apprendre à affronter l'inconnu pour acquérir les outils nécessaires à la prise en main de notre destin, forts de nos acquis antérieurs et conscients des obstacles qui demeurent.
Sur notre route vers la liberté et l'autonomie, nous allons devoir remettre en question notre attachement aux biens matériels, notre dépendance à certains liens affectifs, nos identifications avec des croyances et des opinions qui vont s’avérer illusoires et passagères. Afin qu'au terme de cette vie nous puissions jeter un regard apaisé sur le chemin parcouru, avec le sentiment de la tâche accomplie.
Deux mondes en même temps
Premiers pas
Essais d’autonomie
Les cycles de la vie
Si la mort n’est pas la mort
L’abandon d’Amélie
Le passé au présent
Savoir s’attacher de façon détachée
Interroger le monde
Apprendre à partir du quotidien
La langue des signes de la vie
Un monde intérieur
Xavier et le fauve
Dompter le cheval
Un fauve à la maison ?
De nombreux chemins
Au début il y a la fin...
Feux de bois, de toi, de moi
On voit le monde tel qu’on est
Passion et détachement
Synthèse pour avancer
Des outils pour laroute
Être dépendant à l’intérieur ?
Réparer
Quand l’écho du passé semble ne jamais finir
Dépendance, obstacle, pas suivant ?
La tâche d’une vie
Un pas vers la liberté
Construire son autonomie
Un pécule pour avancer
La feuille de route
Le temps du changement
Trois pas majeurs.
Un autre monde
Théo avait 17 ans et une copine : Chloé. Ils habitaient à Paris, chacun d’un coté de la Seine. Quand les cours finissaient plus tôt, ils se retrouvaient après le lycée.
Au téléphone, elle lui avait dit :
— Tu sais cette nuit, tu es venu me voir. Je t’ai vu au pied de mon lit, dans la pénombre. Je me suis redressée. Je n’ai pas eu peur. Tu es resté là, immobile, de longues minutes. Ce n’était pas un rêve.
Puis, assis près de moi, tu as chuchoté : « Paix... amour... confiance... ». Et tu as disparu.
C’était dit sur un ton assez solennel, bien différent de leurs échanges habituels d’ados.
Ils en avaient reparlé ensemble quelques jours après. Il pouvait lui indiquer la disposition des objets et la décoration de la chambre où il n’était jamais allé.
Pour Théo, bien plus que le caractère « farfelu» de la rencontre, alors que chacun était resté dans son lit à des kilomètres de distance, c’était le contenu de ses paroles, inhabituel dans sa bouche, qui lui posait question. C’était pour lui autant une révélation que des retrouvailles familières : « Il y a en moi quelqu’un de mieux que moi, plus âgé, sage et paisible ».
Dans sa vie de tous les jours, il pataugeait depuis son enfance incertaine, dans les peurs et les doutes. Et soudain, là, il reprenait furtivement contact avec une autre partie de lui-même.
Un pôle stable vers où revenir, si des erreurs de navigation venaient à s’accumuler.
Un rêve était venu confirmer : « Je devais m’évader d’un camp de concentration, dans la nudité désolée d’un paysage de neige. Un petit chien me guidait à travers les baraquements et les barbelés. Je m’étais retrouvé au dehors. »
C’était aussi sa première expérience, fugitive, d’un élargissement de sa perception du quotidien matériel. Un phénomène, naturel, banal, qui le réjouissait plutôt, dans la mesure où il agrandissait son ouverture au monde. Pour Chloé, c’était une évidence, qui s’intégrait sans problème avec ce qu’elle ressentait des choses.
Il en avait parlé avec d’anciens amis de sa famille qui l’accueillaient parfois quand il traversait une période difficile. Il les savait ouverts à ce qui est au delà des apparences.
