Légendes, curiosités et traditions de la Champagne et de la Brie - Alexandre Assier - E-Book

Légendes, curiosités et traditions de la Champagne et de la Brie E-Book

Alexandre Assier

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Extrait : "Pour quiconque parcourt les annales de l'ancien royaume de France, la Champagne, ce noble pays des croisés et des trouvères, de Joinville et de Jeanne d'Arc, n'a point encore la célébrité qu'elle mérite. « Le temps approche, dit-on de toutes parts, où ses vieilles archives vont sortir de la poussière pour prendre voix et raconter. Les savants se sont mis à l'œuvre et publient chaque jour le fruit de leurs recherches. »"

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À MONSIEUR

NATALIS RONDOT,

ANCIEN DÉLÉGUÉ COMMERCIAL ATTACHÉ À L’AMBASSADE EN CHINE,

ET

PRÉSIDENT DE CLASSE AU JURY INTERNATIONAL DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1855.

 

MONSIEUR,

Descendant d’une ancienne famille de Troyes, qui a compté parmi ses membres de célèbres personnages et d’habiles artistes, vous avez daigné m’encourager plusieurs fois dans mes humbles recherches. J’aurais voulu vous offrir une œuvre plus sérieuse, vous retracer les belles époques de l’histoire de cette Champagne dont la France semble avoir depuis longtemps ignoré le glorieux rôle depuis le sénonais Brennus jusqu’à l’écolier de Brienne. Mais des jours plus heureux viendront, je l’espère, où je pourrai raconter plus éloquemment. Puissent ces faibles essais que j’ose vous dédier me mériter la bienveillance d’un illustre compatriote dont les ouvrages nous ont révélé quelques-uns des secrets de l’industrie de l’Orient ! Ce témoignage sera la récompense de mes efforts.

Agréez, Monsieur, l’hommage du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être,

Votre très obéissant serviteur.

ALEXANDRE ASSIER.

Avant-propos

Pour quiconque parcourt les annales de l’ancien royaume de France, la Champagne, ce noble pays des croisés et des trouvères, de Joinville et de Jeanne Darc, n’a point encore la célébrité qu’elle mérite. « Le temps approche, dit-on de toutes parts, où ses vieilles archives vont sortir de la poussière pour prendre voix et raconter. Les savants se sont mis à l’œuvre et publient chaque jour le fruit de leurs recherches. » Mais si l’homme propose, Dieu dispose, dit un ancien proverbe. Bien des années s’écouleront, sans aucun doute, avant que la Champagne puisse dérouler ses belles annales.

Peu d’hommes d’abord se soucient de consacrer leur temps à déchiffrer de poudreux parchemins, à pâlir sur de gros in-folio. Puis la vie n’est-elle pas trop courte, et les occupations ne sont-elles point trop nombreuses dans un siècle où tout le monde veut fonctionner pour qu’une œuvre puisse surgir avec cette admirable structure dont les Bénédictins, ces véritables pères de notre histoire, avaient seuls le secret ? J’ai connu tel savant qui a passé quarante-huit ans au milieu des manuscrits, et que la mort est venue surprendre lorsqu’il rassemblait ses notes éparses. Cet homme avait pourtant renoncé bien sincèrement à toutes les joies de ce monde.

Pour moi, dont la jeunesse s’est écoulée dans les pénibles fonctions de l’enseignement, je n’ai pu que recueillir çà et là quelques traditions de la Champagne. J’ose les publier pour sauver de l’éternel oubli les bonnes et touchantes coutumes de nos aïeux. J’y ai même joint quelques historiettes et quelques curiosités, parce qu’il est bon de recréer le lecteur pour se concilier sa bienveillance. Je n’ai point tout raconté, mais si ceux auxquels ce spécimen parviendra me savent quelque gré de mes recherches, je les dédommagerai par la publication des Récits de l’histoire de la Champagne et de la Brie, œuvre importante à laquelle M. l’abbé Georges me prête l’appui de son concours.

Troyes, le 24 décembre 1859.

