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La boxe thaï possède une longue histoire en France, initiée dès la fin des années 70 par des pionniers tels que Patrick Brizon et Roger Paschy qui, grâce à leurs clubs, ont lancé l’enseignement de cet art martial. Depuis, ce sport s’est affirmé comme une discipline reconnue et figure désormais parmi les principaux arts martiaux mondiaux. Son influence s’étend à des sports dérivés, à l’instar du MMA, extrêmement populaire et rassemblant les foules lors de grands évènements. Ce contexte amène à poser des questions cruciales sur ce processus et ses acteurs : d’où provient la boxe thaï, qui l’a introduite en France, et quelles promesses cette introduction a-t-elle tenues ? Le succès rencontré est-il durable, et quelles mesures restent à prendre pour concrétiser pleinement ces ambitions ?
À PROPOS DES AUTEURS
Au fil de sa formation d’ingénieur en 1977 et d’économiste en 1991, ainsi que tout au long de sa carrière d’économiste et de banquier central à la Banque de France, au Fonds Monétaire International, puis à la Banque Centrale Européenne jusqu’en 2017,
Philippe Moutot a rédigé de nombreux articles économiques et financiers. Cependant, il ne s’était jamais consacré à l’étude d’un individu en particulier. Par cet ouvrage, il espère offrir aux lecteurs l’opportunité de découvrir non seulement Mohammed Jami et son parcours, mais également ses réflexions sur la boxe thaïlandaise et son avenir, son expérience de migrant, et, au-delà, la richesse de son intégration culturelle et sociale.
Mohammed Jami, binational franco-marocain, est une figure emblématique des arts martiaux, ayant marqué l’histoire en devenant le premier champion de France et d’Europe de boxe thaï dans la catégorie des super-légers. Il a également été sacré champion du monde de boxe arabe. Au fil de sa carrière, il a non seulement excellé sur le ring, mais aussi réfléchi aux enjeux de l’intégration des migrants et des binationaux dans la société. Pionnier de la boxe thaï en France, il s’est engagé à promouvoir cet art martial tout en abordant des questions liées à son histoire, à son développement et à son rôle dans les politiques publiques. Sa biographie retrace ses combats, son évolution personnelle et ses aspirations, tout en illustrant le lien entre ses expériences sportives et les défis sociétaux contemporains.
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Seitenzahl: 220
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Philippe Moutot
&
Mohammed Jami
Le temps du Jaguar
Ou le parcours de Mohammed Jami,
l’un des pionniers de la boxe thaï
en France
© Lys Bleu Éditions – Philippe Moutot & Mohammed Jami
ISBN : 979-10-422-5853-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La boxe thaï a – en France – une longue histoire, initiée dès la fin des années 70 par des pionniers fameux comme Patrick Brizon et Roger Paschy, qui, chacun dans son club et avec d’autres, lancèrent l’enseignement de ce sport en France. La boxe thaï y est donc devenue un sport reconnu et fait maintenant partie des principaux arts martiaux globaux. Un sport dérivé de cette boxe thaï, le MMA, rassemble d’ailleurs les foules lors de ses évènements majeurs et est très populaire. Le moment est donc venu de répondre aux questions que se pose le grand public sur ce processus et sur les individus qui l’ont porté au moins à ses débuts comme : d’où provient la boxe thaï et qui l’a introduite en France ? Cette introduction a-t-elle tenu toutes ses promesses ? Le succès de cette introduction est-il durable ? Et si certaines promesses ne sont pas encore remplies, qu’y faire ?
