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Résumé: Que feriez-vous si vous faisiez soudainement un bel héritage provenant d’une personne que vous ne connaissiez pas ? La vie de Gabrielle en est bouleversée. Cela déclenche la rupture de son couple et son déménagement dans la maison héritée, en Suisse. Une nouvelle vie, de nouveaux amis, tout pourrait être parfait s’il n’y avait pas ce mystère autour du défunt et toutes ces surprises concoctées. Installez-vous confortablement pour passer un moment plein de suspens, de surprises, d’émotions et de mystère en lisant cette histoire. Vous ne vous regarderez plus de ma même façon dans un miroir.
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Seitenzahl: 382
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Je dédie ce livre à tous ceux qui savent qu’il existe autre chose que ce qui est visible.
à Jackie, la première lectrice de ce manuscrit. Captivée par l’intrigue, elle m’a motivée à continuer… Elle nous a quittés trop tôt et l’édition de ce roman est une façon, pour moi, de lui envoyer mon affection par-delà la mort.
Et à mes enfants, Océane et Jérémy qui sont le moteur de mon existence…
LM.
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Epigraphe
Les deux voitures roulaient à toute allure sur l’étroite route sinueuse du bord de mer. L’orage grondait sans discontinuer depuis trois jours et les torrents de pluie avaient provoqué des éboulis que les deux hommes devaient éviter en effectuant de brusques embardées.
A leur gauche, la falaise tombait à pic et les vagues se fracassaient sur les rochers qui la bordaient dans un grondement sourd raisonnant dans la nuit noire.
L’endroit était désert. Seules quelques vaches noires, maigres et déglinguées, erraient invisibles dans la pénombre à la recherche d’un brin d’herbe tendre. Sous la lueur des phares elles apparaissaient parfois, effrayant les conducteurs qui les évitaient de justesse en prenant garde de ne pas s’écraser contre les arbres fantomatiques aux silhouettes déformées par le vent puissant qui soufflait perpétuellement sur cette côte.
Claude ressentait une excitation malsaine. Sa petite voiture dérapait dangereusement dans certains virages où l’angle et la chaussée glissante ne faisaient pas bon ménage mais le bougre qu’il poursuivait savait tenir un volant. Il grogna. Il avait longuement réfléchi pour essayer de trouver une autre issue mais le plan qu’il avait mis en place ne pouvait en aucun cas être modifié.
Furieux, il appuya sur l’accélérateur et colla son pare-choc à celui de la voiture qui le précédait quand il vit le véhicule se déporter d’un coup sec. Il sentit perler une goutte de sueur sur son front malgré le froid. Accroché à son volant, il ne pouvait se résoudre à le lâcher, ne serait-ce que le temps de baisser sa vitre. Une demi-seconde pouvait suffire à tout gâcher.
Il secoua la tête nerveusement. Ce mal le rongeait depuis des années et il devait en finir. Ce projet était le plus fou de sa vie et son obstination à réussir lui mettait le feu au ventre. Sa détermination était alimentée par une puissante rage de vaincre.
Rien ne pourrait plus l’arrêter…
Dans la lueur du petit jour, il n’y eut personne aux alentours pour admirer la superbe envolée dans les airs du coupé sport, puis son explosion suivie d’un long brasier brûlant sur les rochers acérés dans le contrebas.
Gabrielle en avait l’estomac tout retourné. Elle n’avait nullement mesuré l’impact que cette nouvelle provoquerait chez Adrien. Elle en était elle-même si surprise !
Il l’avait écoutée calmement, puis son teint était devenu livide, son regard s’était assombri et ses lèvres pincées avaient pris une teinte blafarde. Elle avait observé le changement qui s’opérait en lui, tout en ressentant elle-même un profond malaise mais elle s’était tue et avait attendu. Il n’avait rien dit d’autre qu’un : « Tiens ! C’est bizarre ton histoire ! » avant de lui tourner le dos et se diriger vers son bureau.
Restée seule dans le salon, elle avait allumé la télévision d’un geste automatique et s’était assise dans le canapé sans la regarder, fixée sur ses pensées.
Au fond d’elle la colère montait. Elle ne pouvait en rester là. Elle en avait assez de ces conflits qui n’éclataient pas et la faisaient culpabiliser pour rien !
Elle se redressa et d’un pas décidé le rejoignit dans son bureau mais il ignora sa présence. En observant son profil, elle sut qu’il bouillonnait.
- Adrien, pourquoi réagis-tu ainsi ?
- De quoi tu parles ? Tout va bien ! Railla-t-il.
- On ne dirait pas…
Soudainement il fit pivoter sa chaise et planta ses yeux sur elle, l’air ironique.
- Comment veux-tu que je réagisse ? Dis-moi ! Tu me racontes une histoire abracadabrante et que voudrais-tu que je trouve à dire ? Super ? Merci ? Bonne nouvelle ? Dis-moi !
- Mais…? Qu’est-ce que ça signifie ? Je t’ai raconté les faits, rien que les faits !
- Ne me prends pas pour un imbécile ! Tu comprends très bien ce que je veux dire !
- Mais tu te trompes carrément ! Tu peux me croire !
- Attends une seconde (il tendit une main tremblante vers elle, le regard fou).
- Résumons : un homme te lègue une petite fortune, comme ça ! Sans raison ! Et ça ne doit pas me sembler bizarre ? Et toi ? Ça te parait logique ? As-tu déjà entendu une histoire aussi invraisemblable ? Parce que moi : jamais !
- Non, je t’ai dit que je n’en revenais pas ! Mais je t’ai tout expliqué tel que je l’ai appris moi-même. Que veux-tu que je te dise de plus ? Même si l’histoire est incroyable, elle est réelle !
- Et tu me confirmes que tu ne le connaissais pas ?
- Je te l’ai déjà dit ! C’est vrai, je te le jure… Lui répondit-elle avec lassitude. Du moins pas vraiment…
- Ah ! PAS VRAIMENT, reprit-il d’une voix haut perché. Et jusqu’à quel point peut-on connaître « pas vraiment » ?
