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Dans l’évangile de Matthieu, Jésus est qualifié de « fils de David ». Pourtant, les découvertes archéologiques révèlent que David, décrit comme un roi exceptionnel dans la Bible hébraïque, a régné sur un petit territoire en Judée. Qui était-il vraiment ? Un chef de guerre ? Un homme extraordinaire ? Ce livre explore David à la lumière des connaissances actuelles, des nouvelles interprétations bibliques et d’une analyse originale.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Christian Elleboode, auteur prolifique, nous livre des réflexions éclairantes dans ses ouvrages, parmi lesquels Jésus l’héritier qui explore les méandres du métissage culturel. Intéressé par les évolutions religieuses à travers les âges, il anime régulièrement des conférences dans les Hauts de France, partageant ainsi son savoir et son enthousiasme.
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Seitenzahl: 995
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Christian Elleboode
Le roi David dans la Bible revisitée
Essai
© Lys Bleu Éditions – Christian Elleboode
ISBN : 979-10-422-0410-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préface
Pourquoi une fascination de tant de peuples, pour David alors que des centaines de personnages bibliques ont été effacés des mémoires ? Parce que c’est lui qui a couronné toutes les ambitions des Hébreux et porté au plus loin et au plus haut leur réussite, c’est le premier « vrai » grand roi d’Israël, dit la Bible. Sorte d’aventurier séduisant au grand cœur, à la fois chevaleresque et capable de machiavélisme, d’un courage indomptable à la guerre et d’une vraie sagesse en la paix, résistant à tout sauf à ses passions fougueuses, y compris celle de l’amour, qui le rendaient plus humain encore, il avait tout pour laisser de lui à jamais une inoubliable image de rêve, tout jusqu’à l’âme sensible et poétique. C’est le grand David que l’on garda en mémoire, tout à la fois comme un héros sympathique, une manière de saint, le monarque idéal, le roi de l’âge d’or. Israël retrouvera, mille ans après sa mort, la nostalgie de l’antique gloire de ce roi à tel point que l’on crut que Dieu finirait par envoyer à son peuple un Roi encore plus grand, véritable successeur de David, « consacré », comme lui qui rendrait l’opulence et l’éclat d’Israël. Les chrétiens se souviennent que Jésus est présenté comme « fils de David » dès le premier verset du Nouveau Testament (Mt 1,1) ; les renvois au roi d’Israël abondent ensuite dans les Évangiles et les Actes des Apôtres. C’est dans la « cité de David » que naît Jésus, puis, quand il est ressuscité, les disciples se rapportent aux paroles prophétiques de David pour éclairer les événements en cours.
Nombreux sont les livres sur David, comme David dans l’art. On a toujours parlé de David, mais en restant souvent très respectueux à la chronologie biblique : Patriarches, Moïse et l’Exode, la conquête du pays, l’époque des Juges, le royaume uni, la séparation et les deux royaumes d’Israël et de Juda jusqu’à la chute de Samarie et donc d’Israël, la destruction de Jérusalem en 587 puis la restauration de Jérusalem et de Juda à l’époque perse. Finalement, beaucoup d’ouvrages sur David se ressemblent, mais comment faire autrement, faute d’informations historiques. S’il n’est qu’une, ne peut-on pas laisser cours à une certaine imagination ? L’imagination n’est-elle pas plus importante que le savoir, disait Albert Einstein, nous qui sommes engoncés dans tant de certitudes et dans des idées préconçues que nous n’interrogeons plus ? Notons que l’imagination est le pouvoir créateur non seulement du poète, de l’artiste, mais aussi de l’inventeur et du savant : « c’est pour cela qu’imaginer des solutions nouvelles à des problèmes complexes est bien plus noble que de fuir les problèmes », disait Einstein. La théorie de la relativité a d’abord existé dans son imagination.
Aujourd’hui, il ne fait plus de doute que les histoires des Patriarches, de la sortie d’Égypte, de la conquête de Canaan et l’unité précoce d’Israël et de Juda sous les premiers rois, Saül, David et Salomon, avant la séparation en deux royaumes, ne sont que des légendes ou des mythes d’origine qui, après coup, furent arrangés selon un ordre chronologique. Les deux royaumes ont, depuis des temps anciens, toujours étaient séparés, Israël étant une puissance régionale tandis que Juda, une contrée marginalisée. Ce n’est qu’avec l’éradication d’Israël et de sa capitale Samarie, en 722, par les Assyriens que Juda connut une transformation rapide de ses conditions de vie en accueillant les réfugiés israélites sur leur territoire. L’immigration massive au Sud favorisa le développement économique de Juda, qui induisit à son tour une mutation de la population, de l’urbanisme, de l’administration, de l’activité scripturaire, de même qu’elle provoqua une réflexion sur le rôle historique et culturel du Sud au sein du peuple hébreu. Le résultat en fut le déclenchement du processus de compilation des textes bibliques. Comme le dit l’archéologue hors pair du Levant ancien, Israël Finkelstein, « la Bible peut être considérée comme le fruit de l’impérialisme assyrien » : expression « terrifiante » pour quelqu’un, naïf peut-être, qui a cru, à un moment de sa vie, qu’il fallait prendre la Bible ou d’une moins une partie de celle-ci, au pied de la lettre, parce que tel était encore l’enseignement religieux des années 1960.
À partir de là, nous devons envisager d’autres hypothèses sur l’origine de la monarchie en Israël et en Juda. Qui fut donc le roi David ? Celui qui a tué le géant Goliath ? Mais, il est bien plus mystérieux que cela. Il est homme, messie, époux, père, mais il remet en chantier chacune de ces réalités et les éclaire d’un jour nouveau. Alors que certains héros bibliques sont présentés dans un seul livre, voire une seule page, David, lui, est mentionné avec abondance dans plusieurs livres de l’Ancien Testament. Il fait donc l’objet d’un travail de mémoire et sa figure complexe se transmet, se déploie, s’éclaire dans le corpus biblique. Les prophètes évoquent parfois David, non seulement comme le souverain des temps anciens, mais encore comme celui qui doit venir. Jérémie, contemporain de la ruine de Jérusalem au début du 6e siècle avant notre ère, annonce une époque où Israël, pour l’heure déporté par les Babyloniens, sera restauré sur sa terre ; c’est alors, dit ce prophète en citant les paroles du Seigneur, que les gens d’Israël « serviront le Seigneur, leur Dieu, et David, le roi que je leur susciterai » (Jr 30,9). Les prophètes Ezéchiel et Osée, bien postérieurs à David, le présentent également comme celui qu’il faut attendre.
Pourquoi se focaliser sur ce personnage et non sur Saül ou Salomon que l’on définit dans la Bible comme le grand roi de la sagesse régnant sur un empire ? Parce qu’à ce jour, seul David est cité dans au moins un texte extrabiblique, gravé dans la pierre et c’est lui que l’on trouve aussi sur les vitraux de nombreuses cathédrales un peu partout en Europe.
Beaucoup de supputations : David, une simple légende ? Les récits ne sont pas que des mythes et des légendes, car ils peuvent conserver des mémoires plurielles. On n’invente jamais une histoire à partir de rien et il n’est pas ici question d’avoir une lecture unilatérale.
