Le verre à moitié plein - Imen Seince - E-Book

Le verre à moitié plein E-Book

Imen Seince

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"Le verre à moitié plein" est un concentré de vie brut et incandescent. Un récit sans filtre qui traverse l’enfer de l’infertilité et les montagnes russes de l’amour avec une lucidité tranchante et un humour ravageur. Entre coups durs et éclats de lumière, Imen Seince nous entraîne dans les coulisses d’un combat intime, où chaque chute devient une montée en puissance. Sa plume directe, parfois crue, secoue, éveille et, surtout, libère la parole. Pas de fard, pas de détour : juste une histoire vraie, bouleversante, portée par une rage de vivre féroce, une tendresse inattendue et un refus farouche de se taire. Cet ouvrage est un uppercut au cœur et une étreinte à l’âme. Alors, êtes-vous prêt à lever votre verre… et vos tabous ?

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Seitenzahl: 268

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Imen Seince

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le verre à moitié plein

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Imen Seince

ISBN : 979-10-422-6777-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Le verre à moitié plein

 

 

 

Je m’installe dans le métro, sur la ligne douze. En face de moi, une mère et sa fille prennent place. Elles sont magnifiques. La mère porte un cardigan bleu nuit qui contraste élégamment avec la doudoune rose de sa fille, assortie à ses petites baskets.

Elles sont d’origine asiatique et discutent en anglais, leurs échanges débordant de complicité. Je les observe, émerveillée par leur tendresse et leur lien évident.

Je ne ressens ni jalousie, ni rancœur, ni colère, ni même cette angoisse qui m’envahissait autrefois face à ce genre de scènes. Je contemple ce moment comme on admirerait une œuvre d’art ou une scène de film. Un sentiment de paix m’envahit, chose que je n’aurais jamais cru possible auparavant.

 

Ce livre, c’est pour toutes celles et tous ceux touchés par l’infertilité, mais aussi pour ceux qui sont là, en soutien : amis, famille, frères, sœurs, collègues… Vous savez, tous ces gens qui veulent bien faire, mais qui, parfois, ne savent pas trop comment s’y prendre. L’idée ? Vous aider à mieux comprendre les galères que ces couples traversent, pour pouvoir les épauler comme il faut. Et si vous êtes juste curieux, plein d’empathie ou un brin romantique, vous êtes les bienvenus aussi.

Au-delà de l’infertilité, ce livre parle aussi de couple, d’amour, d’amitié. Parce que quand on traverse une épreuve comme celle-ci, ces liens-là sont mis à l’épreuve, parfois fragilisés, mais aussi, souvent, renforcés.

Mon but, c’est de mettre un peu de lumière sur ce sujet. Parce que oui, il y a plein de façons de vivre cette épreuve, et heureusement, pas mal de solutions aussi. Inspirée par des tas de bouquins qui m’ont marquée, j’ai décidé de raconter ma propre histoire, avec mes mots, mon ton.

Ce qui me frappe, c’est qu’on trouve des rayons entiers dans les librairies sur la grossesse, la naissance, l’éducation des enfants… Mais pour ce qui est des galères pour concevoir, c’est le désert. Pendant les moments les plus difficiles, j’aurais tellement aimé tomber sur des témoignages sincères, des récits qui m’auraient montré que je n’étais pas seule. Parce qu’on le sait bien : un fardeau partagé, c’est toujours un peu moins lourd à porter.

Alors, pourquoi ce grand silence autour de l’infertilité ? Pour affronter un problème, il faut d’abord le comprendre. Sinon, on avance à l’aveugle, on trébuche, on prend des claques. Et parfois, ça fait tellement mal qu’on reste à terre.

Avec ce livre, je veux briser ce silence. Parce que, mine de rien, un couple sur cinq est concerné. Certains verront leur rêve se réaliser grâce à la PMA, d’autres choisiront l’adoption, et quelques-uns décideront de lâcher prise.

Avec humilité, et parfois une petite dose d’humour (parce qu’il en faut bien, non ?), je vous invite à découvrir mon parcours. J’ai essayé de rester vraie, honnête, à chaque étape. Mon espoir ? Que ces pages apportent un peu de réconfort, une meilleure compréhension, et, pourquoi pas, quelques sourires. Si ça peut servir à quelqu’un… clin d’œil appuyé !