Adrien s’était levé pour faire les cent pas, nerveusement. Sa lèvre inférieure tressaillait, faisant ressortir la fine cicatrice sur le côté gauche de sa bouche.
Gabrielle fixa le sol, le temps de reprendre sa respiration et son calme avant de lui répondre.
- Tu exagères et tu joues sur les mots parce que tu es en colère mais il n’y a pas de quoi.
- Tu trouves que j’exagère ? Moi je pense que tu me prends pour un imbécile ! Tu n’as pas encore compris que je ne suis pas né de la dernière pluie et que je connais parfaitement la nature humaine ! Particulièrement celles des femmes ...
Il laissa sa phrase inachevée en faisant un geste des deux mains tournées vers le ciel qui semblait vouloir dire : « Il n’y a que Dieu qui puisse les comprendre», puis il continua :
- Je sais qu’un homme est capable, à la rigueur, de faire des cadeaux à une femme qu’il veut séduire mais certainement pas de léguer une fortune à celle qu’il n’a pas connue ! Tout ça c’est des foutaises ! Tu me racontes des salades et tu me caches quelque chose, j’en suis certain !
Elle ne l’avait jamais vu dans cet état. Elle le fixa silencieusement, ne sachant plus ce qu’elle pourrait dire pour le faire revenir à la raison. Adrien n’était pas un homme violent mais ses colères étaient toujours d’une grande intensité. La seule façon d’y échapper était la fuite car rien ne le calmait.
- Pourquoi ne me fais-tu pas confiance ? Insista-t-elle toutefois.
- CONFIANCE ?!
Il eut un petit sourire narquois.
- Confiance, reprit-il, les femmes sont toutes les mêmes ! Dès qu’un homme fait le joli cœur et agite quelques billets, car celui-ci en avait apparemment, elles ne réfléchissent plus. Elles se fichent pas mal des conséquences !
- Tu dis n’importe quoi…Tu sais pertinemment que je ne suis pas ainsi.
- Prouve-le !
- Comment veux-tu que je te prouve que je n’ai pas connu cet homme ? Et dois-je te prouver encore que je ne fais pas partie de ce genre de femmes que tu décris ?
Mais il ne l’écoutait plus et suivait son idée.
- Tu as dit que tu ne le connaissais pas vraiment, explique-toi !
- Et bien, je lui ai parlé une ou deux fois et lorsque je le croisais en ville, on se disait bonjour. C’est tout. Tu sais bien que c’est petit ici. Tout le monde se connaît sans se connaître vraiment.
- Une fois ou deux ? Répéta-t-il sans sembler avoir entendu le reste de la phrase. Au départ tu me dis que tu ne le connaissais pas et à présent tu dis lui avoir parlé plusieurs fois… Dans cinq minutes tu me raconteras ta partie de jambes en l’air ! Dit-il en ricanant.
Il gesticulait et appuyait ses arguments en la montrant de la main. Elle détestait le voir agir ainsi. Il représentait, en ce moment précis, tout ce qu’elle abhorrait : l’arrogance, le manque de tolérance, tant d’orgueil et de bêtise ! Par moment il s’arrêtait et lui tournait le dos en fixant la fenêtre, réfléchissant visiblement à la façon dont il pourrait encore alimenter sa haine et ses doutes envers elle. Elle l’observait en essayant de garder son calme mais tout en elle n’était que rage.
Elle le connaissait si bien qu’elle le soupçonnait de profiter de cette occasion pour justifier sa mauvaise opinion quant aux femmes, en l’incluant par la même occasion dans le lot. Cette attitude de machiste dégénéré la dégoutait ! Tout en elle haïssait ce personnage qu’elle avait tant aimé.
Il lui tourna le dos et regarda par la fenêtre, les bras le long du corps, dans une position raide et figée. Sa silhouette athlétique se découpait en contre jour. Brun et mince, Adrien était un homme séduisant. Gabrielle ne pouvait s’empêcher de rester là tout en sachant que la partie était terminée et qu’il ne l’écouterait plus. Une main invisible s’empara de son cœur et le serra jusqu’à ce qu’elle se sente étouffer.
- Tu es horrible ! Murmura-t-elle la gorge nouée. Tu tournes tout de travers. Tu m’énerves, ça ne sert à rien que je discute avec toi. Tu ne veux rien entendre d’autre que ta propre vérité. C’est insensé ! (Elle se racla la gorge et éleva brusquement le ton en montant dans les aigus plus qu’elle ne l’aurait souhaité). Pourquoi te cacherais-je si j’avais eu une aventure avec cet homme puisqu’il est mort ?
- Parce que ton aventure a peut-être eu lieu il n’y a pas si longtemps que ça. Peut-être m’as-tu trompé avec lui ? Je ne vois que ça.
- N’importe quoi ! Tu dis n’importe quoi et je n’ai rien à me reprocher ! Je ne suis pas comme ça et tu le sais au fond de toi mais tu refuses de le voir. Je vais faire un tour, j’en ai assez entendu. Je reviendrai lorsque tu seras calmé !
- Alors prends ton temps ! Lui lança-t-il, froidement.
Alors qu’elle s’éloignait, elle entendit un bruit fort et sourd. Elle se doutait bien de ce qu’il avait fait : un coup de poing dans une porte était tout à fait son genre! Elle attrapa ses clés et sortit en claquant la porte, tremblante et en larmes, elle descendit le chemin vers le bord de mer d’un pas vif et décidé. Les mots se bousculaient dans sa tête, les souvenirs revenaient, mauvais.
Elle avait rencontré Adrien après son divorce et avait espéré vivre enfin l’histoire dont elle rêvait mais en réalité, leur relation ne fonctionnait que parce qu’elle supportait avec patience tout ce qu’il ne lui apportait pas… Arrivée face à la mer, elle inspira profondément une bouffée d’air aux relents iodés. Elle réalisait tant de choses en cet instant précis qu’elle voyait mal comment revenir en arrière. Ce manque d’estime qu’il lui faisait ressentir était devenu insupportable et avait grignoté leur relation déjà fragile.
