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Ouvrez les livres de la plupart des physiologistes et médecins de notre époque, vous retrouverez sans cesse ces expressions qui ont fait fortune : la pensée est un « épiphénomène, » la pensée est un « fait surajouté, » un « surcroît, » un « luxe, » un « accessoire. »
Les découvertes sur l’hypnotisme semblent, à première vue, confirmer cette hypothèse, et semblent nous réduire, sous le rapport mental, à des automates inertes… Cependant, à y regarder de plus près, ne découvrirait-on pas que les états de conscience sont toujours les vrais ressorts qui meuvent l’automate, les vraies conditions internes des mouvements mêmes ? Sans doute une idée introduite dans une tête humaine développe nécessairement ses conséquences et tend à se réaliser en actes ; nous ne possédons pas une liberté d’indifférence qui s’exercerait en dehors et au-dessus de nos motifs et de nos mobiles. Mais, précisément parce qu’il y a ainsi lutte pour la vie entre les idées, l’essentiel est de faire prédominer dans les consciences humaines les idées les plus hautes et les meilleures. La force des idées est donc en même temps notre vraie force, à nous, êtres pensants...
Dans la condition normale et dans les conditions anormales du cerveau, mouvements et idées apparaîtront de plus en plus, croyons-nous, comme les manifestations diverses d’une même activité dont le fond est l’appétit, ou, pour parler comme Schopenhauer, le « vouloir-vivre. » Les expériences sur l’hypnotisme, comme le reconnaît M. Pierre Janet, sont une confirmation frappante de la doctrine des idées-forces, et, si ces expériences semblent d’abord nous rabaisser au rôle des machines, elles nous apprennent cependant que, par le moyen des idées, nous pouvons diriger notre mécanisme même et faire de lui le serviteur de la vie morale.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alfred Fouillée, né le 18 octobre 1838 à La Pouëze (Maine-et-Loire) et mort le 16 juillet 19121 à Lyon, est un philosophe français.
Il est l'auteur d'un adage de droit civil : « Qui dit contractuel, dit juste » et est à l'origine de la notion métaphysique d'« idée-force ».
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Seitenzahl: 130
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Le physique et le mental à propos de l'hypnotisme.
Le physique et le mental à propos de l'hypnotisme
Principes de l’automatisme psychologique
Alfred Fouillée
Pierre Janet
EHS
Humanités et Sciences
Le physique et le mental à propos de l'hypnotisme{1}
Selon la théorie adoptée par beaucoup de physiologistes et de psychologues, la conscience ne compterait pour rien comme « facteur » dans l’évolution. La composition d’Hamlet, par exemple, était un résultat déterminé par des phénomènes de pure mécanique, où l’unique rôle était joué par certains changements moléculaires dans le cerveau de Shakespeare. Quand le poète prêtait à son héros l’interrogation tragique : être ou bien ne pas être ? les idées de l’être et du néant, les sentiments d’amour pour la vie et d’horreur pour la mort, les aspirations à une existence éternelle, tout cela était, nous dit-on, de simples « accompagnements » à l’agitation des molécules cérébrales ; — ces idées et ces sentiments n’ont pas plus coopéré au monologue d’Hamlet que le rayon de l’étoile reflété par la surface de la mer ne détermine la marche de l’étoile. L’histoire de Shakespeare, l’histoire de l’humanité et du monde aurait été la même sous tous les autres rapports, si l’idée, le sentiment et le désir n’avaient jamais nulle part existé : le soleil et les étoiles auraient accompli leurs mêmes révolutions, et, comme l’astronomie céleste, l’astronomie cérébrale aurait présenté les mêmes phases, aux mêmes lieux, aux mêmes points de la durée.
Bien plus, non seulement nos états de conscience sont sans action dans l’histoire générale du monde, ils sont encore, selon cette doctrine, sans la moindre action l’un sur l’autre ; il n’en est aucun qui soit la condition du suivant, ils ont tous pour unique condition des changements extérieurs. Si je veux retirer ma main du feu, ce n’est pas parce que je souffre et que, simultanément, il se passe dans mon cerveau tels et tels phénomènes ; c’est parce que les molécules cérébrales sont, en dehors de toute raison « psychique, » dans telles situations réciproques, animées de tels mouvements tout physiques ; la série des conditions est exclusivement cérébrale et matérielle ; il n’y a dans le mental que du conditionné, jamais du « conditionnant, » que les ombres des ressorts efficaces, jamais les ressorts mêmes. Cette complète inertie du mental en entraîne la complète superfluité. Les idées, les sentiments et les désirs sont des mystères incompréhensibles ; ils naissent de rien, ils ne servent à rien, ils ne laissent derrière eux aucunes conséquences. C’est le scandale de la nature, qui pourrait se passer de ces parasites et qui cependant arrive, on ne sait comment, à produire cette superfétation, la pensée, pour le seul plaisir ou la seule douleur d’y venir contempler sa propre image et de se demander avec Hamlet s’il ne vaudrait pas mieux ne pas être que d’être ?