 

Je suis confortablement installée dans un fauteuil en bois, dans une vieille bâtisse datant de 1823, entourée d’un jardin luxuriant, en plein cœur de la Corrèze, terre des racines familiales. Ici, le temps semble s’être arrêté. Je décide de couper les réseaux sociaux, de m’éloigner de la frénésie quotidienne et de la dictature de la vitesse pour me consacrer à l’essentiel. Pendant quelques semaines, je vais vivre à un autre rythme.

J’allume mon ordinateur, bien décidé à me lancer dans une aventure aussi exaltante qu’intimidante : écrire. Quatre semaines d’isolement, consacrées à cet objectif. Mon temps sera rythmé uniquement par des pauses pour aller courir ou faire du vélo, afin de m’oxygéner et de laisser mes pensées s’aérer.

Je le reconnais, c’est ambitieux, surtout pour quelqu’un qui n’a jamais dépassé un dix virgule cinq de moyenne en français à l’école. Mais cette idée me trotte dans la tête depuis trop longtemps. Alors, malgré mes doutes, je me lance. Parfois, il suffit de se lancer hors de sa zone de confort pour révéler des parties insoupçonnées de soi-même.

 

 

 

 

 

Nous

 

 

 

Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… Eh bien, non, pas toujours. Ce n’est pas mon histoire.

Je rencontre Laurent en 2004 à l’âge de dix-sept ans, lui en a dix-huit ; jean slim, lunettes Wayfarer, chemise blanche entrouverte, une chaîne en or qui brille, air désinvolte, et tignasse savamment décoiffée.

La première fois que je le vois, ce n’est pas le coup de foudre. Mon cœur est ailleurs, un peu cassé par ma première rupture, et je ne suis pas prête à m’intéresser à quelqu’un d’autre.

Puis, quelques semaines plus tard, nos chemins se croisent à nouveau, cette fois en Espagne, dans la villa qu’il partage avec ses amis pour les vacances.

C’est une de ces soirées d’été, la mer en fond, l’air chargé de promesses. Il s’assied en face de moi, et, avec l’audace insouciante de ses dix-huit ans, me lance un clin d’œil, plein de charme et de confiance. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais à cet instant précis, mon cœur bascule. Il y a quelque chose d’indicible, un lien qui se tisse sans un mot.

Lui, grand blond aux yeux bleus, moi, petite brune aux yeux marron. On dit que les opposés s’attirent…

Nous échangeons notre premier baiser au bord de la piscine, et j’aimerais que ce moment se répète sans cesse. Une immense plénitude m’envahit, blottie contre cet homme. C’est lui que je désire, j’en suis certaine. Je le sens profondément, dans mon ventre, dans mon cœur, jusqu’au plus profond de mon être.

Ce qui aurait pu n’être qu’un simple flirt d’été est devenu bien plus. Ce fut d’abord un amour de vacances, ensuite un amour à distance, pour finalement se transformer en l’amour de toute une vie.

 

Célibataire, on rêve de rencontrer quelqu’un. Une fois en couple, on aspire au mariage, puis naît le désir d’avoir un enfant, et peut-être un deuxième plus tard. Ainsi semble se dérouler le fil de la vie. Du moins, dans ma famille, les enfants occupent une place centrale, presque sacrée. Mes parents, musulmans, considèrent la famille comme une valeur fondamentale. Ma mère, d’origine tunisienne, et mon père, d’origine jordanienne, sont arrivés en France relativement tard.

Mon père, après avoir parcouru le monde, a finalement posé ses valises en France. Ou devrais-je dire que c’est la France qui l’a adopté, un peu comme un coup du destin ? Il est arrivé au moment parfait : l’époque où Valéry Giscard d’Estaing distribuait des papiers aux immigrés comme des tracts pour une soirée électorale. « Un grand homme », affirme mon père, avec une admiration qu’il réserve à peu de politiciens.

Ma mère, quant à elle, est arrivée en tant que fille au pair chez une famille d’ambassadeurs tunisiens. Son rôle ? S’occuper de leur fils, Samy, un prénom qui restera gravé dans son esprit et qu’elle finira par transmettre à mon frère. La Tunisie ? Elle n’y est jamais retournée avec eux. La France l’a séduite, ou plutôt, serait-ce mon père qui l’a charmée ? Toujours est-il qu’ils se sont installés à Paris, décidés à écrire leur histoire à deux. Quelques mois plus tard, me voilà ! Suivie de près par mon petit frère, bien sûr.