David est l’homme des montagnes de Juda et on peut accepter l’idée qu’il y eut, dans un passé encore plus lointain, des conflits entre des lignages qui sont restés dans les mémoires collectives. L’histoire nous montre que des populations rurales des régions périphériques à Juda, ont échappé au contrôle des cités-États cananéennes et se sont réfugiées dans les montagnes à une époque où l’Égypte s’était repliée sur elle-même vers le 13e siècle avant Jésus Christ. Des combats ont sans doute eu lieu entre ces populations asservies et des roitelets impuissants à les contenir. On évoque dans les textes bibliques un ancien roi de Jérusalem, Adonisédeq qui eut comme adversaire des Hébreux cherchant refuge dans les montagnes. David est pourtant le premier « vrai » roi de Jérusalem, mais, cette cité peut avoir gardée en mémoire des anciens roitelets qui combattirent contre des hordes semant une certaine terreur dans la région. Ces anciens récits sont peut-être restés dans les mémoires d’un clan, les Jébuséens, habitant Jérusalem et connus de David. À moins que ce soit le roi Josias et ses scribes qui furent à l’origine d’une histoire déformée afin de légitimer leurs politiques expansionnistes. L’histoire de David est une histoire clairement sudiste, disent la plupart des spécialistes qui a été écrite par des scribes du royaume de Juda et non d’Israël.
Ce livre n’a pas pour ambition de rivaliser avec tant de livres écrits par des érudits sur ce personnage haut en couleur. Il n’apportera rien aux spécialistes, aux historiens, aux exégètes qui ont et commentent encore aujourd’hui l’histoire de celui que l’on appelle le « Bien-aimé » de la Bible, « l’homme selon le cœur de Dieu » (Samuel). Au contraire, ils ne peuvent que souligner les oublis, les failles, les erreurs d’un amateur qui se passionne pour un sujet dont il ignore tant de choses. Un néophyte, certes, mais à qui on a fait croire longtemps, dans les cours de catéchisme que David avait été le plus grand roi d’Israël et tente vainement de cerner ce personnage vu comme l’un des fondateurs majeurs de l’État israélite. Il a fallu en lire des ouvrages pour un novice, mais fervent de l’histoire Sainte afin d’essayer de se faire une opinion sur un tel roi que l’on a pu décrire comme un messie. Pour comprendre les croyances et les comportements religieux des Anciens, il faut s’efforcer de penser à leur façon, mais ce livre n’a pas la prétention de réaliser un tel programme, il vise uniquement à en ouvrir quelques pistes, car il y a toujours plusieurs façons de raconter l’histoire.
Aussi, n’étant ni historien ni exégète, il n’y a pas dans cet ouvrage pléthore de notations et de termes techniques. Je me suis gardé d’encombrer le texte de notes de bas de page. Le lecteur qui souhaite les obtenir pourra consulter les références bibliographiques données à la fin du livre. Seules quelques annotations fondamentales sont données, avec des rappels sans doute bien connus du grand public. C’est un livre sans prétention qui reprend, de manière simple, laconique, déformée sans doute, les travaux de quelques grands chercheurs, mais qui laisse place aussi à l’imagination puisque l’existence de ce roi ne fait même pas l’unanimité.
Les événements se déroulant avant l’ère chrétienne, les dates seront écrites 10e ou 7e sachant qu’il s’agit toujours du 10e ou 7e siècle avant Jésus-Christ. Je suis redevable à la majorité des savants cités, mais je remercie surtout Thomas Römer, premier bibliste au Collège de France pour ses nombreux cours d’une qualité hors norme et pour ses réponses pertinentes à mes interrogations. Je suis reconnaissant à tous ces savants qui ont décrypté des textes souvent illisibles pour les mettre à ma portée. C’est donc avec beaucoup de modestie devant l’immense travail de ces chercheurs que je tente cet essai.
Introduction
David est à la fois un héros bien connu (le petit David à la fronde contre Goliath le Philistin) et un personnage légendaire dont l’épaisseur historique, pour dense qu’elle soit sans doute, reste obscure. Il est vrai que l’on admire beaucoup les victoires improbables, issues de conflits où il y a un déséquilibre de forces, car elles sont source de grandeur et de beauté. Et puis, les géants ne sont pas aussi robustes qu’on veut bien le croire. Les qualités qui semblent les rendre forts sont souvent à l’origine même de leurs plus grandes faiblesses ! Les journaux qui évoquent la lutte inégale de particuliers contre l’État ou l’affrontement entre un petit pays et son grand voisin font encore référence au combat épique de ce héros biblique dans la vallée d’Elah et à la métaphore de la victoire impossible. Et pourtant, si dans le premier livre de Samuel, au chapitre 17, nous lisons que le jeune David abat le géant Goliath, au chapitre 21 du second livre, nous lisons que c’est Elchanan qui le tue. Mais ce n’est pas tout : dans le premier livre des Chroniques, il est même écrit qu’Elchanan a tué Lachmi, le frère de Goliath ! Les différents copistes bibliques ont évidemment reproduit différents livres et n’ont pas saisi des contradictions évidentes même si c’est toujours le « moucheron contre l’éléphant », pour paraphraser Michel Castellion (16e siècle) !
Il est évident que l’historicité de ce roi est difficile à saisir. Son combat contre le mal a été l’une des scènes préférées de la sculpture florentine, avec les chefs-d’œuvre de Donatello (1440), de Verrochio (1475) et de Michel-Ange (1504). Ces artistes, qui se sont inspirés des fresques des catacombes et des premières images chrétiennes, ont exalté à travers le jeune héros la virilité naissance de la jeune République. Le « David » est un chef-d’œuvre de sculpture de la Renaissance. David est l’incarnation de l’idéal de l’homme de l’époque : une esthétique parfaite à l’image des statues de l’antiquité, mais également du citoyen-guerrier qui met sa force au service de son État. Partout, David est vu en héros, le « David vainqueur de Goliath » à la tête disproportionnée de G. Reni (1604), le Triomphe deDavid de B. Rosselli (1630), etc. Mais David est aussi l’homme défiguré par la colère au corps tout en torsion dans la sculpture du Bernin ce qui en fait un chef-d’œuvre du Baroque (1623).
Il a inspiré un graveur comme Abraham Bosse, des peintres tels que le Caravage. Dans David précédé par des musiciens (1627), Poussin représente David portant triomphalement à la pointe de l’épée la tête tranchée du géant. Fondateur du premier état indépendant d’Israël, le roi David est toujours resté une figure idéalisée. Les livres de Samuel décrivent les grands moments de la vie de ce roi que l’Ancien Testament considère comme un grand poète.
La figure du roi David a toujours fasciné non seulement les croyants, mais aussi les artistes. Dans les manuscrits anciens de la Bible, les miniatures, les Psautiers, les Livres d’Heures, les vitraux, les sculptures, les peintures, David occupe une place royale. David est peint sur les assiettes de F. Durantino, les plateaux de table d’A de Brandebourg. Pour bien des raisons, bibliques et théologiques, mais aussi simplement par l’attrait du personnage lui-même. En 1951, Chagall s’illustre encore avec son « Roi David jouant de la harpe » et combien de peintures anonymes garnissent les musées. David inspire à cause du lien avec Jésus, fils de David, Messie. La messianité de Jésus se comprend dans la succession de la royauté de David. David inspire aussi à cause de sa figure de roi, choisi par Dieu pour construire et guider son peuple, pour mettre en place un petit royaume prometteur. Il inspire à cause de ses origines et de ses exploits, un jeune sans prestige ni puissance qui défait les puissants, figure du petit qui gagne grâce au soutien de Dieu. David retient l’attention aussi pour bien d’autres aspects qui en font une figure de l’humanité même, dans sa grandeur et sa misère, ses capacités de tendresse et de violence, de chute et de relèvement dans le jeu de la grâce et du péché. David, le jeune désarmé qui abat la force de Goliath ; David, le guerrier intrépide et le politique rusé ; David, l’ami fidèle de Saül et de Jonathan ; David, l’amoureux passionné, dont la passion pour Bethsabée l’amène à faire tuer un rival ; David, le père inquiet et indulgent, dont les enfants se querellent et se révoltent ; David, le poète et le musicien, qui danse et chante ; David, le pécheur qui se reprend, qui tombe et se relève ; David, le croyant, qui connaît le défi de la fidélité, les ruptures et réconciliations dans son histoire d’Alliance avec son Dieu. Il y a de quoi inspirer bien des œuvres. Les vitraux représentant le roi David dans les églises et cathédrales se comptent par milliers.
