Le Squelette éparpillé - Christian Poslaniec - E-Book

Le Squelette éparpillé E-Book

Christian Poslaniec

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Beschreibung

Comment réagir quand on trouve un squelette chez soi ?

Dans la vieille maison qu'il vient d'acheter, Samuel Mandrin découvre d'étranges ossements. Homme ? Animal ? Mort naturelle ? Accident ? Meurtre ? Entraîné par son imagination d'écrivain, il échafaude immédiatement différents scénarios criminels. La gendarmerie ne le prend pas vraiment au sérieux, d'autant moins qu'il écrit des romans pour enfants. En compagnie de la charmante Olivia, Samuel mène alors sa propre enquête sur d'anciennes disparitions. De la campagne sarthoise aux routes corses, il résout deux mystères vieux de plusieurs dizaines d'années en découvrant la vérité, inattendue, sur une jeune femme disparue et un kangourou évadé.

Plongez dans ce surprenant polar et suivez pas à pas les investigations de Samuel, un journaliste qui résoudra deux énigmes vieilles de plusieurs dizaines d'années.

EXTRAIT

Olivia, entre à ce moment, les bras chargés de sacs en plastique pleins.
« Bonsoir, dit-elle. J’ai apporté quelques provisions.
— Merci, mais le repas est prêt.
— Eh bien ce sera pour demain ! » dit-elle en souriant.
Et, comme si elle vivait là depuis longtemps, elle sort divers ingrédients qu’elle dispose à sa guise dans les placards de la cuisine.
Cela me fait encore plus drôle que le bisou de Grégoire.
« Je peux me mettre à l’aise ? » demande-t-elle.
Et comme j’acquiesce, elle se dirige vers moi, me plaque sur l’autre joue un bisou jumeau et disparaît vers sa chambre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce roman est jubilatoire, léger, humoristique, mais le fil de l'intrigue n'en est pas pour autant bâclé puisque le suspense dure jusqu'à la dernière page. Dominique_Lin, Babelio
Un récit inventif, basé sur un quotidien réaliste et toutefois parsemé de fantaisie. - Rhl, Babelio

A PROPOS DE L'AUTEUR

Christian Poslaniec est né à Paris en 1944. Il habite dans la Sarthe depuis 1959.
Il a été successivement professeur de français en collège, lycée, école normale, directeur-adjoint du CLEMI (Centre de Liaison entre l'Enseignement et les Moyens d'Information), chargé de recherches à l'Institut national de recherche pédagogique, chargé de cours à l'université du Maine. Il a travaillé notamment sur le comportement de lecteur des enfants, sur les ateliers d'écriture, et surtout sur la littérature de jeunesse.
Christian Poslaniec a créé Promolej (Promotion de la lecture et de l'écriture des jeunes), qui organise des stages, des colloques, des manifestations autour du livre, et joue le rôle de conseiller pour nombre de manifestations.
En tant que chercheur et pédagogue, il a publié des centaines d'articles, des rapports de recherche, et des essais. Il a soutenu, à Caen, un Diplôme d'études supérieures sur Desnos, et un Doctorat de troisième cycle, sur Baudelaire. Et, à Paris XIII, une thèse sur L'évolution de la littérature de jeunesse, de 1850 à nos jours, au travers de l'instance narrative.
En tant qu'écrivain, il a publié de nombreux romans, albums, poèmes, nouvelles, documentaires, en direction des enfants; des romans policiers, de la poésie, des essais, à l'intention des adultes; il écrit également pour le théâtre.
Il a dirigé, pendant dix ans, la collection « Zanzibar », aux éditions Milan (190 titres parus).
En 2003, il a été nommé président de la commission de choix des livres pour la jeunesse du ministère de l'Éducation nationale.
Ces temps-ci, il passe beaucoup de temps à organiser des colloques et des formations, un peu partout, et à donner des conférences sur la lecture, l'écriture et la littérature de jeunesse.

