Le travail - Guillaume Borel - E-Book

Le travail E-Book

Guillaume Borel

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Beschreibung

L'auteur dresse un panorama synthétique et complet des liens complexes que nous entretenons avec Le travail.

Ce livre s’intéresse à sa naissance en tant que phénomène économique et social et souligne le lien historique existant entre Le travail et les rapports d’exploitation, depuis le Néolithique et l’apparition des premières cités jusqu’à nos jours.

Alors que la centralité de la valeur travail règne, nos sociétés sont incapables de fournir un emploi décent et qui fait sens à celles et ceux qui le demandent. C’est donc le contrat social hérité du fordisme, qui a conduit au développement des classes moyennes, qui est en train de s’écrouler.

Pour écrire un nouveau chapitre de son histoire, il nous faut réinventer Le travail afin qu’il ne reste pas un instrument de domination aux mains du néolibéralisme.

S’inspirant des travaux de Jacques Ellul sur Le travail, ce livre poursuit sa réflexion par une approche historique et économique du phénomène idéologique du travail en lien avec le développement des sociétés capitalistes. Il démontre ensuite comment l’idéologie de la consommation s’est ajoutée à celle du travail afin de lui permettre de survivre dans un monde où le chômage structurel de masse devient la norme.

Un ouvrage passionnant qui revisite la valeur travail et lui confère une nouvelle dimension.

EXTRAIT

Cet essai doit beaucoup aux travaux de Jacques Ellul sur Le travail en tant que phénomène idéologique.
Le questionnement original d’Ellul, qui fut l’un des principaux critiques et théoriciens de la société technologique industrielle et un précurseur du mouvement que l’on nomme aujourd’hui Décroissance, est ici complété par une approche historique du phénomène idéologique du travail en lien avec le développement du capitalisme et des rapports hiérarchiques d’exploitation. Le travail, dans nos sociétés contemporaines, se caractérise en effet par l’enrôlement des salariés au sein d’un dispositif coercitif.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Guillaume Borel est documentaliste et collabore à plusieurs médias indépendants d'information sur Internet comme arretsurinfo.ch, ou le site les-crises.fr. En plus de ses recherches sur l’histoire du travail, il s’intéresse particulièrement au phénomène de la propagande médiatique.

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Introduction

Cet essai doit beaucoup aux travaux de Jacques Ellul sur le travail en tant que phénomène idéologique.

Le questionnement original d’Ellul, qui fut l’un des principaux critiques et théoriciens de la société technologique industrielle et un précurseur du mouvement que l’on nomme aujourd’hui Décroissance, est ici complété par une approche historique du phénomène idéologique du travail en lien avec le développement du capitalisme et des rapports hiérarchiques d’exploitation. Le travail, dans nos sociétés contemporaines, se caractérise en effet par l’enrôlement des salariés au sein d’un dispositif coercitif. Si la terminologie marxiste est malheureusement tombée aujourd’hui en désuétude, elle n’a rien perdu de sa force lorsqu’il s’agit de mettre en forme ce qui se joue dans les rapports économiques d’exploitation. En remontant l’histoire des rapports humains au travail, depuis les sociétés de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, il apparaît en effet que ce dernier, en tant que valeur sociétale, constitue non seulement un phénomène récent, mais également l’aboutissement d’un processus d’éducation et d’embrigadement qui ne doit rien à une quelconque évolution ou prédisposition naturelle de l’humain à se « réaliser ». C’est ce long processus de formatage idéologique qui est ici mis au jour.

Le travail en tant qu’activité économique est apparu historiquement avec la sédentarisation des premières populations humaines, puis en tant que processus d’exploitation avec les premières cités du Néolithique. La naissance de la civilisation en Mésopotamie coïncide avec celle de l’aliénation des classes dominées au pouvoir princier et religieux et avec l’instauration de rapports de pouvoir hiérarchiques. Le travail assure ainsi l’embrigadement de la population au service des castes supérieures et la captation des surplus au profit de ces dernières.