Les historiens de la Champagne et de la Brie au XIXe siècle
1830-1855

Des savants ont compris que l’histoire de la Champagne ne pouvait se faire qu’avec la réunion de bonnes histoires des villes dont se composait autrefois cette belle province, et se sont mis à l’œuvre depuis 1830 avec une patience vraiment admirable. Quelques-uns, trop timides, ont publié leurs recherches dans les Annuaires, dans les Mémoires de sociétés savantes, et même dans des Almanachs, et nous ont dérobé, pour ainsi dire, de précieux documents qu’il sera toujours difficile de rassembler. D’autres ont vaillamment exposé leurs ouvrages au public, et ont cru mériter la bienveillance de leurs concitoyens en leur retraçant les beaux faits qui ont illustré leur contrée. À ceux-là nous voulons témoigner toute notre reconnaissance et toute notre sympathie, en rappelant au lecteur les volumes qu’ils ont écrits dans leurs laborieuses veilles. Notre liste, trop incomplète peut-être, ne s’étendra que jusqu’à l’année 1856, parce que dans nos Récits de l’Histoire de la Champagne et de la Brie nous consacrerons quelques pages à ceux qui poursuivent courageusement leur œuvre.

Aube

POUGIAT. Invasion des armées étrangères dans le département de l’Aube, in-8. Troyes, 1833.

COLIN. Notes historiques et statistiques sur le canton de Nogent-sur-Seine, in-12. Troyes, 1836.

ARNAUD. Voyage archéologique et pittoresque dans le département de l’Aube et dans l’ancien diocèse de Troyes, in-4. Troyes, 1837.

F. DOÉ. Notice sur les principaux monuments de la ville de Troyes, in-18. Troyes, 1838.

CORRARD DE BREBAN. Recherches sur l’établissement de l’imprimerie et Troyes, in-8. Troyes, 1839.

L. COUTANT. Recueil de notes et de pièces historiques pour servir à l’histoire des Riceys, in-8. Paris, 1840.

VALLET DE VIRIVILLE. Archives historiques du département de l’Aube, in-8. Troyes, 1841.

L. COUTANT. Fragments historiques sur la ville et l’ancien comté de Bar-sur-Seine, in-8. Bar-sur-Seine, 1846.

L’ABBÉ FONTAINE. Le cardinal Pierre de Bérulle devant son pays (par Las Casas), in-8. Troyes, 1847.

A. BOURGEOIS. Histoire des comtes de Brienne, in-8. Troyes, 1849.

CAMUT-CHARDON. Notices historiques et topographiques sur la ville d’Arcis-sur-Aube, in-8. Arcis, 1848.

GADAN. Le Bibliophile troyen. – Recueil de pièces curieuses et inédites, in-8. Troyes, 1849-1850.

L’ABBÉ E. GEORGES. Les illustres Champenois, in-8. Troyes, 1849-1850.

CORRARD DE BREBAN. Notice sur la vie et les œuvres de F. Girardon, in-8. Troyes, 1850.

L. CHEVALIER. Histoire de Bar-sur-Aube, in-8. Bar-sur-Aube, 1851.

J. LAPAUME. Antiquités troyennes jusqu’ici négligées et méconnues, in-8. Troyes, 1852.

J. BAY. Études sur les Armoiries de la ville de Troyes, in-8. Troyes, 1852.

A. AUFAUVRE ET CH. FICHOT. Album pittoresque et monumental du département de l’Aube, in-folio. Troyes, 1852.

A. GAUSSEN. Portefeuille archéologique de la Champagne, in-4. Bar-sur-Aube, 1852.

P. GUIGNARD. Les anciens statuts de l’Hôtel-Dieu-le-Comte de Troyes, in-8. Troyes, 1853.

D’ARBOIS DE JUBAINVILLE. Pouillé du diocèse de Troyes rédigé en 1407, in-8. Troyes, 1853.

L. COUTANT. Histoire de la ville et de l’ancien comté de Bar-sur-Seine, in-8. Bar-sur Seine, 1855.

L’ABBÉ BLAMPIGNON. Vie de sainte Germaine, patronne de Bar-sur-Aube, in-12. Troyes, 1855.

D’ARBOIS DE JUBAINVILLE. Voyage paléographique dans le département de l’Aube, in-8. Troyes, 1855.

Marne

H. FLEURY ET L. PARIS. Chronique de la Champagne, 4 vol. in-8. Reims, 1837-1838.

G. BUIRETTE. Histoire de la ville de Sainte-Menehould et de ses environs, in-8. Sainte-Menehould, 1857.

POTERLET. Notice historique et statistique sur Épernay, in-8. Épernay, 1837.