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Couverture

Collection

CollectionJASMIN LITTÉRATURE

1.Nouvelles d’Elles

Philippe de Boissy

2.De retour

Marie Geffray

3.Je rêve que Marguerite Duras vient me voir

Isabelle Minière

4.Le squelette éparpillé

Christian Poslaniec

CollectionJASMIN LITTÉRATURE POCHE

1.Temps croisés

Jean Clavilier

2.Une si brève rencontre

Jean Clavilier

3.Chemins de soi

Amel Isyès

4.Semoule de blé dur

Amel Isyès

5.Bonhomme Écriture

Philippe de Boissy

6.Le manuscrit de Fatipour

Jean-Michel Touche

7.Les moelleuses au chocolat

Silène

8.La femme du physiologiste

Arthur Conan Doyle

Titre

Copyright

Christian Poslaniec

Né à Paris, Christian Poslaniec vit depuis longtemps dans la Sarthe et c’est surtout là qu’il écrit. Il a été professeur, formateur, chercheur et a consacré de nombreux travaux à la littérature de jeunesse, à la façon de faire naître et entretenir le goût de lire, et aux animations lecture. En tant que chercheur et pédagogue, il a publié des centaines d’articles, des rapports de recherche et des essais.

Parallèlement,Christian Poslaniec a mené une vie d’écrivain, de directeur de collection (Milan, L’École des loisirs, Retz) et de dramaturge, et il a fréquemment rencontré ses lecteurs dans les classes, les bibliothèques et les salons du livre. En tant qu’écrivain, il a publié une cinquantaine de livres (romans, nouvelles, anthologies, poésie, théâtre…) tant pour les adultes que pour les enfants.

Depuis 2003, il préside la commission de choix des livres pour la jeunesse au ministère de l’Éducation nationale.

Tous droits de reproduction, de traduction

et d’adaptation réservés pour tous pays.

© 2013 Éditions du Jasmin

Dépôt légal : 4etrimestre 2013

www.editions-du-jasmin.com

ISBN 978-2-35284-710-6

ISSN 2259-8324

Avec le soutien du

Du même auteur

DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS DU JASMIN

Comme une pivoine(poèmes), illustré par Anne Buguet, « Pays d’enfance », Éditions du Jasmin, 2008.

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS

Le 13echat noir(roman), L’École des loisirs, 1992.

Punch au sang(roman), Série Noire, Gallimard, 1986.

Le mal des fleurs(roman), Baleine, « Canaille/revolver », 1998.

Le douzième poisson rouge(roman), L’École des loisirs, 1998.

Crimes parfaits, (anthologie) L’École des loisirs, 1999.

Vous avez dit « littérature » ?(essai), Hachette Éducation, « Questions d’éducation », 2002.

Réception de la littérature de jeunesse par les jeunes(direction) (rapport de recherche), INRP, 2002.

L’Ogrionne anorexique(album), illustré par Pef, Les Éditions du Ricochet, 2004.

Donner le goût de lire(outil pédagogique), Le Sorbier, 2004.

La onzième souris verte(roman), L’École des loisirs, 2005.

Le plaisir de lire expliqué aux parents(essai), Retz, 2006.

Duos d’amour(anthologie), Seghers, 2007.

Dix animations lecture en bibliothèque jeunesse(dir.) (outil), Retz, 2007.

(Se) former à la littérature de jeunesse, Hachette Éducation, « Profession enseignant », 2008.

Des livres pour enfants à la littérature de jeunesse, Gallimard, « Découvertes », 2008.

Drôleries(aphorismes), ill. Olivier Latyk, Éditions L’Édune, 2011.

Aborder la poésie autrement à l’école. Cycle 3-6e(outil pédagogique), Retz, 2011.

Les fous de Scarron(roman enrichi), 2013 : http://lesfousdescarron.wordpress.com/

Les voix du poème(anthologie, avec Bruno Doucey), Éditions Bruno Doucey, 2013.

1

Toc ! Toc ! Toc ! Toc ! L’esprit a frappé sur le rythme de la cinquième symphonie de Beethoven. Je suis allé ouvrir, étonné qu’on vienne me visiter. Il n’y avait personne. Normal ! Je n’aurais pas parlé d’esprit sinon, et je ne reçois que la visite sporadique du facteur matinal, venant me rapporter les manuscrits refusés par les éditeurs – or l’après-midi tirait à son terme, et le soleil menaçait de s’empaler sur le clocher du village en contrebas.

Intrigué, j’ai fait le tour de la maison, regardé partout. Pas âme qui vive, aussi loin que portait mon regard, vers les prairies et le village. Quant aux défunts du cimetière proche, ils paraissaient bien tranquilles. J’ai regagné mon Titanic – mon fauteuil de paresse, un grand machin insubmersible où je laisse flotter les rubans, en écoutant se confier les flammes, dans l’âtre. Cent fois, mes amis m’ont suggéré de le faire piquer, ou quelque chose d’équivalent pour l’espèce des batraciens d’ameublement… Et la bergère, vêtue de velours grenat, embrassa le fauteuil crapaud qui instantanément se transforma en prince d’apparat ; il se vautra sur elle en soupirant d’aise, maintenant, par habitude, ses bras en position d’accoudoir… Mais mon attachement quasi œdipien m’interdit d’y renoncer. C’est de là que j’entends le mieux les braises.