Mon enfance ? Un long fleuve tranquille… jusqu’à ce que le collège débarque dans ma vie comme un torrent de rapides et de chutes d’eau. Le collège, c’est la jungle, non ? Une vraie épreuve de survie où on se jauge, on se compare, et où on tente de s’affirmer tout en cherchant désespérément à plaire. J’ai expérimenté des choix vestimentaires discutables, des amitiés parfois douteuses, et des crises existentielles version ado. Mais bon, on n’est pas là pour parler de mes Buffalo ou de mes mèches colorées. Au final, cette période chaotique m’a forgée, m’a préparée à encaisser les coups à venir.

Puis vient le lycée, une bouffée d’air frais après les eaux tumultueuses du collège. C’était une époque magique, rythmée par des rencontres marquantes qui, pour certaines, occupent encore une place essentielle dans ma vie. Sorties entre amis, fous rires, découvertes : des souvenirs que je chéris comme des trésors. Mais le vrai moment d’apothéose, le point culminant de cette belle époque ? Ma rencontre avec Laurent.

 

Mars 2011 marque sept années d’un amour fusionnel entre Laurent et moi. Ensemble, nous voyageons, dansons, grandissons, rions et construisons des souvenirs précieux avec notre cercle d’amis. La vie de rêve.

À vingt-cinq ans, je suis toujours aussi follement amoureuse de lui. Je me sens comme une jeune fille en fleur, avec ce même enthousiasme et cette insouciance que l’amour fait naître en nous. Je décide qu’il est temps de le présenter à mes parents. Mais dans une famille musulmane pratiquante, faire le choix de partager sa vie avec un Français peut soulever des difficultés. Il y a toujours cette crainte du jugement, du regard des autres, et cette pression de ne pas dévier du chemin que l’on attend de vous. Pourtant, l’amour que je ressens est bien trop puissant pour être freiné par ces inquiétudes.

À ma grande surprise, mes parents l’acceptent immédiatement et, plus encore, ils l’adorent. Laurent a ce don naturel de se faire aimer. Il est facile à apprécier : toujours à l’écoute, profondément attentif aux autres, passionné et passionnant. C’est quelqu’un de sociable, qui attire les gens par sa gentillesse et son charisme, et qui a toujours été très populaire. D’ailleurs, sa plus grande admiratrice est… ma mère !

 

L’année suivante, au début du mois de mai, nous nous marions. Ce jour-là, entourés de nos proches, j’ai l’impression que rien ne peut nous atteindre, que notre amour est invincible. Nous sommes fous l’un de l’autre, et je suis convaincue que notre histoire durera toute la vie. Bien sûr, il y aura des défis, mais je sais que nous les surmonterons ensemble, toujours ensemble.

Ce mariage, c’est bien plus que l’union de deux personnes : c’est la rencontre de deux mondes. Nos cultures, nos traditions, nos valeurs parfois différentes auraient pu être un obstacle, mais elles sont finalement une richesse qui donne à notre amour toute sa singularité. Entourés de nos amis et de nos familles, nous célébrons ce mélange unique avec un mariage chaleureux, plein de rires, de musique et d’émotion.

Nous vivons dans un bel appartement trois-pièces en banlieue parisienne, un cocon soigneusement décoré par Laurent. Véritable passionné de design, il a su créer un intérieur à son image : esthétique, sophistiqué et empreint d’une touche d’exotisme. Les murs, ornés de motifs géométriques, s’harmonisent avec des plantes luxuriantes qui apportent une bouffée de nature. Les meubles aux lignes épurées côtoient des objets chinés lors de nos voyages, chacun porteur d’un souvenir. Cet équilibre entre modernité et nostalgie fait de notre appartement un lieu où il fait bon vivre.

Le soir, sur notre balcon illuminé de lanternes, nous aimons refaire le tour du monde en pensées. Chaque coin de la planète a été témoin de nos éclats de rire, de nos rêves et de ces baisers échangés avec passion. À ce moment-là, nous avons l’impression que le monde entier nous appartient.