Comment pouvait-elle continuer à subir son orgueil, ses colères et son mépris ?
Peut-être que cette situation inattendue était un signe du destin, la main de Dieu qui la guidait vers autre chose ? Devait-elle se laisser guider vers cette issue de secours qui la menait je-nesais-ou ?
Elle trouva la maison vide à son retour.
Elle prit une douche pour se réchauffer, laissant l’eau dégouliner sur sa tête, longuement. Les idées se mirent en place d’elles-mêmes.
Deux heures plus tard elle quitta les lieux, un sac dans une main et son passeport dans l’autre.
Le voyage entre la Corse et la Suisse fut long mais Gabrielle était si absorbée dans ses pensées que le monde pouvait bien s’écrouler autour d’elle sans qu’elle ne réagisse. Elle ne se sentait pas responsable de cette histoire absolument incroyable. Par contre, elle en subissait les conséquences. Il aurait dû être heureux pour elle, pour eux deux ! C’était un peu comme si elle avait gagné au Loto ! Sa petite voix intérieure ne cessait de tout ressasser.
En arrivant au-dessus du lac Léman, elle réalisa dans un bref instant de panique que sa vie ne serait jamais plus comme avant, que c’était une autre chance de trouver le bonheur qui se présentait et qu’elle ne devait plus faire d’erreur. Dorénavant, ma vie ne dépendra que de moi-même, se dit-elle ; je serais libre et heureuse.
Dans sa petite voiture de location en direction de Lausanne elle ne put s’empêcher de se remémorer comment tout avait commencé : par un simple petit appel téléphonique…
- Mademoiselle Giusti ?
- C’est moi-même.
- Maître Trojani à l’appareil. Je suis désolé de vous déranger mais pourriez-vous passer à mon étude dans les prochains jours pour que nous puissions régler une affaire importante ?
- De quoi s’agit-il ?
- Je préfèrerais éviter de vous en parler au téléphone, il serait préférable que nous fixions un rendez-vous.
En raccrochant, Gabrielle ne se doutait pas le moins du monde de ce que le notaire lui voulait.
Puis, au fil de ses pensées, elle se souvint d’un jour où elle s’était rendue à son cours de gymnastique quelques mois plus tôt. Cet épisode lui était revenu en mémoire bien après être allée chez le notaire.
En arrivant, elle avait trouvé, comme à son habitude, les abonnées du club en train de discuter autour d’un café. Elles parlaient d’un accident mortel qui avait eu lieu sur la petite route sinueuse qui longe le bord de mer entre Calvi et Porto. Une côte à la fois magnifique et dangereuse pour les conducteurs imprudents.
- Il s’était rendu à Galéria pour visiter un hôtel! Disait l’une d’entre elles en prenant un air mystérieux.
- Oui, j’ai entendu dire que c’était un canadien qui avait des agences immobilières en suisse et ici ! Renchérit une autre, originaire de Marseille à en juger par son intonation chantante.
- De qui parlez-vous ? Demanda naturellement Gabrielle en s’asseyant.
- Un café, Gabrielle ? Proposa Carine avant de répondre à sa question. Puis elle pencha la tête vers elle en servant le café et presque en chuchotant lui demanda : As-tu entendu parler de ce terrible accident? Toute la ville ne parle que de ça…
- Non… Depuis quelques jours je suis coupée du monde ! Je termine tous mes envois de commandes, je suis enfermée chez moi toute la journée, dieu merci c’est sur la fin ! De quoi s’agit-il ?
- Et bien, te souviens-tu de Claude Senarro ? Un homme qui devait avoir quarante cinq ans environ… Comment te le décrire ? Il était plutôt charmant, pas très grand, brun, assez typé.
Gabrielle eut l’air de chercher à se représenter cet homme en fronçant les sourcils.
- Oui, tu le connais certainement… Ajouta Sophie, une petite blonde très mince. Il venait parfois jouer au squash avec Jérôme, celui qui s’occupe de son agence, ici, à l’Ile-Rousse. On les voyait jouer pendant que nous faisions notre cours de Step, ils étaient toujours en compétition ! On les entendait toujours crier pendant notre cours de fitness !
- Moi je trouvais qu’il avait un petit air d’Andy Garcia, ajouta Sophie.
- Hum, c’est vrai… Approuva Carine.
- Je vois… à présent que tu me parles de l’agence immobilière et du squash, je le situe mieux, dit soudainement Gabrielle. Et que lui est-il arrivé ?
- Oh, c’est une catastrophe pour le pauvre homme! Sa voiture est tombée dans le ravin au milieu des rochers, en pleine nuit.
- Oh, quel drame ! Comment est-ce arrivé ?
- Nul ne sait. Les gendarmes pensent qu’il y avait peut-être une vache sur la route comme ça arrive souvent et qu’il a dû essayer de l’éviter.
Il a raté le tournant et s’est retrouvé de l’autre côté sans pouvoir s’arrêter.
- Il a embouti le muret qui longe la route ?
- C’est ce qu’il semblerait…
- Mais je me demande pourquoi il a pris cette direction et non la route de l’intérieur qui est tout de même moins dangereuse… dit Joséphine en hochant la tête d’un air réprobateur.
- Pire encore ! Il a détruit le muret et est passé à travers avant de dégringoler de la falaise et se fracasser sur les rochers en bas, au milieu de l’eau ! Ajouta Carine qui répondit auparavant à Joséphine par un signe de tête pour démontrer son incompréhension.
- Malheur ! Comment l’ont-ils retrouvé ?
- Et bien on ne l’a pas trouvé de suite…Cela fait plusieurs jours que les employés de l’agence s’inquiètent de ne pas avoir de ses nouvelles.
Ils ont signalé sa disparition à la gendarmerie et il y a eu de longues recherches sur les deux routes jusqu’à voir la voiture en survolant le bord de mer en hélicoptère. Elle a brûlé! Il ne reste de lui qu’un squelette calciné.
- Mon dieu, c’est horrible… Souffla une jeune femme.