Sa personnalité domine les Livres de Samuel. Si ceux-ci s’ouvrent sur l’enfance et la vocation du prophète qui leur a donné son nom, David apparaît dès le chapitre 16 du premier livre et il occupe tout le second. Le prestige de ce roi s’est trouvé immensément accru par le fait qu’on lui a longtemps attribué la plupart des 150 Psaumes et qu’on l’a célébré comme le roi-musicien. David, prophète dans les Psaumes, est apparu comme une préfiguration du Christ, à la fois berger, annonçant le Bon Pasteur, et persécuté par Saül, ce roi indigne désavoué par Samuel, sur demande de Dieu, auteur du Psaume 22 qui semble réciter la Passion de Jésus (demande de secours dans l’épreuve). David occupe une place importante dans la sagesse et dans l’imaginaire d’Israël.
« Donnez à David une harpe, et vous en faites un nouvel Orphée, poète et musicien », écrit Guy Rachet. David est le patron des musiciens dès le Moyen Âge et devient celui des maîtrises et des chorales au 16e et 17èmesiècles. À divers moments de sa vie et en de multiples occasions, il est représenté ou évoqué jouant de la musique (en principe, un instrument à cordes). On trouve des représentations du jeune David en berger veillant sur son troupeau, tout en jouant de la cithare. Ce motif rappelle celui d’Orphée qui captive les animaux par sa musique. Il est écrit que David a passé une grande partie de sa jeunesse à surveiller les troupeaux de son père dans les champs proches de Bethléem et on suppose que cette vie pastorale lui a inspiré les chants vibrants à la louange de son Créateur. Devenu roi d’Israël, il est encore représenté en musicien lorsqu’il danse devant l’Arche d’Alliance ou encourage ses soldats. Même âgé, sage et barbu, il porte un luth ou un psaltérion dont il se sert pour accompagner le chant des Psaumes. Comme l’écrit encore Guy Rachet « Ceignez sa tête d’une couronne, et les rois s’identifient à lui. Dévêtez-le, et la beauté du corps sera exaltée, comme celle des éphèbes grecs ». Dans l’art byzantin, David est représenté avec les attributs de l’empereur : chlamyde (cape) des dignitaires romains, agrafée sur l’épaule, couronne de joyaux et chaussures rouges. En occident, à l’époque carolingienne, il apparaît comme le modèle du prince chrétien. Le David musicien n’a pas seulement inspiré les peintres et les sculpteurs, il a suscité toutes sortes d’œuvres musicales : deux motets splendides de Josquin des Prés (16e siècle), une symphonie sacrée d’H. Schütz (1629), de nombreux oratorios, dont le David penitente (1785) de Mozart et le Roi David (1921) d’A. Honeger, qui passe de la douceur pastorale des lieder à la véhémence impétueuse et guerrière ou à la détresse de la pénitence. La scène où David joue de la harpe pour remédier à la mélancolie de Saül a été sculptée si souvent sur les volets d’orgue, et l’a désigné comme l’un des premiers thérapeutes de la tristesse par la musique. Les vertus éducatives de la musique sont évoquées chez le philosophe Platon, mais David a peut-être compris bien avant lui que l’harmonie est propre à pénétrer dans l’âme et à la toucher fortement. La volupté musicale semble diminuer la force virile et le courage des guerriers, aussi, David, comprenant cela, ne chercha-t-il pas à adoucir les mœurs de celui qui deviendra son pire ennemi, le roi Saül ?
À deux reprises, Rembrandt a peint un Saül bouleversé qui essuie ses larmes avec un coin de son manteau. Le premier livre de Samuel racontant comment David, jeune, a été embauché par le roi Saül, afin que la musique calme ses tourments et éloigne sa tristesse, Rembrandt peint en 1629 son « David jouant de la harpe devant Saül ».
Mais dans la Bible, il est le premier « vrai » roi d’Israël, celui qui régnait 40 ans, 7 ans sur Juda et 33 ans sur Israël et Juda, deux nombres à valeur manifestement symbolique. C’est autour de sa personnalité que les rédacteurs de la Bible ont organisé la fusion d’Israël et de Juda en un seul peuple. Dire de lui qu’il a été un roi sacré, c’est commettre un pléonasme, car il n’y a pas de souverain qui échappe à la religion, qui puisse se justifier sans elle, le roi étant, par nature, un objet religieux. Sans religion, pas de roi. Et l’on pourrait presque dire : sans roi, pas de religion, puisque seul il est le pont qui relie l’humain et le divin, malgré les prêtres, les prophètes et les saints. Le roi est étroitement lié aux divinités, dieu lui-même ou fils de Dieu, ou encore lieutenant, agent, représentant, envoyé de Dieu, mais il est aussi intégralement homme, concentrant en quelque sorte en lui toute l’humanité ou la représentant. Participant à la fois de l’humain et du divin, il est le régulateur et le responsable de l’ordre cosmique, du temps, des phénomènes naturels, du renouvellement périodique de la création, de la fécondité, de la fertilité, de la bonne santé ; il est en quelque sorte, et par l’ultime aboutissement, le sauveur. Plongeant ses racines dans la plus haute antiquité, la monarchie a été le bien commun de tous les peuples sans exception, même si ceux-ci, tout en lui conservant ses traits spécifiques, ont pu le parer d’attributs particuliers. Le peuple hébreu voulait un roi, il l’a eu, car il s’agit de la normalité des choses. Tout au long de l’histoire humaine, les peuples ont pu connaître des moments de désespoir et de révolte. Mais ils ont surtout éprouvé de profonds sentiments de confiance, de respect, de vénération pour ceux auxquels ils avaient confié leur destinée et en qui ils voyaient et des élus de Dieu, et leurs représentants. En définitive, l’histoire de la monarchie est celle d’un grand amour réciproque entre le roi et ses sujets. Il en est donc de même pour Israël.
Même sans égoïsme foncier, chaque individu a conscience qu’il y a lui et les autres. Tout au long de sa vie, il s’efforce de se définir par rapport à autrui, cherche sa place dans la société et établit des liens avec ceux qui l’entourent. Si la cellule familiale où il est né et où il a grandi se trouve à l’écart des autres, il borne à elle son univers. S’il vit dans une tribu ou un village, il ne tarde pas à les englober dans sa vision. Quel que soit le stade qu’il ait atteint, le lieu où il est né, le lieu où il vit est pour lui le seul qui compte réellement : c’est le centre du monde. Tout autour s’étend une terre qui n’est pas la sienne, inconnue, dangereuse. Si sa terre est un royaume, il ne peut être qu’au centre du monde et le roi se situe au centre du royaume.