Ce livre, rédigé par mon ami Philippe Moutot, est une biographie de ma vie à moi, Mohammed Jami, premier champion de France puis d’Europe de boxe thaï chez les super-légers. Cette biographie présente ma réponse à ces questions parce qu’elle évoque l’histoire de cet art martial en Thaïlande et en France, et résulte d’un chapitre d’entretiens avec les pionniers et les premiers champions de la boxe thaï en France présenté à la fin du livre. Elle évoque en particulier le décalage entre les idées et espoirs de ces pionniers et la réalité de cette boxe thaï aujourd’hui. Elle les illustre en décrivant mes réactions aux principaux évènements d’une carrière de boxeur qui touche à sa fin, mais continue d’être orientée vers le devenir de la boxe thaï. Elle est donc amenée à décrire comment le contrôle de la violence attachée à cette boxe a été mis en œuvre par ses coachs, comment ceci s’est effectué dans le cadre de la vie parisienne des années 70, 80 et 90, mais aussi comment le succès de la boxe thaï dans ces domaines reste, dans les années 20 de ce siècle, partiellement méconnu du grand public et est insuffisamment pris en compte au niveau politique. Car la logique comme l’efficacité des politiques publiques en matière d’arts martiaux et en particulier de boxe thaï restent peu évidentes.
Comme je suis aussi un binational franco-marocain et que je fus également champion du monde de boxe arabe, cette biographie exprime aussi mon opinion et mon vécu sur les problèmes d’intégration des migrants et des binationaux en France ou dans leur pays d’origine. Cette biographie est donc une tentative pour joindre, dans un document facile à lire, les préoccupations des fondateurs de la boxe thaï aux grands débats sur le devenir de ce sport et sur la bonne intégration des immigrés dans la société qu’ils choisissent.
Enfin, la biographie d’un boxeur de son vivant amène à décrire son passé, ses combats, mais est d’autant plus révélatrice pour ses lecteurs qu’elle couvre aussi ses espoirs ou ses ambitions, son évolution morale et affective, son rapport à la musique et au cinéma et ses projets pour le futur.
C’est l’ensemble de ces considérations qui ont fait de cette biographie un document qui intéressera aussi bien les amateurs de boxe thaï que ceux qui se demandent ce que fait un pionnier de boxe thaï une fois la retraite atteinte.
Paris, le 1er janvier 2024,
Mohammed Jami
Mohammed Jami était rentré sur le ring avec décision et confiance. La salle était pleine et lui qui avait été champion de France puis champion d’Europe de boxe thaï allait affronter, pour le titre de champion du Monde de boxe arabe, un champion originellement d’Algérie qui remplaçait le champion du monde en titre, un Tunisien nommé Sediri Heidi. Ce dernier avait déclaré forfait du fait d’une blessure à la cheville.
Mohammed était à Casablanca au Maroc, le pays qui l’avait vu naître et qu’il adore toujours. Lui, qui avait quitté ce pays à l’âge de 15 ans, y revenait 17 ans plus tard pour montrer ce qu’il valait vraiment. S’il gagnait, croyait-il, ce serait son apothéose. Sa prime de combat serait substantielle et peut-être serait-elle accompagnée du cadeau royal d’un terrain à construire. De plus, c’était son dernier combat de professionnel puisqu’il avait décidé de raccrocher juste après.
Lui qui avait toujours affronté ses combats sans peur se sentait prêt. Il avait fait longtemps le vide autour de lui au sein de la catégorie dans laquelle il boxait : les super-légers entre 60 et 65 kilos. Sur 60 combats de boxe thaï et anglaise, il en avait gagné 54 dont 2 par K.O., et perdu seulement 4. La boxe arabe avait les mêmes règles et coups que la boxe thaï et le kick-boxing. Le combat se présentait bien, puisqu’il avait déjà vu boxer son adversaire et estimait son propre niveau supérieur à celui des boxeurs habituels du Championnat du Monde de boxe arabe.
D’ailleurs, le premier round lui avait permis de vérifier qu’il saurait répondre aux offensives de son adversaire. Il avait bloqué ses kicks, low ou high, réussi une ou deux projections et manifesté son agressivité avec des crochets vengeurs et des uppercuts inattendus. Puis ayant l’impression d’avoir évalué en toute impartialité les réactions de son adversaire, il avait décidé de durcir les échanges dès le round suivant.