Elles en restèrent toutes muettes durant quelques minutes.
- Avait-il de la famille ? Une femme, des enfants ? Demanda l’une d’entre elles.
- Il semblerait que non ! Répondit Carine tout en regardant Natacha.
Celle-ci approuva de la tête avant d’expliquer :
- J’ai travaillé dans son agence pendant cinq ans… (elle se tut durant quelques secondes avant de reprendre sur un ton monotone): Je me suis arrêtée car j’étais en pleine dépression après la mort de mon époux et je n’ai jamais pu reprendre mon poste, une belle place pourtant. Bref, à l’époque les employés racontaient que le grand chef avait eu une vie peu banale. Il avait été abandonné à la naissance et élevé dans un orphelinat près de Montréal. Il était très doué pour les affaires et à dix-huit ans il fut embauché comme commercial dans une menuiserie. Il est tombé amoureux de la fille du patron et ils se sont mariés mais peu de temps après, elle serait morte dans un accident.
- Mon Dieu… Chuchota Joséphine.
- Effondré, continua Natacha, Claude quitta le Canada pour refaire sa vie ailleurs. Son ex-beaupère, qui n’avait pas d’autre enfant lui légua une bonne partie de sa fortune. Il a commencé par ouvrir une agence immobilière en Suisse, puis une deuxième, la troisième étant ici, en Corse. Il était très apprécié, très correct avec tout le monde et n’a jamais eu de problème quelconque…un homme bien, quoi.
- Quel curieux destin…triste et chanceux à la fois, ajouta Carine dans un soupir.
Gabrielle s’était souvenue alors qu’elle lui avait parlé une seule fois. Un jour, alors qu’elle cherchait une solution financière pour pouvoir changer de voiture, elle avait songé à vendre son petit terrain et s’était arrêtée dans cette agence dans laquelle elle avait rencontré cet homme.
Il avait eu une attitude troublante qu’elle n’avait su s’expliquer. Il avait relevé la tête du dossier qu’il était en train de consulter lorsqu’elle était entrée puis s’était raidit et l’avait fixée intensément avec un air contrarié. Elle avait fait mine de ne pas s’en rendre compte et s’était excusée de l’avoir dérangé dans son travail avant de lui parler de son terrain.
Il s’était un peu détendu au fur et à mesure de leur entretien et lui avait donné l’excellent conseil de ne pas le vendre car avec le recul elle avait pu constater qu’il avait dit vrai et que depuis, sa valeur avait été multipliée.
Puis elle l’avait croisé, parfois, en faisant son jogging, sport qu’il pratiquait également semblait-il. Et souvent, en effet, elle l’avait remarqué au club de squash. L’Ile-Rousse étant une petite ville et ce club très fréquenté, elle n’avait pas trouvé ceci étrange mais plutôt normal. Ils s’étaient toujours dit bonjour mais avaient rarement échangés plus de trois mots.
***
Le jour commençait à décliner et les panneaux indicateurs laissaient entendre qu’elle n’était plus très loin. Elle jetait de temps à autre un coup d’œil sur son téléphone portable posé à côté d’elle. Un réflexe instinctif, pour voir si le réseau passait bien et si Adrien n’avait pas essayé de la joindre. Mais rien. Depuis le matin, pas un seul appel. S’était-il seulement rendu compte de son départ ? Peut-être pas. Elle sentait la haine croître en elle et essaya de se concentrer sur le paysage vert et dépaysant.
Avant d’arriver à Lausanne elle tira l’épaisse enveloppe brune de son sac, celle qui lui avait été remise par le notaire et en sortit le plan d’accès à la villa. Lausanne est une ville un peu surprenante par ses nombreuses collines et Gabrielle s’y sentit comme dans un jeu de montagnes russes avant de trouver l’interminable rue qui devait la rapprocher du but. Elle compta quatre embranchements avant de tourner à droite comme le plan l’indiquait. Le quartier résidentiel comportait de superbes demeures aux jardins parfaitement entretenus. Elle serpenta jusqu’au trente-quatre A, chemin de l’Esplanade, avant de se garer. Un coup d’œil à la boite aux lettres lui indiqua qu’elle était arrivée à destination.
Une grande villa blanche à l’architecture épurée s’imposa devant elle. De grands arbres illuminés par des spots projetaient leur ombre sur la façade en formant des motifs fantomatiques. Nerveuse et curieusement intimidée, elle se dirigea lentement vers la porte d’entrée, l’ouvrit d’une main hésitante avec le sentiment de s’introduire chez un inconnu par effraction. Instinctivement, elle jeta un regard circulaire avec la sensation d’être observée puis resta plantée sur le seuil quelques secondes avec ses affaires à la main, avant d’oser entrer.
Quand la porte se referma derrière elle dans un bruit sourd, son cœur se figea. Elle prit une profonde inspiration et déglutit. Pourquoi se sentait-elle à ce point stupide ? Il lui semblait qu’un monstre allait surgir d’un coin sombre ! Elle tendit le bras vers le mur à sa droite et tâtonna afin de trouver un interrupteur. Un immense lustre illumina le hall d’entrée et ses pampilles reflétèrent des éclats de diamants sur tous les murs. Tout était si luxueux !
En avançant elle remarqua son reflet dans un grand miroir baroque, ce n’était pas joyeux ! Elle n’aurait pu mentir à personne sur l’état de son moral, elle avait une bien triste mine !
Le salon avait une décoration froide et moderne dominée par deux grands canapés en cuir noir montés sur arceaux en aluminium. Au centre et face à une cheminée design, il y avait une table basse en plexiglas sur laquelle étaient posés quelques magazines d’architecture et d’automobiles. Des télécommandes donnaient la première touche vivante à ce lieu. Un immense écran plat leur faisait face. Dans un angle, une lampe aux formes arrondies en papier huilé avait la dimension d’une statue.