— Mais bien sûr... Figure-toi : nous étions jeunes mariés et notre premier enfant venait de naître. Son petit berceau était au pied de notre lit. Une nuit, ma femme pousse un hurlement : elle voyait un homme qui s’approchait du couffin. Il était habillé comme les employés du gaz, qui, à l’époque, portaient un uniforme. Il semblait très surpris de la présence de ce bébé dans cette pièce. Puis la scène a disparu. Renseignements pris, le précédent locataire était un employé du gaz, mort quelques temps auparavant. Il était mort, mais n’avait pas l’air de le savoir. D’où son étonnement qu’on ait modifié le cadre de sa vie, sans l’en avertir. Pour lui le train-train continuait, il poursuivait ses habitudes. Pendant toute sa vie, seul avait existé le plan matériel, celui des cinq sens. Il n’avait donc pu percevoir son passage sur un plan plus subtil, qui n’était pas encore éveillé chez lui. Il n’avait pas vécu consciemment ce qui lui était arrivé.
Théo leur avait également raconté un rêve inhabituel, car il avait une force particulière au point d’en avoir toujours gardé, par la suite, le souvenir.
Il était un jeune Romain, qui devait avoir autour de dix sept ans, dans les années 300 ap. JC. Pour avoir de quoi manger, il se prostituait. Il était probablement mort jeune.
Pour Théo, l’énergie qu’il véhiculait n’était pas celle d’un rêve ordinaire, mais plutôt celle d’un souvenir. Cette hypothèse de vie précédente l’avait fait s’interroger sur la morale et ses valeurs. C’était une remise en question de l’image qu’il avait de lui-même. Cela l’avait amené à prendre du recul avec les jugements et les opinions toutes faites.
Un après-midi alors que le soleil d’hiver peinait à réchauffer le jeune couple de lycéens sur un des ponts qui traversent la Seine, le cri des mouettes faisait écho au temps de leurs vacances, quand ils s’étaient rencontrés dans ce petit village, près de la mer, en Normandie. Il évoquait la lumière de la baie perpétuellement changeante, qui filtrait au travers des nuages et se reflétait sur le sable mouillé. Comme dans les ciels immenses des peintres hollandais du XVIIème siècle.
Ils avaient prévu de faire une escapade au musée du Louvre. Dans une salle, ils tombent en arrêt devant un petit tableau.
Un homme et une femme dans un intérieur hollandais. Elle est enceinte. Théo sent quelque chose d’inhabituel au niveau de la tête, comme un « engourdissement lucide ». Un coup d’œil vers sa copine confirme qu’elle perçoit les mêmes choses : « C’est nous, tu sais ». D’autres images affluent et les bousculent. Il y a cette opulence de riches bourgeois. Mais aussi entre eux la frustration, la manipulation, la peur, l’incompréhension... L’impression d’être pris au piège, enfermés dans la prison des conventions sociales.
Ils se sont pourtant retrouvés à la fin du XIXème à Bergen, en Norvège, pour essayer d’apaiser leur relation et tenter de mettre fin à ce qui était resté non terminé. Il était pécheur. Il avait construit leur maison avec le bois des forêts avoisinantes, aidé par d’autres villageois. Cette vie simple et rude, égayée par les rires de leur petite fille et de son frère leur avait permis de se sentir plus proches.
Un jour en débarquant, il avait retrouvé leur chalet en flammes. Les voisins faisaient la chaîne en se passant des seaux d’eau, pour tenter d’éteindre le brasier. Il s’était précipité dans la maison où étaient restés les enfants, mais la chaleur irradiante de l’incendie, les poutres enflammées qui tombaient du plafond et barraient le passage l’avaient fait reculer. Il avait dû renoncer...
Avec sa femme la vie avait semblé reprendre, partagée entre la mer longtemps et la terre un peu. Un matin, il était parti seul, à pied, en direction de la montagne. C’était l’hiver. Il marchait devant lui, sans but. Des larmes, ponctuées de sanglots gelaient sur ses joues. Blanc sur blanc, le chemin avait rapidement disparu. Ses pieds s’enfonçaient dans la neige et le faisaient trébucher. A chaque chute, il se relevait, tentait un pas de plus. Le froid pénétrait de plus en plus profondément tout son corps, tandis que s’estompait peu à peu le sifflement des rafales du vent…
Puis le grand silence était venu.
