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Une réflexion puissante qui interroge sur le délitement du tissu social dans un monde globalisé et individualiste
Le roman de Lester est une satire sociale qui interroge sur le temps et son emploi. Il porte un vibrant plaidoyer pour la jeunesse et la nature. Il égratigne donc les irresponsabilités et les inconséquences qui phagocytent l’avenir et l’espoir.
L'auteur nous livre un roman philosophique qui vise à renouer les liens entre l'homme et la nature, entre l'homme et le monde imparfait qu'il a créé.
EXTRAIT
C’était ainsi que le déclin du « Caciquat aux trois villages » avait commencé : la collusion du cacique, Timaeus Situate, avait engendré la collision des corps de tailles différentes. Ainsi, il créa des convulsions et des crises, incitant à retrouver le temps où le bon sens protégeait, où l’honneur l’emportait, où la jeunesse prenait sa part au combat pour immortaliser l’esprit des mânes héroïques.
Tout se crispait devant ce crime abominable. Tout se crispait devant l’aliénation volontaire qui inaugura l’état crépusculaire du Caciquat.
Morne-Figuier, le trône des Situate, incarnait cette insanité qui se vivait comme si la plus haute montagne du pays éboulait pour écraser en contrebas les hameaux et les lieux-dits, et réduire en poussière tous les occupants.
Tels étaient les effets sur les deux autres villages Sept-Sources-du-Respect et Plaine-Princesse. Tels étaient les effets d’une inconscience dont la longévité foudroyait encore, mais face à laquelle le devoir de réagir devenait une nécessité vitale.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Lorfils Rejouis est né le 2 janvier 1956 à Port-au-Prince, Haïti. Romancier et poète, il est l’auteur de
Nous sommes dans de sales draps, paru dans une collection dirigée par le juriste/écrivain Éric Sauray en 2004 (Dauphin noir éditions),
Jacques le bakoulou et la fille de Fonds des nègres (Dauphin noir et Anibwe), et
Les cinq colonnes de l’esprit (Anibwe 2008).
À paraître :
Les maux démêlés.
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Seitenzahl: 149
Veröffentlichungsjahr: 2018
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Le roman de Lester
À ma femme et amie de toujours, Madune Rejouis pour sa patience et son soutien.
À mes enfants : Lorna N. Fabiola Rejouis, Lusinshi Rejouis et Vanessa Rejouis.
À mes petits-enfants :
Rachelle Rejouis, Wesley Toure, Kelly Rejouis, Kadija Rejouis et Lana Toure, mes inspirations.
Aux amis de l’arche dont Jean-Marc Luce et Christiane Compere.
Merci au Docteur Eric Sauray pour sa lecture et ses remarques amicales.
Merci à mon ami Guy Cetoute et à Peterson Simeon pour leur lecture.
Merci au plasticien Gary Legrand, au Docteur Antoine Fritz Pierre et au Docteur Brunet Eugene pour leur collaboration à rendre mes recherches plus aisées.
Merci au docteur Jacques Nesi pour sa préface et avant tout pour son amitié.
Aujourd’hui le xxie siècle ouvre grandes les avenues de la liberté, de la démocratie, de l’autonomie citoyenne, de la mondialisation des échanges. Ce sont les résultats paradoxaux des promesses tenues par l’histoire tragique du xxe siècle soulignée par la logique concentrationnaire notamment en Europe. Elle s’est achevée par l’évènement majeur de l’effondrement du mur soviétique. Mais elle s’est forgée contre le colonialisme, pour le droit à l’autodétermination et à l’émancipation, la capacité d’inventer et de penser un monde nouveau sans nier ses origines. D’un point à un autre, des efforts sont tentés pour renoncer à l’expérience coloniale, rompre avec le caveau hanté par les séquelles de la destruction et promouvoir de nouvelles pratiques sociales. Mais la sortie de la domination devient plus complexe quand l’importation de pratiques jugées démocratiques bouscule et annihile le poids de la tradition, la conviction des hommes. Ceux qui osent inventer de nouvelles formes d’humanité sont broyés par la machine ; leurs expériences basculent dans la violence, s’isolent dans la confiscation du pouvoir obsédés par l’accumulation des gains, et la prédation des ressources, s’étiolent dans un cycle reproducteur de désolation, désertion et de dépossession. Et comment l’expliquer ? C’est à cette réflexion que nous invite, nous semble-t-il, Lorfils Rejouis dans son livre Le roman de Lester.
