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Mbuki est un assemblage de sept textes qui décrivent des faits divers plus ou moins cocasses dont certains sont inspirés d’histoires vraies.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Muni de sa plume,
Romain Sokpé Bally-Kenguet a exploré plusieurs genres littéraires. Il est auteur de nombreux ouvrages publiés auxquels s’ajoute "Mbuki".
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Seitenzahl: 175
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Romain Sokpé Bally-Kenguet
Mbuki
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Romain Sokpé Bally-Kenguet
ISBN : 979-10-377-7204-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Yawhé Gracia Sokpé Mbadé
et Divine Jireh Ndiagbeni,
mes deux filles qui sont très précieuses pour moi.
Furax ! Il est dans tous ses états. Trait pour trait, il ressemble à tout et à rien du tout à la fois. À un vampire. À Dracula père. À un vrai zombie. Sa bouche baveuse semblait s’accrocher à ses yeux désorbités qui ne font que les fusiller avec un regard furibond. Se mordillant la lèvre inférieure, la colère qui tourne en vrille dans ses yeux lui demande d’exploser tel un lion qui rugit. Il se ravise à son corps défendant. Malgré ça, la même colère qui continue de vibrionner dans ses yeux commence à lui faire gonfler la poitrine, les narines, les joues, en faisant dresser les cheveux sur sa tête qui semblait augmenter de volume. Haletant de rage, des idées bizarres et même bizarroïdes lui traversent l’esprit. Il se dit intérieurement :
— Je ne vais plus le considérer comme mon enfant parce que ses faits et gestes sont ceux d’un gamin qui a le diable au corps. Qu’est-ce que je peux faire pour que ce « casse-tête rien dans la tête » puisse comprendre une fois pour toute ! Hein ! Que je lui donne une bonne paire de gifles qui claque ? Que je le fous dehors en lui bottant les fesses ?
Il y réfléchit et reprend en son for intérieur :
Et piouf ! La colère qui bouillonne dans son cœur comme le cratère de la fournaise du Python Royal en ébullition se dégonfle tel un ballon de baudruche perforé. Il lâche un profond soupir et se laisse tomber dans le divan. Après trois minutes et demie, il se lève d’un bond et sort précipitamment de chez lui en le traitant de tous les noms de corbeaux et de renards.
Piscool. Un pied nickelé de la pire espèce. Malgré ses dix-sept ans, il se plaît toujours à respirer l’odeur des parents. À l’école, c’est un toto ne connaît rien. Parce qu’il refuse d’ouvrir les portes et les fenêtres de sa tête cubique pour y laisser entrer ce qui ne peut pas faire de lui un vaurien de tonneau vide qui fait beaucoup de bruits pour rien.
Chaque année, ses parents sont obligés de « bakchicher » certains profs qui sont corrompus jusqu’à la moelle des os, non jusqu’à la moelle épinière pour que Piscool passe en classe supérieure. Arrivé en classe de seconde, il s’est fâché contre l’école. Qu’il a laissé tomber le stylo à bille. Comme quoi, celui-ci pèse beaucoup. Comme quoi, ses yeux ne voyaient que noir tout ce que les craies blanches des profs écrivaient sur le tableau noir.