Dans les récits de l’ascension de David, plusieurs événements contribuent à brosser le portrait d’un personnage romanesque, depuis l’onction inattendue de ce dernier et sa victoire éclair contre Goliath, champion « monstrueux » des Philistins, jusqu’à son dévouement opiniâtre envers Saül, maître versatile et dépressif (décrit ainsi dans la Bible) dont il épousera pourtant la fille, Mikal. Ce héros providentiel est présenté en même temps comme un individu retors, capable d’abuser aussi bien les prêtres de Nob (au nord-est de Jérusalem), qui paieront de leur vie l’aide qu’il a sollicitée (assassinés par Saül), que le roi philistin Akish de Gath, aux dépens duquel il pratiquera un double jeu en s’attaquant en réalité à des tribus ennemies de Juda au lieu des Philistins, adversaires désignés. David, dont la mémoire a été célébrée par la Bible, est encore à ce jour une « figure clé de la mémoire culturelle d’Israël », car il est dépeint comme le seul véritable héritier légitime de ce peuple. Quel qu’il soit en tant qu’homme, le roi a, en tant qu’objet sacré, une seule valeur qui est entièrement positive. Si ses manques ou ses défauts sont trop grands pour qu’on puisse lui accorder sans réserve cette valeur, on s’empresse de tout tenter pour y remédier. Parce que le roi est homme, il peut faillir et subir la punition de Dieu qui envoya la peste sur le royaume de David pour ses fautes. Le roi a conscience de ses bévues, demande donc à Dieu ses pardons ou encore se punit lui-même. David pleure : « J’ai péché. C’est moi qui suis coupable, mais ces brebis qu’ont-elles fait ? Que ta main soit donc sur moi et sur la maison de mon père ».
On attend du monarque qu’il soit plus vertueux, qu’il ait plus de qualités et moins de défauts qu’un homme ordinaire, mais on sait ses limites. Et c’est ainsi que David fut le « grand roi » des Hébreux et non Saül, car, que le roi faute, soit, mais que sa faute ne gêne pas autrui, qu’elle n’aille pas trop loin. Au temps de David, il y eut une famine qui dura trois ans. Le roi chercha la face de l’Éternel et l’Éternel lui dit : « C’est à cause de Saül et de sa maison sanguinaire ». Mais David est le personnage touchant et proche de nous par ses faiblesses. Dans la Bible, l’homme que Dieu choisit se trouve souvent au bas de la hiérarchie familiale : il fait partie des jeunes à qui l’on ne confie pas encore de missions importantes. C’est le cas de Joseph, méprisé par ses frères à cause de ses rêves et de son jeune âge et de David, jeune adolescent présent sur le champ de bataille. David est surtout l’homme qui sait se repentir. Après avoir commis l’irréparable, il est l’homme, tout roi qu’il est, qui prend conscience de son comportement lamentable, affligeant quand il envoie l’un de ses meilleurs alliés à la mort pour lui dérober son épouse.
On ne peut oublier que l’Évangile de Matthieu (Nouveau Testament) commence par une généalogie de Jésus sous le titre « Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham ». On sait aussi que les rois d’Occident développeront 2000 ans plus tard une véritable mystique de l’imitation de David, à commencer par Charlemagne, qui se concevait comme un « nouveau David » le Grand Monarque ! Déjà, Pépin le Bref était un « David » à cause de sa petite taille ! Pour Charlemagne, David est une institution en soi, car il est roi-prêtre. Il est l’homme de Dieu qui terrasse le païen. David, on envie sa puissance, lui, le conquérant d’un vaste empire. Son rôle politique fait de lui un archétype royal ! Artisan du passage d’un mode de gouvernement étrange dominé par des prêtres, des Juges à un gouvernement central dominé par un seul homme, il incarne le monarque de droit divin. Quant à Louis VII, il est « le David » à cause de son humilité ! Les Juifs ont vu en David, un symbole messianique porteur d’espérance dans les domaines politique et eschatologique, les chrétiens voient en lui une préfiguration du Christ. Même Gengis-Khan allait être tenu par les chrétiens pour un nouveau David, destiné à réaliser les prophéties d’Ezéchiel.
À Cîteaux, les enluminures du 12e siècle montrent Jessé comme un prince, puisqu’il fut le père du roi David. Dans les images courantes de l’Arbre de Jessé, on représente toujours David « père » de Jésus. La question posée par les Arbres de Jessé est de savoir si Jésus descend de David par Joseph ou bien (aussi) par Marie ? De quelle descendance s’agit-il : biologique ou légale ? Un vitrail de Chartres montre David et le pélican (panneau 22). David regarde le pélican en train de s’ouvrir la poitrine pour nourrir ses petits, selon, la légende antique des bestiaires, popularisée par Honorius d’Autun vers 1100. En fait, le pélican sort de sa poche ventrale des morceaux de poissons sanguinolents qu’il vient de pêcher pour rassasier ses jeunes. Sur le phylactère, on lit le mot pelicano, qui cite la parole de David : « Je suis pareil au pélican du désert » (Psaume). Comme David, le premier messie, est figure du Christ, celui-ci peut reprendre tous les psaumes et se les appliquer ; le pélican n’est symbole de solitude, comme dans le psaume 102, mais symbole du don de soi : il « se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime » !
Avec son testament poétique, les psaumes, sa qualité mystique éclate au grand jour ! Il est, par cette accumulation de facettes variées et parfois contradictoires, le type même de l’homme universel, l’homme accompli dans une multitude de directions que l’on ne manque pas d’évoquer dans des circonstances les plus variées. À la cour de France, les scènes à caractère narratif du livre de Samuel renvoient comme un miroir l’image que la monarchie se fait d’elle-même ; elles lui servent de repère et justifient sa légitimité sacrée aux yeux du peuple. Le vainqueur de Goliath est un symbole royal, un alter ego d’Hercule ! Sa popularité finit même par éclipser l’auteur des douze travaux lorsqu’il s’agit de représenter la force temporelle et spirituelle des princes très-chrétiens. Ceux-ci apparaissent comme l’image vive du Christ, leur représentant temporel sur la terre, car ils sont les fils spirituels de David.
Les princes agissent comme ministres de Dieu, et ses lieutenants sur la terre. Le mot lieutenant, du latin locum tenens, « tenir lieu », signifie « celui qui tient lieu à la place de », en somme « qui remplace ». Le roi est l’oint du Seigneur. On comprend pourquoi David restera si célèbre dans les royaumes chrétiens. Le Christ est lui-même « roi de l’Univers ». Le roi, à son échelle, est semblable au Christ. Il est comme lui « l’oint du Seigneur » « oint » est le sens du nom « Christ ». Le Christ est souvent représenté, dans les vitraux des églises médiévales, au milieu d’une rosace, mais David l’est aussi. Pour faire tourner la roue, il faut être au centre. Cette analogie fonde le caractère solaire du roi. Le roi a un rôle d’intermédiaire entre notre monde et le monde céleste. Le souverain se trouve à la jonction des mondes. Il est le premier à recevoir, ici-bas, les dons divins qu’il doit ensuite distribuer. David était celui qui redistribuait. C’est pourquoi il est encore en grand sur le parvis de la Sagrada Familia.
On ne compte plus, à partir de la fin du 12e siècle après l’ère chrétienne, dans les psautiers à peintures, les images montrant David en prière comme s’il avait une vision et pouvait dialoguer avec Dieu en direct. La figure du roi mystique n’a d’ailleurs pas disparu de l’art du 20e si bien que peu de figures de l’Ancien Testament auront, comme David, traversé les récentes mutations artistiques. Les expressions religieuses de tous les peuples mettent en œuvre des éléments constitutifs fondamentaux (mythes, rites, croyances) qui ne sont jamais réductibles à un modèle unitaire. La question du mythe dans le texte biblique a une longue et douloureuse histoire. En effet, pointer les éléments mythiques qu’elle renferme a durablement constitué une arme des adversaires du judaïsme et du christianisme, ce qui conduit les croyants à se raidir contre l’idée que leur texte sacré puisse contenir des mythes. En outre, combien de données bibliques et de sources autres, accessibles à l’historien, ne coïncident pas ! Et encore aujourd’hui, cette confrontation radicale a laissé des traces : on oppose encore mythe et vérité historique. Il convient de se rappeler que le mythe n’est ni une pensée préscientifique ni un pieux mensonge, mais bien une forme d’expression. Le mot mythe reçoit souvent, de nos jours, une définition plutôt indigente : celle d’histoire fausse. Or, ils sont peut-être improbables, mais cela n’en fait pas des romans, ni des essais, ni des poèmes lyriques. Ils ont une existence à eux. Leur existence au temps est exceptionnelle : ils ont vécu deux fois. Leur première vie est celle du temps où ils circulaient de bouche à oreille. Mais une fois couchés sur le papier, ils ont commencé une seconde vie. Ils sont entrés dans notre histoire et ont entamé une carrière, pour certains, très longue et c’est le cas de celui de David jouant de la harpe encore présente dans les vitraux de certaines de nos églises.