Depuis que j’habite ici, j’ai appris à connaître le feu, petit Râ couvant son antique divinité sous la cendre. Jeune avare protégeant de ses flammes ouvertes la bûche de vieux chêne. Grillon crépitant, fébrile, au bois de châtaignier. Le feu a ses vapeurs, parfois, et à d’autres moments, on dirait un moteur essoufflé. Pouf ! Pouf ! Ce sera toi qui seras le chat… Je sens son regard sourdre des fissures ligneuses ; la balafre rouge de son rictus tranche le gris : le feu sait attendre, et soudain bondir. Si j’avais brûlé mes vieilleries quand j’ai déménagé pour venir m’installer ici, à Mézières-sous-les-Lapins, le feu m’aurait certainement révélé plus tôt le mystère. Je n’aurais pas été obligé de compter sur les oiseaux.

Toc ! Toc ! Toc ! Toc ! Cela a recommencé. Je n’ai pas bougé, sûr qu’il n’y avait personne à mon huis. Mais j’ai rigolé tout seul. Le premier roman que j’avais écrit pour les mômes commençait par ce même frappement. Sauf qu’il y avait quelqu’un en train de cogner à la fenêtre d’un appartement, au douzième étage, de l’extérieur. Un incroyable lapin volant, rose et bleu – je ne savais pas encore si je m’adressais à des filles ou à des garçons – qui allait entraîner le charmant bambin endormi dans des aventures extraordinaires. J’ai compris, depuis, que j’avais trop lu Alice au pays des merveilles et Peter Pan. Et que c’est une tendance bien répandue, quand on écrit pour les enfants, de se réfugier derrière quelques grands anciens.

J’ai tout de même fini par quitter le Titanic pour aller regarder par la fenêtre. On ne sait jamais !

Il n’y avait que le village, au loin.

Mézières-sous-les-Lapins. Six cent sept habitants au dernier recensement – cent cinquante-trois feux à celui de 1795. J’habite en dehors du bourg, assez loin, près du cimetière, en haut de la colline qui coiffe le village comme une mitre un évêque. Le soir, je vois les lampes d’en bas se serrer une à une autour du clocher dont le coq métallique, plus près de la lumière éternelle, est le dernier à fondre dans la nuit. Tandis qu’à flanc de colline, les ultimes traînées de clarté s’attardent encore un peu entre les tombes. Quand je ferme un œil et penche la tête, j’aperçois le fil invisible qui relie l’église à la rangée centrale des croix mortuaires, et au pignon de ma maison.

Sinon, du vert. Arbres, prairies, pâturages, avec vaches normandes en incrustation. La maison que j’habite depuis six mois est seule en haut de la colline, c’est ce qui m’a séduit. J’avais besoin de calme pour écrire. Je me le disais depuis des années.

J’écris surtout des livres pour enfants. Mais il faut dire « des petites histoires » ou « des contes gentillets » quand on veut séduire et avoir des chances d’être compris du grand public, et vendu dans les supermarchés. Mon best-seller s’intitule : Thomas aime beaucoup sa maman. J’ai regardé sur Internet le prénom le plus répandu, en France. Et, depuis la parution de l’album, 12 % de nouveaux Thomas naissent chaque année ! J’en ai vendu 82 000 exemplaires en cinq ans. De quoi payer les mensualités de mon « nouveau logis », comme on écrit classiquement quand on s’adresse aux jeunes. Mon histoire préférée, Thomas aime ses papas, je n’ai jamais réussi à la publier. Cela ne correspond à l’esprit d’aucune des collections de tous les éditeurs auxquels je me suis adressé.

Toc ! Toc ! Toc ! Toc ! Quels obstinés, ces fantômes ! Je ne pouvais plus me cacher que les lieux étaient hantés. Ce qui ne m’a guère surpris. Une maison aussi isolée et si proche du ciel qui, parfois, est fort bas, doit aussi bien attirer la foudre, par temps d’orage, que les âmes errantes cheminant du cimetière aux premiers cumulus.