« La parole n’a pas de jambes mais elle marche vite. »
Évidemment, les parents de Piscool ont été informés à leurs dépens. Par le bouche-à-oreille. Comme quoi, ce dernier est réputé champion toutes catégories de l’école buissonnière. C’est pour cette raison qu’il s’est détourné du chemin de l’école. Ceux-qui l’ont naissance n’ont pas cru leurs oreilles. Ils se sont dit ceci : comme il s’est fâché contre l’école, nous allons nous fâcher aussi contre lui. N’est-ce pas que courte queue se fait avec courte queue ? Sans tourner autour du pot, ils lui ont intimé l’ordre de reprendre les cours, au pire des cas, ils vont le chasser de leur maison comme le diable avait été chassé du paradis. Piscool les écoute d’un air absent tout en disant niet en son for intérieur. Tous les jours ou presque, à l’idée de lui faire prendre conscience, ceux-qui l’ont naissance ne se lassent pas de le faire asseoir devant eux pour lui parler des bienfaits que l’école peut faire dans la vie de l’enfant qui attache son cœur pour lire le papier des blancs. Piscool les écoute comme s’il ne les écoute pas. Voyant que leur fils n’est pas très chaud de ne plus reprendre le chemin de l’école, ils lui ont crié dessus, crié dessus, crié dessus. En vain. Ne pouvant plus supporter la colère et le mécontentement de ceux qui lui ont donné naissance et surtout leurs menaces de le jeter dehors comme une eau sale, le « rien dans la tête-bouche vorace » décide de quitter le toit de ses parents pour aller habiter avec Koutoubon qui est vieil ami d’enfance qui s’était lui aussi fâché contre l’école. Pour payer les loyers de son entrée-coucher et s’acheter de quoi manger, ce dernier faisait le taf-taf des petits boulots. S’étant aperçu que Piscool est un fainéant qui veut seulement « manger la sueur » du front des autres, Koutoubon s’est réfugié à l’intérieur de lui-même et dit bassement :
— Je ne le comprends pas. Il pense que la vie est simple comme bonjour ! Voilà quelqu’un qui ne supporte pas la faim mais qui refuse de se débrouiller dans la vie pour avoir sa pitance. Le comble du comble est qu’il peut manger seul les plats de trois ou quatre personnes. Comme il a un appétit d’ogre, c’est mieux qu’il fasse le débrouiller-débrouiller pour avoir de l’argent, ce qui va lui permettre d’acheter tout ce que sa gloutonnerie voudrait becqueter à satiété, ah oui !
Il poursuit :
— Moi, par exemple ! Je refuse de vivre aux dépens. Et chaque jour que Dieu fait, je me décarcasse comme un beau diable pour payer mon loyer et avoir la nourriture de ma bouche. Je ne peux plus continuer à engraisser un grand garçon comme ça, surtout que je lui ai offert gracieusement mon entrée-coucher et mon lit.
Koutoubon est arrivé à une solution radicale : ne plus s’occuper de la faim du ventre de son pote. Tous les jours, après avoir terminé ses petits boulots, celui-ci gagne un fast-food à l’africaine où il mange seul avant de rentrer à la maison. Piscool voit rouge. Il tire le diable par la queue leu leu. Que faire ? Comme à ses habitudes, il est obligé de faire le tour de sa famille manche longue ou manche courte pour espérer trouver quelque chose à mettre sous la dent.
Un mois et demi plus tard...
Il est midi, ce jour-là. Piscool a bigrement faim. C’est depuis deux jours qu’il n’a pas becqueté. Assis sur le bord de leur lit de fortune qui grince drôlement à chaque fois que quelqu’un s’y retourne, il se tient la tête entre les deux mains au même moment où ses idées ont commencé à faire toc, toc, toc ! Des toc, toc, toc qui ont ouvert les portes de son esprit qui a commencé à fouiller dans les méandres de ses pensées.
— Où est-ce que je peux aller manger aujourd’hui ? se demande-t-il anxieusement.
Il s’est creusé la tête pendant de longues minutes. Une voix intérieure lui dit d’aller chercher pitance chez son oncle Batawaligba. Son corps lui dit : « non, trop c’est trop ! ». La raison : c’est pratiquement tous les jours que notre Gargantua qui vit chez son ami se rend chez le frère cadet de sa mère pour manger. L’air pénétré, il écoute la voix de son cœur. Puis, il reprend le fil de son monologue intérieur tout en recherchant le membre de sa famille chez qui il va se rendre pour se gaver le ventre. Après dix minutes, une voix intérieure lui susurre le nom de son oncle Tèkouè-Têtout. Il acquiesce vivement et bredouille en arborant un large sourire :
— Ouoooui, eurêka ! Je vais aller manger la blanche nourriture des blancs qu’il a ramenée du pays toubabi !
Il se lève d’un bond, enfile sa chemise, chausse sa paire de baskets et sort de l’entrée-coucher en quatrième vitesse.
Un-deux, un-deux, un-deux.
Et ses pas timides ravalent le sol. Et chemin faisant, une voix intérieure lui rappelle ce que certaines langues dans la famille n’ont cessé de racoler sur la personne de son oncle. Comme quoi, depuis son retour de l’Hexagone où il était parti pour suivre une formation de deux ans dans le cadre de son boulot, Tèkouè-Têtout est devenu plus blanc que les blancs. Comme quoi, il ne gobe plus les visites impromptues des parents à l’heure du souper.
