Le visa - Romain Sokpé Bally-Kenguet - E-Book

Beschreibung

Après la mort de sa mère, Monzoko, dix-sept ans, par sa voix de crooner, aide à la victoire d’un candidat aux législatives dans sa localité. Pour le récompenser, ce dernier lui promet de payer ses études et lui demande de se rendre à la capitale. Malheureusement, le désormais député n’en fera rien ! Abandonné à lui-même, le jeune homme intègre un groupe musical pour essayer de joindre les deux bouts. En sa qualité d’auteur-compositeur de génie, il réussit à s’attirer les faveurs d’une femme d’affaires qui jouera de ses relations pour lui décrocher une invitation artistique en France. Quelle sera l’issue de cette démarche titanesque ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Muni de sa plume, Romain Sokpé Bally-Kenguet a exploré plusieurs genres littéraires. Avec Le visa, il nous guide dans une aventure artistique singulière.

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Seitenzahl: 191

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Romain Sokpé Bally-Kenguet

Le visa

Roman

© Lys Bleu Éditions – Romain Sokpé Bally-Kenguet

ISBN : 979-10-377-7005-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

1

Nzékunzé avala son souffle. À quelques jours de ses trente-sept ans, elle n’allait pas bien de la plante des pieds jusqu’à la pointe des cheveux. Tellement pas bien, qu’elle gardait le lit et n’allait plus au champ pour labourer la terre afin de trouver la nourriture pour elle et pour son garçon qui vivait sous le même toit avec elle. Cela avait commencé sur les chapeaux de roue. À partir de violents maux de tête. Tout y passait comme si on lui avait assené la nuque avec un pilon pan, pan, pan ! Tout doucement mais très sûrement, elle n’avait plus l’appétit : au fil des jours, elle ne mangeait presque plus. Et elle vomissait… quoi ? Tout ce que sa bouche avalait. Elle était pâle comme si elle s’était lavée avec du lait de brebis. C’était si fort qu’elle ne savait pas ce qui se tramait dans sa tête et même dans son dedans. Elle le sentait, le sentait, le sentait.

⸺ Qu’est-ce qui m’arrive comme ça ? Je connais mon corps comme la faim de mon ventre. Je n’ai jamais été comme ça, bon sang !

Du matin au soir, elle ne faisait que ruminer ces mêmes mots qui traduisaient son inquiétude. En les murmurant, elle pensait à Monzoko, son unique garçon. Celui-ci avait dix-sept ans. Elle l’avait engendré avec un homme pas du tout responsable, un homme qui l’avait abandonné quelques semaines avant l’accouchement. Elle avait donc gardé seule son petit. Qu’elle l’aimait comme le prêtre aime le Bien-Bon-Dieu. En revanche, celui-ci aimait aussi celle qui l’avait naissance plus que tout.

S’étant aperçu que Nzékunzé, sa mère n’allait pas bien, il était toujours là à ses côtés. Son corps gémissait aussi au même rythme que les souffrances de celle qui l’avait naissance. À croire qu’il souffrait à sa place, qu’il voulait souffrir à sa place.

Les jours s’écoulaient et s’écroulaient.

Monzoko compta sur ses doigts : oui, c’était bien ça, une semaine. Une semaine ni plus ni moins, qu’elle était toujours allongée sur son lit parce qu’elle allait toujours de plus en plus mal. Il était inquiet, même si sa mère tentait de le rassurer. Et quand elle arrivait à parler un tout petit peu, elle lui faisait comprendre que ce n’est qu’une fièvre bénigne qui n’allait pas tarder de sortir de son corps en quatrième vitesse.