Le texte de Lorfils Rejouis n’est pas une simple description d’un espace géographique, situé dans un horizon territorialisé. C’est une interpellation sur la responsabilité de l’Haïtien, balloté entre ses aspirations inassouvies d’accéder aux biens de consommation et son incapacité à résister aux actions et manœuvres de l’autre. Certes, M. Rejouis rend compte des défis qui minent l’univers local habité par des âmes robustes et fières, enveloppées de toutes parts par l’ère de la décomposition, mais il tente de débusquer avec patience, tel un chercheur impénitent dans son laboratoire muni des équipements les plus sophistiqués, les racines de la décadence de la cité.
Est-il trop tard pour arrêter la gangrène qui déshumanise et humilie le citoyen ? Elle n’est pas imputable aux comportements, aux pratiques et à l’impéritie. Elle s’explique plutôt par le réveil brutal de la nature dont les spasmes nourrissent les ombres de l’extermination d’une population abandonnée à elle-même, humiliée par ceux qui sont à la charge d’en assurer la protection ; il est urgent ainsi de construire un citoyen nouveau sur les décombres de la catastrophe.
Mais il ne faut pas se limiter à une lecture strictement haïtienne. C’est un texte profond qui s’ouvre à l’universalisme et qui s’intéresse à l’homme, l’homme destructeur. Celui-ci est animé par les passions les plus ravageuses : le pouvoir, la prédation, la domination. Celles-ci conduisent à une société défaite, déstructurée, incapable d’intégrer dans son évolution les richesses, les atouts, les valeurs conservatrices et protectrices de la nature léguées par les Premiers habitants.
L’homme destructeur, c’est l’homme dont les pratiques se rapprochent de celles de la bestialité, de l’animalité et qui n’a pas su protéger l’en-commun acquis au prix de lourds sacrifices. Ah ! C’était ce temps où les paysans se découvrirent devant la rosée du matin. C’était ce temps où le koumbite se fit avec la munificence des rois. C’était ce temps où l’on mangea de la soupe au giromon trois fois par semaine pour rendre hommage à la mule de compère Léonce qui n’avait jamais bronché malgré les coups répétés d’un maître déterminé. (p.14)
Et qu’est ce qui explique cette dégénérescence de la vie sociale, ce dépérissement du projet initial, cette dévitalisation de la prétention humaniste ? Comment l’homme habité sur un espace jugé paradisiaque, édénique créé pour lui et par lui, s’est acharné à sa destruction, sa dégradation et finalement son effondrement ? Comment l’homme peut-il prétendre à l’éducation, au bien-être si les modalités d’y parvenir ne sont pas pensées ?
À ces questions auxquelles le lecteur interpellé serait amené à répondre, Lorfils Rejouis suscite une réflexion quant aux devoirs du citoyen, responsable aujourd’hui de la dégradation. Il ne peut, dans ces conditions, passer sous silence le sentiment nostalgique, présent à des moments forts du récit.
La corde sentimentale du lecteur est mobilisée, relayée par une description précise de la nature : ici, il est pris dans un tourbillon de ruisseaux, de plaines fertiles, d’oiseaux enchanteurs, du verger où fleurissent la quenêpe et la grenadia, là une convocation du mysticisme et du symbolisme, pour témoigner des effets de ces pratiques destructrices.
Ce texte révèle encore une fois les talents de Lorfils Rejouis qui sait utiliser les ressources de la langue, ses petits secrets, ses doses d’élixir, ses charmes. Il en fait bon usage et parvient à opposer aux difficultés de l’homme à organiser la société les vertus à cultiver le respect du bien public, la moralité. (Il était laissé entendre que la bassesse régnait aux antipodes de cet endroit très spécial, et son inaccessibilité à cette dimension ne souffrait d’aucune contestation. Il était laissé entendre qu’on n’y pût trouver nulle trace de flagornerie, de fatuité. Encore moins de cet orgueil inqualifiable qui fait perdre le sens profond des choses aujourd’hui, dit Sagesse Samba à Lester.) (p.27)
Lorfils Rejouis se plaint de l’absence de maturité de l’homme : On racontait que le nom de Plaine-Princesse avait été attribué à cet espace grâce à ses mille caractéristiques. L’une de ces caractéristiques était bien l’absence de culte de personnalité et de la bassesse. (p.27) Mais Lorfils Rejouis pense qu’il est possible de venir à bout de ces maux. Ils sont le résultat d’une déviation, d’un contournement et pour les combattre il est nécessaire de réformer l’homme actuel, le transformer, l’engager dans la voie de la rédemption, comme s’il s’agissait de mettre fin à la transgression. Pourquoi l’homme a préféré échanger cet espace sain, authentique où l’on brûlait de l’encens et de l’assa foetida contre un autre infernal ? Pourquoi avoir choisi de transformer ce temps où les paysans se découvrent devant la rosée du matin contre la triste réalité, déprimante, honteuse ? Pourquoi avoir détruit La luxuriante forêt (qui) oxygénait les alentours. Elle en verdoyait le cristal sans en altérer la transparence. Une infinité d’encorbellements s’y émergeait et se confondait au feuillage sous lequel le ramage d’un rossignol magnifiait des infinis échos. (p.28) C’était ce paradis que la terre avait volé au ciel, qui invitait à la contemplation, aux rêveries, à l’amour.