Il fait non de la tête et ajoute :
— Je ne crois pas à ce qu’on raconte sur lui. Une chose : il peut être avare avec tout le monde sauf moi, ah oui ! Je suis non seulement son neveu mais surtout son vieux compagnon.
Pendant qu’il est en train de murmurer ces mots, là-bas chez son oncle le ton est au palabre, à un ping-pong verbal. Du tac au tac, monsieur et madame échangent des propos qui frisent la controverse.
— Écoute-moi bien ! Tu as tout intérêt à bien te désencrasser les oreilles. C’est moi qui travaille l’argent. Et si je t’en donne pour la bouffe, il est hors de question que tu fasses de ma maison un resto du cœur…
— Quoi ?
— Ben, oui ! Il est hors de question que tu distribues ma nourriture à tous ceux qui en franchissent le seuil, compris ?
— Tu exagères !
— Qui ? Moi, j’exagère ?
— Tu sais…
— Quoi ?
— Tu n’es pas sans savoir qu’avant d’aller à l’école des blancs-blancs, on est né noir-noir avec nos façon-manières de vivre.
— Et alors ?
— Et alors… chez nous, « on ne mange pas seul un éléphant abattu mais on le partage » et « la nourriture est bonne si on peut la partager ».
— N’importe quoi.
— Ne dis pas n’importe quoi pour le plaisir.
— Je suis obligé de le dire parce tu as parlé pour ne rien dire.
— Tu le penses ?
— Oui !
— Laisse-moi te dire que j’ai grandi dans une famille manche longue depuis l’âge de la mamelle.
— Hum.
— Ne dis pas hum. Les voix-gorges des vieilles personnes de chez nous ont toujours dit que s’il y a de quoi manger pour un c’est qu’il y en a pour dix.
— La ferme !
— Comment ça ?
— Oui, tu la fermes ! Va te faire foutre avec ta vie en communauté là !
— C’est ce que tu trouves à dire ?
— Oui ! Pas ici chez moi, ta vie en communauté là ! Je ne suis pas né de la dernière pluie, moi, oui ! « On n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces ».
— Qu’est-ce qui te fait dire tout ça ?
— Tu ne vois pas comment les choses se passent ici à la maison ?
— Qu’est-ce qui s’y passe ?
— Figure-toi : il y a des parents qui calculent tout juste l’heure de manger pour atterrir ici à la maison. Et une fois qu’ils se sont bien gavé le ventre, ils se lèvent et bredouillent un adieu qui veut dire à demain pour une autre visite à l’heure du souper.
— Hum…
— Ne dis pas hum ! Je ne travaille pas pour nourrir toute une république. J’ai parlé. Je suis persuadé à croire que tu as compris. Un homme averti en vaut deux et une femme avertie en vaut trois.
— Tèkouè-Têtout mon amour… tu dois savoir qu’on n’est pas ici au pays des blancs.
— Ne me dis pas ça, surtout pas !
— Mon cher… tu sais…
— Quoi ?
— Si tu parles à quelqu’un qui refuse de t’écouter, tais-toi et écoute-le quand même.
— C’est toi qui dois m’écouter, précise-t-il sur un ton discordant.
— Parle alors, je t’écoute.
Il s’éclaircit la gorge et déclare :
— Mon séjour au pays toubabi m’a appris beaucoup et beaucoup de choses.
— Ah bon ?
— Oui, oui ! Là-bas au pays toubabi, il n’y a pas de place pour les fainéants.
— Comment est-ce que tu peux penser qu’ici chez nous il n’y a que des fainéants.
— Oui, je sais ce que je dis ! Là-bas, c’est le chacun-chacun, le chacun pour soi, le chacun qui doit se démerder pour vivre parfois à partir des sales mais petits boulots, alors qu’ici au pays c’est tout le contraire…
— Ah bon ?
— Oui ! Ici au pays, il y a certaines personnes qui se cachent derrière cette soi-disant vie en communauté qui voudrait que ton assiette c’est mon assiette, ta marmite c’est ma marmite, ton balai c’est mon balai, ta natte c’est ma natte pour vivre en éternels assistés, oui, en perpétuels parasites tant ils refusent de faire des efforts dans la vie pour manger à la sueur de leur front. Avec tout ce que mes yeux ont vu là-bas au pays de ceux dont leurs corps qui ressemblent à la peau des cochons grattés sur le sol, je vais faire le copier-coller de leurs façons-manières de vivre.