Mbakoro, le père de Nzékunzé, le grand-père de Monzoko, avait constaté lui aussi que sa fille avait beaucoup maigri, et plus ! Il en avait parlé à Kokondoki, sa femme. Leurs yeux accrochés à leurs cœurs se souciaient de leur unique fille. Leurs bouches l’avaient supplié de se rendre à l’hôpital. Mais Nzékunzé avait refusé sèchement. Son baba et sa mama insistèrent à l’idée de la faire changer d’avis. En vain. Pour elle, aller l’hôpital oui mais où trouver l’argent ? Là-bas, comment acheter sa guérison entre les mains des infirmiers corrompus jusqu’à la moelle épinière ? On le sait, là-bas, aucune blouse blanche diplômée ou pas ne soigne un malade sans qu’on lui mouille la barbe. L’hôpital de Bangassou comme les autres lieux de santé du pays, on le sait bien, est un vrai mouroir. Il ne guérit jamais les malades qui y vont. Il les tue plus ou moins vite, et c’est tout : c’est comme ça, ça été toujours comme ça. Parce qu’il manque de tout. Parce les infirmiers et sage-femme n’ont pas de cœur mais des yeux globuleux qui regardent seulement dans les poches et dans les portefeuilles des patients.

Nzékunzé avait toujours été son propre docteur. Par la force des choses. Parce que c’était comme ça. Parce qu’elle avait été toujours comme ça. Parce qu’elle n’avait pas de choix. Parce qu’elle faisait confiance à son sixième sens et demi qui n’avait cessé de lui répéter ceci : « on n’est jamais mieux soigné que par soi-même ». Parce que son cœur avait toujours dit à ses oreilles que la va vie c’est la vie, que c’est ça la vie, que c’est comme ça la vie pour quelqu’un comme elle qui avait trois fois rien dans son portefeuille qui était souvent troué par la dèche. C’est pour cette raison que souventes fois, lorsqu’elle tombait malade, elle gagnait la forêt qui ceinturait le champ que ses parents lui avaient légué. Elle y recueillait des plantes médicamenteuses après avoir un peu deviné ce qui maladait et parasitait son corps et elle se soignait à sa façon-manière. Cette fois encore, elle avait avalé ses propres décoctions et sucé son propre choix de racines. Dans sa tête, dans ses yeux et même dans ses oreilles, sa guérison n’allait pas tarder… et que très vite elle reprendrait le chemin des champs… du marché… des basket-arrosés que les bouche-paroles de sa terre-naissance appellent aussi bals poussière entrecoupés par des moments de contes.

Les jours s’étaient encore additionnés, et voilà qu’un jeudi matin, ses membres ankylosés ne lui obéissaient plus. Elle subissait le chaud et après le froid, avec vertiges et nausées à n’en point finir. Autour d’elle, personne dans la famille n’avait même pas une pièce de CFA pour lui acheter un comprimé blanc miracle du monde blanc. Comme elle, ses parents eux aussi avaient les poches vides comme les souris de la mosquée.

Onze heures passées.

Nzékunzé se mit à convulsionner et à convulsionner effroyablement. Monzoko était toujours là, à côté de son lit. Il veillait sur elle, les yeux mouillés de tristesse, le cœur bouleversé par la compassion. Impuissant, immobile, il la regardait sans sourciller en se mordillant la lèvre inférieure. C’étaient des moments terribles qui ne pouvaient pas sortir de la caverne de ses yeux. À un moment donné, Nzékunzé ne pouvait plus ouvrir la bouche pour lui parler. De temps en temps, elle esquissait des gestes de la main pour dire à Monzoko ce qu’elle voulait lui dire. Elle le faisait avec les larmes qui ruisselaient de ses yeux. Bouleversé, Monzoko ne savait quoi faire. Nzékunzé s’en apercevait et elle prenait la main de son fils, la serra contre la sienne tout en lui disant faiblement :

⸺ Prends soin de toi. Fuis les tentations du monde. Fais-toi toi-même.

Elle frotta sa tête contre celle de Monzoko, et dit bassement : touffa, touffa1! Puis, elle ajouta :

⸺ Prends mon talent. Une vocation peut naître de là. Et tu deviendras grand-quelqu’un artiste. L’homme prospère comme un arbre et souvent les gens le découvrent seulement quand il porte des fruits.

Ce furent donc ses derniers mots.

Ses yeux et sa bouche se fermèrent hermétiquement.