Comme l’écrivait. E. B. Tylor, « Le mythe tel qu’il existe dans une collectivité antique n’est pas seulement un conte, mais une réalité vécue. Il ne relève pas de la fiction, c’est un fait qui s’est produit à une époque très ancienne et qui continue à exercer son influence sur le monde et sur les destinées humaines ».
Le mythe n’est pas un mensonge, inventé de toutes pièces pour ne pas faire face à la réalité. C’est notre façon d’être dans le réel, de le raconter, de lui attribuer un Sens avec un « S » majuscule. Notons que nous pouvons toujours inventer des histoires avec des personnages et des motifs littéraires ou fabuleux, mais il est difficile d’inventer un milieu social qui n’aurait pas existé ni le droit coutumier d’une époque. On peut faire remonter en arrière, pour les attribuer à des personnages importants de l’histoire passée ou du mythe, des lois qui comportent des choix politiques contestés, ou des droits de propriété, mais nul n’aurait intérêt à inventer des normes du droit coutumier sur des arguments neutres ou politiquement dépourvus d’intérêt. Dans les mythes, nous sommes fascinés par la simplicité des récits qui semblent se situer au début de notre histoire. On les appelle les mythes fondateurs. Ils comprennent quelque chose de réel et nous tissons autour un imaginaire qui prend une fonction symbolique. Cela marque l’histoire, la référence de la société. Ils deviennent les ancêtres des principes culturels qui donnent une particularité à chaque société et la fierté de son appartenance. Certains héros ont la particularité de présenter un itinéraire solitaire lié à l’affrontement d’un « monstre » comme David contre Goliath.
Les premiers livres de la Bible, de la Genèse à Josué, ont recours à l’écriture mythique afin de répondre à une série de questions existentielles pour les fils d’Israël. Mais qu’en est-il de leurs rois et particulièrement David ? Une certitude toutefois : c’est à David que revient l’honneur d’avoir constitué la première organisation rationnelle des tribus soumises à un pouvoir central, chacune d’elles conservant cependant ses coutumes et ses attributions propres.
Les recherches
La Bible décrit le grand roi David comme étant à la tête d’un vaste empire unifié, 1000 ans avant notre ère. Nous savons aujourd’hui grâce aux recherches archéologiques qui font appel à diverses sciences pour les seconder et certifier leurs analyses depuis plus de 50 ans (épigraphie, paléographie, physique, etc.) qu’un tel empire n’a jamais existé. Nous savons que Bible et archéologie n’ont pas toujours fait bon ménage, car pendant longtemps, l’archéologie de la Terre Sainte s’est trouvée écartelée entre, d’un côté la volonté de prouver l’historicité des récits bibliques et, de l’autre, des découvertes qui allaient à l’encontre de cet effort. Les médias se lancent souvent dans les controverses autour de « la Bible en tant qu’histoire » depuis que l’archéologie s’en mêle. Notons d’ailleurs que les données archéologiques ne sont que des outils de « contrôle » et non des preuves permettant une relecture du texte biblique. C.W Ceram, dans les années 1940, voyait les archéologues comme des détectives qui ne découvrent jamais la vérité entière.
La Jérusalem du 10e siècle (appelée Urushalim autrefois) n’était en réalité qu’un modeste village et relativement pauvre, guère différent des autres des régions montagneuses. D’une superficie ne dépassant pas deux hectares, elle n’atteignait même pas l’extrémité méridionale de ladite « cité de David » et n’était pas fortifiée. Le nombre de sites occupés dans l’ensemble de la région montagneuse au sud de Jérusalem au 10e siècle est estimé à vingt, avec une population totale de l’ordre de 5000. La reconstitution archéologique historique de l’époque de David (mais aussi de Salomon) présente un tout autre tableau que celui donné dans la Bible. Il n’est plus question d’un grand royaume florissant capable d’une production littéraire pléthorique. On n’a pu démontrer ni la présence d’édifices monumentaux, qui auraient témoigné d’un système étatique bien implanté, ni celle d’un grand nombre de textes épigraphiques, qui auraient indiqué que la profession de scribe était bien développée.
L’instauration de la royauté de David et les péripéties affectant la monarchie sont racontées dans les livres de Samuel et les livres des Rois. David est décrit comme un roi victorieux, conquérant, égal à ceux des Assyriens, d’autant plus qu’il ne part au combat qu’après avoir consulté la divinité, et avoir reçu la réponse favorable. Il est dit qu’il affronte les Philistins, les Amalécites, les Moabites, les Araméens, les Édomites, les Ammonites, assure ainsi les frontières du royaume, réduit la menace extérieure et permet la paix dans son royaume. Si la visée historienne de ces récits est indéniable, les recherches historiques sont loin de confirmer ce qui est raconté à propos du règne de David. Aucun des trois rois, Saül, David et Salomon et leurs successeurs ne domineront jamais les autres nations, sauf très occasionnellement sur des zones limitrophes et Juda désignera uniquement le royaume du Sud. Au contraire, ils seront vassaux des Assyriens puis des Babyloniens. L’expansion politique et militaire pendant le règne de David que décrit la Bible est historiquement impensable à cette époque. La population totale d’Israël et de Juda au 10e siècle, qui était d’environ 55 000 habitants, n’aurait donné qu’une armée de 1500 soldats au maximum, avec laquelle un territoire n’aurait pu être ni conquis, ni contrôlé. L’expansion décrite ici se base, disent les historiens, sur une rétroprojection littéraire de situations postérieures, du règne de Jéroboam II (781-742). L’époque de David représente de toute évidence une idée fondatrice significative pour la Bible, mais qui repose davantage sur des souvenirs créatifs que sur l’histoire véritable.
Au 10e siècle, Hébron, première capitale de David selon la Bible, était, elle aussi, un insignifiant petit village. Ce système d’occupation territoriale de Jérusalem et d’Hébron ne se développa et ne s’intensifia qu’au 8e siècle. En revanche, au 10e siècle, le plateau de Béthel et les hauteurs de Samarie étaient beaucoup plus densément peuplés que l’entité politique de Jérusalem. Au 10e siècle, dans ce qui sera l’État d’Israël, on peut estimer à 230 le nombre de leurs villages et à 50 000 leur population, soit dix fois plus qu’en Juda. Le système d’occupation territoriale des hautes terres du Nord était d’autre part plus élaboré, offrant une palette différenciée de sites comprenant fermes, hameaux, villages et villes. Certains villages s’étaient même étendus jusqu’aux zones horticoles situées sur le flanc occidental des montagnes, ce qui permet de supposer que leur économie était fondée sur la production de deux denrées de grande valeur : le vin et l’huile, entraînant la constitution de communautés hautement spécialisées. Un système si sophistiqué indique qu’au 10e siècle, alors que Juda en est encore qu’aux balbutiements de son organisation politique, émerge dans les hautes terres du Nord une véritable entité politique, que l’on doit considérer comme une première entité politique nordique israélite qui dominait peut-être les territoires du Sud. David dut régner, si l’on reste fidèle à l’époque du 10e siècle, donnée par la Bible, sur un État petit et peu peuplé s’étendant sur les hautes terres du Sud.