Chloé et Théo en étaient là. Cette fois-ci. Bien que le souvenir de leur vie norvégienne n’ait pas été alors présent dans leur esprit, ils sentaient confusément qu’il ne fallait pas s’emballer dans leur relation. Avaient-ils à leur disposition différentes possibilités ?
En eux résonnaient deux voix : une jeune disait le plaisir et l’attirance du présent : ils étaient bien ensemble. Une plus âgée, savait le poids des incompréhensions passées et mesurait le risque de recommencer les mêmes erreurs qui n’auraient pas été complètement transformées.
Il y avait encore un petit travail de détachement à faire.
Chloé aurait pourtant bien tenté à nouveau l’aventure...
La vie quotidienne continuait pour Théo. Depuis que sa mère était partie vivre sa vie, quelques années auparavant, il habitait seul avec sa grand-mère. Son géniteur aussi s’était absenté depuis les origines. Il assumait donc la marche de la maison depuis un bon moment.
— Bonjour Monsieur, avait dit sa grand-mère à Théo, en lui ouvrant la porte.
Stupeur : maintenant, elle ne me reconnaît même plus ! Ce n’était pas une plaisanterie, mais un pas de plus dans la nuit Alzheimer où elle s’enfonçait doucement depuis quelques années, sans qu’il ne prenne vraiment conscience de sa dégradation mentale. Il y avait eu d’abord les casseroles brûlées, puis les heures et les jours qui se perdaient dans le brouillard. Et l’angoisse qu’elle ne retrouve pas son chemin quand, dans les derniers temps, elle sortait encore seule.
A vrai dire, il ne se rendait pas compte de grand-chose. C’était pour lui sa normalité, qui ne lui semblait pas si différente de celle de ses copains.
Un dimanche, ils avaient marché dans le Bois de Boulogne, pour prendre un peu l’air. Le lendemain, alors qu’il lui faisait prendre son goûter, sa bouche s’était tordue et elle avait failli tomber de sa chaise. Le médecin était venu : hémiplégie… plus de parole...
Elle avait pourtant retrouvé, un temps, une possibilité de déplacement limité en balançant sa jambe malade devenue raide. Elle ne pouvait plus se nourrir seule. Puis elle était devenue grabataire. Des escarres aux fesses et aux talons s’étaient développées.
Aucun soignant n’intervenait : Théo ne savait pas que ça existait ! Le médecin, vu deux ou trois fois l’avait félicité de s’en occuper. Il lui avait conseillé de mettre des demi-oranges sur les talons pour éviter le frottement des draps. Et basta. Théo jonglait pour continuer ses études, faire à manger, laver le linge, etc. Un jour, tandis qu’il lui tenait la main comme souvent pour manifester sa présence, alors qu’elle n’avait pas prononcé une parole depuis plusieurs années, elle avait articulé clairement : « Théo ».
Elle était morte le lendemain.
Théo avait maintenant 21 ans et se retrouvait soudain sans attaches, libre d’explorer la vie. Mais très désireux de lui trouver un sens.
Après la mort de sa grand-mère, Théo éprouvait, au sortir de ces années de jeunesse chahutées, le besoin de faire le point avant de s’engager dans une direction précise. Il ressentait un profond besoin de campagne. Des acquis de son enfance, lui restait le souvenir de la puissance régénératrice de la nature. Lui revenait alors le goût des embruns salés qui fouettaient le visage en marchant sur la plage, le poids de la glaise qui collait aux bottes dans les sillons d’une terre fraîchement labourée. Il se sentait envahi par ces sensations premières qui permettaient de s’accorder avec les rythmes fondamentaux de la vie : le jeu des rayons de lumière filtrant au travers des feuillages d’automne, l’odeur des sous-bois et du terreau mouillé après l’orage, les battements d’ailes bruyants d’un oiseau s’échappant d’un buisson, surpris dans sa quiétude par des pas humains.