J’ai fait la sourde oreille, me suis dit que c’était une sorte de craquement produit par le jeu des poutres – elles ont beau avancer en âge, elles continuent à jouer. La maison est restée inhabitée une dizaine d’années et, à mon arrivée, d’autres bruits suspects m’ont terrorisé. Le plus angoissant fut un gémissement d’âme tourmentée. Un ululement modulé, tantôt grave et saccadé, tantôt perçant et continu, à la limite du désespoir insoluble… J’ai mis trois jours à découvrir que le gémissement était celui d’une porte mal ajustée, le pêne faisant anche au moindre souffle de vent. J’ai dû condamner le battant en le clouant au chambranle. Une porte de moins ! Mais dans ces vieilles bâtisses, anciennes fermes transformées, les portes pullulent. À deux battants pour la plupart, rappelant veaux, vaches, couvées, qui piétinèrent là où j’ai placé mon bureau. N’empêche que lorsque le vent est vif au-dehors, le gémissement aigu s’infiltre dans la maison malgré la dizaine de gros clous plantés dans le bois séculaire.

Un autre bruit, vivant, m’inquiète davantage. Il se produit presque chaque nuit au-dessus de mon lit. La première fois que je l’ai entendu, j’ai cru qu’on traînait un corps mort sur le plancher. J’ai allumé, frissonnant, regardé partout : rien ! J’ai éteint. Le bruit a recommencé mais, cette fois, j’ai distingué le léger creusement des griffes dans le bois.

Après avoir actionné les interrupteurs, j’ai exploré toute la maison, muni d’un solide gourdin de châtaignier. C’est alors que j’ai découvert la trappe, dans le plafond. Un escabeau m’a permis d’accéder au grenier, entrelacs de poutres basses, domaine des araignées, des chauves-souris, et, manifestement, d’une autre bête de forte taille et carnassière. Car j’ai trouvé des centaines d’énormes crottes desséchées et, logiquement, en ai déduit que le diamètre de son anus était proportionnel à son volume. Le sol du grenier était aussi jonché de reliefs : plumes, petits os, œufs gobés.

Malgré quelques battues nocturnes alentour de la maison, je ne suis toujours pas parvenu à découvrir l’identité de mon hôte ténébreux, bien qu’il se manifeste presque quotidiennement. Je suis certain, cependant, qu’il ne s’agit pas d’un oiseau – grand-duc ou dame blanche – car il n’y a pas d’ouverture dans le toit. La bête se glisse le long des parois, entre le mur extérieur et la cloison de frisette. Je l’entends grimper, griffes crissantes, tout près de ma tête, quand je lis, tard dans la nuit.

Toc ! Toc ! Toc ! Toc ! Cela venait du fournil !

Mon père était boulanger, dans un village. Quand il a pris sa retraite, personne n’a voulu assurer sa succession. Le fournil, au fil des ans, a accueilli tous les objets qu’on ne voulait pas jeter, mais qui n’avaient plus leur place dans les pièces d’habitation. J’ai conservé l’habitude d’appeler « fournil » n’importe quel fourre-tout. Ici, le fournil est une grande pièce carrée qui s’ouvre sur l’extérieur par une de ces fenêtres minuscules apparentées aux meurtrières de jadis. Comme le mur est épais, la lumière du jour doit parcourir un véritable petit tunnel de pierre avant d’atteindre la vitre. C’est à cette fenêtre-ci qu’on cognait.

Le bruit a recommencé. Je me suis approché silencieusement en contournant un panier d’osier centenaire, posé par terre, une bicyclette délirante pendue au plafond, un vieux vase acheté à Soissons, pour rire, rempli de haricots secs. Toc ! Toc ! J’ai aperçu un envol de plumes. Du bleu, du jaune pâle, une tête noire, des ailes signées de clair. Une mésange. J’ai regardé par l’étroite fenêtre. De là, comme à travers un viseur, je n’apercevais que la rangée centrale des tombes et, tout au bout, le clocher.

Je me suis assis sur Voltaire – un fauteuil défoncé que j’ai toujours eu l’intention de rhabiller – et j’ai attendu. La mésange est revenue. Elle semblait s’élancer du plus loin possible, cognait du bec au milieu de la vitre, voletant sur place le temps de taper ses quatre coups, puis faisant demi-tour, repartait en sautillant jusqu’au bout du tunnel. Et recommençait. Comme si elle demandait à entrer.

J’ai lu quelque part que certains oiseaux s’attaquent ainsi aux fenêtres. On a l’impression qu’ils frappent, mais en réalité ils picorent le mastic qui leur est sans doute un mets délicieux. D’autres tambourinent aux troncs d’arbres, pour en faire surgir les larves. Mais là, rien de tel, j’ai vérifié. Le mastic est à l’intérieur et le tour de fenêtre, métallique, ne peut guère accueillir d’hôtes minuscules. Même l’éthologie a ses limites !