Elle ne respirait plus. Comme si. Bizarre ! Elle resta figée, inerte, terrible ! Monzoko s’en aperçut. Traumatisé, il secoua sa mère, secoua sa mère, secoua sa mère. Cette dernière avait la raideur d’un cadavre-mort. Sceptique, il se questionna en ces termes :

⸺ Dort-elle profondément ou…

Il se coupa les chapelets de paroles qui se trouvaient sur le bout de ses lèvres, et la zyeuta fixement. Il voulait avoir le cœur net. Il y avait de quoi. Les yeux embués de larmes, il mit un genou à terre, et posa le trou de son oreille sur la poitrine de sa mère. Pas pour rien. Pour demander à cette même poitrine de lui dire en des termes clairs si le cœur de celle-qui l’avait naissance continuait de glouglouter. Il pensa soudainement à la Bible. À la résurrection de Lazare. Pouvait-il opérer un miracle à l’instant même pour que sa mère passe du trépas à la vie ? Pouvait-il faire comme le Christ qui avait crié d’une voix forte : « Lazare, sors ! ». Et Lazare était revenu à la vie après avoir passé quatre jours dans le séjour des morts. Pouvait-il aussi hurler : « maman, reviens à la vie ! maman, reviens à la vie ! Il y réfléchit, et… lâcha un profond soupir.

Elle n’était plus là.

Elle venait de quitter ce monde.

Il le comprit et poussa alors un cri de détresse qui séisma la maison. Mbakoro et Kokondoki se précipitèrent dans la chambre de leur fille. Ils virent tout d’abord leur petit fils qui pleurait à chaudes larmes.

⸺ Monzoko, c’est quoi ? demandèrent-ils à l’unisson.

Il leur montra sa mère qui était cadavéré-morte sur son lit de fortune. Mbakoro et sa femme ne comprirent sans doute pas bien. Ils la secouèrent en criant :

⸺ Nzékunzé ! Nzékunzé !

Mais c’était fini. L’éternité l’avait avalée. Alors, ils éclatèrent en sanglots. Monzoko aussi. Des sanglots qui ameutèrent les voisins qui arrivèrent à grandes enjambées.

La parole n’a pas de jambes mais elle se mit à courir ! Les bruits de ses foulées disaient : « Nzékunzé est morte. La chansonnière du quartier n’est plus ». Et la nouvelle se répandit tout de suite dans les quartiers Tokoyo, Maliko, Bangui-Ville, et vite dans toute la ville de Bangassou. Les parents manche-longue et manche-courte arrivèrent. Du temps de ciller l’œil, il y eut du monde dans la concession. Ça sanglotait à gauche et à droite. Le corps de Nzékunzé fut déposé à la morgue sans chambre froide. Les Saints Thomas voulaient la voir de leurs propres yeux. Ils s’y rendirent.

Nzékunzé morte, oui !

C’était un triste jour.

Monzoko était le plus affecté.

C’était quand même elle qui l’avait mis au monde.

Elle avait été enceinte de lui et, paraît-il, pendant onze mois et demi. Elle l’avait materné, mamellé, pouponné avec tendresse et affection, lui chantant des berceuses vitaminées qui avaient bien engraissé bébé Monzoko. Celui-ci avait grandi sur ses genoux.

Sur le moment, il était inconsolable, il ne savait pas que seul le temps pourrait un peu assécher ses larmes qui continuaient de couler à flots dans les rigoles de ses yeux éplorés.

Mbakoro et Kokondoki étaient assis sans rien dire sur une natte usée dans un coin de la triste pièce baptisée à tort salon tant il était pauvrement meublé. C’est à peine qu’ils respiraient en pensant à leur fille unique. Ils vivaient au ralenti. Ça se lisait sur leurs visages. Des gens de leur âge défilaient et présentaient leurs condoléances. Tous ou presque disaient les mêmes paroles du genre : « Du courage. Attache ton cœur Mbakoro, attache ton cœur Kokondoki ».