Nous tenterons, ici, de résumer quelques pistes, développées par de grands spécialistes, en sachant que la vérité est hors d’atteinte. L’historien reconnaît qu’il ne pourra jamais décrypter ce qu’ont réellement ressentie et pensée les majorités silencieuses des sociétés ancestrales qui n’ont pas laissé derrière elles de traces écrites. Les membres des tribus, clans, ne sachant ni lire ni écrire, n’avaient pas besoin d’un lexique développé pour travailler, engendrer, ni même pour prier. La communication dans les sociétés agraires reposait sur la relation immédiate, le geste et la parole, et non pas sur des concepts abstraits que seuls quelques érudits ont formulés dans des sources écrites dont une partie infime est parvenue jusqu’à nous. Notons aussi que l’époque prémonarchique a été délaissée par les théologiens, car aucun document littéraire authentique de cette époque n’est parvenu jusqu’à nous. La très lente pénétration de l’écriture dans la région, qui n’est guère attestée pour Israël avant le 8e siècle (et plus tardivement en Juda), interdit de remonter plus haut dans le temps. Les livres par la suite pourront conserver la mémoire légendaire d’événements plus anciens et d’héros locaux, mais comment le savoir ?
Les archéologues actuels ne doutent pas forcément de l’existence du roi David ni de celle de son fils Salomon et de ses successeurs, mais ils remettent en question la nature de leur monarchie, car ils n’auraient jamais gouverné le royaume fabuleux décrit dans la Bible. De même, nous pouvons aussi oublier l’approche naïve et dénuée d’esprit critique qui pense que le judaïsme fut une religion monothéiste dès son origine (Israël vit encore dans la certitude d’avoir bénéficié, au cours de son histoire, d’une vérité révélée d’un ordre supérieur, universel et éternel). Les textes bibliques sont d’ailleurs impuissants à décrire l’histoire d’un Israël monothéiste. L’influence étrangère à Israël n’a jamais pu corrompre une religion pure, car, la religion pure est un leurre, toutes les religions sont faites d’emprunts à d’autres religions, de même qu’Israël n’existe pas du temps de David, du moins tel qu’on l’imagine dans la Bible. On incrimine très souvent les femmes affirmant que les rois se sont laissé entraîner à des cultes idolâtres par les nombreuses épouses étrangères de leur harem. Tout le mal viendrait donc de l’étranger et plus particulièrement des femmes étrangères.
Politiquement, David et Salomon ne furent guère que des chefs de clans dont le pouvoir administratif local s’étendait uniquement sur la région montagneuse qu’ils contrôlaient, à savoir, Juda, qui n’était en aucun cas un État constitué à l’époque. Cependant, nous savons que l’histoire, d’un peuple, d’un royaume, forme un ensemble si divers et si complexe que l’historien ne peut en traduire toute la richesse. En outre, l’incertitude de la recherche historique est évidente en ce qui concerne la chronologie de certaines périodes. Les origines du royaume de David ne sont pas accessibles à l’historien, car aucun témoignage extérieur à la Bible ne nous parle d’un grand roi de Jérusalem à cette époque. « On ne peut être que circonspect à vouloir parler d’une telle période » comme le dit A. Lemaire.
La Bible a entretenu avec l’histoire des rapports tendus, voire conflictuels, qui se sont inversés au fil des âges. L’histoire sainte, par définition, refusait toute confrontation avec la documentation extérieure, puisqu’elle considérait le livre comme une dictée divine qu’on pourrait seulement paraphraser. Pendant des siècles, ainsi, la Bible a été prise au pied de la lettre. Au 17e siècle, le philosophe Spinoza avait noté des incohérences historiques dans les Écritures puis Richard Simon avait compris que les Saintes Écritures étaient le résultat d’une histoire scripturaire complexe, faites d’ajouts et de retouches, qu’il fallait démêler. Jean Astruc au 18e avait, quant à lui, proposé un premier modèle pour expliquer les origines du Pentateuque. En 1871, Julius Wellhausen systématise la théorie documentaire qui devient le fondement de l’exégèse moderne. Mais, c’est en 1872que la Bible a perdu à jamais sa prérogative immémoriale d’être le « plus ancien livre connu », un livre pas comme les autres, « écrit ou dicté par Dieu en personne ». Cette année-là, G. Smith annonça une extraordinaire découverte : il avait trouvé une histoire fort proche du récit biblique du Déluge, mais qui lui était antérieure et l’avait inspiré. Du coup, la Bible prenait place parmi la chaîne sans fin des œuvres rédigées par les hommes. La Bible représentait une sorte de recueil de morceaux choisis, avec une partie historique abondante en redites bien propres à nous embrouiller l’esprit, de tout ce que les israélites ont écrit au cours du premier millénaire de leur existence autonome.
Il y a deux siècles, les fouilles au Proche-Orient étaient menées par des chercheurs croyants dont le but était de vérifier sur le terrain l’exactitude des récits bibliques sans se poser la question de sa fiabilité historique. Régnait ainsi la méfiance vis-à-vis de toute recherche parce qu’elle pourrait mettre en danger les croyances traditionnelles ou du moins les formulations traditionnelles de ces croyances. Le problème était donc que ces archéologues dont l’un des leaders est W.F. Albright (un ardent défenseur du « modèle de la conquête de Canaan » par Josué) fouillaient une « truelle à la main et une Bible dans l’autre » comme le disaient des exégètes allemands. Cette archéologie visait à prouver la véracité des textes bibliques sur les origines d’Israël. On a donc tenté d’utiliser cette discipline comme « preuve » pour confirmer la crédibilité du récit biblique. G.H Richardson, en 1916, dénonçait les méthodes des ultraconservateurs consistant à plaquer le discours biblique sur des monuments et les brandir ensuite comme preuve de la Parole de Dieu.
Cette méthode, peu scientifique, avait induit des résultats favorables à la croyance en faisant accorder ce que rapporte la Bible à leurs recherches. Cela ne tenait évidemment pas compte des réalités rencontrées sur le terrain des fouilles, toujours mises sur le côté, car dangereuses pour le dogme. Les années 1970 génèrent une évolution en la matière. L’archéologie non dogmatique et plus scientifique fait appel à diverses sciences pour la seconder et certifier leurs découvertes. Les fouilles archéologiques ont permis de mettre en lumière toute une série de textes qu’il a été possible de déchiffrer. L’archéologie donne du corps aux récits, les rendant plus tangibles, plus crédibles et les remettant en situation dans leur époque. Pour autant, cela ne signifie pas que l’archéologie peut prouver la véracité des textes. Les sources épigraphiques apportent de précieuses informations sur les usages, le mode de vie et même les croyances des anciens israélites, mais restent souvent muettes sur l’histoire événementielle. Sur ce dernier plan, les inscriptions royales sont généralement plus prolixes. Si l’archéologie initiale courait le danger d’une récupération idéologique, la nouvelle peut en courir un autre, celle de croire que tout est invention et que les récits bibliques sont le résultat de l’imagination de scribes à un moment donné. Certains, sans doute, cherchaient à dénigrer une religion naïve et obscurantiste ou renvoyer au grenier de l’histoire les convictions nées de la révélation biblique. Certes, la Bible n’est pas un livre d’histoire, mais elle aide à la compréhension de l’histoire d’Israël et de Juda, même si la perspective biblique est « sudiste » ou judéo-centrée, la compilation des textes ayant été faite à Jérusalem à partir du 7e siècle. Dans les livres de Samuel et des Rois, le « royaume du nord, donc Israël » est présenté comme rejeté par Yahvé et tous ses rois reçoivent des appréciations négatives, comme le dit Thomas Römer. Pour I. Finkelstein, « l’émergence de l’Israël biblique en tant que concept fut le résultat de la chute du royaume d’Israël ». L’invalidation du concept de la monarchie unifiée en tant que réalité historique signifie que les deux royaumes hébreux ont émergé parallèlement au 9e et 8e siècle en tant qu’entités voisines et indépendantes jusqu’à l’arrivée de l’Assyrie dans le Levant. En mettant en question le concept même de royaume uni, c’était plonger le récit biblique dans une crise radicale. En niant l’existence d’un lien fort entre Israël et Juda, en niant l’existence d’un royaume un avant l’Exil, on réduisait l’Israël « historique » à l’un de ces nombreux royaumes palestiniens balayés par la conquête assyrienne du 8e siècle. La réécriture de l’histoire d’Israël devient à ce point absolument drastique.