Il était donc parti travailler dans une ferme dans le Cantal. Un couple de fermiers y accueillait des jeunes en crise, volontaires pour prendre de la distance avec des habitudes délétères. Théo s’occupait des vaches, de la traite, de l’entretien des prairies, du fauchage du foin pour l’hiver.
Il avait fait la connaissance de Xavier, un autre jeune venu, comme lui, se ressourcer loin de la ville, au contact de la nature. Xavier avait réussi à décrocher d’avec la dope dont il était revendeur.
Xavier avait été un enfant battu.
Dans le vestiaire de la salle de boxe, Xavier se rhabille après le combat. Ce soir, le moindre mouvement lui est douloureux et pénible : enfiler son jean, faire passer le col du sweat sur son visage devenu presque étranger à force d’être tuméfié. Pourtant il a été vainqueur. Après avoir reçu au visage un coup particulièrement douloureux, une rage l’a pris face à ce mec. Un bon technicien dont l’âge avait appesanti les pieds. L’arbitre a arrêté le combat, surpris des ressources de ce garçon plutôt habitué à mordre le tapis. Il a vingt ans. L’écho des coups résonne dans son corps, brouillant ses yeux. Sueur ou larmes ? Ce soir, c’est trop. Il veut arrêter la boxe.
Un visage qui gueule, et les grosses mains de son père apparaissent entre ses paupières mi-closes.
La ceinture et la cravache aussi...La table de la cuisine avec la toile cirée. Le carrelage froid. La peur et le froid se lisent aussi dans les yeux de sa mère. Elle qui ne dit rien quand il le bat.
Après, Xavier s’écroule tout habillé sur son lit, essaie de se faire plus petit, et attend jusqu’au matin l’heure d’aller à l’école. Quand l’aube pointe, il a encore gagné un jour sur la vie.
Ça a duré jusqu’à ses quatorze ans.
Alors il a pu se tirer en apprentissage, pour devenir jardinier paysagiste. Puis un copain lui a parlé de la boxe. Ça a fait tilt. Il a vite aimé. « Étonnante même, sa capacité à tenir la durée des rounds » disait l’entraîneur. Il ajoutait « pas assez teigneux ». Blagueur, malgré ses yeux tristes, il s’est vite fait des copains.
Corinne n’était pas qu’une copine. Elle bossait dans un restaurant et rentrait tard le soir. Elle avait aimé la silhouette de ce grand baraqué tranquille, la douceur de ses grosses mains sur sa peau. Quand Xavier l’entendait grimper à toute allure l’escalier de l’immeuble dans lequel ils louaient une petite chambre, une chaleur douce apaisait sa poitrine, puis montait jusqu’à ses yeux pour y allumer une petite lumière.
Depuis quelques mois, il était question pour eux de faire un enfant. Et ils avaient commencé à se disputer. Elle était déterminée, lui ne se sentait pas prêt. Il disait plus tard. Elle voulait maintenant. Il rentrait en retard. Elle l’attendait, à présent. Un soir, le ton avait monté. Les mots qui faisaient mal avaient jailli de leurs blessures à fleur de peau. Puis ils avaient fait l’amour.
Avant d’éteindre la lumière, son regard s’était porté sur ses grosses mains. Et soudain une violente rage, prête à le submerger, était brusquement montée en lui. Il avait regardé ses poings, effrayé.
Alors il avait compris qu’il lui fallait partir. Vite.
Après sa séparation, il s’était retrouvé paumé, de nouveau seul avec lui même. Un « copain » d’errance l’avait entraîné, d’abord, à fumer des joints. Puis, il était devenu dealer. Il faisait connaissance avec la facilité et gagnait très bien sa vie. Mais comme « la joie venait toujours après la peine », il avait aussi rencontré une étoile dans la nuit, qui s’appelait Lina. Elle avait tenté de l’aider à sortir de ses circuits destructeurs. Elle-même avait réussi à émerger d’une déprime sévère grâce à la méditation. Elle y avait sensibilisé Xavier, qui, curieusement, s’était rapidement senti à l’aise. Il avait découvert un continent inconnu, propice à toutes les découvertes : son monde intérieur. Il commençait à faire connaissance avec un autre Xavier. Lina l’encourageait aussi à se perfectionner dans l’aménagement des paysages qu’il composait et à mettre en mots et en croquis ce qu’il ressentait. Il avait repris une formation de paysagiste.