L. PARIS. La chronique de Rains publiée sur le manuscrit de la bibliothèque du roi, in-8. Reims, 1838.

P. VARIN. Archives administratives et législatives de la ville de Reims, in-4, 6 vol. Paris, Crapelet.

GUÉRIN. Notre-Dame-de-l’Épine, in-8. Paris, 1840.

L’ABBÉ BOITEL. Histoire de l’ancien et du nouveau Vitry-le-Français, in-12. Châlons, 1842.

P. TARBÉ. Les sépultures de l’église Saint-Rémi de Reims, in-12. Reims 1842.

Mgr GOUSSET. Actes de la province ecclésiastique de Reims, 4 vol. in-4. Reims, 1842.

LACATTE-JOLTROIS. Essais historiques sur l’église Saint-Rémi de Reims, in-12. Reims, 1843.

L’ABBÉ ESTRAYEZ. Notice historique et descriptive de la cathédrale de Châlons-sur-Marne, in-8. Châlons, 1842.

ACADÉMIE DE REIMS. Histoire de la ville, cité et Université de Reims, par le R. Guillaume Marlot, 4 vol. in-4. Reims, 1843.

E. GALLOIS, Les ducs de Champagne, in-8. Paris, 1843.

L. PARIS. Durocort, ou les Rémois sous les Romains, in-18. Reims, 1844.

P. TARBÉ. Trésor des églises de Reims, in-4. Reims, 1844.

J. CHALETTE. Précis de statistique générale du département de la Marne, 2 vol. in-8. Châlons, 1845.

L. PARIS. Remensiana. Historiettes, légendes et traditions du pays de Reims, in-32. Reims, 1845.

LE BERTHAIS ET L. PARISToiles peintes et tapisseries de la ville de Reims, ou le Théâtre des confrères de la Passion, 2 vol. in-4.

P. TARBÉ. Notre-Dame de Reims, in-12. Reims, 1845.

P. TARBÉReims, essais historiques sur ses rues et ses monuments, in-8. Reims, 1845.

P. ARMAND. Histoire de saint Rémi, in-8 Paris, 1846.

J. HUBERT. Le siège de Reims par les Anglais en 1359, in-8. Reims, 1846.

SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES DE REIMS. 12 livraisons contenant de curieuses pièces, Reims, 1846.

GUILLEMIN. Le cardinal de Lorraine, in-8. Paris, 1848.

P. TARBÉ. Collection des poètes Champenois antérieurs au XVesiècle, 15 vol. in-8. Reims, 1848.

E. DE BARTHELEMY, Cartulaire de l’évêché et du chapitre de Saint-Étienne de Châlons-sur-Marne, in-12. Châlons, 1853.

ACADÉMIE DE REIMS. Œuvres de Flodoard : histoire de l’église de Reims, 2 vol. in-8. Reims, 1853.

B. GUÉRARD. Polyptique de l’abbaye de Saint-Rémi de Reims, in-4. Paris, 1853.

E. DE BARTHELEMY. Études biographiques sur les hommes célèbres nés dans le département de la Marne, in-12. Châlons, 1854.

E. DE BARTHELEMY. Histoire de la ville Châlons-sur-Marne et de ses institutions, in-8. Châlons, 1854.

L. BARBAT. Histoire de la ville de Châlons-sur-Marne et de ses monuments, in-4. Châlons, 1854.

GALERON. Journal historique de Reims depuis sa fondation jusqu’à nos jours, in-8. Reims, 1854.

REIMS. Revue historique et littéraire de la Champagne, in-8. Reims, 1854.

BARON TAYLOR. Reims et ses monuments. Paris, 1854.

L. AYMA. Vie du vénérable J.-B. de la Salle, fondateur des écoles chrétiennes, in-8. Paris, 1855.

BIBLIOTHÈQUE DE L’AMATEUR RÉMOIS. Réimpression de publications rémoises inédites ou devenues rares, in-18. Reims 1854-1855.

Haute-Marne

J. FÉRIEL. Notice historique sur la ville et les seigneurs de Joinville, in-8. Paris, 1835.

MIGNERET. Précis sur l’histoire de Langres, in-8. Langres, 1836.

LUQUET. Antiquités de Langres, in-8. Langres, 1838.