Ce dernier est alors envisagé comme une peine, une fatalité ou un fléau, et justifié comme tel par le pouvoir, il est également le garant et le marqueur d’un ordre social fortement inégalitaire qui trouvera un exutoire à ses tensions internes dans les expéditions guerrières et l’esclavagisme. Les choses évolueront peu jusqu’à la fin du Moyen-Âge, et il faudra attendre l’essor de la production agricole au XIIIe siècle et le développement des rapports marchands et monétaires pour que la vision du travail change lentement, au fur et à mesure que naît une petite bourgeoisie urbaine et paysanne pour qui le labeur va devenir un moyen de s’enrichir et de s’élever au-dessus de sa condition. Avec l’essor du protestantisme au XVIe siècle, le rapport idéologique au travail va se transformer radicalement et ce dernier va se charger de nouvelles valeurs positives qui vont servir de base idéologique à la nouvelle morale petite-bourgeoise et à l’expansion des rapports économiques. Ce mouvement va déboucher sur la « révolution des lumières » et l’entrée du monde occidental dans le capitalisme industriel, dont le travail va devenir la valeur centrale. Une immense entreprise de discipline du monde salarié va se mettre en œuvre en même temps qu’une exploitation brutale. Ce processus trouvera son achèvement dans la rationalisation du processus de production engagé par la révolution tayloriste. L’idéologie du travail va prendre quant à elle une dimension totalitaire qui débouchera dans les régimes dictatoriaux européens sur la mise en place d’une véritable barbarie.

Cette idéologie, même si elle s’est largement réinventée dans le cadre de la société de consommation, opère encore aujourd’hui comme un élément central de discipline et d’enrôlement des salariés, mais aussi comme un moyen de contrôle social et de confiscation de la représentation démocratique au profit des classes dominantes. Le chômage structurel de masse, la criminalisation des chômeurs et des pauvres, l’exclusion de la société de consommation ont également joué un rôle important de contre-feux et de repoussoir.

Pourtant, le constat de la raréfaction de l’offre de travail dans les économies occidentales et la révolution de l’automatisation qui s’annonce, constituent aujourd’hui des opportunités majeures pour une offensive contre cette idéologie qui fut à l’origine de toutes les aliénations.

PREMIÈRE PARTIE

De l’âge d’or aux premières cités

« Il faut, avant toute recherche ou réflexion sur le travail dans notre société, prendre conscience de ce que tout y est dominé par l’idéologie du travail.1»

Jacques ELLUL

L’âge d’or

Le travail est aujourd’hui à la fois la condition du salariat, qui ouvre le droit à la rémunération, et une valeur sociétale fondamentale qui sert de base à la construction de l’identité et des rapports sociaux. Pourtant, en remontant le fil de la pensée de Jacques Ellul, notamment grâce à son article « L’idéologie du travail » cité en exergue, on se rend compte qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Loin d’être une donnée naturelle anthropologique, la « valeur » travail s’est construite au fil du temps, et plus particulièrement sous l’impulsion des développements successifs du système de production capitaliste.

À la fois philosophe, théoricien de la société technicienne et théologien, Jacques Ellul propose ainsi une lecture à la fois historique, anthropologique, sociétale et économique de la construction du travail comme idéologie.

Selon lui, la première composante de cette idéologie est que l’homme serait fait pour le travail, qu’il n’aurait pas d’autre possibilité de vie et que cette dernière ne pourrait se « réaliser » que par le travail. Or, le travail est avant tout une contrainte.

Dans l’ancien testament, le travail n’apparaît en tant que tel qu’après la rupture entre les êtres humains et Dieu. Il s’agit alors d’une nécessité et d’une pénibilité, infligée à l’humain en punition de sa désobéissance : « tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. » Auparavant, Adam est simplement chargé de cultiver et de garder le jardin d’Éden. Selon Ellul2 :

« Ce travail n’a aucune des caractéristiques du travail. […] Ce n’est ni une loi, ni une contrainte, ni une nécessité. Autrement dit la distance entre ses occupations et le jeu n’existe pas. On ne peut donc pas parler de travail en fonction du sens que ce terme a pris. »

Le travail apparaît donc tout d’abord dans la Genèse sous les traits de la calamité, de la « malédiction » associées à la faute originelle.

Il faut noter que le travail n’était considéré ni comme une activité importante ni comme une « valeur » dans les sociétés traditionnelles. Les premières sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique n’entretenaient ainsi qu’un rapport occasionnel au travail, par exemple à travers la fabrication d’outils destinés à la chasse, celui-ci ne constituant qu’une activité parmi d’autres. Ces sociétés se caractérisaient, ainsi que l’a montré le théoricien de l’évolution Jared Diamond3, par des conditions d’abondance naturelle qui rendaient de fait le recours au travail très occasionnel. Ces sociétés pré-historiques renvoient à l’âge d’or décrit par certains auteurs antiques comme Hésiode dans Les travaux et les jours4 :

« Quand les hommes et les dieux furent nés ensemble, d’abord les célestes habitants de l’Olympe créèrent l’âge d’or pour les mortels doués de la parole. Sous le règne de Saturne qui commandait dans le ciel, les mortels vivaient comme les dieux, ils étaient libres d’inquiétudes, de travaux et de souffrances […] »