Pourquoi avait-il décidé que ce serait son dernier combat ?
Justement parce que tout en étant, par son âge, à l’apogée de sa forme physique, il était au fonds de lui et malgré cet âge, à la fois un homme réfléchi et un vrai stratège, une sorte de combattant naturel capable de prendre en compte aussi bien sa forme physique présente que l’évolution probable et réaliste de celle-ci dans le futur.
En effet, la réponse de Mohammed Jami à la question précédente était profonde. Certes, un combat est fait pour être gagné. Si l’on gagne, c’est que l’on est le plus fort au moment du combat. Si on est le plus fort, pourquoi donc vouloir raccrocher juste après avoir confirmé cette force et cette prééminence ? Sa réponse était :
Bien sûr, Mohammed Jami connaissait dans le détail l’histoire de Foreman et d’Ali. Le champion, ayant atteint le niveau où il sait utiliser ses capacités mentales et se doit de les utiliser en même temps que sa force physique pour gagner, sait que cela ne durera pas toujours, que ce soit sur le ring ou en dehors du ring.
Mohamed Ali.
Une première preuve en fut fournie par la fin de carrière de Mohamed Ali lui-même après sa victoire sur Foreman. Un autre exemple en fut offert par Bruce Lee. Bruce Lee fut et reste inégalé aussi bien par sa connaissance des arts martiaux, la rapidité d’exécution et la puissance de ses coups, que par sa volonté de poursuivre un entraînement incessant et méticuleux et d’enseigner et rechercher tout au long de sa vie. Il reste invaincu. Pourtant sa fin soudaine et tragique montre bien que l’ambition ne peut ni ne doit être démesurée. Telle était la raison pour laquelle Mohammed Jami avait décidé que ce serait son dernier combat professionnel et qu’il le gagnerait.
Bruce Lee.
Comprendre et faire sien l’ensemble de ces mécanismes puis les mettre en œuvre exige du champion de la rigueur, de la logique, une exigence naturelle vis-à-vis de soi-même et des autres ainsi qu’une acceptation de sa propre finitude et une grande capacité à revenir sur soi-même. Dans la plupart des sports, et en boxe en particulier, ces qualités doivent être jointes à la capacité à travailler en équipe et donc à de larges mesures d’empathie et de respect des autres. Cet ensemble de qualités acquises par Mohammed au cours de son enfance comme au cours de sa formation à la boxe guident le dernier combat de Mohammed comme sa vie ultérieure, son comportement brillant sur les rings comme sa fidélité à sa famille et ses amis. Car Mohammed Jami a effectivement gagné ce championnat du monde de boxe arabe ; et par K.O. de Sam Berrandou au huitième round le 13 avril 1990 au Complexe Mohamed V de Casablanca. Et cette logique, cette rigueur dans l’exigence comme la fidélité vis-à-vis de sa famille et de ses amis continuent.
Casablanca : KO au 8e round de Sam Berrandou
par Mohammed Jami.
Certes, plus de trente ans plus tard, Mohammed n’a pas réalisé tous ses rêves de 1990. Il n’est pas devenu riche. Il ne reçut aucune prime de combat, encore moins de cadeau du roi. Il n’a pu conserver le club qu’il avait créé. Et lui qui a gagné par K.O. son titre de champion du monde de boxe arabe devant tout le Maroc en 1990 après avoir été champion de France puis d’Europe de boxe thaï est aujourd’hui pratiquement inconnu du grand public au Maroc comme en France. Il n’est pas devenu un grand acteur comme il aurait aimé.
Mais il reste respecté par tous les adeptes de la boxe thaï et on l’invite à monter sur le ring à la fin de tous les galas auxquels il assiste. Son rôle dans la promotion de la boxe thaï vis-à-vis du public français est reconnu par l’ensemble des professionnels de cette boxe en France et au niveau européen. Sa fidélité aux valeurs de sa jeunesse, son respect des autres et son empathie à leur égard demeurent en dépit des aléas survenus entretemps.