Comme je suis un peu naïf, puisque j’écris pour les enfants, je me suis dit que, véritablement, la mésange frappait pour entrer… Bien le bonjour cher monsieur, je suis la mésange bleue, je voudrais, auprès du feu, me chauffer un petit peu… Alors j’ai ouvert le fenestron.

Je n’ai pas attendu longtemps. Deux mésanges ont franchi le court tunnel et se sont mises à tourner autour du perroquet. J’étais ravi. Une rencontre d’oiseaux, quel beau point de départ pour un conte ! Mais en l’occurrence mon perroquet est un vieux porte-manteau de bar, en bois sombre, que j’ai trouvé là en arrivant, et que j’ai remisé dans le fournil en attendant de lui trouver une place. Les mésanges tournaient tout autour, s’approchaient du fût, le picoraient, puis repartaient. Comme si elles lui donnaient la becquée. Charmant !

2

« Vous savez ce qui m’a le plus surpris ? C’est quand le perroquet s’est mis à fleurir et que les mésanges ont commencé à danser autour… »

Palette allant du blanc le plus hivernal au noir le plus chaud, en passant par toutes les nuances du doré sur tronche, les vingt-cinq gamins d’Aubervilliers me dévisagent, extasiés, en attente, yeux crépitants pour la plupart.

J’ai quitté Mézières à l’aube – évoquant religieusement Hugo en passant devant le cimetière noyé de brouillard – pour attraper le TGV qui m’a mené vers cette banlieue exotique. On m’invite souvent dans les écoles pour que je raconte comment il faut faire pour écrire un livre. Monsieur Samuel, on voudrait vous poser des questions : « Est-ce que c’est difficile de faire un livre ? », « Combien vous en avez écrit ? », « Est-ce qu’il faut bien travailler à l’école pour ça ? », « Qui est-ce qui vous corrige les fautes d’orthographe ? », « Vos parents étaient déjà écrivains ? », « Est-ce que vous êtes riche ? » C’est comme ça que j’arrondis mes fins de mois. En vrai, je m’appelle Samuel Mandrin, mais je signe mes livres pour enfants de mon seul prénom, c’est la mode.

Je réponds gentiment, quand c’est possible. Mais je préfère leur montrer combien c’est facile d’inventer une histoire. Il se passe tellement de petites choses extraordinaires dans la vie ! On peut faire une histoire de toute mésange saisonnière ! Et apprendre un tantinet à mentir vrai.

Je dois leur préciser, bien sûr, qu’un perroquet n’est pas exclusivement un oiseau. Qu’on peut y accrocher des chapeaux, des manteaux, des oripeaux, tout ce qui rime. Pourtant ça leur plaisait bien d’imaginer un oiseau en fleurs ! Ça jouait bien avec ces idées toutes faites sur la poésie qui hantent leur hippocampe – qui n’est pas exclusivement un poisson. Mais j’ai le culte de la vérité fleurie, et me lance dans une description concise du perroquet mutant :

« Vous savez, ce genre de porte-manteau qui ressemble à un chandelier haut sur pattes (ça les fait rire). Eh bien, figurez-vous qu’au bout de chaque branche, une magnifique fleur rouge a explosé. »

« Personne n’a été blessé, j’espère », commente d’un air soucieux une brunette au sourire inquiet.

Ou elle se fiche de moi, ou elle n’y comprend rien aux métaphores. Difficile de trancher ! J’opte lâchement pour la seconde solution et précise :

« C’était un rouge très lumineux, explosif. On aurait dit des flammes, toutes ces fleurs et d’ailleurs, la nuit, elles éclairaient tout le haut du perroquet.

— C’est pour ça que vous l’avez comparé à un chandelier ? demande la même gamine, décidément bien attentive aux détails.

— Oui, c’est pour ça », dis-je en souriant.

Une minute de silence, pour les laisser imaginer. Ça commence à s’agiter. Si j’attends trop, je sens que chacun va me raconter une histoire de son cru sur l’éclairage, les bougies d’anniversaire, ou un incendie. Je reprends vivement, en verlainien :

« Et puis il y a eu des feuilles, et de nouvelles branches…

— C’est plutôt le contraire ! m’interrompt un jeune Pharisien. D’abord les feuilles, ensuite les bourgeons, puis les fleurs et les branches. »

Comme la vie est difficile parfois !