Il ne s’agit pas seulement d’Haïti, mais de l’humanité dans son intégralité et le message de Lorfils Rejouis renvoie à celui de Rousseau, faisant le plaidoyer en faveur de l’homme originel, primitif. M. Rejouis pense alors que nous ne commençons à devenir hommes qu’après avoir été authentiques, c’est-à-dire quand nous avons des prédispositions à montrer notre amour pour l’espace hérité avant de justifier notre amour pour le genre humain vivant ailleurs.
La recherche de l’authenticité, rattachée à l’esprit de conservation, est une vertu fondatrice de la pensée de M. Rejouis. Chaque fois que le rejet de l’authenticité prend le dessus sur une quelconque évolution due « à l’irruption de cette génération spontanée », ou un choix civilisationnel, somme toute empreint de perversité, il ne faudrait pas s’étonner du résultat, c’est le « désespoir », la déchéance, l’asservissement recomposé, l’inhumanité.
Cependant, l’homme réconcilié avec la nature est revigoré ; il atteint les sommets du bonheur dans une altérité construite (Christelle et Lester). Tout n’est pas perdu. C’est la nature qui incarne cet espoir inattendu. En dehors d’elle, rien n’est permis. L’homme qui est un produit de la nature s’il souhaite s’élever aux dimensions d’un amour pour son sol, sa terre, doit être en harmonie avec elle, lieu de réconciliation, de pulsions sentimentales. L’homme est alors animé d’un dualisme espoir/ désespoir, désespoir /rejet de la nature.
Ce texte est également un hymne à l’extase, à l’entrelacement des êtres qui s’aiment, comme si l’auteur adressait quelques clins d’œil à des proches, des amis traversant des moments de doute et de mélancolie. Sur ce registre, c’est le poète sensible, l’écrivain-orfèvre qui cisèle ses mots, travaille le rythme de sa phrase, lui insuffle une force performative, lui donne une énergie et un élan transformationnels.
La capacité de conjurer le sort appartient-elle aux habitants de la cité ? Ne portent-ils pas en eux une tare invisible indomptable qui les rendrait vulnérables (A. Mbembe, La politique des inimitiés, La découverte, 2016 p.68) aux chocs naturels ? En eux les traces psychiques ne sont-elles pas latentes et si puissantes que les vertus les plus nobles et les plus adoucies soient dénaturées par le processus d’abrutissement que l’humanité ait enfanté ?
Lorfils Rejouis tente d’y répondre. Il cumule ainsi divers statuts: intellectuel et militant, patriotique et humaniste, révolutionnaire et libéral. Il est ainsi un homme au cœur de son siècle, qui tente de comprendre les défis du développement des sociétés du Sud, qu’il s’agisse de la dégradation de la nature et du refus des pays industriels d’assumer la part du fardeau, des pratiques prédatrices des élites locales, du renoncement au modèle d’organisation politique de la communauté primitive précédant l’échappée aventureuse de Christophe Colomb, de l’humanité désemparée cherchant à se replier derrière des barbelés, de l’entre-soi et des égoïsmes nationaux. Pour autant, le sentiment que le lecteur du « Roman de Lester » est invité à garder est triple : c’est l’élan optimiste qui prime sur tous les autres ; c’est d’espérer en la capacité des élites de reconstruire l’espace défiguré aux termes d’un sursaut, c’est enfin la re-création d’une humanité nouvelle.