Il continue de s’entraîner et garde une forme remarquable pour un sexagénaire. Il s’emploie justement à ouvrir un autre club de boxe thaï à Paris.
Il a exercé une douzaine de métiers entretemps et s’est intégré à la société française : il s’est marié, a eu deux enfants, a divorcé et a continué de participer activement à leur éducation.
Ayant acquis la nationalité française et conservé la nationalité marocaine, il fait maintenant partie des citoyens français aussi bien par ses prouesses sportives que par son mode de vie et a lancé l’idée d’un « Hall of Fame » parisien autour du développement européen de la boxe thaï.
Sa capacité à aller jusqu’au bout des objectifs qu’il s’est fixés et à rassembler plutôt qu’à diviser ainsi que le désir qui le porte maintenant de tout faire pour rester fidèle à la boxe thaï et en transmettre le message le plus largement possible forcent l’admiration comme le respect.
C’est le développement de ces qualités chez le jeune Mohammed comme leur mise en œuvre dans sa vie de boxeur comme dans sa vie ultérieure que nous allons tenter de décrire. Nous expliquerons ce développement au cours de son enfance d’abord. Puis nous examinerons son immigration et sa formation de boxeur à Paris, comme adolescent et jeune adulte. Et nous mesurerons combien ses qualités correspondent au sport qu’il s’est choisi et à l’évolution de la boxe en général et thaïe en particulier au cours des dernières décennies. Puis nous verrons comment ces qualités se sont exprimées au cours de ses combats marquants. Nous analyserons comment elles ont permis son intégration en France, de manière apparente tout d’abord puis de manière plus profonde ensuite et inspirent toujours son action. Car les règles de vie que la vie de Mohammed semble exprimer, si elles ne permettent pas de prévoir les aléas survenus, expliquent largement la réaction de Mohammed à ces aléas.
Mais, au-delà des qualités propres de Mohammed, le lecteur de ce livre se demande probablement qui l’a écrit, qui en est ou en sont les auteurs, et comment sont nés les liens entre eux et Mohammed. Ce livre a été rédigé par moi, Philippe Moutot, sur la base de fréquentes conversations avec Mohammed, d’une série d’interviews avec des amis et connaissances de Mohammed, et de documents et photos rassemblés par Mohammed. Ce livre dont les auteurs sont à la fois Mohammed et moi, Philippe, est donc une biographie et pas une autobiographie de Mohammed. Le lecteur sera peut-être aussi surpris d’apprendre que ceci est la troisième page de la première biographie que j’ai écrite.
Ce n’est pourtant pas le premier livre ou article que j’écris ou auquel je contribue. J’ai aussi, au cours de ma carrière d’économiste et de banquier central, écrit de nombreux articles économiques ou financiers. Mais mes expériences sportives sont limitées aux jeux de balle, particulièrement le ping-pong et le tennis. Je n’ai aucune expérience préalable de la boxe, thaïlandaise ou autre. Mais j’ai pratiqué le judo et le karaté. Et depuis que je suis devenu un ami de Mohammed, je me suis fortement intéressé à la boxe. Mais c’est la première fois que moi, Philippe Moutot, ex-économiste et banquier central, je sorte de mon domaine professionnel pour écrire un livre qui s’adresse à chacun, peut être lu par tous et dont le propos reflète mes échanges avec une série de témoins désignés par Mohammed, dont lui-même bien sûr.
Alors, pourquoi se lancer dans une telle aventure ? Pourquoi avoir choisi de faire la biographie de quelqu’un de son vivant ? Et pourquoi de Mohammed en particulier ? Et pourquoi Mohammed m’a-t-il confié ce travail délicat ? Je me suis souvent posé ces questions après que Marjorie Sudrow, mon épouse et l’avocate de Mohammed, nous a mis en contact et avant d’avoir accepté l’offre que Mohammed m’a faite d’écrire sa biographie.
