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Le plaisir et la douleur, et ce qui les produit, à savoir, le bien et le mal, sont les pivots sur lesquels roulent toutes nos passions. (John Locke)
Qu’est-ce, en effet, que le plaisir ? "Une manière d’être que nous cherchons à produire dans la conscience et à y retenir". Qu’est-ce que la douleur ? "Une manière d’être que nous cherchons à faire sortir de la conscience ou à en tenir éloignée."…
Comme l’ont dit Platon et Aristote, il n’y a probablement chez l’homme ni plaisir ni déplaisir absolument pur : les deux sentiments se trouvent mélangés à doses inégales par l’art subtil de la nature, et l’impression définitive dans notre conscience est une résultante où l’emporte un des éléments. Cette complexité de toute émotion pourrait se déduire des deux conceptions dominantes de la physiologie moderne. La première de ces conceptions, c’est que notre corps est en réalité une société de cellules qui ont chacune leur activité propre et luttent entre elles pour la vie. Chez les animaux inférieurs, chaque partie de l’organisme semble encore jouir ou souffrir pour son propre compte, comme dans le ver coupé en deux ; chez les animaux supérieurs, il se produit une sélection et une fusion finale des impressions élémentaires qui aboutissent au cerveau. Il est probable que des rudiments d’émotions agréables ou désagréables émergent de toutes les parties et viennent retentir dans la conscience générale, de manière à lui communiquer le timbre du plaisir ou celui de la peine, selon les éléments auxquels reste la victoire. Nos peines et nos plaisirs seraient ainsi le résumé des peines ou plaisirs élémentaires d’une myriade de cellules : un peuple souffre ou jouit en nous, notre moi est léqion, notre bonheur individuel est en même temps un bonheur collectif et social…
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Seitenzahl: 56
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Le plaisir et la douleur au point de vue de la sélection naturelle.
Le plaisir et la douleur au point de vue de la sélection naturelle
Le plaisir et la douleur, et ce qui les produit, à
Comme l’ont dit Platon et Aristote, il n’y a probablement chez l’homme ni plaisir ni déplaisir absolument pur : les deux sentiments se trouvent mélangés à doses inégales par l’art subtil de la nature, et l’impression définitive dans notre conscience est une résultante où l’emporte un des éléments. Cette complexité de toute émotion pourrait se déduire des deux conceptions dominantes de la physiologie moderne. La première de ces conceptions, c’est que notre corps est en réalité une société de cellules qui ont chacune leur activité propre et luttent entre elles pour la vie. Chez les animaux inférieurs, chaque partie de l’organisme semble encore jouir ou souffrir pour son propre compte, comme dans le ver coupé en deux ; chez les animaux supérieurs, il se produit une sélection et une fusion finale des impressions élémentaires qui aboutissent au cerveau. Il est probable que des rudiments d’émotions agréables ou désagréables émergent de toutes les parties et viennent retentir dans la conscience générale, de manière à lui communiquer le timbre du plaisir ou celui de la peine, selon les éléments auxquels reste la victoire. Nos peines et nos plaisirs seraient ainsi le résumé des peines ou plaisirs élémentaires d’une myriade de cellules : un peuple souffre ou jouit en nous, notre moi est léqion, notre bonheur individuel est en même temps un bonheur collectif et social. Ce n’est pas tout. Une autre conception de la psychologie physiologique vient confirmer encore ce caractère collectif de notre sensibilité : c’est la doctrine de l’évolution et des effets de l’hérédité accumulés dans l’individu. Ce n’est pas seulement le présent qui résonne en nous, mais encore le passé : nos émotions en apparence les plus nouvelles renferment le ressouvenir et l’écho inconscient des expériences de toute une série d’ancêtres. Quoi de plus neuf, semble-t-il, et de plus frais que la première émotion d’amour éprouvée par la jeune fille ? Et cependant, c’est tout un passé qui se prolonge et retentit en elle : le battement de son cœur est la continuation du battement de cœur universel ; la rougeur de ses joues est le signe visible d’une infinité d’émotions intérieures où se résument les émotions de toute une race ; ce n’est pas elle seulement qui aime, c’est l’humanité et même la nature entière qui aime en elle.