Elle s’autorisa enfin à poser son sac à main, comme si elle avait attendu jusque-là que l’hôte de ces lieux lui en donne l’autorisation puis elle continua sa visite en s’attardant parfois pour regarder un tableau ou un meuble particulier. La touche était masculine et de bon goût. Elle ouvrit les volets en espérant voir où la maison se situait malgré la nuit qui tombait. Le jardin était bordé d’une très haute végétation que l’éclairage nocturne rendait étrange. Au fond, la vue sur la ville et le lac Léman formait un tableau naturel.
Après avoir fait le tour du rez-de-chaussée, elle entreprit de visiter l’étage et monta avec un peu plus d’appréhension. Elle se doutait bien qu’elle franchissait la frontière entre les pièces communes et les pièces intimes et redoutait un peu de découvrir ces lieux.
L’étage comportait trois chambres luxueuses avec salles de bains particulières. Une des chambres possédait son propre bureau en mezzanine qui avait été aménagé sous les toits. Elle y découvrit des murs entiers de livres. Cette pièce comportait également tout ce dont elle avait besoin pour travailler : un ordinateur, une imprimante et un grand fauteuil confortable.
Elle avait du mal à réaliser qu’elle était chez elle. Installée derrière l’immense bureau en chêne clair, elle regarda avec intérêt tous ces objets qui l’entouraient et qui avaient appartenus à Monsieur Senarro. Elle s’étonna que personne ne soit venu les enlever et qu’elle ait pu en hériter, comme du reste. Son intrusion dans l’intimité de cet inconnu la fascinait autant qu’elle la troublait. Elle osait à peine toucher chaque chose comme dans un musée où les objets sont en exposition, qu’ils sont proches mais inaccessibles. Comment allait-elle gérer ce sentiment d’être une squatteuse ? Comment pouvait-elle ignorer la présence de son ancien propriétaire alors que toute sa vie était encore là, autour d’elle ? Elle soupira.
Elle n’avait pas vraiment le choix. A partir du moment où elle avait décidé de venir s’y installer (mais en vérité elle avait surtout décidé de quitter la Corse pour s’éloigner d’Adrien), elle n’avait plus d’autre choix que de s’adapter à cette situation pour le moins étrange.
Une horloge fixée au-dessus d’elle affichait vingt et une heure. Il n’était pas encore trop tard pour appeler son amie Justine qu’elle n’avait pas eu le temps de prévenir de son départ. Sa première nuit loin d’Adrien ne se ferait pas sans souffrance, elle espérait terriblement que le caractère positif de sa meilleure amie l’aiderait à passer ce cap.
- C’est moi! Lui annonça-t-elle familièrement. Je ne te dérange pas ?
- Gabi ?! C’est toi ? J’ai essayé de te joindre je ne sais combien de fois depuis deux jours ! Où es-tu ?
- En Suisse, à Lausanne.
- En Suisse ? Qu’est-ce que tu fiches en Suisse ?
- J’ai hérité d’une maison.
- Hérité de qui ? Qui est mort ?
- Un homme.
... silence.
- Qu’est-ce que tu me racontes, là ? Quel homme ?
Et là, Gabrielle sut qu’elle devrait encore raconter cette folle histoire d’héritage, si difficile à croire, ce qu’elle fit tout de même. Et son amie, comme elle aurait pu le prévoir, n’en crut pas un mot. Son intonation se fit même ironique !
- Mais bien sur… Et la marmotte met le chocolat dans le papier d’alu !
- C’est pourtant vrai, Justine ! Il m’a légué une villa, tout ce qu’elle contient ainsi qu’un compte en banque !
- Ouaiiiiis, c’est ça… Et un yacht, un cheval, une écurie, quelques rivières de diamant et… un jeune frère qui se nomme Georges Clooney ? Ajouta son amie en riant à gorge déployée.
- Malheureusement non pour Georges… juste la maison et le compte en banque ! Insista Gabrielle, toujours sur un ton très sérieux.
- Tu plaisantes ? Arrête de me raconter des cracks et dis-moi la vérité : Ou es-tu et que fais-tu depuis deux jours ?
Visiblement, elle s’impatientait.
- Non. Je sais, c’est fou mais c’est vrai.
- Je n’y crois pas. Raconte avec plus de détails si tu veux me convaincre de ton histoire délirante !
Gabrielle raconta. Le notaire qui l’avait appelée, le rendez-vous dans son étude en présence de l’associé principal du défunt. Que celui-ci avait hérité des parts majoritaires sur les agences immobilières et elle, de cette maison à Lausanne et d’une somme d’argent déposée sur un compte.
- Quelles sont les conditions à remplir ? Il y a bien un piège quelque part ? Demanda Justine, méfiante.
- Et bien, c’est exactement ce qui m’est venu à l’esprit mais je ne l’ai pas trouvé. Tout paraît clair, à part que je ne comprends pas pourquoi
cet homme m’a léguée tout ça, à moi.
- Ce n’est pas ton père biologique ou quelque chose comme ça ?
- Je connais mon père et ce monsieur n’était pas aussi âgé… Il aurait fallu qu’il me conçoive vers treize ans !
- Une ancienne aventure dont tu ne te souviendrais plus alors ?
- Je te remercie. Je ne suis pas comme toi, je me souviens de toutes mes histoires amoureuses et je n’ai jamais eu d’aventures du style auquel tu penses !
- Et bien tu aurais dû, ça t’aurait fait du bien… dit Justine pour plaisanter.
- Peut-être bien. Répondit Gabrielle en souriant.
- Et Adrien, qu’en pense-t-il ?
Voilà la question qui fâche ! Pensa Gabrielle. Il fallait bien qu’elles en arrivent à parler d’Adrien ! Et puis, si elle n’en parlait pas avec Justine, avec qui allait-elle le faire ?
- Rien de bon. On a rompu ! Répondit-elle dans un souffle, sa voix s’éraillant brusquement sur le dernier mot, comme s’il avait eu du mal à sortir.
- Non ?! Pourquoi avez-vous rompu ?
La jeune femme inspira avant de répondre. Elle trouvait très douloureux de raconter sa dispute toute récente à son amie mais savait par expérience que c’est parfois la seule façon de dédramatiser et de prendre du recul.