Ma réponse à ces questions a varié au cours du temps. Et chacun de ces types de réponse a trouvé sa place dans ce livre. Au début, et après ma prise de retraite – j’ai 69 ans –, j’y voyais simplement l’utilité d’une nouvelle activité après une période de vie active extrêmement dense. Découvrir un nouveau sport et un nouveau milieu à la fois français et international était séduisant, mais pas décisif.
Puis j’ai réalisé que Mohammed et moi avions vécu beaucoup d’évènements similaires et que nos enfances avaient commencé à 60 kilomètres de distance, que nous avions dû tous les deux nous intégrer à la société française avant de la quitter de nouveau pour y revenir finalement. Moi qui n’avais jamais envisagé d’écrire ma propre biographie me suis mis à y penser, presque « par imitation », puisque nous étions devenus amis. Écrire la biographie d’un contemporain me rapprochait de moi-même et de ma propre histoire, au cours des cinquante comme des 500 dernières années. Je suis par ma famille un juif d’Algérie ayant rejoint la France en 1962, à l’âge de 8 ans. Mais ma famille s’est établie en Algérie quelque temps après 1492, en provenance de l’Espagne d’Isabelle la Catholique. Faites le calcul !1
Puis je me suis rendu compte qu’écrire la biographie d’un tel champion, si elle devait être publiée de son vivant, aurait l’avantage de m’amener à envisager son futur et l’avenir de son sport. Aussi, au moment où Paris s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques de 2024, considérer cet avenir exige de traiter de manière plus ouverte et de donner plus d’importance aux questions sociales ou structurelles posées par l’évolution récente de ce sport.
Enfin, la personnalité de Mohammed est, au-delà de la boxe thaï, suffisamment large et suffisamment représentative pour faire de son expérience et de son avis une référence intéressante sur une question plus générale et qui agite les débats politiques en Europe comme au-delà, celle de la bonne intégration des populations migrantes.
J’ai donc décidé d’écrire la biographie de Mohammed Jami. Mon épouse Marjorie et sa fille, Sophia, avaient fait sa connaissance après qu’il eut donné au parc Monceau un cours de boxe thaïlandaise qui avait éveillé la curiosité de Sophia. Puis nous nous sommes rencontrés de nombreuses fois et Mohammed et ses deux enfants sont venus passer quelques jours avec nous dans notre maison de Calafell en été. Et l’intérêt d’échanger est apparu de plus en plus évident.
Né le 7 décembre 1957 au douar Harakat Rislane, Mohammed demeure au Maroc jusqu’à l’âge de 15 ans et vit cette période à Oujda2 que certains à l’époque appelaient « le petit Monte-Carlo », près de la frontière entre l’Algérie et le Maroc, près de la mer, sous le ciel bleu et le soleil de la Méditerranée.
Il y vit sa prime enfance dans une famille modeste, aimante, et diverse. Certains de ses membres vivent en Algérie proche, à Beni Saf, petit port de pêche voisin ou à Oran, métropole active. Ses grands-parents ne sont pas loin et certains de ses cousins vivent aussi à Oujda. Son père lui-même doit travailler en France pour subvenir aux besoins de sa famille dès que Mohammed atteint ses quatre ans.
Mais Mohammed passe ses premières années dans un milieu stable, composé principalement de sa mère et de ses cinq sœurs, de son père ainsi que des familles de voisins juifs et musulmans qui s’entendaient particulièrement bien3 et dont il se rappelle toujours les noms avec grande nostalgie et enthousiasme.