Ouvrez les livres de la plupart des physiologistes et médecins de notre époque, surtout de ceux qui se rattachent, en France, à l’école de Paris, en Angleterre, à la doctrine de Spencer, de Maudsley et de Huxley ; vous retrouverez sans cesse ces expressions qui ont fait fortune : la pensée est un « épiphénomène, » la pensée est un « fait surajouté, » un « surcroît, » un « luxe, » un « accessoire. »
Les découvertes sur l’hypnotisme ont semblé, à première vue, confirmer cette hypothèse et nous réduire, sous le rapport mental, à des automates inertes : — Voici l’homme-machine de La Mettrie, ont dit les physiologistes ; nous en démontons et en remontons devant vous les rouages ; nous n’avons qu’à presser tel ressort pour le faire agir, tel autre pour le faire parler ; bien plus, nous lui faisons exécuter, une fois réveillé, des actes qu’il attribue à sa volonté propre, quand c’est nous qui tenons le fil de cette marionnette humaine.
Cependant, à y regarder de plus près, ne découvrirait-on pas que les états de conscience sont toujours les vrais ressorts qui meuvent l’automate, les vraies conditions internes des mouvements mêmes ? Sans doute une idée introduite dans une tête humaine développe nécessairement ses conséquences et tend à se réaliser en actes ; nous ne possédons pas une liberté d’indifférence qui s’exercerait en dehors et au-dessus de nos motifs et de nos mobiles. Mais, précisément parce qu’il y a ainsi lutte pour la vie entre les idées, l’essentiel est de faire prédominer dans les consciences humaines les idées les plus hautes et les meilleures. La force des idées est donc en même temps notre vraie force, à nous, êtres pensants, qui ne sommes peut-être que des idées de l’éternelle nature.
On voit quel haut problème de philosophie générale vient se dresser au-dessus des curiosités psychologiques de l’hypnotisme, ce grossissement anormal des lois de la vie sensitive et imaginative. A nos yeux, les expériences de l’hypnotisme, mieux interprétées, sont propres à nous donner tout ensemble le sentiment de notre union intime avec le monde physique et le sentiment de la puissance que le mental exerce pour sa part au sein de l’évolution universelle. Dans la condition normale et dans les conditions anormales du cerveau, mouvements et idées apparaîtront de plus en plus, croyons-nous, comme les manifestations diverses d’une même activité dont le fond est l’appétit, ou, pour parler comme Schopenhauer, le « vouloir-vivre. » Les expériences sur l’hypnotisme, comme le reconnaît M. Pierre Janet, sont une confirmation frappante de la doctrine des idées-forces, et, si ces expériences semblent d’abord nous rabaisser au rôle des machines, elles nous apprennent cependant que, par le moyen des idées, nous pouvons diriger notre mécanisme même et faire de lui le serviteur de la vie morale. A nous de savoir nous donner « l’autosuggestion » dans le bon sens. En outre, les recherches les plus nouvelles sur l’hypnotisme à distance et sur la sympathie à distance, si elles se confirment, tendraient à cette conclusion importante, que le milieu matériel qui nous entoure est en même temps une atmosphère de vie « psychique. » Le mécanisme universel n’est donc nullement incompatible avec la force universelle des idées et des désirs.
I.