— Depuis que tu es rentré du pays toubabi, je ne te reconnais plus.
— Ah bon ?
— Qu’est-ce qui t’arrive ? Qu’est-ce que tu as vu là-bas qui te fais que perdre la tête comme ça là.
— Tais-toi et écoute-moi seulement. Est-ce que tu sais pourquoi les vieilles bouches-cheveux grisonnants de chez nous ont dit : « la bouche ne dit pas tout ce que les yeux ont vu » ?
— Hum !
— Ce que mes yeux ont vu là-bas, les tiens ne l’ont pas vu, okay ?
— Tu m’étonnes.
— Il faut qu’on arrête avec cette soi-disant vie en communauté qui voudrait que ton gobelet c’est mon gobelet, ta cuvette de manioc c’est ma cuvette de manioc et que l’enfant c’est l’enfant de tout le monde qui encourage les gens à croupir dans la gadoue de la fainéantise.
Des propos qui ont résonné mal dans les oreilles de madame-sa femme. Ne voulant pas polémiquer, elle pirouette sur ses talons et regagne la cuisine. Après avoir grogné et grondé, Tèkouè-Têtout notre brave avare se laisse tomber dans le divan de son salon et se met à feuilleter le dernier numéro d’un quotidien d’informations.
Des minutes sont passées.
Une terrible faim lui serre les viscères. De temps en temps, il appelle sa compagne qui lui répond depuis la cuisine en lui faisant comprendre que la nourriture n’est pas encore cuite et qu’il faut encore attendre quelques poussières de minutes. Brûlant d’impatience, il ne fait que bailler drôlement comme si ses mâchoires allaient se décrocher tout en consultant sans cesse sa montre. Quinze minutes après, il appelle sa compagne et dit :
— Mais… Sakatoumbou ! Nom de Dieu ! Regarde toi-même ! Il est déjà treize heures passé ! Je vais manger à minuit ou quoi ?
Il n’a pas terminé de prononcer le dernier mot qu’il voit arriver son neveu Piscool qui entre chez lui comme un dauphin qui surgit de l’eau. Tèkouè-Têtout a tout fait pour dissimuler son écœurement.
— D’où est-ce qu’il sort celui-là ? se demande-t-il intérieurement. Je pense que ce salaud est venu me saluer et qu’il ne va pas tarder de soulever la poussière à ses pieds pour continuer son chemin. Il ne faut pas que ça soit une histoire de s’asseoir et causer pour attendre de manger la nourriture que Sakatoumbou est en train de mitonner.
Piscool adresse un gentil bonjour au petit frère de sa mère qui lui répond timidement. Pas pour rien. Parce que son cœur n’est pas content de le voir arriver à un moment où il s’apprête à passer à table. Assis, son visiteur engage une interminable causerie sans tête ni queue. Le visage ridé comme la face d’ananas, Tèkouè-Têtout converse avec son neveu malgré lui.
Et tic-tac, tic-tac, tic-tac. Et les minutes continuent de trottiner en faisant des galipettes. Et Tèkouè-Têtout consulte sans cesse la pendule qui est accrochée au mur de son salon. Et tic-tac, tic-tac, tic-tac. Et les minutes s’égrènent. Et Piscool enchaîne expressément causerie sur causerie. Ce qui énerve son oncle maternel.
— Regardez-moi celui-là, dit-il en son for intérieur. Il calcule seulement l’heure du souper pour débarquer. On va voir ce qu’on va voir. S’il est venu à l’idée de manger le ventre de ma marmite, il va avaler le vent aujourd’hui.
Sur le moment, toute la maison jusqu’à la salle à manger exhale la très appétissante odeur de la nourriture que prépare Sakatoumbou dans la cuisine. Piscool hume discrètement cette bonne senteur que son visage froissé par la faim d’il y a de cela quelques minutes est devenu lisse et rayonnant. Parce qu’il se satisfait à l’idée que comme les fois précédentes, il y a de quoi becqueter chez son oncle et d’ici peu il va bien se gaver le ventre en compagnie de ce dernier. Pendant qu’il a le visage radieux, Tèkouè-Têtout par contre a la mine froissée à cause de la colère qui glougloute dans son dedans.