Les familles paternelles et maternelles sont aussi présentes bien que les grands-parents soient établis à environ 60 kilomètres, ce qui à l’époque représentait du fait de l’état des routes et des transports publics, une distance certaine. Mohammed est alors proche de ses cousins Miloud, de 10 ans son aîné, et Hommad dit l’Américain4 avec qui ses liens demeurent. Il passe donc ses années de prime enfance dans un milieu multiculturel et en même temps paisible, où la tolérance et la compréhension de l’autre sont le pendant de la multiplicité de langues utilisées : arabe, berbère, français, espagnol.
La vieille ville d’Oujda est belle, est entourée de jardins et possède une médina. Elle constitue toujours pour Mohammed un lieu magnifique où il se sent bien et qu’il considère comme peuplé de gens accueillants et ouverts. La famille de Mohammed ne peut cependant financer l’école maternelle et Mohammed va donc explorer cette ville avec les autres enfants de son âge. « Ma maternelle, dit-il, c’était dans la rue ». La rue permettait de se durcir, de découvrir, d’expérimenter. Elle permettait le développement d’une pensée originale, essentielle à l’intelligence. Mohammed se rappelle encore sa joie de s’y promener, particulièrement sous la pluie qui permettait de construire des ponts de terre armée de bouts d’ardoise au-dessus des flaques d’eau.
Jusqu’à ce qu’il aille pour la première fois à l’école publique vers ses 7 ans. Les deux premières années d’école se passèrent en arabe qu’il apprend à lire en premier et ce n’est que plus tard qu’il reçoit un enseignement bilingue en français et arabe. Il a donc très tôt, comme beaucoup de Marocains de cette région, été exposé à plusieurs cultures et plusieurs langues. Ceci, ensuite, lui permettra de se sentir à l’aise dans la plupart des situations.
Mohammed Jami et son cousin Miloud en 1969 à Oujda.
La famille de Mohammed Jami : son père, sa mère, une cousine à elle, trois de ses sœurs et lui, 1960.
Mohammed va à l’école jusqu’à 12 ans et demi, après avoir redoublé le CM2. Le matin était en arabe avec un premier enseignant, et l’après-midi en français avec un second enseignant. Mohammed aimait bien l’histoire et la récitation. Il connaît encore « la chèvre de M. Seguin ».
Certains instituteurs étaient violents et méchants, se souvient-il. Les claques volaient à tout propos, dès qu’on était en retard d’une minute ou qu’on ne comprenait pas, spécialement en dehors des périodes de ramadan. D’autres enseignants étaient beaucoup plus gentils et compréhensifs.
Mais au total, l’école n’était pas un lieu aimé, car la majorité des enseignants étaient violents. Pour Mohammed, l’instituteur n’était pas un modèle à imiter. Car l’enfant devait souvent avoir un œil au tableau pour comprendre et en même temps l’autre œil sur l’enseignant pour se protéger du risque de coups. Il se souvient particulièrement des mauvais coups de règle sur le bout des doigts ou sur les poignets.
Son père lui avait d’ailleurs donné une fois une énorme raclée, à l’école même, à la suite d’une demande de rendez-vous des enseignants. Les enfants et Mohammed craignaient donc ces demandes de rendez-vous, qu’ils s’efforçaient de repousser au maximum en se saisissant de toutes les excuses possibles.
Pour autant, Mohammed n’ignorait pas l’utilité d’une acquisition approfondie de connaissances scolaires. Il était souvent bien heureux lorsqu’on le méprenait pour un lycéen ou un collégien. En effet, il lui arrivait souvent de revenir ou d’aller à l’école au moment où les collégiens et lycéens de milieux plus aisés allaient en classe.
De plus, ses parents surent lui transmettre par leur exemple leurs valeurs. Les trois expressions que Mohamed choisit pour décrire son père sont : un homme de parole, un homme juste et honnête, et un homme ferme dans ses principes.