Jacques Nesi, journaliste, docteur en sciences politiques
« La servitude est volontaire, la libération aussi. »
Michel Onfray
C’était ainsi que le déclin du « Caciquat aux trois villages » avait commencé : la collusion du cacique, Timaeus Situate, avait engendré la collision des corps de tailles différentes. Ainsi, il créa des convulsions et des crises, incitant à retrouver le temps où le bon sens protégeait, où l’honneur l’emportait, où la jeunesse prenait sa part au combat pour immortaliser l’esprit des mânes héroïques.
Tout se crispait devant ce crime abominable. Tout se crispait devant l’aliénation volontaire qui inaugura l’état crépusculaire du Caciquat.
Morne-Figuier, le trône des Situate, incarnait cette insanité qui se vivait comme si la plus haute montagne du pays éboulait pour écraser en contrebas les hameaux et les lieux-dits, et réduire en poussière tous les occupants.
Tels étaient les effets sur les deux autres villages Sept-Sources-du-Respect et Plaine-Princesse. Tels étaient les effets d’une inconscience dont la longévité foudroyait encore, mais face à laquelle le devoir de réagir devenait une nécessité vitale.
Il y a sept jours, la température de l’Atlantique avait dépassé 27° centigrade. L’on avait annoncé comme imminents des coups de vent à plus de 220 km/h sur le Caciquat aux trois villages.
Timaeus Situate, le cacique insane, et sa femme Panatela Situate avaient choisi de donner un royal festin aux préhominiens, les piliers du royaume, plutôt que de mettre à l’abri la population.
Ils avaient reçu l’ordre de rien faire pour sauvegarder les habitants, à part les laisser expérimenter l’ostracisme qui les contraindrait à tendre la main s’ils avaient survécu à la catastrophe. Ils avaient reçu l’ordre de ne rien faire, à part les laisser désarmés face à l’horreur qui les astreindrait d’accepter la déshumanisation comme le seul égard à leur égard.
On avait annoncé un désastre. Au moins devrait-il laisser le Caciquat dans la plus inimaginable des calamités. Timaeus et Panatela n’en tinrent pas compte. Ils avaient choisi de faire la fête à l’injonction de leurs maîtres. Ils s’abreuvèrent de la fée verte si bien qu’ils s’étaient installés dans une effarante catalepsie. Dociles aux maîtres, mais durs et indifférents aux problèmes de la population.
–Pourquoi vous occuper d’une marâtre ? leur avait-on dit. Vous avez bien raison de vivre votre vie d’autant que « tout est vanité et poursuite du vent ». Vous avez bien raison de vivre sans trop vous soucier des qu’en-dira-t-on, les en avait-on convaincus. Pourquoi vous occuper d’une marâtre ? Vous n’êtes même pas d’ici! le leur avait-on rappelé.
Pourquoi pas quand on n’est qu’une sale engeance aux yeux des mêmes ? Croyait-on entendre d’une voix colérique comme celle qu’on avait entendue dans une des fortifications construites pour protéger le Caciquat contre les invasions barbares du temps où vécurent ces hommes qui firent honneur à leur humanité.
Timaeus et sa femme se foutaient de l’honneur ou de toute autre grandeur. Ils constitueraient cette meute, prête à l’émeute si l’on tentait de leur enlever les colliers. Ils ne formaient désormais qu’un troupeau qu’on ne devait priver de la voix de son berger, une horde dont la transhumance ne se ferait sans ordre exprès.
Ils n’avaient ni oreilles, ni conscience. Ils remplissaient du vide de leur existence le néant qu’ils avaient toujours désiré.
Oui, un troupeau dénerflé que Timaeus, sa femme Panatela et le reste du bestiaire. Un troupeau de contages volontaires, si intégristes qu’ils voulurent imposer leur vision d’aliénés comme la seule possible. Evidemment, c’était soudain le déclin. La fin de tout même. Evidemment, c’étaient les mêmes mots. Toujours les mêmes maux.
La meute me tue mal, percevait-on partout au Caciquat des trois villages. C’était la rengaine à Sept-Sources-Du-Respect et à Plaine-Princesse. C’était ce qu’on y percevait tout le temps, effaçant ainsi du temps passé les traces des petits bonheurs.
De ce Caciquat au trépas montaient des ahans désespérés. De ce Caciquat à l’agonie entendait-on la clameur affolée des habitants.
Davantage encore au Morne-Figuier, le village de la maudition, tout au nord du Caciquat.
Mais parce qu’une autre voie était possible, la musique de l’invisible s’était faite obsédante. Elle était jouée avec le fameux « Marengwen piga zonbi1», comme une ritournelle positive. Comme une mise en garde. Un refrain qui laissa froids les vassaux du Caciquat.