A la ferme, Xavier était chargé tout naturellement de l’organisation du potager. Il était heureux de la confiance qui lui était faite et de la liberté d’initiative dont il bénéficiait. Il était fier de la beauté de son jardin.
Il essayait de mettre en pratique ses convictions sur le jardinage pour produire des légumes capables de maintenir les gens en bonne santé. Il avait lu que la tradition chinoise voulait qu’on mange ce qui avait poussé dans le périmètre qu’on pouvait parcourir à pied en une journée, en respectant, bien sûr, le rythme des saisons. Sinon les légumes apportaient une énergie inadaptée aux besoins du corps : les tomates riches en eau, poussent en été quand le corps en a besoin. Consommées en hiver, elles contribuent à déséquilibrer notre organisme. Il voulait favoriser une terre vivante, riche en humus, en vers de terre et en micro-organismes. Il avait organisé un espace potager où tout ce qui poussait interagissait avec les plantations voisines.
Les poules s’y promenaient en toute liberté. Une mini forêt de grands arbres servait de brise-vent et créait un micro climat régulateur pour ce potager verger. Une mare avec des grenouilles et des canards contribuait à une complémentarité animale, tandis que les associations de plantes comestibles ou non, assuraient la vigueur et les défenses des légumes. Des ruches favorisaient la pollinisation. Il était aidé par l’abondance du fumier de l’étable qui fournissait un engrais naturel de qualité.
Les maraîchers voisins, d’abord moqueurs devant l’envahissement des plantations par les « mauvaises » herbes, avaient peu à peu été étonnés d’année en année par la vitalité et la résistance aux maladies des légumes de Xavier. Certains leurs reconnaissaient même un meilleur goût. Ils étaient particulièrement étonnés par la productivité de son potager-jardin. Dans un espace de 1300 m2 de potager cultivé, entouré des interactions de l’environnement, des bois, mares, poulailler, verger, il obtenait les mêmes rendements que ses voisins avec 9000 m2 !
Leurs terres à eux étaient devenues un sol stérile, sans vie propre, dépendant des apports chimiques, qui conditionnaient les rendements. Priorité était donnée, à la quantité, sans tenir compte de la fragilisation des plantes qui ne pouvaient survivre que grâce à l’emploi de pesticides destructeurs des hommes et de l’environnement. Toute l’interdépendance de l’écosystème était ignorée. Et les insectes et les oiseaux disparaissaient.
Xavier disait « La terre est comme les humains, elle aussi a besoin de coopération. Si on l’aide, elle sait trouver ce qui va lui permettre de se régénérer, de s’épanouir et de renforcer sa résistance aux agressions. Mais il faut respecter sa vie. La terre est un être vivant ».
Dans l’obscurité du petit matin, Théo se rendait à l’étable pour la traite de ses vaches. Tous ses sens étaient remplis des frémissements de la terre qui s’éveillait. Seul le cliquetis des chaînes des vaches troublait le silence. Il souriait en voyant leur souffle faire de petits nuages au contact de l’air froid à la sortie de leurs naseaux. C’était pour lui un moment privilégié pour s’imprégner de l’énergie de la journée qui commençait.
Les deux garçons ressentaient la profonde harmonisation intérieure que leur procurait peu à peu ce contact avec les rythmes fondamentaux de la vie. Ils voyaient les paysages se transformer au cours des saisons et participaient à ces rythmes premiers qui renouvelaient en permanence la vie de la terre. Ces cycles qui revenaient, ajoutant chaque année un cerne aux arbres, tout en assurant la continuité de leur croissance, faisaient souvent partie de leurs échanges du soir sur un thème qui les passionnait tous les deux : la possibilité d’avoir plusieurs vies.