Après dix ans d’une relation fusionnelle, nous sentons qu’il est temps de franchir une nouvelle étape. Nous rêvons de fonder une famille, d’avoir des enfants – beaucoup d’enfants. Enfin, surtout moi.

Ainsi commence notre histoire…

 

Quel bonheur d’arrêter la pilule ! Fini d’être l’esclave de cette maudite plaquette, fini le stress de l’oublier et de flipper à chaque retard de règles. Enfin, mon corps peut respirer, libéré de toutes substances chimiques. Je me sens bien, prête à entamer cette nouvelle étape de ma vie. Mon boulot ? Tout est calé : j’ai déjà organisé mon remplacement pour mon futur congé maternité. Un bébé pour Noël ? Ce serait parfait. Et si, en plus, c’est un petit garçon blond aux yeux bleus, le portrait craché de son père… Jackpot !

Quand j’y repense, je rigole en repassant le film de ma naïveté. J’étais convaincue que faire un bébé, c’était un truc évident, limite garanti avec l’arrêt de la pilule. Comme si tomber enceinte était aussi simple que rayer une ligne sur une to-do list.

 

Quelques mois après avoir arrêté la pilule, je fais mon premier test de grossesse. Moment solennel. Je veux que ce soit spécial, alors je décide de partager ça avec mon mari. Test en main, je m’enferme dans la salle de bain, fais pipi (on est entre nous, je ne vais pas vous épargner les détails), remets le bouchon et le rejoins dans la future chambre du bébé. Chrono enclenché… Tic, tac, tic, tac… Et boum, verdict : je suis enceinte ! Youpi ! Champagne pour personne (grossesse oblige). Maintenant, il faut que j’appelle tout le monde.

Ma mère, évidemment, avait anticipé. Elle a déjà acheté un stock monumental de bodies et même une poussette, parce que « on ne sait jamais ». Sérieusement, tout tombe à pic : on a vendu notre cabriolet Street ka pour une Toyota cinq places – la voiture familiale par excellence. Timing parfait, non ?

Cerise sur le gâteau : j’ai plein de copines enceintes en même temps que moi. La dream team des futures mamans ! On va enchaîner les cours de préparation à l’accouchement en mode commando, gérer nos nausées à plusieurs, grignoter du fromage pasteurisé et partir en virée chez Zara pour acheter des vêtements de grossesse. Une grande aventure entre potes : le kiff total.

Chaque matin, je m’ausculte devant le miroir, persuadée que mon ventre grossit un peu plus chaque jour. Je mets mes mains sur mon ventre comme si j’étais déjà à huit mois. « Je n’ai pas pris un peu de fesses, là ? », fière comme tout. Je vais même jusqu’à acheter un haut de grossesse, c’est un peu tôt, mais bon, je suis prévoyante et tellement excitée.

Et évidemment, je télécharge l’application incontournable, celle que ma poteutilise, qui compare la taille de l’embryon à des fruits et légumes. Mon bébé passe du stade de « petit pois » à « prune », et moi, je suis déjà dans les starting-blocks.

 

Je me pose plein de questions : est-ce que je serai une bonne mère ? Comment allons-nous l’appeler ? Sera-t-il en bonne santé ?

Quelques jours après avoir fait le test, nous avons rendez-vous chez une gynécologue proche de chez nous, recommandée par une de mes amies.

Nous patientons longtemps dans la salle d’attente.

« Patience et attente » sont des mots que je vais haïr, mais je vais un peu vite là…

Nous sommes enthousiastes et excités, va-t-on le voir bouger, va-t-on voir le sexe ? Je suis enceinte de combien de temps exactement ? À aucun moment, on n’imagine le pire.

Une femme souriante au regard bienveillant nous reçoit. Sitôt entrée, je me déshabille, je veux voir mon bébé. La gynécologue sourit de mon empressement et m’invite à m’installer sur la table d’examen médical. Sur le mur, derrière son bureau sont accrochés des dizaines et des dizaines de faire-part de naissance. Je note de lui envoyer le mien afin qu’il rejoigne cet assemblage hétéroclite. Elle me demande de m’allonger sur le dos, elle m’applique le gel sur la peau de mon ventre. Ce gel sert à assurer un contact parfait entre la sonde et la peau. Je ressens cette fameuse sensation de fraîcheur. Je vois la gynéco analyser attentivement l’image avant de tourner l’écran vers vous pour nous apprendre que le fœtus est mort. Fin du gamme !