« Tu as raison, c’est comme ça dans la réalité. Mais dans mon histoire, des feuilles et des branches ont jailli du perroquet et, bientôt, toute la pièce a été envahie par le feuillage. Les racines ont poussé en dernier, s’enfonçant profondément dans le plancher. Et vous ne savez pas ? (non, ils ne savent pas…) le plancher a commencé par se boursoufler un peu partout, puis de tout petits perroquets ont commencé à pousser. Si j’avais abrité dans ma maison un village de Schtroumpfs, ils auraient tous pu accrocher leurs bonnets, c’était juste à leur hauteur. »

Ça leur plaît bien cette référence, ils rient.

« Et les oiseaux ? demande une petite voix.

— Oui, les mésanges, précise l’instituteur, aussi captivé que les enfants.

— Eh bien, les mésanges ont bâti leur nid dans la fourche la plus élevée de l’arbre-perroquet. Il y a eu des œufs, puis des petits, et les mésanges ont passé toute la fin du printemps à aller et venir par la fenêtre pour nourrir leurs bébés. »

Le mot « bébé » fait rosir les filles de plaisir. J’ai déjà remarqué cela souvent. C’est un mot magique dans les histoires qui leur sont destinées. Mais les garçons ne se troublent pas, eux ; c’est tout juste s’ils ne font pas un peu la moue. Alors j’ajoute :

« Vous les auriez vues franchir à toute allure la fenêtre ! On aurait dit des supermésanges.

Là, les garçons réagissent positivement, autrement dit : ils s’agitent. À chacun ses rêveries ! Et ses façons de les manifester.

Je me tais, laisse l’histoire prendre ses aises dans la tête des enfants. Soudain, l’un d’eux, un grand gars frisé au teint pâle, lève la main et dit en même temps :

« C’est vrai, tout ça, m’sieur ? »

Dans presque toutes les classes où je passe, ce garçon-là, ou son cousin, me pose cette question. J’ai beau me dire férocement que ces gosses sont gavés de réalité-spectacle, je dois reconnaître honnêtement qu’ils n’ont pas tout à fait tort d’émettre des doutes sur mes menteries. Mais j’affirme, d’un ton convaincu, car cela fait partie de la mise en scène :

« Bien sûr que c’est vrai ! Croix de bois, croix de fer ! Mais ce n’est pas fini… »

Mon auditoire est de nouveau captif. Non mais ! Qui c’est qui commande aux événements ! Je poursuis lentement, pour accentuer l’angoisse :

« Je m’étais habitué à mes deux visiteurs emplumés et j’ai fini par ne plus y prêter attention. Or, un matin, j’ai dû me lever tôt pour aller prendre le train, car j’avais rendez-vous à Marseille avec une classe comme la vôtre. Le soleil était à peine levé et il faisait frisquet dans la maison. Machinalement, j’ai fermé la petite fenêtre par où passaient les mésanges… »

Encore du silence. C’est du suspense qui ne coûte rien. Puis :

« Je suis resté absent trois jours. Quand je suis revenu, j’ai tout de suite remarqué deux traînées rouges maculant la vitre de la petite fenêtre. Je me suis approché : les deux mésanges gisaient par terre, mortes, déjà raides. Je suis rentré dans la maison et me suis précipité vers l’arbre-perroquet. J’ai dû monter sur une chaise pour regarder dans le nid. Tous les petits étaient morts de faim. Une véritable tragédie ! Leurs parents avaient dû essayer de franchir la vitre pour nourrir leurs petits et s’étaient fracassés dessus. »

Je ne sais vraiment pas pourquoi le conte charmant a viré si soudainement au drame. J’ai un peu honte. Les visages des enfants sont crispés et l’instituteur me dévisage d’un air réprobateur. Je pourrais certes leur faire un discours sur « le conte » – l’ogre du Petit Poucet qui égorge ses sept filles, Barbe-bleue qui en fait autant à ses épouses, le père de Peau-d’Âne qui veut coucher avec sa fille, la petite marchande d’allumettes qui meurt de froid –, mais ça n’arrangerait rien, et ce n’est pas le lieu. Alors, contrit, je conclus, pour atténuer un peu la cruauté de mon histoire :

« Je les ai tous enterrés au fond du jardin. Je suis sûr que l’an prochain il poussera là un buisson de fleurs extraordinaires. Des fleurs qui chantent comme des oiseaux et s’envolent au premier rayon de la pleine lune.