Le prénom a été modifié - Perrine Le Querrec - E-Book

Le prénom a été modifié E-Book

Perrine Le Querrec

0,0

Beschreibung

« Finalement je me suis décidée. Je suis descendue à la cave. Je m’y suis enfermée. Avec mes mots, ma colère, la tête pleine de ses cris et du silence indigne des autres. J’y suis restée, dans la cave. Je ne pouvais pas y croire, je ne pouvais pas m’y résoudre, je refusais d’oublier, de passer à autre chose, de la voir disparaître.
Elle, sans prénom, prénom modifié. Elle, singulier, pluriel, comme les viols dont elles ont été victimes. Les mots me tombaient dessus comme les hommes lui étaient tombés dessus.
Mais moi je les voulais ces mots-là, je voulais rompre tous les silences qui l’enterraient, qui la condamnaient.
Je suis allée les chercher, un par un, je les ai obligés à se tenir devant moi, je les ai interrogés, tournés et retournés, je voulais qu’ils disent tout, qu’ils crient plus fort que ce silence impossible. »
Perrine Le Querrec


EXTRAIT

"Les premières fois les premiers mois je n’ai pas pu parler. En parler. Il y avait toujours une main sur ma bouche qui m’étrangle. Je suffoque j’essaie d’arracher la main. Je ne trouve plus ma bouche je ne peux plus parler."


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Écrit d’une grande force et d’une absolue nécessité. Merci Perrine Le Querrec." - Librairie Esperluette

"Perrine Le Querrec n’a de cesse d’user de l’art poétique pour crier la pire des violences : ce silence autour de l’indicible. La beauté réside en son courage d’offrir justesse et lumière à l’innocence toujours meurtrie. À lire et se souvenir." - Librairie Passage


À PROPOS DE L'AUTEURE

Perrine Le Querrec est née en 1968 à Paris. Elle publie de la poésie, des romans, des pamphlets. Elle écrit par chocs, construit une langue et un regard à la poursuite des mots réticents, des silences résistants.
L’ image comme l’ archive sont des matériaux essentiels à sa recherche poétique, tout comme son engagement auprès de ceux dont la parole est systématiquement bafouée.
Roman chorégraphique, écriture iconographique, poésie accompagnée d’ improvisations musicales, travaux d’écritures avec des photographes, des plasticiens, des danseurs, les champs d’ expérimentation de Perrine Le Querrec s’enrichissent de tous les vocabulaires de création. 

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 51

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



LE PRÉNOM A éTé MODIFIé

Perrine Le Querrec

Première édition : 2014, éditions Les doigts dans la prose

© (éditions) La Contre Allée (2022)

Collection La sentinelle

Avant-propos

Finalement je me suis décidée. Je suis descendue à la cave. Je m’y suis enfermée. Avec mes mots, ma colère, la tête pleine de ses cris et du silence indigne des autres. J’y suis restée, dans la cave. Je ne pouvais pas y croire, je ne pouvais pas m’y résoudre, je refusais d’oublier, de passer à autre chose, de la voir disparaître.

Elle, sans prénom, prénom modifié. Elle, singulier, pluriel, comme les viols dont elles ont été victimes. Les mots me tombaient dessus comme les hommes lui étaient tombés dessus.

Mais moi je les voulais ces mots-là, je voulais rompre tous les silences qui l’enterraient, qui la condamnaient.

Je suis allée les chercher, un par un, je les ai obligés à se tenir devant moi, je les ai interrogés, tournés et retournés, je voulais qu’ils disent tout, qu’ils crient plus fort que ce silence impossible.

C’est une guerre, une guerre sans nom où je me tiens près d’elle.

Chaque matin je me suis réveillée et mon premier geste mes premiers mots ont été pour elle.

Chaque matin j’ai inscrit en haut de ma page « C’est tout noir et marche devant seule droite avance en face debout » puis les mots qui me tenaient près d’elle.

Chaque matin alors que les procès avaient lieu, alors que chaque fois encore elle était mise à mort dans l’arène du tribunal, de tous mes mots je tentais de bâtir des pages où on l’écouterait.

J’ai écrit ce livre durant les procès appelés par les médias procès des « tournantes de Fontenay ».

Aujourd’hui malheureusement, atrocement, ce livre doit être de nouveau écrit, de nouveau entendu.