On avait annoncé la fin de tout, il y a sept jours. Vingt-quatre heures plus tard, les premières gouttes de pluie arrivèrent avec cet horizon bouché de nuages noirs.
Le vent se fit ouragan. La nature révoltée déclara la guerre. La mer monta, fracassa, inonda tout. La pluie tombait sans s’arrêter. Et, son compagnon, le vent, mettait des obliquités dans ses fils effilés.
L’avalanche se déhancha dans un brouhaha qui s’amplifia. Un bruit aussi soudain que sourd s’abattit sur le Caciquat, et de monstrueuses coulées de boue submergèrent tout. La vie passa comme dans un souffle.
Cette campagne de terreur continuait de s’épandre en violences. Horrible et infernale. Commère unetelle fut retrouvée sous des trombes d’eau avec sa flopée de marmailles. La furie de la rivière « Figuier-maudit » avait emporté compère untel et tout son bétail. L’horizon noirci cacha la nudité des anges. En bas, les ombres survivantes se hâtaient vers leurs sombres habitations. Elles y entraient, tirant sur elles le rideau de la vie.
Les bidonvilles devinrent des sépulcres ouverts au cœur même de Morne-Figuier. Tout cela sous les yeux de ses princes, complices impassibles, imperméables à tout.
Dans cette mare où l’eau verdâtre croupit, l’ébullition d’un gaz menaçait tout. La même chose souillait la façade blanche de la belle mairie de Morne-Figuier.
Le déluge avait accentué la déchéance du Caciquat aux trois villages ; la disette devint le seul sujet de conversation. Elle tendit à envahir tout le pays.
Il n’y avait pas de mots pour qualifier ces horribles maux. De temps en temps, des éclairs se suivirent. Ils ajoutèrent à l’épouvante.
Les pluies torrentielles étaient suivies de longues périodes de sécheresse. Des sécheresses à l’image de celles des cœurs et des âmes des Situate. À l’image de l’arbre vieilli, foudroyé par le temps et qui ne sut profiter ni de la verdure environnante, ni de ces jeunes pousses tout gorgées de sève pure. Oh ! La pire des sécheresses que la sécheresse intellectuelle de Timaeus et de Panatela Situate.
Alors, de cette beauté incarnée, de cette terre majestueuse, il ne restait que les os et la peau. Maigre comme un chien sans maître. Figée dans une apocalypse voulue par ses pseudos dirigeants.
La terre se craquelait, s’entaillait. Elle libérait un bras par-ci, un autre par-là.
Un visage miné de vermines grimaça dans l’écartement de deux arbres éprouvés par la bourrasque. Une vision de fin du monde s’offrit au monde.
Mais, toujours dans les vapeurs de son absinthe et de sa raideur cadavérique, cet agrégat de stérilités qu’incarna Morne-Figuier sous la coupe d’un cacique zombifié, prit une dimension presque universelle qui installa le temps dans une immobilité éternelle.
L’espace se confondit aux préhominiens et vice versa. On les avait entendus clapir, ils s’étaient persuadés de glatir. On les avait entendus glapir, ils s’étaient persuadés de rugir. Ils s’auréolèrent de gloriole. Remplis comme ils furent d’eau de vie, ils livrèrent à tour de bras des bras au chaos. Ils se donnèrent dans une fatuité plus que désarçonnante, les vassaux du Caciquat aux trois villages.
Pourquoi vous occuper d’une marâtre? Vous n’êtes même pas d’ici…
Les Situate intégraient cette injonction aux lourdes conséquences. Elle avait eu sur eux l’effet d’un puissant lavage de cerveau. Ce dernier agit comme un sortilège. Un sortilège qui fit assister au crépuscule de l’espoir.
Pourtant, le village « Sept-Sources-Du-Respect » gardait une apparente normalité. Il abritait l’indicible union de deux Êtres sublimes: Sagesse Samba de Dahomey et Christella Dulce del Caribe. Le couple eut à cœur de combattre l’indécence et la félonie de Morne Figuier.
Sagesse Samba naquit ici. Ses parents venaient d’Ouidah.
Arrachés à leur village, ils furent conduits dans la cale d’un bateau négrier jusqu’ici. Ils refusèrent les méfaits de la colonisation et de l’esclavage. Ils marronnèrent et mirent au monde un enfant libre : Sagesse Samba de Dahomey.