Si toute la nature évolue de cycles en cycles, d’années en années, pourquoi, pour les hommes, le processus serait il différent ? Mais pour le comprendre, il ne fallait pas se limiter au visible. Comme si ce soir nous affirmions que la seule réalité de l’univers était ce fascinant ciel étoilé que nous percevons à l’œil nu au dessus de nos têtes ! En oubliant les milliards d’autres mondes que nous commençons seulement à découvrir. Ce qui excitait leur curiosité, n’était pas seulement l’explication du passage du corps matériel de l’Homo Erectus à celui de Sapiens, mais de savoir comment évolue aussi la partie subtile de l’homme, celle qui persiste de vie en vie.
Ils avaient déjà expérimenté l’un et l’autre ce plus subtil dans l’homme et la possibilité de s’éloigner du corps physique et des apparences matérielles. Xavier, malgré son jeune âge avait eu un accident vasculaire cérébral et avait fait un coma. Il était revenu transformé par cette expérience.
— J’ai quitté mon corps que j’ai vu d’abord allongé sur le lit depuis le plafond de la chambre de l’hôpital. Puis j’ai été aspiré dans un tunnel qui débouchait dans une lumière intense et paisible. Il y avait des gens qui s’occupaient de moi. J’y suis resté un moment. Puis on m’a dit : « Maintenant, il faut retourner sur terre. Ce n’est pas le moment pour toi de quitter la vie terrestre.» Je ne voulais pas, car j’étais très bien là-bas. Mais je me suis retrouvé dans mon lit d’hôpital. Ce « voyage » m’a débarrassé de la peur de la mort, mais aussi de multiples craintes qui m’envahissaient souvent. Ça m’a rapproché des autres. J’ai changé de priorités.
C’est à ce moment là, qu’il avait voulu faire un break à la ferme.
Ils se demandaient : quand on n’est pas que son corps, qui est-on ? Est-ce qu’on évolue aussi ?
Au bout de deux ans, Théo avait quitté la ferme, pour débuter des études d’infirmier. Xavier était resté encore un peu. Ils se donnaient des nouvelles de temps à autre.
Son diplôme en poche, Théo s’était installé dans un petit village.
Son métier d’infirmier lui permettait d’être très proche des gens. Il appréciait la simplicité d’avoir accès à une forme de communauté entre humains devant la maladie et la souffrance. L’inquiétude par rapport à leur santé permettait à certains de voir avec un peu plus de recul les obligations dans lesquelles ils se croyaient plongés.
C’était l’occasion pour Théo d’aborder parfois des sujets plus sérieux, comme de faire la différence entre les problèmes passagers de la vie ordinaire et ceux plus déstabilisants de la maladie grave ou des accidents. De parfois établir une nouvelle vision des priorités et de ce qui était essentiel dans notre vie. Lorsque la vie était menacée, toutes les urgences et les besoins jugés indispensables pouvaient en un instant se retrouver secondaires et futiles. Il s’établissait aussi, une simplicité dans les relations avec les patients où le statut social, l’âge, le sexe, la religion, les opinions politiques et la couleur de peau, perdaient leur importance.
Un jour, il était allé rendre visite à une vieille voisine italienne. Elle avait perdu son fils dans un accident quelques années auparavant et souvent, elle évoquait, en pleurant, le jour où on lui avait ramené son corps, quelques minutes après son départ en scooter.
— Théo, je voudrais aller chercher quelque chose dans le grenier. Cela fait des années que je n’y suis pas montée. Peux-tu m’y accompagner ? J’ai du mal à marcher et j’ai peur de tomber.
Là, au 2ème étage, dans la pénombre, au fond du couloir qui séparait les pièces de part et d’autre, il y avait un homme, jeune, debout, plutôt souriant. Cette présence inattendue, dans un endroit dans lequel personne ne venait jamais, n’était pas pour autant inquiétante.
Théo compris tout de suite que cette silhouette était celle de son fils : « Dis à ma mère qu’il faut qu’elle arrête de pleurer. Je suis toujours vivant. » Elle-même ne s’était rendu compte de rien. La rencontre avait été si banale et paisible qu’il avait senti possible, après réflexion, de lui transmettre le message quand ils avaient regagné le rez-de-chaussée :
— Lo visto. Non e morto.