Il n’est pas question d’être irrévérencieux à l’égard de la Bible ni d’avoir un discours subversif. Il faut la lire, car elle a joué et continue de jouer un rôle spécifique indéniable dans la culture occidentale. Bien évidemment, nous savons que la Bible raisonne de façon mythique (par archétypes) plutôt qu’historique et qu’elle nous parle d’un seul Dieu existant dès les origines, puis se perpétuant inchangé à travers le temps. Sans obliger à une quelconque dévotion, la Bible mérite le respect et une approche sérieuse ; que l’on soit croyant ou pas. En effet, elle évoque sans cesse l’homme et plaide pour sa dignité. Elle défend l’amour et réclame une profonde estime de l’ensemble de l’humanité. L’Ancien Testament, avec la pertinence de ses textes fondateurs et la lucidité d’une sagesse venue d’ailleurs, pose les bases de toutes les civilisations, car il enseigne déjà l’amour du prochain et le respect de la nature. Rien que pour ces facettes inattendues, les textes méritent attention et révérence, ce qui ne nous empêche pas d’avoir un esprit critique.
Les exégètes ont efficacement montré que la Bible est une bibliothèque de textes beaucoup plus complexe qu’une chronique neutre de faits en prise directe avec la réalité. Nous savons que les livres vétérotestamentaires (relatif à l’Ancien Testament) ne sont pas l’œuvre d’un auteur unique et identifiable, mais une littérature de tradition qui a connu une préhistoire orale. La mise en évidence d’une longue gestation des textes bibliques et donc d’une distance entre l’événement vécu et sa narration s’accompagne, en outre, de la reconnaissance idéologique de cette dernière. Le texte biblique est le résultat de la sélection, du filtrage et de la déformation de l’information, quand il ne se s’agit pas d’une invention, pour servir aussi les intérêts politiques et théologiques de l’élite royale ou sacerdotale à laquelle les scribes étaient liés, comme dans toutes les chancelleries du Proche-Orient ancien.
L’Israël biblique, tel que le décrivent les cinq premiers livres de la Bible, ainsi que les livres de Josué, des Juges et de Samuel, n’a jamais existé. Les découvertes archéologiques menées au Proche et Moyen-Orient depuis une cinquantaine d’années ont permis aux savants de se faire une raison : l’aventure des patriarches Abraham, Isaac et Jacob relève plus de la saga homérique que du récit historique, l’Exode, cet épisode qui conte la libération des Hébreux du joug égyptien grâce à Moïse, n’est qu’un pur produit mythologique, et la conquête de Canaan par Josué, le successeur de Moïse, n’a jamais eu lieu. L’essentiel des préoccupations du public intéressé par la Bible tourne autour des questions de l’Exode et de la Conquête. Tous ceux qui sont plus ou moins versés dans les traditions judaïques ou chrétiennes savent d’instinct que ce sont là des questions fondamentales, qui touchent aux « origines », à la singularité du peuple de la Bible. L’histoire de Dieu qui libère son peuple de l’esclavage égyptien et qui le conduit jusqu’à la Terre promise de Canaan est le socle sur lequel est bâti l’édifice biblique. « Yahvé a fait sortir Israël du pays d’Égypte. » Cet énoncé constitue la confession de foi centrale de la Bible hébraïque. C’est Yahvé qui a décidé d’intervenir personnellement en faveur de ce peuple-ci, opprimé par Pharaon, ce peuple élu, même si l’expression ne figure jamais comme telle dans les Écritures (le discours sur l’élection étant cependant omniprésent). Après plus d’un siècle d’explorations et de fouilles à travers le Sinaï, les archéologues n’ont pas trouvé la moindre trace d’une « route de l’Exode », même aux endroits où les étendues arides et sablonneuses du désert auraient dû en conserver.
La conquête militaire de Josué telle qu’elle est décrite dans la Bible est un mythe et l’infiltration des Hébreux dans le pays de Canaan fut lente et progressive, dit Finkelstein. En fait, ce savant adhère aux premières théories des années 1930 qui nient la Conquête de Josué. À considérer les distances parcourues par Abraham et la rapidité de déplacement des nomades, il est évident que la migration soi-disant dirigée par ce patriarche a duré plusieurs siècles et non pas en quelques années seulement. L’œuvre de plusieurs générations, la Bible la concentre dans une seule vie d’homme. Cette tendance est d’ailleurs universelle. Chez les peuples dénués d’écriture, ce report dans le passé mythique est extrêmement rapide, car pour eux l’actualité historique ne dure que deux siècles au maximum, disait l’ethnologue A. Van Gennep. Au-delà, c’est une sorte de chaos du temps, où la durée ne présente plus aucune limite distincte. D’après le modèle de l’infiltration pacifique, les gens qui ont peuplé les hautes terres de Canaan descendaient de tribus nomades des régions semi-arides de l’Est. Franchissant le Jourdain lors de leurs transhumances annuelles, en quête d’eau et de pâturages, certains d’entre eux finirent par se sédentariser dans la région des collines, plus fertile, mieux ventilée et arrosée. Le grand archéologue W. G. Dever nota, en 2003, que l’infiltration pacifique ne fut sans doute pas si pacifiste ou débonnaire, car les Bédouins n’ont pas pour habitude de se sédentariser de leur propre initiative ; ils furent contraints de le faire. Dever admet la thèse de Finkelstein affirmant que le processus de colonisation se déroula de façon progressive sur le long terme, mais critique un certain nombre de ses conclusions. Il lui reproche surtout sa vision trop matérialiste et déterministe qui omet le rôle des facteurs sociologiques et idéologiques dans les changements culturels. De même, pour Dever, l’infiltration n’est pas que le fait de bergers nomades, mais de populations beaucoup plus diversifiées.