L’anthropologue Marshall Sahlins fait la description suivante du mode de vie des chasseurs-cueilleurs :

« On est actuellement en mesure de prouver que les peuples de chasseurs-cueilleurs travaillent moins que nous ; et que loin d’être un labeur continu, la quête de nourriture est, pour eux, une activité intermittente, qu’ils jouissent de loisirs surabondants et dorment plus dans la journée, par personne et par an, que tout autre type de société.5 »

Les études anthropologiques effectuées sur les derniers groupes nomades au cours du XXe siècle et synthétisées par Sahlins montrent qu’en moyenne les chasseurs-cueilleurs consacrent entre trois et cinq heures par jour à la collecte de nourriture. Cet âge d’or paléolithique se caractérise également par l’absence de production de surplus alimentaire, rendu superflu par les conditions d’abondance naturelle et par le nomadisme. Ainsi, la notion concomitante de propriété semble très peu développée aussi bien que tout rapport d’ordre hiérarchique à l’intérieur du groupe. La mentalité primitive se caractérise, selon Sahlins, par une indifférence certaine envers la possession de biens matériels :

« À vrai dire, personne ne tient aux quelques biens et effets qu’il possède : on les perd souvent et facilement et on les remplace tout aussi facilement […] On peut dire qu’ils sont totalement indifférents à la propriété matérielle.6 »

Le passage d’un mode de vie de chasseur-cueilleur à un mode de vie sédentaire ne s’est pas fait de manière linéaire et n’a pas consisté en une évolution rationnelle basée sur les gains productifs d’un processus d’accumulation comme le décrit l’historiographie classique ou la science économique. Hésiode le décrit comme « l’âge de fer », c’est-à-dire le dernier et le plus vil des âges de l’humanité, marqué par la nécessité du travail, déjà assimilé à la souffrance :

« Plût aux dieux que je ne vécusse pas au milieu de la cinquième génération ! Que ne suis-je mort avant ! que ne puis-je naître après ! C’est l’âge de fer qui règne maintenant. Les hommes ne cesseront ni de travailler et de souffrir pendant le jour ni de se corrompre pendant la nuit […]7»

La sédentarisation

Le passage d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société sédentaire basée sur l’agriculture a été lent et contraint. Selon Diamond, c’est l’augmentation de la population à la fin de la dernière ère glaciaire, rendue possible par l’abondance des ressources naturelles, qui a conduit nos ancêtres à effectuer un choix déterminant entre la limitation des naissances et la sédentarisation. Cependant le passage au système agricole ne s’est pas traduit par une amélioration des conditions de vie, bien au contraire. Cette déduction peut être faite de l’étude comparative de la taille des squelettes des sociétés sédentaires par rapport à ceux des groupes nomades ou semi-nomades qui fournit une indication globale de la qualité de la nutrition, notamment pendant la phase de croissance des individus. L’étude comparative des squelettes préhistoriques de la fin de la dernière ère glaciaire trouvés en Grèce et en Turquie montre que la taille moyenne des chasseurs-cueilleurs atteignait 1 m 78 pour les hommes. En 4000 avant J.-C., cette dernière avait considérablement diminué et n’était plus que de 1 m 60.

Il y a plusieurs explications à cette régression.

D’abord, la qualité et la variété de la nourriture ont diminué avec le passage à l’agriculture car seul un petit nombre de plantes a d’abord été cultivé. Du fait de cette pauvreté variétale, les agriculteurs ont également été davantage exposés aux aléas climatiques, aux mauvaises récoltes, et donc à la famine, phénomène encore fréquent à la fin du Moyen-Âge. Les chasseurs-cueilleurs disposaient également d’un régime alimentaire plus riche en protéines, ce que la culture des céréales n’est pas parvenue à compenser.

Ensuite, la sédentarisation a également entraîné le développement de maladies infectieuses liées à la promiscuité et à l’absence de système sanitaire. L’essor de l’élevage a également conduit à la mutagenèse de différentes maladies animales comme la grippe, la tuberculose ou encore la variole.

Les avantages comparatifs de l’adoption du système agricole sont donc loin d’être évidents au premier abord, et tous les groupes de chasseurs-cueilleurs ne se sont pas spontanément convertis à l’agriculture.

Cependant, la fixation des groupes humains au sein de communautés agricoles a fourni à ces dernières un avantage démographique décisif. Jusqu’à présent, du fait du nomadisme, le cycle des naissances s’établissait en moyenne à un enfant tous les quatre ans, les femmes devant attendre que leur dernier enfant puisse marcher avant de procréer à nouveau, le recours à l’infanticide était fréquent. Toujours selon Sahlins8 :