Selon M. Spencer, on le sait, la vue d’un paysage réveille en nous simultanément des milliers d’émotions profondes, maintenant vagues, qui existaient dans la race humaine aux temps barbares, quand toute son activité se déployait surtout au milieu des eaux et des bois. De même, selon M. Schneider, pourquoi la contemplation d’un coucher de soleil nous donne-t-elle une impression de calme et de paix ? « Il n’y a qu’une réponse : c’est que, depuis d’innombrables générations, la vue du soleil couchant est associée au sentiment de la fin du travail, du repos, de la satisfaction. » C’est trop dire, sans doute ; les teintes mêmes du soir et sa fraîcheur ont un effet physiologique et psychologique qui entre comme élément dans notre émotion ; nos souvenirs personnels y sont aussi associés et non pas seulement les réminiscences ancestrales ; pourtant il est plausible d’admettre que le calme des heures de repos goûtées par le genre humain depuis des siècles descend en nous avec les ombres du soir. Les sentiments esthétiques, aujourd’hui désintéressés, enveloppent ainsi une foule d’éléments sensitifs et de tendances à l’action renaissantes, qui se rapportaient originairement à la conservation de l’individu et de l’espèce.
Il résulte de là que l’étude du plaisir et de la douleur est analogue, comme complication et comme difficulté, à la science sociale, où les actions et réactions mutuelles semblent, par leur variété et leur multiplicité, échapper aux prises du calcul. Ne nous étonnons donc pas de la contradiction qui parait exister entre les philosophes relativement à la nature du plaisir et de la douleur. « Il serait à souhaiter, disait Leibniz, que la science des plaisirs fût achevée. » Elle est encore bien loin de l’être. Aujourd’hui que le problème du pessimisme et de l’optimisme a repris, avec un aspect nouveau, une nouvelle importance morale et métaphysique ; il n’est guère de question plus intéressante pour le philosophe que celle qui concerne l’origine du plaisir ou de la douleur et leur rôle comme moteurs de l’universelle évolution. Nous nous proposons ici d’exposer ce qu’il y a de vrai et ce qu’il y a aussi d’incomplet dans les explications empruntées à la doctrine de la sélection naturelle : nous rechercherons d’abord la portée et les limites de ces explications ; puis nous montrerons les conséquences morales ou métaphysiques auxquelles aboutit l’étude des rapports du plaisir et de la douleur avec la vie.
On ne pouvait manquer d’appliquer la doctrine biologique de la sélection au plaisir et à la douleur. C’est à cette théorie que M. Schneider, comme M. Spencer dont il est le zélé disciple en Allemagne, demande le dernier secret de nos joies ou de nos peines. Non-seulement il y a un lien entre le plaisir et l’accroissement de la vitalité, mais ce lien ne pouvait pas ne pas s’établir par une nécessité de l’évolution.
Qu’est-ce, en effet, que le plaisir ? « Une manière d’être que nous cherchons à produire dans la conscience et à y retenir, » répond M. Spencer. — Qu’est-ce que la douleur ? « Une manière d’être que nous cherchons à faire sortir de la conscience ou à en tenir éloignée. » Ces principes posés, on voit immédiatement la conséquence que doivent tirer MM. Spencer et Schneider. Imaginez des individus chez qui le plaisir soit lié aux actions nuisibles, la douleur aux actions utiles. Il a dû se produire à l’origine des êtres de ce genre, grâce aux jeux de la nature, car, comme disait le vieil Héraclite, « Jupiter s’amuse et le monde se fait. » Mais les êtres ayant accidentellement un tel vice de constitution ont dû vite disparaître, puisqu’ils persistaient dans ce qui est nuisible et fuyaient ce qui est utile. Ainsi, d’après les principes de Darwin, qu’avait entrevus un autre philosophe grec, Empédocle, la condition essentielle du développement de la vie à travers les âges, c’est que les actes agréables soient aussi, en général