Sakatoumbou pénètre le salon. Elle salue le neveu à son homme et engage avec ce dernier une chaleureuse causerie de quelques minutes. À peine fut-elle tournée vers Tèkouè-Têtout pour lui dire que la nourriture est prête, notre bon monsieur a imaginé ce qu’elle voulait dire. Il lui coupe la parole dans la bouche et dit tout de go :
Ne voulant pas prononcer le mot qui suit et qui est « préparer la nourriture », il s’interrompt et enchaîne en ces termes :
Sakatoumbou bredouille un oui et retourne dans la cuisine où elle monologue avec une pointe de mécontentement :
— Voilà quelqu’un ! Ne voulant que pas l’enfant à sa sœur mange sa nourriture, il me demande d’empaqueter sa part et de la lui garder dans la poche de sa veste ! C’est à peine croyable ça !
Elle ajoute :
— Hum… je n’ai jamais vu un homme aussi pingre que lui. Comme il a l’habitude de dire que seule sa volonté doit être faite dans cette maison, je n’ai pas de choix. Je vais faire comme il l’a demandé pour éviter d’avoir des problèmes avec sa pingrerie révoltante.
La bonne dame s’est exécutée promptement : après avoir enroulé le poulet braisé avec du papier aluminium, il le ficelle dans un sachet en plastique. Comme Tèkouè-Têtout lui a recommandé, elle gagne leur chambre à coucher où elle est partie lui garder son paquet dans la poche de l’une des nombreuses vestes qui se trouve dans la penderie. Cinq minutes plus tard, il appelle madame-sa femme qui arrive précipitamment.
— Sakatoumbou, dis-moi : c’est bon ? Tu as fait comme je t’ai dit ?
— Oui, oui. C’est dans la poche de ta veste.
Satisfait, notre harpagon feint un profond sommeil. Après une minute et demie, il simule un ronflement et commence à ronfler bruyamment sous le regard sceptique de Piscool.
« À malin, malin et demi. »
Ce dernier se dit ne pas être né de la dernière pluie. Il a tout compris et s’en moque dans son cœur.
— Oncle… tu as menti. Tu me prends pour un enfant ou quoi ? Tu penses que c’est en faisant semblant de dormir que je vais partir pour te laisser le temps de manger seul ? Tu t’es trompé largement. On monte ou on descend, je vais d’abord manger avant de partir.
Des secondes se sont ajoutées à d’autres pour devenir plusieurs minutes. Notre faux dormeur sent un silence de cathédrale planer dans la pièce. Les yeux clos, il se dit que son neveu serait probablement parti. Rusé comme un sioux, il se réveille en sursaut mais s’écœure de voir que son encombrant visiteur est toujours cloué dans le fauteuil. Il lâche un soupir et se tient la tête entre les deux mains.
Il s’accorde quelques minutes de réflexion. Et tilt ! Une lumineuse idée lui vient à l’esprit : il se froisse le visage comme s’il est malade, comme s’il vient d’être terrassé par une subite malaria.
Et il fait le malin de convulser.
Et il fait le malin en se torturant de douleurs.
Pour le neveu, son oncle est en train de jouer au malade imaginaire. À un moment donné, Tèkouè-Têtout se lève péniblement en faisant convulser tout son corps. Geignant de douleurs, il marche à petits pas en direction sa chambre sous le regard incrédule de Piscool qui se dit de nouveau en son for intérieur :
— Tu as menti, oncle.
À peine que l’oncle a franchi le seuil de la porte de sa chambre, le neveu se lève et le rattrape sous des pas alertes.
— Qu’est-ce qui ne va pas oncle ?
— Ça ne va pas. Je suis très malade.
Sous des airs de compassion, il tient le bras droit de son oncle qui continue de faire le zouave. Marchant au pas à côté du petit frère de sa mère, il lui dit :
— Oncle… mes yeux ne peuvent pas te voir marcher clopin-clopant comme ça. Il ne faut pas que tu tombes. Je t’accompagne jusqu’au lit avant de sortir.
Tèkouè-Têtout dit sur un ton maladif :
— Ne t’en fais pas. Je peux marcher seul.
— Non, oncle. Je vois que tu marches en titubant.
— T’inquiète.
— Tu es quand même le frère de ma mère. Tu sais que chez nous, l’oncle n’est pas n’importe qui pour le neveu !
— Ne t’en fais pas. Je ne peux pas tomber.
— C’est toi qui le dis. Façon-manière que tu marches en titubant là…
— Ne t’en fais pas, koya1.