 

Je suis assommée, je ne m’attendais pas à cette nouvelle, moi qui croyais porter la vie, je porte la mort. C’est à partir de ce moment-là que le malheur entre dans notre couple.

Mon mari est un homme solide, mais à l’annonce de la fausse couche, il vomit dans le minuscule lavabo du cabinet. Elle nous a annoncé la nouvelle d’une manière froide et mécanique. Je ne lui en veux pas, elle a dû le faire des millions de fois et de toute façon, il n’y a jamais de bonne façon d’annoncer une mauvaise nouvelle.

Après ce rendez-vous, je suis complètement assommée. En rentrant chez moi, je ferme les volets comme pour me couper du monde. Je m’enferme dans la chambre, cette pièce qui, tout à coup, me paraît immense, presque trop grande pour moi seule. J’ai l’impression d’étouffer, je voudrais disparaître dans un trou. Ce qui m’angoisse le plus, c’est l’idée d’appeler ma mère. Je sais qu’elle va être dévastée, tellement triste… Moi qui rêvais de moments comme l’échographie du troisième trimestre, des séances de préparation avec la sage-femme, tout cela me semble maintenant hors de portée. Tellement loin.

Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe. Il n’y a pas vraiment d’explications, la gynécologue nous a simplement dit : « ce sont des choses qui arrivent ».

Elle m’a prescrit des gélules à prendre chez moi, censées accélérer naturellement la fausse couche. Elle m’a expliqué que tout serait terminé en quelques heures. Mais elle a omis de me parler de la douleur. Et je n’étais absolument pas préparée à ce qui allait suivre.

Quelques heures après avoir avalé les comprimés, je commence à perdre du sang, beaucoup de sang, accompagné de fragments de tissu. La douleur est intense, insupportable même. C’est comme recevoir des coups en plein ventre, des coups précis, implacables. Puis, je vois le minuscule fœtus se détacher et tomber dans les toilettes. Ce n’est pas glamour ni à vivre ni à raconter. C’est brutal, cru, et la douleur est indescriptible.

 

Quatre jours sont passés, et je suis encore secouée. Pourtant, une part de moi se rappelle que je suis une battante, une optimiste dans l’âme. La fausse couche est une épreuve que beaucoup de femmes traversent, même si on la garde trop souvent sous silence. Ce n’est pas la fin du monde, même si, sur le moment, ça y ressemble terriblement.

Cet avortement ne me laisse pas brisée, mais je dors mal. Trois nuits d’affilée, je me suis réveillée en sursaut, trempée de sueur, revivant chaque détail comme un mauvais rêve qui refuse de s’éteindre. Le bruit sourd de la télévision dans le salon me revient, comme un écho lointain, mêlé à l’odeur métallique du sang coagulé qui imprègne encore ma mémoire. Je revois mon lapin, Bambi. Un vrai rebelle à poils doux, habitué à me regarder de haut comme s’il dirigeait un gang de hors-la-loi. Ce jour-là, il s’est métamorphosé en boule de câlins, sentant mon désarroi. Il s’est blotti contre moi, comme pour me dire que je n’étais pas seule, lui, le fier indépendant.

Malgré tout, l’espoir est là, vibrant et tenace. Cette épreuve n’a pas écrasé mon désir, elle l’a amplifié. Je veux cet enfant, plus que tout. Je sais que ce n’est qu’une question de semaines avant de voir ce rêve se concrétiser.

Mon corps récupère, mais un vide persiste. Une absence sourde, pesante. La douleur physique s’estompe, mais la cicatrice psychologique, elle, s’incruste profondément. Une fausse couche, ce n’est pas juste une perte, c’est l’effondrement d’un espoir, la chute brutale d’un rêve, l’éclatement d’un futur qu’on avait déjà commencé à construire.

Je me torture l’esprit, cherchant ce que j’aurais pu faire autrement. Comme si j’avais un quelconque contrôle sur tout ça. Mais à quoi bon ? Alors, je fais mon deuil en silence, sans en rajouter, sans imposer ma peine. Parce qu’une fausse couche, c’est souvent minimisé. Parce que si ça arrive tôt, ça compte à peine. Parce que l’entourage, la société ne savent pas toujours quoi en faire.