La plupart des physiologistes qui soutiennent la superfluité du mental se rattachent à la doctrine évolutionniste. Or, leur hypothèse nous semble précisément contraire à la théorie de l’évolution. En effet, rien ne se développe, dans les espèces vivantes, que ce qui a pour elles une utilité pratique et vitale. Une sensation qui ne servirait pas â éveiller une tendance au mouvement, une impulsion à produire un effet extérieur, serait sans utilité pour l’être animé ; elle ne se serait donc jamais développée par sélection, avec les mouvements qui y correspondent ; elle n’aurait jamais été triée dans l’ensemble des impressions plus ou moins confuses produites en nous par le monde extérieur. La vie, à son origine, ignore absolument la contemplation : elle ne connaît que l’action. Si l’animal a des yeux, ce n’est pas uniquement pour voir, c’est pour agir et se mouvoir ; s’il a des oreilles, c’est pour être averti de ce qui peut lui être utile ou nuisible. Même aujourd’hui, la contemplation n’est encore qu’une action supérieure, en vue d’un intérêt supérieur et d’une forme supérieure de la vie. Nous ne sommes pas nés pour penser, mais pour vouloir. Toute sensation ou représentation retentit sur la vie organique elle-même, qu’elle favorise ou contrarie ; c’est pour cela, nous le verrons, que l’idée du bien-être et de la guérison peut guérir le malade, que la représentation d’un certain état des organes peut entraîner la réalité même de cet état. La philosophie de l’évolution, en refusant le pouvoir de se développer à tout ce qui n’est pas pratique, conséquemment moteur, permet donc déjà d’induire que les faits de conscience ne sont pas des reflets inefficaces, mais des moyens d’action et de mouvement, en un mot d’évolution.
En outre, admettre la complète inertie du mental, c’est supposer que, quand l’évolution est arrivée à produire ce phénomène merveilleux, la conscience, elle s’arrête là, ne va pas plus loin, ne fait plus servir ce phénomène à en amener d’autres. Par là, on pose une borne à l’évolution, et de quel droit ? Comment la nature coupe-t-elle court à sa longue série d’équations mécaniques par ce point d’exclamation, le sentiment, et par ce point d’interrogation, la pensée ?
La théorie aujourd’hui régnante est l’exagération, ou plutôt l’interprétation inexacte des conceptions de Descartes et de Leibniz. Descartes avait opposé à la pensée consciente un monde d’étendue complet et constant dans son énergie mécanique. L’harmonie préétablie de Leibniz supprima toute action « transitive » d’un être sur l’autre, pour la remplacer par deux chaînes d’actions immanentes qui se trouvent en parfaite correspondance ; mais cette correspondance même, comment l’expliquer ? On sait que Leibniz recourt à une action de Dieu sur les deux chaînes à la fois. Fort bien ; mais cette action de Dieu est elle-même transitive : la difficulté est donc simplement remontée jusqu’au clou divin où sont suspendues les deux chaînes. Plus conséquent est Spinoza, qui, au lieu de concevoir Dieu comme cause transitive du monde, le conçoit comme « cause immanente » et comme « substance. » Nous avons ainsi deux séries de modes : les modes de l’étendue ou mouvements, les modes de la pensée ou idées. Ce sont les deux aspects de la réalité admis encore aujourd’hui par tant de philosophes et de savants. Par malheur, la « substance » est, comme la force inconnaissable de Spencer, une conception qui n’explique rien ; c’est x. Selon nous, le monisme est vrai, mais il ne doit plus reposer sur une idée transcendante, comme celle de substance ou d’inconnaissable ; il faut lui donner une signification vraiment expérimentale. Or, à ce point de vue, l’harmonie du mouvement et de la pensée admise par Descartes, par Leibniz, par Spinoza, ne nous semble exprimer que grossièrement les deux principales classes de phénomènes auxquels, pour la commodité de notre science, nous réduisons tout le reste. N’y a-t-il pas quelque chose d’un peu puéril dans la division en deux de l’univers, dans la dichotomie du mouvement et de la pensée, qui iraient chacun de son côté et par soi, et qui se trouveraient cependant toujours parallèles ? Non, il n’existe qu’une seule et unique réalité, océan immense dont les faits dits physiques et les faits dits psychiques sont tous des flots, contribuant pour leur part à la tempête éternelle. Physique ou psychique, c’est simplement affaire de degrés. Nous appelons physique ce que nous avons, par abstraction, dépouillé le plus possible d’éléments empruntés à notre faculté de sentir et de penser ; mais où est la machine pneumatique assez puissante pour vider complètement le physique de tout élément psychique, par exemple de tout résidu de la sensation ? D’autre part, nous appelons psychique le phénomène plus complet et plus concret, plus avancé dans l’évolution, tel que nous le sentons et l’éprouvons, le vrai phénomène d’expérience, tel qu’il est pour l’expérience même et dans l’expérience, avec toutes ses qualités et rapports, — parmi lesquels, d’ailleurs, se trouvent les qualités mécaniques et les rapports mécaniques. Ainsi pris dans son ensemble, croit-on que le phénomène soit moins réel et que, en devenant fait d’expérience, il ne soit plus qu’un aspect et une ombre de lui-même ? Tout au contraire ; c’est là qu’il vit et se sent vivre, c’est là qu’il existe en soi et pour soi tout ensemble. Il n’a jamais été aussi réel que quand il est senti et pensé, quand il dit : Je me sens et je me pense.