- Et bien il m’a dit que cet homme ne m’aurait pas légué ses biens s’il ne me connaissait pas intimement. C’est à son avis, impossible !
- En clair, il pense que tu as couché avec le mort. Enfin : avant qu’il ne soit mort ! Bien sur ! Bon…Il n’a pas tout à fait tort, c’est vrai que c’est louche.
- Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi !
- Non… Je te fais confiance, je te connais tellement que je sais que tu ne pourrais pas cacher une chose pareille, mais dis-moi : il y a combien sur le compte ?
- Je ne sais pas encore. Il faut que j’aille à la banque demain.
- Tu m’appelleras dès que tu sauras? J’ai hâte de savoir à quel point cette histoire est dingue !!! Quand je vais raconter ça à Fabienne, Brigitte et Sophie, elles ne vont pas en croire leurs oreilles ! Je peux le raconter, n’est-ce pas ?
- Hum, bien sur. De toute façon, je ne pourrais pas t’en empêcher.
- Bien, et ne t’inquiète pas pour Adrien. Il tient à toi. Il va t’appeler dès qu’il sera calmé.
Comme d’habitude.
- Pour l’instant, plus il attend d’être calmé, plus je m’énerve.
- Je sais (Justine soupira). Mais bon, profite d’être là-bas pour te changer les idées, il t’arrive quelque chose de formidable, vu d’ici.
Elles discutèrent encore longuement ensemble. Elles se connaissaient depuis la maternelle et ne s’étaient plus quittées jusqu’au lycée où leurs chemins s’étaient séparés. Justine s’étant dirigée vers une formation d’esthéticienne dont elle rêvait depuis l’enfance et Gabrielle avait fait des études de commerce qui l’avaient amenée à être VRP multicartes.
Chacune avait tenté un mariage et chacune avait connu l’échec, ce qui les avait rapprochées un peu plus encore. Justine avait eu un garçon, Bastien, qui avait aujourd’hui sept ans et Gabrielle eut Nolhan qui avait aujourd’hui presque trois ans. Toutes les deux avaient rêvé de l’homme idéal et avaient constaté avec déception mais humour qu’elles avaient souvent rencontré des princes qui se changeaient en crapauds mais jamais le contraire. Arrivées à la trentaine, elles étaient devenues plus réalistes quant aux rapports amoureux. Justine était dans une période où elle criait haut et fort ne plus vouloir d’homme dans sa vie, ce dont son amie doutait fortement et Gabrielle regrettait encore de n’avoir pas rencontré celui sans qui elle n’aurait pu imaginer continuer à vivre.
Elle souffrait de ce nouvel échec avec Adrien et se plaignit un moment auprès de sa confidente de son manque de bienveillance, son absence d’égards affectueux et de sa méchanceté verbale. Elle cherchait une bonne raison de le haïr en plus du fait qu’il l’ait laissée partir.
- Bon, tu t’énerves contre lui, là ! ça ne sert à rien, tu le sais bien : soit tu l’acceptes totalement tel qu’il est, soit tu le quittes définitivement ! Parlons de choses plus intéressantes que lui et revenons-en à cet héritage : que vas-tu faire demain ? Vas-tu essayer d’en savoir plus sur l’homme en question ?
- Je ne sais pas par où commencer. D’abord je vais essayer de prendre mes marques : localiser le coin, faire connaissance avec cette ville, aller à la banque pour voir ce qu’il en est avec ce compte et puis j’irai peut-être discuter, si je peux, avec son associé que j’ai rencontré chez le notaire. Il m’a laissé ses coordonnées...
- Comment est-il ?
- Je ne sais pas trop… Il me semble qu’il était charmant.
- Charmant comment ?
- Oh, toi, tu as toujours les radars en veille ! Charmant comme : bien élevé, agréable…
- Mais physiquement, comment était-il ? Parce que s’il ne t’intéresse pas, moi, je pourrais peutêtre te faire une petite visite très prochainement ! Un homme charmant et fortuné, ça vaut le déplacement !
- Ce serait très volontiers, tu le sais, c’est quand tu veux ! Mais en ce qui le concerne j’avoue que j’étais tellement surprise par la nouvelle que je l’ai à peine regardé.
- Dommage, ça aurait fait une belle histoire à raconter à ton ex !
- Mon ex ?
- Oui, bon, Adrien… ça lui aurait fait les pieds à cet imbécile !
Gabrielle approuva en souriant. Quand elle raccrocha elle était bien plus détendue. Justine avait le dont de tout dédramatiser ! Mais il était tard et elle était épuisée. Aux gargouillis de son estomac, elle réalisa qu’elle n’avait rien avalé depuis la veille. Elle descendit de la mezzanine et regarda la chambre avec un nouvel intérêt. Elle imagina cet inconnu vivre ici. Elle ouvrit une porte et se trouva dans un dressing qui la séparait de la salle de bain. Elle fit coulisser les panneaux et se trouva face à des vêtements d’homme suspendus avec soin. Elle toucha lentement l’alignement de pantalons sombres et celui des chemises immaculées. Une rangée de tiroirs lui dévoila des chaussettes noires soigneusement pliées dans des alcôves en nid d’abeilles et des sous-vêtements masculins de la même couleur. A part quelques tenues de sport colorées et rangées dans un casier à part, tout était très sobre et strict. Cela la mit soudainement très mal à l’aise. Elle referma les portes, se sentant honteuse d’avoir fouillé de la sorte et se promit de trier ce placard pour tout donner aux Secours Catholiques dès qu’elle se sentirait prête puisque personne d’autre ne le ferait.
Elle se sentait aussi nerveuse que si elle avait été confrontée à un fantôme en train de l’observer. Elle s’éloigna en se disant qu’il fallait qu’elle garde les pieds sur terre et qu’elle essaie de s’installer dans cette maison en adoptant un comportement habituel, ce qui ne serait pas facile étant donné la situation.