En deux temps trois mouvements, on avait installé des fauteuils bancals, des bancs, des balambo, pour dessiner les contours de la place mortuaire. Les filles du quartier Tokoyo dirent haut et fort : « C’est notre veillée mortuaire ! Nzékunzé était tout pour nous ! Nous allons la pleurer à notre manière ! » De nombreux garçons s’étaient levés pour dire : « Nzékunzé était notre sœur à nous ! Elle nous a beaucoup bercés avec sa voix limpide ! Nous devons lui rendre hommage. Elle le mérite. Parce que sa voix sublime nous a fait danser. Parce que sa voix nous a fait marcher sur les nuages. Parce que sa voix qui s’accrochait à la barbe de ses chansons avait guéri nos soucis et karcheriser les angoisses qui étaient obligés de sortir en fracas de nos cœurs ». Sa famille manche-longue et manche-courte s’était retrouvée en aparté. Toutes leurs lèvres disaient les mêmes blablablas : Nzékunzé doit être enterré avec tambours et trompettes. Pour ça, il nous faut trouver l’argent pour le boire, le manger, le café, le sucre, le cercueil climatisé et tout le reste.

Ce furent donc les mains dans les mains.

Voisins, voisines, amis, parents et connaissances, tous mirent les mains aux poches et aux portefeuilles. On acheta le nécessaire pour que les vivants fêtent la morte : des cuvettes de farine de manioc, une montagne de feuilles de manioc, de la pâte d’arachide, des tas de bananes plantain, de tout le tralala pour le kpoto-ngounza2, du bois de chauffe, de l’huile de palme, des morceaux de gibiers boucanés, des dames-jeannes de kangoya, d’Afrika gin et de ngouli. Les jeunes garçons et filles du quartier s’étaient levés comme un seul homme. Ils firent le porte-à-porte en montrant la photo de la décédée. Pour la quête. Pour la place mortuaire qui allait durer. Ils parcoururent quelques quartiers de Bangassou. Les gens donnèrent et donnèrent sans hésiter. Parce que Nzékunzé avait été très populaire à cause de sa voix de diva qui chantait langoureusement comme Myriam Makéba dit Mama Afrika ou comme Léonie Kangala dit La Princesse à l’occasion des bals poussière que les gens de Bangassou appellent affectueusement baskets-arrosés, des veillées mortuaires, des cérémonies de dots, de mariages après la Mairie.

2

Jour après jour.

La place mortuaire poursuivait son petit bonhomme de chemin. C’était ambiance sur ambiance. La concession de Mbakoro ne désemplissait pas. Les gens veillaient comme on le fait toujours. Jusqu’au matin. Ça causait donc par petits groupes sur tout et rien du tout. Ça buvait à flot, le café, le kangoya, le ngouli. Ça mangeait avec gourmandise et bonheur, de la feuille de manioc avec de la viande de bœuf, du gibier boucané mitonné avec de la pâte d’arachide. Toute cette mangeaille à gogo était toujours accompagnée par des assiettes sur lesquels trônaient majestueusement de grosses boules de gozo-manioc. Certaines personnes ne rentraient plus chez eux. Pas pour rien. Parce qu’il y avait à manger, à boire et même… à baiser au pied d’un manguier aux heures avancées de la nuit. Parce que c’était aussi l’occasion pour certains zizi-bangala en soif et faim de sexe de rechercher des baiseuses de circonstance. Et c’est ça la place mortuaire sous les tropiques !

En tout cas, c’était toujours de la beuverie, d’époustouflants bals poussière même si on le sait, les morts ne dansent pas avec les vivants. Imbibé d’éthanol, les gens s’agitaient au rythme des tam-tams qui fredonnaient le kpolingbo, le gbadouma a serré. Somme toute, la place mortuaire de Nzékunzé avait de temps en temps une ambiance de kermesse qui chauffait au plus haut point !

Monzoko était content de voir les gens si enthousiastes tant ils animaient le départ sans retour de sa mère. C’était comme s’ils voulaient lui communiquer leur joie qui allait tuer le chagrin qui avait inondé son être.

Nzékunzé cadavéré-morte !

C’était vraiment triste pour Monzoko.