Je sais que je ne suis pas seule, que des milliers de femmes traversent la même tempête. Pourtant, on se tait. On ravale notre douleur, parce qu’on nous dit que c’est « naturel », que ça arrive à plein d’autres. Comme si ça rendait la perte plus facile à avaler. Mais non. Ce silence qu’on nous impose parfois, cette banalisation, ne fait qu’amplifier l’isolement, rendant la douleur encore plus lourde à porter.

 

Mon désir d’enfant est de plus en plus présent, de plus en plus vif, je ne pense plus qu’à ça.

Toutes mes copines sont enceintes, alors pourquoi pas moi ? C’est la vie après tout d’avoir des enfants, non ? Je vais le regretter plus tard si je n’en fais pas.

Alors, je décide de retomber enceinte tout de suite. Commence là un long parcours du combattant.

Les mois passent, l’hiver, l’automne, le printemps et l’été. C’est sûr que je vais tomber enceinte en été. C’est la saison. Je ne sais pas pourquoi j’imagine que ça marchera mieux sous la chaleur. Je m’inscris sur toutes les applications qui calculent l’ovulation. Toutes ! À chaque début de cycle, je suis fébrile et pleine d’espoir, à chaque saignement, je suis pleine de frustration.

À la douleur physique des règles s’ajoute la douleur psychique. Je commence à y penser matin, midi, soir, partout et tout le temps.

Un matin sur trois, je me réveille avec cette étrange sensation d’être enceinte, comme si mon corps se souvenait d’un rêve qui se répète inlassablement. À chaque fois, c’est la même scène qui défile.

Moi, le cœur battant, une pointe d’inquiétude dans la voix :

— Docteur, dites-moi… tout va bien ?

Ma gynécologue, souriante, un regard rassurant :

— Oui, tout se passe parfaitement bien. Le bébé est en pleine santé.

Laurent, à mes côtés, me serre la main plus fort, son visage empreint d’un soulagement palpable :

— C’est vraiment une bonne nouvelle… Et vous pouvez nous dire ? C’est une fille ou un garçon ?

Ma gynécologue, amusée, nous gratifie d’un clin d’œil :

— Préparez-vous à accueillir un petit garçon !

Mes yeux s’embuent de larmes. Un garçon… Je n’y crois pas. Enfin !

Laurent dépose un baiser sur ma joue, ses lèvres tremblantes de bonheur :

— Un petit bonhomme… Je suis tellement heureux !

Ma gynécologue, rayonnante, nous félicite :

— Vous avez de quoi l’être. Toutes mes félicitations à vous deux !

Mais soudain, je me réveille en sursaut, le corps trempé de sueur, avec ce goût amer dans la bouche. Ce rêve, aussi beau qu’il puisse être, n’est que cela… un rêve.

 

Je suis en train de sombrer dans une obsession. On fait l’amour souvent, toujours pile au bon moment, mais systématiquement dans la même position : le missionnaire. Apparemment, cette position est la plus efficace pour tomber enceinte. Elle permet une pénétration profonde et dépose le sperme au plus près de l’utérus. Mais soyons honnêtes, transformer l’acte d’amour en une mécanique froide et répétitive à notre âge, ce n’est franchement pas la folie. Laurent en bave, je le vois bien. Mais je suis tellement obsédée par l’idée de concevoir que je ferme les yeux sur sa frustration. Ou plutôt, je fais comme si elle n’existait pas.

Les semaines passent, nous ne faisons plus l’amour, nous faisons un enfant. Le sexe est devenu utilitaire, dicté par le timing et l’efficacité. Chaque geste est calibré pour maximiser les chances, mais malgré des mois d’efforts, toujours rien. Je passe ma vie à la pharmacie, achetant en quantité des tests d’ovulation et de grossesse. Sans raison aucune, je choisis toujours les plus chers. La pharmacienne, qui commence à bien me connaître, m’adresse un sourire et un petit mot d’encouragement : « Allez, cette fois-ci, c’est la bonne. »

Et à chaque fois, le même résultat : négatif. Game over, try again...

Combien de fois ai-je rêvé de revoir ces deux petits traits roses ? Je suis en bonne santé, lui aussi. J’ai déjà été enceinte, alors pourquoi ça ne marche plus ?