Gabrielle inspecta tous les placards de la cuisine à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent et trouva du lait pasteurisé, du chocolat en poudre ainsi que des biscuits secs dans une grosse boite en métal. Elle goûta un des biscuits pour voir s’il n’était pas rance et décida de se faire chauffer un chocolat chaud. Plus tard, installée dans un fauteuil devant la télévision, elle plongea dans un sommeil sans rêves jusqu’à ce qu’un bruit la fasse sursauter. Quelqu’un ouvrait le rideau roulant et un rayon de soleil tomba sur elle, Elle ne savait plus où elle était quand un cri de femme retentit.
- Ahhhhhh ! Vous m’avez fait une peur bleue ! Désolée, je vous ai réveillée ! Je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un. Monsieur Claude ne m’a pas prévenue. Il part et revient sans me tenir au courant. Ça fait une éternité que je n’ai plus eu de ses nouvelles. Moi je fais mon travail comme il me l’a ordonné, c’est tout. Je me demandais bien d’où venait ce sac dans l’entrée !
Gabrielle la fixait sans voix, ne sachant que dire à cette femme qui parlait sans s’arrêter avec un accent suisse très prononcé et un regard de renard effrayé. La cinquantaine usée, elle avait un physique sur lequel on ne s’attarde pas. Les cheveux châtains clairs noués en queue de cheval basse, une tenue vestimentaire sans âge, chemisier à petites fleurs bleues enveloppé d’un cardigan marine, pantalon gris à taille élastique et baskets blanches. Elle stoppa son flot de paroles brusquement et la regarda en silence durant deux secondes, puis reprit :
- Je suis Alphonsine… Je m’occupe du ménage pour monsieur Claude. Est-il rentré, lui aussi ? Cela fait plusieurs mois que je ne l’ai pas croisé.
La jeune femme resta interloquée un instant en accusant la question de la femme de ménage. Comment était-il possible qu’elle n’ait pas été mise au courant du décès de son employeur ?
- Hum… Non, je ne pense pas qu’il revienne. Hésita-t-elle.
- Ah non ? Il n’a pas encore terminé ses affaires en Corse ?
- Euh, non, ce n’est pas ça… Il a eu un accident pour tout vous dire.
- Un accident ? Quel genre d’accident ? Etait-ce grave ?
- Asseyez-vous Alphonsine.
- Oui, oui mais dites-moi si Monsieur Claude… Vous m’inquiétez, vous savez ? Votre visage a changé de couleur alors si c’est grave, il faut me le dire.
- Oui, je sais (Gabrielle était terriblement ennuyée de devoir annoncer cette mauvaise nouvelle à cette pauvre femme et hésitait sur les mots qu’elle devait employer). Comment vous dire cela ? Heu… Il a eu un très grave accident.
Puis elle attendit une réaction de la femme qui ne vint pas immédiatement, comme si elle n’avait pas enregistré la nouvelle.
- Il est mort. Précisa-t-elle.
- Mort ?! Comment cela a-t-il pu arriver ? Murmura la femme en secouant la tête de gauche à droite. Quel genre d’accident ?
Elle semblait sincèrement bouleversée. Son visage hagard attendait une explication logique à cette information.
- Je ne sais pas comment cela a pu arriver. Les gendarmes ont retrouvé sa voiture en bas d’un précipice, au milieu des rochers. Carbonisée. Je suis désolée de devoir vous donner autant de détails ! Et je suis surprise que personne ne vous ait prévenue ! Cela fait tout de même quelques mois de ça… Ajouta Gabrielle en baissant la voix.
- Oh mon dieu… Quelques mois ! Je n’en reviens pas ! Murmura la femme sur un ton à peine audible et le visage aussi blanc que de la craie.
- Je suis désolée.
- Non, non, je vous en prie, ce n’est pas de votre faute. Qui aurait pu me l’apprendre de toute façon ? Je n’ai jamais vu personne dans cette maison à part Monsieur Claude de temps à autres… Et c’est vrai qu’il n’était jamais resté absent aussi longtemps. J’aurai pu m’en inquiéter mais je me disais que sa vie privée ne me regardait pas, voyez-vous… Il voyageait beaucoup et mon salaire était versé sur mon compte, alors… Mais d’ailleurs, c’est terrible ! Dit-elle brusquement en se redressant. Cela signifie sans doute que j’ai perdu mon travail ! Moi qui était si contente d’avoir trouvé une aussi bonne place… Et puis il n’était pas embêtant vous savez Monsieur Claude ! Il me laissait faire comme je le sentais, c’est lui qui me disait comme ça, mais il voulait que je passe tous les deux jours et la seule chose à laquelle il tenait particulièrement c’était que j’astique bien tous ses miroirs. Au début j’ai trouvé ça curieux tous ces miroirs dans une maison d’homme, surtout qu’il n’est jamais là ! Pas vous ?
Gabrielle la regardait, étonnée de voir à quelle vitesse la femme se remettait de ses émotions et reprenait son sens pratique.
- Moi ? Hum, je n’avais pas remarqué. Bafouilla-t-elle en regardant autour d’elle et en constatant en effet, que l’impression qu’elle avait eue de se trouver dans des pièces immenses venaient du fait que de nombreux miroirs étaient placés sur pratiquement tous les murs : entre les deux baies vitrées, il y en avait un rectangulaire du sol au plafond. Sur le mur à côté de la cuisine, il était ovale et mesurait au moins un mètre cinquante de large, puis elle se souvenait en avoir vu un dans l’entrée et un autre dans le bureau mais elle était si perturbée depuis la veille que ça ne l’avait pas choquée.
- Oh, là, là…
Alphonsine se mit à pleurer. Elle chercha dans sa poche un mouchoir en papier.
- Veuillez m’excuser…
- Non, ce n’est rien, allez-y, je comprends.
- Non, ce n’est pas ça. Oh, bien entendu je suis triste pour Monsieur Claude car c’était un homme bien. Paix à son âme. Mais au fond, je ne le connaissais pas aussi bien que ça. Comme je vous ai dit : je ne le voyais pas bien souvent !
- Mais alors, pourquoi pleurez-vous ?