Qu’est-ce qu’il pouvait faire contre la mort qui arrive toujours comme un voleur dans la nuit ? Quand il y pensait, le cœur serré, la gorge nouée, il se demanda en son for intérieur :

⸺ Ö mortelle-mort ! Pourquoi te comportes-tu toujours comme le voleur qui n’annonce jamais sa visite ? Pourquoi même un enfant qui vient de naître, est-il assez vieux pour mourir ? Et pourquoi neuf mois pour naître et une seconde pour mourir ? Vois-tu ce que tu viens de me faire ? Quel est le mal que je t’ai fait pour que tu me fasses ça ? Hein, mortelle-mort ! Sais-tu qu’on n’a qu’une seule mère ? Et ma mère-là, elle est l’unique de sa mère tout comme moi je suis son unique garçon. Si seulement tu étais un vrai-vrai quelqu’un, j’allais te mettre au garde-à-vous devant moi pour que tu me dises à quatre-z’yeux pourquoi tu lui as fait avaler son souffle de vie à un moment où je ne m’y attendais pas ? Ö mortelle-mort, laisse-moi te dire que c’est une déchirure complète qui va laisser une blessure incicatrisable dans mon dedans. Parce que tu as enlevé à perpète ma mère qui est une grande partie de ma vie. Pourquoi tu es sans pitié-sans pardon comme ça ?

Il fallait l’enterrer rapidement comme les autres morts du jour ou d’hier. Parce qu’il faisait très chaud. La famille s’était concertée. L’inhumation devait avoir lieu dans trois jours ou quatre… Il fallait conserver le corps de Nzékunzé qui n’était pas morte de sa belle mort. Afin qu’il reste en bonne santé en attendant les obsèques. Surtout qu’il n’y avait plus de formol à l’hôpital ! Les gens durent recourir à leur traditionnelle façon-manière de faire, en macérant le corps avec du sel.

Ce fut un jour, pas comme les autres.

Un palabre éclata pendant que les esprits étaient dans l’inhumation qui ne devrait plus tarder. Certains voulaient qu’on enterre Nzékunzé dans sa chambre. D’autres dans la concession familiale. D’autres encore, dans son champ qui serait un endroit calme pour le repos de son âme. Les trois camps opposés s’invectivaient et voulaient même en arriver aux mains pour s’esquinter. Les vieux-vieux s’étaient donc réunis pour trancher. Et ils avaient tranché. Et le palabre était tranché. Parce que « même si la bouche du vieillard pue, les paroles qui y sortent ne le sont pas ». « Parce qu’un vieillard assis voit plus loin qu’un enfant debout ». Parce que « si la langue est dans la bouche, les dents ne doivent pas se bouffer entre elles » autrement dit si un sage est quelque part, les disputes ne doivent pas durer.

Le cimetière n’était pas loin dans la forêt qui dominait le quartier Tokoyo. Nzékunzé y fut enterrée le quatrième jour. Tout le quartier était là, et pas seulement les biens portants. Ça chantait en chœur. Ça dansait en ronde. Le soleil était brûlant. La plupart des gens étaient habillés en uniformes avec des tee-shirts blancs qui portaient des inscriptions en gros caractères et sérigraphiés-gravurés avec finesse : « Nzékunzé nous ne t’oublierons jamais ». Monzoko avait son uniforme à lui, on pouvait lire sur son tee-shirt : « Chère maman, je ne t’oublierais jamais ». Au fur et à mesure que le temps passait, les percussions redoublaient d’intensité. Les voisins transportèrent le cercueil sur leur tête. Monzoko leur emboîtait le pas. Tout le quartier, derrière la famille, faisait une longue procession. Les gens chantaient, dansaient, avançaient, et avançaient. Monzoko ne le savait pas mais il se souviendra toujours de ce moment où l’on faisait fête à la mort. Surtout quand la poussière retomba, après toute cette kermesse mortuaire, Monzoko se retrouvera plus seul que jamais et la tristesse le rongerait comme une rouille.

Le temps avait beau passer.

Mais, lorsque Monzoko était seul, les images de sa mère bien vivante, bien chantante s’imposaient à ses yeux. Il voulait les chasser de sa tête, de ses yeux, de ses oreilles. Histoire pour lui de s’en vider. Ce qui allait lui permettre de vivre sa vraie vie d’aujourd’hui. Faire son deuil donc.

Ce n’était pas du tout facile pour lui.