« Tout va bien, c’est dans ta tête, arrête d’y penser. » Cette phrase, je l’entends en boucle. Chaque fois, c’est comme un coup de poignard qui me fait culpabiliser encore plus. Je n’en peux plus de ces discours bienveillants, mais maladroits de mes proches, amis, collègues et famille : « Tu y penses trop, pars en vacances et ça viendra ! » ou encore « Vous êtes jeunes, ne stressez pas. » « La nature fait bien les choses, c’est arrivé parce que ça devait arriver, mais la prochaine fois ça fonctionnera jusqu’au bout. »

Ces phrases, au lieu de m’apaiser, me pèsent comme des pierres.

 

Au bout d’un an d’essai, aucune grossesse. Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Je décide d’aller voir ma gynécologue.

« Quelque chose semble bloquer entre vous », nous explique-t-elle. Ah bon, on n’avait pas remarqué ! (Je garde cette réflexion, mal placée, pour moi, bien sûr.)

Elle nous parle d’infertilité. Sujet éminemment intime et en même temps très public.

— Que voulez-vous dire, docteur, par infertilité ?

— On parle d’infertilité d’un couple hétérosexuel en l’absence de grossesse après douze à vingt-quatre mois de rapports sexuels complets, réguliers (deux à trois fois par semaine) et sans contraception. Certaines causes, plus nombreuses et mieux connues chez la femme que l’homme, expliquent cette baisse de la fertilité.
— Mais nous sommes fertiles, docteur, je suis déjà tombée enceinte. Une fausse couche ne peut pas entraîner une infertilité, non ?
— La réponse à cette question est complexe et dépend de divers facteurs. Oui, il existe des risques d’infertilité liés à une fausse couche, mais c’est plutôt rare. Il n’y a aucun souci physiologique, tout fonctionne parfaitement, mais ça ne marche pas. L’origine est inexpliquée, idiopathique.
— Si je résume, rien n’empêche d’avoir un enfant, on a même failli avoir cet enfant, mais on n’arrive toujours pas à faire cet enfant. Vous avez déjà eu des couples dans notre situation ?
— Oui, bien sûr, mais chaque cas est différent. On va commencer des traitements dans mon cabinet.
— On est jeune, on va y arriver très facilement avec un petit coup de main de la médecine, n’est-ce pas docteur ?
— …

 

Je lève mon verre à toutes mes sœurs de galère qui ont vécu une fausse couche !

 

 

 

 

 

Procréation Médicalement Assistée (PMA)

 

 

 

Septembre 2015, on commence la PMA dans le cabinet de ma gynécologue situé à Neuilly-Plaisance, près de chez nous.

La PMA, qui veut dire Procréation Médicalement Assistée, consiste à manipuler un ou des ovules et des spermatozoïdes pour favoriser l’obtention d’une grossesse. Une belle avancée de la médecine, mais quand tu es dans le circuit, c’est mission To Mars. Je commence ce parcours avec beaucoup de peurs, d’espoir et de joie. J’ai hâte d’être maman. Mais personne ne m’a prévenue : la PMA c’est comme être sélectionné pour les Hunger-Games, puisse le sort vous être favorable…

Ma gynécologue estime que, puisque j’ai déjà connu un début de grossesse, la stimulation ovarienne est la prochaine étape. Et voilà comment débute le programme : une avalanche d’hormones pour secouer mes ovaires et les remettre au travail. Selon la définition – presque poétique – de notre ami Google, cette stimulation encourage ces chers ovaires à produire un bel assortiment d’ovocytes bien mûrs, fin prêts pour l’aventure.

En parallèle, elle nous prescrit toute une kyrielle d’examens, afin de s’assurer que tout roule. Et là, mes amis, commence le pèlerinage des consultations médicales ! Finies les discussions pour trouver un créneau convenable, du genre « avant 9 h ou après 17 h ». Non, si l’on veut avancer, il faut se plier aux lois de l’agenda médical.

— Prochaine disponibilité : mercredi à 13 h 45, sinon c’est le mois suivant.
— Parfait, j’irai encore quémander une journée de congé à mon cher patron.