- Je suis en train de réaliser que je vais à nouveau me retrouver sans emploi et si vous saviez comme la vie est chère par ici, surtout que je suis seule avec une fille et une petite fille… Je me fais du souci.
Puis elle se ravisa et sécha ses larmes :
- Mais je ne vais pas vous ennuyer avec ça… Monsieur Claude me payait toujours mes mois d’avance alors je terminerai mon mois et puis comme ça je pourrai m’occuper de la maison pendant que vous serez là ! Vous allez rester longtemps ?
- Je ne sais pas encore.
- Et bien, ça ne fait rien, vous me direz quand vous saurez… Mais au fait : Vous étiez parente avec Monsieur Claude ? Et que va devenir cette maison ? Mais ne répondez pas, ce ne sont pas mes affaires, je me mêle de ce qui ne me regarde pas ! Dit-elle brusquement en se levant.
Elle s’empara d’un torchon propre sorti d’un tiroir puis son produit à vaporiser à la main, marcha vers le grand miroir du fond pour le nettoyer. Gabrielle ne disait rien car elle ne savait plus que dire. Elle regarda la femme s’affairer, la mine triste et soucieuse puis elle décida de se lever pour ouvrir les volets qui étaient restés fermés et laisser entrer la clarté du jour. L’herbe verte lui parut scintiller sous les rayons du soleil et elle eut envie de sortir prendre l’air. Le contact du gazon frais sous ses pieds nus lui procura une sensation agréable. Au-dessus d’elle, le feuillage verdoyant côtoyait le ciel d’un bleu limpide. Face à elle, le lac miroitait sous une légère brume. Elle resta là, les mains sur les hanches, sans bouger, admirative pendant quelques secondes puis elle prit une profonde inspiration pour évacuer la tension qui ne la lâchait toujours pas. Elle pencha sa tête de gauche à droite pour dénouer les contractions qu’elle ressentait dans la nuque et soupira.
Alphonsine la surprit en arrivant derrière elle. - Euh… Je ne connais pas votre nom, veuillez m’excuser !
- Il n’y a aucun problème Alphonsine, c’est vrai que je ne me suis pas présentée… Je me sens probablement aussi désorientée que vous ! Je me nomme Gabrielle Giusti.
- Mademoiselle Giusti…
- Appelez-moi Gabrielle.
- Gabrielle, répéta-t-elle. Voudriez-vous boire un café ?
- Oh, oui très volontiers.
Alphonsine faisait partie de ces femmes qui prennent spontanément une attitude protectrice envers les autres, presque maternelle. Et Gabrielle se sentit naturellement en confiance. La vie ne l’avait pas particulièrement gâtée. Très bavarde, elle se confia très vite tout en préparant un excellent café. Elle lui proposa quelques biscuits qu’elle alla chercher dans la buanderie et lui expliqua ou étaient rangées les réserves de nourriture comme le fonctionnement des différents appareils ménagers. Très prévoyante, elle lui donna aussi un petit carnet sur lequel étaient notés tous les numéros de téléphone qui pourraient lui être utiles: les urgences, les taxis et les nombreux traiteurs qui livraient à domicile, anciens fournisseurs principaux de Monsieur Claude, comme elle l’appelait encore.
Gabrielle prit enfin de temps de défaire sa valise dans la chambre qu’elle avait visitée la veille et qui d’après Alphonsine avait été la chambre de Monsieur Senarro. Un peu hésitante au départ, elle choisit tout de même de s’installer dans celle-ci à cause du bureau à proximité. Car après tout, se dit-elle, c’est un peu comme s’installer dans une maison de vacances, déjà meublée.
Ravie de se sentir utile, Alphonsine l’aida à sortir les affaires personnelles de l’ancien propriétaire qu’elles rangèrent dans un débarras au sous-sol en attendant de trouver à les donner puis elles préparèrent la chambre avec des draps propres et frais. Ses vêtements rangés et les lieux débarrassés de tout ce qui faisait penser au défunt, Gabrielle réfléchit à ce qu’elle pourrait faire de sa journée en s’allongeant sur le grand lit, les bras en croix. L’atmosphère était douce et reposante. La fenêtre entrouverte laissait passer un peu d’air frais qui sentait bon l’herbe fraîchement coupée. Son esprit était bercé par le chant des oiseaux qui nichaient dans les arbres dont les hautes branches caressaient la vitre sous l’effet de la brise. Sa tête lui semblait vide et elle était si fatiguée moralement qu’elle aurait aimé pouvoir s’endormir durant plusieurs jours pour ne se réveiller qu’une fois la douleur passée.
Sachant que cela n’arriverait jamais, elle se décida à aller prendre un bain qui, pensa-t-elle, aurait peut-être un effet bénéfique sur les courbatures qu’elle ressentait et qui étaient certainement dues à son anxiété et au fait d’avoir passé la nuit sur un sofa.
Elle se déshabilla, laissant tomber ses vêtements chiffonnés de la veille à ses pieds et se dirigea vers la salle de bain en jetant instinctivement un coup d’œil à son propre reflet dans le grand miroir. Elle s’arrêta pour observer les cernes sombres sous ses yeux et ses joues creusées par la fatigue. Sa main droite remonta lentement dans ses cheveux qui rebiquaient dans son cou puis descendit le long de son visage, son cou, sa poitrine, son ventre et sur ses hanches comme si elle se découvrait pour la première fois. Ses seins lourds donnaient de la rondeur à son corps musclé et ses joues aux pommettes bien hautes lui donnaient l’air d’une jeune fille… Sauf qu’aujourd’hui, ce n’était pas aussi évident. Il va falloir forcer un peu sur la poudre, aujourd’hui, pour avoir l’air plus lisse et plus radieuse… se dit-elle in petto.
Elle entra dans la salle de bain et admira le travail de décoration qui avait été fait. L’ambiance couleur chocolat et turquoise était chaleureuse et agréable. La grande vasque qui formait le lavabo était taillée dans un bloc de pierre couleur sable et l’eau s’y écoulait à la manière d’une source.
- Cet homme avait un goût exquis… Dit-elle à haute voix, se parlant à elle-même.