Il ressentait son père comme un homme juste, qui ne le fustigeait qu’à bon escient. Ainsi, il ne lui en voulut pas du tout de la raclée reçue à l’école parce que cette raclée était motivée par le désir naturel de son père de voir son fils obtenir de bonnes notes. Et Mohammed reconnaissait que son père avait raison ! Il s’en souvient aussi comme d’un père bienveillant, qui lui ramenait de France des vêtements qu’il aimait porter et qu’il note encore lorsqu’il regarde de vieilles photos.
Mohammed à Oujda ; la tenue que son père lui avait ramenée de France, mars 1970.
Mais cette bienveillance ne l’empêchait pas d’être très ferme dans ses principes. L’ayant surpris à fumer, il lui fit signe de loin qu’il l’avait vu, mais ne le punit pas tout de suite. Car la grand-mère et les deux tantes de la famille de son père avaient été invitées pour une semaine chez eux en plus de la tante, sœur de sa mère, que Mohammed avait pris sur lui d’inviter au dîner justement pour éviter encore plus sûrement les remontrances de son père.
Au bout de la semaine où son père lui offrit justement des cadeaux, Mohammed estimait probablement son écart de conduite oublié. Mais son père n’avait pas oublié. Bien au contraire, il considérait une punition comme toujours nécessaire. Pour cela, il offrit à Mohammed un paquet de 5 cigarettes et l’obligea à les fumer l’une après l’autre devant lui. Ceci mena à l’écœurement complet du jeune Mohammed incapable d’absorber une telle dose de nicotine d’un coup et, finalement, à une leçon tonitruante de son père sur les dangers de la cigarette pour la santé.
Quant à sa mère, elle prenait soin de ses enfants, était tendre avec eux, et aimait leur faire plaisir. Mohammed associe encore ce plaisir et sa mère à la musique de Farid Al Atrash, chanteur, compositeur et virtuose de l’oud, Syro-Égyptien que sa mère aimait alors écouter.
Si les instituteurs ne lui fournissaient pas de modèle auquel il aurait pu s’identifier, le cinéma, les acteurs, et le sport ont très tôt intéressé et inspiré Mohammed. Le premier film qu’il ait vu et a depuis bien souvent revu est « Spartacus », avec Kirk Douglas. Il ne pouvait qu’adorer le personnage de Spartacus, le gladiateur valeureux qui, en apprenant à affronter les autres gladiateurs, avait su en même temps garder la proximité et la distance nécessaires pour rester ou devenir leur ami et chef. Mohammed ne pouvait qu’admirer qu’il les mène, eux comme les autres esclaves, à se révolter contre l’esclavage auquel la Rome de l’antiquité les avait tous condamnés. Lui qui n’avait que 10 ans, mais, en l’absence de son père, était allé avec Miloud, son cousin au cinéma, lui ne pouvait qu’aimer un Kirk Douglas qui, par l’âge, aurait pu être son père et s’il l’avait été aurait, comme les gladiateurs, aussi été séparé de sa famille. Et de là à s’imaginer dans la peau du fils de Spartacus, élevé par sa seule mère…
Il y avait 7 cinémas à Oujda. Le Vox pour les Westerns américains, le Paris et le Colisée pour les films français, le cinéma Nasre pour les films indiens, le Mirage pour les films égyptiens. Il y voit de nombreux films, aime d’emblée Gabin et Belmondo. Il se passionne pour les Westerns classiques avant de voir les Westerns spaghetti, dont « Il était une fois dans l’Ouest » et « Tuez-les tous et revenez seul ! »
Il voit également des films de Bruce Lee, comme « Fists of fury » et « The big boss ». Il découvre que l’on peut être acteur et sportif de haut niveau, que la boxe anglaise n’est que l’un des arts martiaux et que ces arts ne sont plus réservés à certaines nationalités puisque Bruce Lee lui-même a décidé d’accueillir dans son propre cours à Oakland les élèves non asiatiques auxquels les entraîneurs chinois de San Francisco refusaient alors l’accès.
Mohammed Jami s’entraîne à Hong-kong en 1984.