Parce qu’il se souvenait toujours de tous les moments sucrés qu’il avait passés en sa compagnie. Parce qu’elle avait été la cantatrice du quartier, la vedette des veillées mortuaires.

Elle aurait pu chanter sa propre mort !

Sa mère avait souvent été appelée au nord comme au sud de la ville pour les cérémonies de dot ou de mariage. Sans cesse, on l’invitait par ci et par là. Elle jouissait d’une grande popularité. Sa voix caressait les cœurs, soignait les tristesses, tuait les soucis, et même réveillait les espoirs perdus.

Tout Bangassou avait aimé l’écouter.

Lui, Monzoko, l’avait souvent accompagnée pour chanter.

Il se souvint de ce jour d’avril de l’année passée. Il faisait très chaud. Les gens suffoquaient. Les enfants pleuraient à cause des boutons sur leur figure, des boutons que la chaleur asticotait. On les avait soignés avec les médicaments des blancs et en plus avec les décoctions des nganga. Sans succès. Les parents ne savaient plus quoi faire. Nzékunzé avait rassemblé ces enfants sous un manguier. Puis, elle s’était mise à psalmodier longuement. Sa voix douce, légère, passait de visage en visage. Et les boutons avaient disparu comme par enchantement ! Les mains des yeux qui étaient là l’avaient rossé avec des salves d’applaudissements tout en scandant son nom.

On le sait, le passé c’est le passé qui ne passe pas toujours facilement. Et c’est dans le présent que Monzoko devait vivre seul avec lui-même, seul avec ses deux yeux qui s’accrochaient aux images de sa mère qui était encore présente même si elle était bien absente ad vitam aeternam. Il vivait toujours avec Kokondoki et Mbakoro, ses grands-parents qui l’aimaient beaucoup. Il était pour eux un bijou de petit-fils. Pour eux, c’est lui qui garderait leur vieillesse. Rien à faire. Personne ne pouvait leur enlever ça de la tête. Quand ils voyaient leur petit-fils, ils voyaient aussi Nzékunzé. Mais, lui Monzoko, quand il regardait profondément ses grands-parents de pied en cape, les yeux de son cœur lui faisaient comprendre que la disparition de sa mère ne leur disait absolument rien. Dans sa tête, cela se lisait sur leurs visages. Il y croyait. Bêtement. Mbakoro, qui devinait un peu Monzoko, essayait toujours de lui parler avec amour à l’idée de chasser les angoisses qui continuaient de grignoter le cœur de son petit-fils.

Tous les soirs ou presque, après le souper, assis près d’un petit feu en compagnie de son petit-fils, le vieux-vieux devenait causeur, raconteur… Il affirmait, affirmait et affirmait. Que l’enfant qui écoute les conseils récolte la sagesse du bonheur. Que la jambe n’est jamais supérieure à la cuisse. Quelle que soit la longueur de la barbe, les cils ont vu le jour avant elle. Que c’est à chacun sans chacun et parfois c’est chacun avec chacun de maçonner son lendemain. Que si le malheur est là, le bonheur n’est pas loin. Même si Monzoko l’écoutait religieusement, son cœur s’orageait contre son grand-père et même contre le monde entier. Tout simplement parce que l’ombre de sa mère était devenue son ombre. Tout simplement parce que toutes ces paroles ne rentraient pas trop bien ni dans sa tête ni dans ses oreilles. Tout simplement parce que même si elles rentraient dans le trou de son oreille gauche, elles sortaient directement de l’autre côté. Tout simplement parce que dans sa tête et dans ses oreilles, il ne comprenait pas le pourquoi du comment son grand-père ne prononçait toujours pas des mots de compassion à l’endroit de sa précieuse maman qui venait de regagner à perpète le royaume des ancêtres. Il s’en écœurait, et se disait que son grand-père serait devenu un sans cœur-sans pitié comme la mortelle mort qui avait fauché celle-qui l’avait naissance sans crier gare ! La voix de ses oreilles disait aussi à son cœur qui disait à sa voix-gorge, que c’est possible que c’est son grand-père qui se serait métamorphosé en mortelle-mort pour frapper cadavéré sa mère qui était tout pour lui.

Jour après jour.