De nos jours, non seulement on suppose une séparation du physique et du mental telle que l’un pourrait exister sans l’autre, mais on admet, encore plus arbitrairement, que l’un des deux est seul l’agent, l’autre la simple représentation. L’un agirait donc sans sentir (la matière), l’autre sentirait sans agir (la conscience). Ce n’est plus le parallélisme de Leibniz, c’est la réduction du mental à un mode d’existence morte. On aboutit alors à cette étrange chose : un monde de réalités doublé d’un monde de représentations ou de reflets. Où se produit le reflet mental ? Il ne peut être lui-même un pur mouvement, puisque l’on convient qu’entre un mouvement et une représentation il y a un abîme. Si, comme ce système le prétend, le mouvement est toute la réalité, comment peut-il y avoir encore au-delà des « reflets », et des reflets qui jouissent ou souffrent, des reflets qui pensent, des reflets qui aiment ou haïssent ? Quel est ce mode paradoxal d’existence qui consiste à être reflet sans rien de plus et à exister ainsi en dehors de la réalité même ? Cette idée de reflet n’est qu’une fausse métaphore ; il n’y a pas de pur reflet ; les ombres chinoises elles-mêmes agissent, en ce sens qu’elles sont des mouvements de la lumière conditionnés par nos gestes, mais qui, à leur tour, conditionnent autre chose ; elles ne réagissent pas sur nos gestes, soit ; elles réagissent néanmoins. Bien plus, elles peuvent réagir sur nos gestes mêmes, car, si nous ne trouvons pas réussie la silhouette voulue, nous modifions le geste pour l’adapter à la silhouette. ; la petite ombre chinoise a donc coopéré, selon ses moyens, à la comédie, — plus heureuse que la pensée même du comédien, qui, selon la théorie en question, ne ferait absolument rien, elle, et qui, au moment où elle semble tout diriger, ne serait, pour ainsi dire, qu’une ombre chinoise absolue !
Voilà ce que nous ne pouvons admettre ; voilà ce qui nous fait considérer la théorie exclusivement mécaniste comme une fantasmagorie. Pour nous, le monde est un ; il n’y a pas d’un côté des réalités, de l’autre des ombres ; d’un côté des phénomènes et de l’autre des « épiphénomènes ; » d’un côté des conditions physiques nécessaires et de l’autre des représentations mentales superflues, qui, à leur superfluité, ajouteraient le singulier privilège de souffrir quand la machine va mal, quoique cette souffrance ne serve absolument à rien ! C’est comme si le thermomètre qui enregistre passivement la fièvre était seul à en souffrir ; il pourrait s’écrier alors : — Puisque je n’y peux rien et que ce n’est point ma faute, la nature aurait bien dû m’épargner cette façon incommode de refléter les affaires d’autrui.
Ou il n’y a dans le monde aucune vraie causalité ni activité, et alors le physique est à la même enseigne que le mental : il n’agit pas davantage, puisque rien n’agit ; ou il y a réellement dans le monde des causes et effets, tout au moins des conditions qui se conditionnent réciproquement, et alors les phénomènes mentaux, par cela même qu’ils sont conditionnés, doivent à leur tour conditionner d’autres phénomènes ; tout au moins doivent-ils se conditionner entre eux. Par exemple, la sensation de la chaleur doit être une condition préalable de la souffrance causée par une brûlure, et cette souffrance doit être la condition de mon aversion pour le feu, laquelle est exprimée physiquement par un mouvement de recul. On aura beau dire que la représentation mentale est un pur effet ; dans le domaine de la causalité, c’est la réciprocité qui règne : il n’y a point d’effet qui ne soit cause à son tour, il n’y a point d’action subie sans réaction exercée, de coup donné sans coup reçu ; il n’y a point de conditionné qui ne prenne sa revanche en conditionnant quelque chose. Il n’y a donc ni appétition sans mouvement, ni mouvement sans une obscure appétition ; le mouvement est un extrait du phénomène total, l’appétition en est un autre extrait, avec cette différence que l’appétition représente quelque chose de beaucoup plus fondamental et qu’elle est, pour le philosophe, la vraie cause. A coup sûr, lorsque Shakespeare écrivait le vers : To be or not to be