Je pense à Shaïna, « l’Affaire Shaïna », comme écrivent les médias : procès pour viol en réunion sur l’adolescente de 13 ans, brûlée vive deux ans plus tard. Et des décisions de justice qui la tuent une seconde fois.

Je suis toujours en guerre contre les silences meurtriers. Je cherche toujours le langage qui dira ces silences.

Perrine Le Querrec

1

C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout.

À la maison je fais la vaisselle et je recommence encore une fois une autre pour tuer le temps parce que dehors non.

La nuit a duré enfin celle où j’ai dormi plusieurs heures sans cauchemar parce que la bouche pleine de médicaments bouffer la mort pleine bouche la dévorer.

Je suis redevenue une fille normale après 15 ans une folle normale violée normale victime normale on me remarque plus, pas faire le moindre bruit et laisser la graisse recouvrir tout m’avaler me protéger me transformer en rocher en obstacle en montagne. Faut pas parler. Jamais crier. Dans la cave non plus.

Il faut sortir, la rue, voir des visages et même revoir ces visages-là pendant 15 ans encore et aujourd’hui en salle d’audience ces visages-là encore.

Personne jamais ne me parlera le soir, chuchoter un baiser un sourire. Personne jamais.

Un jour de plus.

J’ai déambulé dans les rues autour de la cité. Croisé des copines. Je prends un café. Au Franprix, à manger. Rejoindre l’appartement, la famille le repas assuré et les médicaments le soir pour oublier la vie. Cette vie sans moi. Depuis 15 ans. Continuer comme ça. Un jour de plus.

Je m’assois par terre étourdie.

2

C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout.

Même dans l’appartement avancer c’est loin. La chambre c’est loin. Après, tout est devenu loin, j’arrivais plus à rien atteindre il me fallait toujours des kilomètres et des heures.

70 kilos en plus c’est lourd c’est le poids d’un homme. J’ai toujours un homme sur moi en plus de moi depuis 15 ans.

Parfois je prends le téléphone pour parler à quelqu’un, peut-être pour dire pour raconter, j’ai l’idée d’appeler Isabelle ou Roxanne ou quelqu’un. Au bout de vingt minutes je pose le téléphone et repars dans le couloir.

Quand j’avais 12-13 ans je croyais à l’amour et tomber amoureuse, celui qui te protège, donc le plus fort, mais c’est le mauvais choix.

Je lavais mes cheveux quand j’avais rendez-vous avec toi.

Je sentais bon.

Chaque garçon attendait son tour. Le pantalon en bas. La cave puante le matelas défoncé et les caisses.

J’étais là.

Je sors de moi je ne sens plus rien. Tu peux entendre le bruit de mes pantoufles qui traînent sur le lino.

Je m’assois par terre étourdie.

3

C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout.

15 ans après encore un viol. On me fait tourner dans la salle d’audience sous les yeux du juge. 10 acquittés, 4 condamnés, 14 hommes sur mon corps. Les mineurs, leur jugement c’est pour plus tard. Encore plus tard. Mineure, majeure. 15 ans c’est quoi ?

Et combien dans mon corps ?

Un an maximum. Autant dire rien, même s’il y a un chiffre. Moi c’est perpète depuis 15 ans.

Un autre est recherché, sa peine sera plus lourde. Mais pas pour moi.

C’est pour sa femme assassinée, son fils enlevé et séquestré.

Moi aussi assassinée, j’avais 15 ans.

Ça ne compte pas je suis encore vivante depuis.

J’ai tant d’années de mort derrière moi et 70 kilos en plus, 120 kilos

et on ne me voit

toujours pas.

Je suis lourde pesante interminable.

Quand ils ont eu fini de me faire tourner le juge les avocats les mêmes visages

j’avais 15 ans

au fond de la cave

dans le local à poubelles

quand ils ont eu fini, je suis repartie.

Je marche dans la rue. Et puis d’un coup il m’arrive quelque chose d’effrayant. Chaque fois que j’arrive à une rue transversale et que je quitte le trottoir j’ai l’impression que je n’atteindrai jamais l’autre côté de la rue. Je vais m’enfoncer dans le sol, disparaître là. Effacée.

Personne ne me verra.

Je m’assois par terre étourdie.

4

C’est tout noir et marche devant seule droite, avance en face debout.

J’ai mal à moi.

Je m’assois par terre étourdie.

5