Notons aussi que si la Genèse décrit avec précision une généalogie, l’Exode met fin à l’histoire des Patriarches, Moïse tout comme Josué sont de père inconnu, des hommes « sans famille ». De nombreux exégètes pensent que le roman de Moïse ne fut rédigé que très tardivement, sous le roi Josias (639-609) afin de montrer qu’Israël a eu, elle aussi, un personnage « haut en couleur », abandonné puis sauvé et enfin « grand leader », digne du roi Sargon d’Assyrie. Quant au récit de conquête par Josué, ils ne reflètent aucune réalité historique, mais reprennent en grande partie des récits de propagande militaire néo-assyriens. Profitant du déclin de l’Assyrie, c’est Josias qui rêva d’un grand Israël et utilisa la force pour conquérir le territoire de Benjamin, zone frontalière sud de l’ex-Israël. Comme le savent depuis longtemps les biblistes, les livres de la Bible hébraïque ont été composés bien après les événements qu’ils sont censés rapporter ; telle que nous la connaissons, la Bible est le produit de l’intervention d’innombrables rédacteurs ; leur tâche s’est poursuivie sur un long millénaire, au cours d’un processus littéraire d’une incroyable complexité. Nombre de récits, plus ou moins légendaires, abondent en détails trop miraculeux et fantastiques pour la crédulité du lecteur d’aujourd’hui, quelle que soit sa confession. Et c’est l’ensemble de ces facteurs qui a contribué à susciter des doutes quant à la véridicité de la Bible.
Il est aussi intéressant de noter que dans la Bible, la Terre promise à Abraham et à ses descendants n’entraîne aucunement l’expulsion des autochtones alors que l’Exode s’achève par l’immense massacre des indigènes de Palestine. Les spécialistes du sujet affirment que cette version fut écrite tardivement, sans doute à l’époque du retour des exilés de Babylone au 6e et 5e siècle. Chaque peuple a besoin de dire ses origines, mais nous rencontrons deux types de récits pour le dire. Le récit d’autochtonie vise à montrer que les peuples sont de « vrais » autochtones comme ceux d’Homère, fils du dieu grec Héphaïstos et de la terre mère et, le récit allochtone qui explique que le peuple vient d’ailleurs qui, suite à une oppression ou sur ordre divin, colonise une terre promise. Abraham est une figure autochtone où l’on prétend que toute sa descendance a toujours vécu à Canaan tout comme le peuple hébreu, délivré par Moïse qui ne fait que retrouver son pays originel.
De même, l’Égypte qui est le pays de toutes les opportunités des Patriarches, d’Abraham et de Joseph, le premier s’enrichissant par elle, le second réalisant une ascension sociale spectaculaire en devenant vizir du pharaon, c’est ce pays qui, paradoxalement, conduit les Hébreux à fuir l’esclavage qu’ils subirent. Dans un tombeau de Béni Hassan, en Moyenne Égypte, dans le nome de l’Oryx, on trouve une fresque datant d’Amenemhat II (Moyen Empire) où le gouverneur reçoit des tribus de l’est. Les femmes portent des manteaux de laine colorés et les hommes sont bien chaussés avec, en tête, un chef offrant un bouquetin. Les premiers contacts entre Hébreux ou leurs ancêtres eurent lieu en fait à une époque très ancienne, difficile à dater. Lorsque la famine sévissait en Pays de Canaan, ces nomades passaient la frontière pour quelque temps afin de retrouver une certaine stabilité. Ce fait est illustré par des reliefs gravés sur une partie des parois latérales de la Chaussée d’Ounas à Saqqarah montrant des Bédouins faméliques. L’Égypte, hier le pays d’accueil, devint le pays ennemi d’Israël qui célébrera sa sortie, échappant ainsi à la dixième plaie d’Égypte, le massacre des premiers-nés, la Pâque. Ainsi la Pâque célèbre cette mutation sans précédent, le passage du statut de serviteur de Pharaon à celui de serviteur de Yahvé.
Après deux siècles de fouilles archéologiques, nous ne retrouvons aucune trace d’une communauté juive en Égypte avant l’exil babylonien des élites de Jérusalem vers 580. La plus ancienne trace d’une communauté judéenne en Égypte est tardive et se situe sur l’île Éléphantine (près d’Assouan sur le Nil). Si l’exil à Babylone fut une réelle déportation, les départs pour l’Égypte furent au contraire volontaires afin d’échapper à la présence des Mésopotamiens. On ne peut donc parler de déportation, mais seulement d’un vaste mouvement migratoire. Les documents trouvés concernant cette communauté juive couvrent la période de 195 à 399 avant la naissance de Jésus. Les tablettes et les papyrus sont rédigés en araméen et racontent la vie de cette communauté qui servait en tant que contingent militaire au service du pharaon Apriès. Dans toutes les découvertes archéologiques et égyptologiques qui retracent une grosse partie de l’histoire pharaonique égyptienne depuis la première dynastie aux dernières ptolémaïques, il n’est nulle part rapporté l’existence d’une population israélite importante comme décrite dans la Bible (Jan Assmann). Nulle part, il n’est question de « captifs » aux mains de deux pharaons inconnus pendant la période dite de Moïse, alors que les noms de tous les rois d’Égypte pharaonique sont connus. Si des documents égyptiens font part d’étrangers travaillant sur les chantiers des travaux pharaoniques, ils ne font jamais référence à des esclaves. Si l’on en croit les textes, les contremaîtres, égyptiens et étrangers, surveillaient les rendements de la fabrication des briques. Le papyrus d’Anastasi de Memphis fait allusion à des ouvriers « produisant leur nombre quotidien de briques » et on y lit : « Il n’yavait personne pour faire les briques et pas de paille dans les environs. » Sous le règne de Ramsès II, les comptes des briques fabriquées sont tenus sur des rouleaux de cuir. L’un d’entre eux nous apprend que 40 chefs devaient atteindre le chiffre quotidien de 2000 chacun, soit 80 000. Ces chiffres n’étaient d’ailleurs jamais respectés. Les listes de travail de Deir el-Medineh, le village natal dans lequel vivaient les ouvriers qui creusaient les tombeaux de la Vallée des Rois, nous montrent que les travailleurs bénéficiaient de jours de congé pour toutes sortes de raisons, même pour « faire des offrandes à son dieu » et certains avaient l’autorisation d’aller prier dans le désert. Nous connaissons en revanche, pour le règne de Ramsès II, l’enrôlement forcé de groupes de non-Égyptiens pour travailler sur les chantiers royaux. Ainsi à Memphis : « des Apirou qui apportent de la pierre pour le grand pylône du monument de Ramsès II Bien Aimé de la Vérité… » Si le mot « Egypte » se lit 680 fois dans la Bible, le nom d’Israël n’apparaît qu’une fois dans les sources égyptiennes.
Qui était donc ce roi David censé régner en maître depuis sa capitale, Jérusalem ? De grands historiens, archéologues et biblistes, débarrassés d’interprétations confessionnelles, spécialistes de divers champs d’études de l’ancien Israël, comme N.A. Silberman, I. Finkelstein et T. Römer nient l’existence de ce grand royaume qui s’étendrait aujourd’hui sur Israël, la Cisjordanie (région entre la mer Morte et le lac de Tibériade) et une partie de la Syrie. L’appellation « Cisjordanie » s’oppose à l’appellation « Transjordanie » qui désigne le territoire « au-delà du Jourdain ». Ces deux termes « Cisjordanie » et « Transjordanie » apparaissent au XIXe siècle pour désigner les parties de la Palestine respectivement à l’ouest et à l’est du fleuve Jourdain.
D’après les données topographiques et historiques, le nom « Israël » vient probablement d’un clan appelé Asriel, installé dans la montagne d’Ephraïm, non loin du sanctuaire de Silo. Les historiens utilisent le terme de proto-israélites identifiables comme ethnie à partir du 12e siècle. C’est suite à une transformation dans la région de structures et d’identité à cause de changements de modes de vie que l’on parlera plus tard des israélites.
Israël et Juda, deux royaumes toujours séparés
Les rédacteurs de la Bible disent que l’unité d’Israël et de Juda est un don de Yahvé et ils ont interprété la séparation comme une punition de Dieu qui abandonne son peuple. Jéroboam, roi d’Israël, est le symbole du péché fondateur