Nous débutons avec le fameux test de Hühner, un examen tout en délicatesse. Après un rapport sexuel, on vérifie la qualité de la glaire cervicale (car oui, même ça, il faut l’évaluer), ainsi que le comportement des vaillants spermatozoïdes qui s’y baladent, le tout en pleine phase pré-ovulatoire. Verdict : score de 10/12 pour ma glaire, un véritable chef-d’œuvre biologique ! Quant aux spermatozoïdes de mon mari, ils font leur job, sans être des Usain Bolt, mais rien de trop préoccupant. Test concluant, tout va bien.

Cependant, quand on explore les tréfonds du corps, il est rare de n’y trouver aucune petite surprise. Pour ma part, un léger excès de testostérone a été décelé. Rien de bien méchant, mais en voyant les résultats, je n’ai pu m’empêcher de sourire en coin : « Voilà qui explique bien des choses dans mon comportement ! » Après tout, j’ai toujours été plus punk que mes copines…

Notre vocabulaire commence à s’enrichir grandement : follicule, progestérone, ovocytes, endomètre, spermogramme, polype, fibrome, synéchie… que des mots barbares réservés aux initiés.

 

Je débute donc les injections de Puregon 100. Ce petit médicament, à la pointe de la technologie hormonale, contient une substance magique qui stimule mes organes reproducteurs. Il a pour mission d’encourager l’ovulation et de chouchouter mes follicules, ces précieux petits réceptacles contenant les futurs ovules. L’appareil ressemble à un stylo Veleda, mais avec une aiguille d’une taille non négligeable à l’extrémité. Précaution supplémentaire : il faut le conserver au frigo, il est donc bien rangé à côté de mes Actimel à la fraise. Ainsi, chaque matin, je prends ma dose d’Actimel pour le côté probiotique et ma dose d’hormones pour la fertilité… et hop, la journée peut commencer !

Je suis encore dans l’enthousiasme des débuts, pleine de fougue et de détermination.

La première injection en solo, il faut l’avouer, c’est un brin angoissant. Il ne faut pas réfléchir, y aller d’un coup sec et… hop là ! Ma gynécologue m’a gentiment proposé l’aide d’une infirmière à domicile. Mais non, merci bien ! Je suis une femme forte – avec un surcroît de testostérone – pas une petite nature.

Quant à Laurent, il ne peut même pas regarder. La simple vue de l’aiguille lui donne des sueurs froides. Ses souvenirs d’enfance des quelques vaccins qu’il a subis sont gravés dans sa mémoire (et sur son corps), un véritable traumatisme.

 

Dans mon malheur, j’ai de la chance : je fais partie de ces rares femmes épargnées par les violents effets secondaires des hormones. Quand je lis sur Internet ce que d’autres traversent, c’est à faire frémir. Pas de ballonnements ni de douleurs abdominales pour moi, aucune variation d’humeur excessive : je ne passe pas du rire aux larmes en cinq secondes. Et surtout, je ne prends pas de poids. Le seul effet secondaire à signaler ? Une poitrine encore plus généreuse, ce qui ne semble pas passer inaperçu dans la rue… Effet push-up garanti !

En revanche, j’apprends à courir vite, très vite. Les injections doivent se faire à heure fixe, alors me voilà à courir après le bus, après le métro, et même après l’ascenseur. Bref, je cours.

En début de cycle, je me pique comme une pro, puis j’enchaîne les tests d’ovulation pour traquer LE moment parfait. Et quand il arrive, pas de temps à perdre : mission reproduction activée ! Pas de romantisme, juste de l’efficacité.

J’ai commencé à prendre la pilule contraceptive très tôt, à l’âge de quinze ans. Depuis toujours, j’ai souffert de règles extrêmement douloureuses, du genre qui vous clouent au lit sans prévenir. Prendre la pilule m’a grandement soulagée et m’a permis de mieux supporter cette souffrance. Cependant, avec le recul, je me demande si le fait de l’avoir prise aussi jeune n’a pas perturbé mon corps. Malheureusement, les médecins n’ont jamais pu répondre à cette question.

Je sais que je dois mettre mon énergie au bon endroit, que je dois lâcher prise, je dois arrêter de comparer, arrêter de me poser la question du pourquoi, mais je n’y arrive pas.

Après six mois de stimulation sans aucun résultat, nous passons à l’étape suivante : l’insémination artificielle. Mais avant d’entamer ce processus, ma gynécologue me demande de patienter deux mois. Pourquoi devrais-je encore attendre ? Je ne veux plus perdre de temps.