Il lui avait décrit son veston, un peu surprenant chez un jeune, à l’époque.
— Oui, il en mettait un pour son travail.
A chaque fois que Théo venait, elle qui avait été d’abord incrédule, lui faisait préciser des détails de ce qu’il avait cru percevoir. Elle voulait se rassurer qu’il n’avait pas rêvé.
La vieille femme s’apaisait doucement.
Ces quelques « petites » expériences, vécues au cours de sa vie de tous les jours, avaient amené Théo à prendre davantage conscience du profond décalage qui existait entre son expérience intérieure et les seuls objectifs matériels sur lesquels était basé son environnement quotidien : le besoin d’accumulation de possessions, la recherche d’une position sociale attractive, l’exacerbation des jeux de pouvoir dans la concurrence professionnelle, la quête éperdue de rencontre entre les sexes, la manipulation des esprits par la pub, etc.
Il imaginait les bouleversements que provoquerait la révélation par l’expérience, du caractère provisoire de la mort : tant de choses changent, si la mort n’est pas la fin de tout.
Pour lui, le quotidien des hommes avait été complètement faussé par cette conception de la vie limitée au visible. Mais il avait rapidement admis que pour certains, la terre s’arrêtait là où se trouvait la ligne d’horizon. Ils restaient prisonniers de l’illusion du visible. Et il était difficile pour eux de concevoir que notre boule bleue sur laquelle ils se trouvaient si stables et en sécurité à l’instant, était aussi en même temps, propulsée à trente kilomètres par seconde autour du soleil, comme l’affirment les astrophysiciens. Lui ressentait les deux affirmations, comme compatibles. Le fils de l’italienne était mort dans un accident ET il était dans le grenier, des années plus tard, attentif à la peine de sa mère. Le premier travail à faire lui semblait de partager joyeusement la fin des certitudes du visible.
Si la mort n’est pas la mort, alors les hommes peuvent être enfin libérés de leur peur fondamentale.
La perspective change complètement, si la mort n’est qu’une ponctuation qui permet notre évolution de vie en vie. La qualité de notre avenir dépend alors des transformations et des progrès intérieurs que nous aurons été capables d’effectuer. Nous devenons responsables de ce qui nous arrive. Et de ce qui arrive aux autres. Ce qui entraîne une totale remise en question de nos choix, de nos priorités et des valeurs sur lesquelles est basé le fonctionnement actuel de notre société.
Il ne se fondait pas du tout sur une croyance religieuse ou scientifique, mais sur son expérience.
Mais même l’expérience a une part de subjectivité dans ses interprétations. L’honnêteté de base est de le reconnaître. Et de ne pas faire comme certains « scientistes» qui « croient qu’ils savent et ne savent pas qu’ils croient », comme peut en témoigner toute l’histoire des sciences.
Il reste à explorer le monde avec curiosité, respect et tolérance.
Il lui fallait donc à présent tenter d’affirmer ses valeurs face au modèle dominant. C’était pour lui une des premières leçons de cette vie : penser par soi-même, être ouvert aux possibles, faire confiance à son expérience, plutôt que de se rallier à une majorité d’opinions conditionnées par l’air du temps et inconsciente de l’être.
C’était peut-être une des raisons pour laquelle, au delà de la joie de la relation aux autres, il s’était très vite senti à l’étroit sous son étiquette « d’infirmier », derrière laquelle il n’était qu’un exécutant d’une conception de la santé qui visait essentiellement à faire disparaître un symptôme gênant, sans tenir compte de tous les éléments proches et lointains qui avaient fait naître le problème.
Il intervenait en bout de chaîne, quand on avait laissé s’accumuler tous les facteurs de risques. Il ressentait donc le besoin de mieux comprendre les causes, de ne pas se limiter aux dysfonctionnements corporels et d’avoir dans le domaine de la santé une approche « globale ». Un être humain avait aussi un psychisme, une vie affective, des croyances, un passé proche et