E. JOLIBOIS. La diablerie de Chaumont, in-8. Chaumont, 1838.

E. JOLIBOISLes chroniques de l’évêché de Langres du P. Jacques Vignier, in-8. Chaumont, 1843.

L’ABBÉ BOUILLEVAUX. Les moines du Der, in-8 Chaumont, 1845.

L’ABBÉ GODARD. Histoire et tableau de l’église Saint-Jean-Baptiste de Chaumont, in-8. Chaumont, 1848.

PINARD. Précis sur l’histoire de Vassy et de son arrondissement, in-8. Vassy, 1849.

L’ABBÉ DUBOIS. Histoire de l’abbaye de Morimond, 4efille de Cîteaux, in-8. Paris, 1851.

J. CARNANDET. La Haute-Marne pittoresque, in-4. Chaumont, 1855.

J. CARNANDET. Notice historique sur Edme Bouchardon, in-8. Chaumont, 1855.

J. CARNANDET. Vie et passion de Monseigneur Sainct-Didier, martyr et évesque de Lengres, jouées en la dicte cité, in-8. Chaumont, 1855.

L’ABBÉ GODARD. Vie des saints du département de la Haute-Marne, in-12. Langres, 1855.

Ardennes

L’ABBÉ BOUILLIOT. Biographie ardennaise, 2 vol. in-8. Paris, 1831.

L’ABBÉ LÉCUY. Essai sur la vie de Jean Gerson, 2 vol. in-8. Paris, 1832.

J.-B. HUBERT. Géographie physique, administrative, historique et statistique du département des Ardennes, in-12. Charleville, 1837.

MIROY. Chronique de la ville et des comtes de Grandpré, in-12. Vouziers, 1840.

CH. PRENARD. Sedan pittoresque, in-8. Sedan, 1842.

C. PALES. Chronologie des vicomtes et seigneurs de la terre de Vouziers, in-8. Vouziers, 1843.

CHÉRI-PAUFFIN. Rethel et Gerson, in-12. Paris, 1845.

E. JOLIBOIS. Histoire de Rethel, in-8. Rethel, 1847.

J.-B. HUBERT. Histoire de Charleville, in-8. Charleville, 1854.

Aisne

F. MICHEL. Chansons du châtelain de Coucy, in-8. Paris, 1830.

DE LEPINOIS. Souvenirs de Coucy. Recueil de dessins lithographiés, in-folio. Paris, 1833.

L’ABBÉ POQUET. Histoire de Château-Thierry, 2 vol. in-8. Château-Thierry, 1840.

S. PRIOUX. Histoire de Braine et de ses environs, in-8. Paris, 1845.

MELLEVILLE. Histoire de la ville et des sires de Coucy, in-8 Paris, 1848.

Seine-et-Marne

B. BERNARD. Recueil de monuments inédits, dessinés et publiés sur la ville de Provins, in-4. Paris, 1830.

MICHELIN. Essais historiques, statistiques, chronologiques et littéraires sur le département de Seine-et-Marne, 6 vol. in-8. Melun, 1830-1841.

F. PASCAL. Histoire topographique, politique, physique et statistique du département de Seine et-Marne, 2 vol. in-8. Corbeil, 1838.

Mgr ALLOU. Notice historique et descriptive sur la cathédrale de Meaux, in-8. Paris, 1839.

F. BOURQUELOT. Histoire de Provins, 2 vol. in-8. Provins, 1846.

CH. OPOIX. Histoire et description de Provins, in-8. Provins, 1846.

F. DELETTRE. Histoire de la province du Montois, 2 vol. in-8. Nogent-sur-Seine, 1849.

A. AUFAUVRE ET CH. FICHOT. Monuments historiques de Seine-et-Marne, in-folio. Paris, 1853-1858.

A. CARRO. Notice sur le château de Meaux et le cabinet de Bossuet, in-12. Paris 1853.

Yonne

T. TARBÉ. Recherches historiques et anecdotiques sur la ville de Sens, in-12. Sens, 1838.

T. TARBÉ. Description de l’église métropolitaine de Saint-Étienne de Sens, in-8. Sens, 1841.

QUANTIN. Notice historique sur la construction de la cathédrale de Sens, in-8. Auxerre, 1842.

LE BARON CHAILLOU DES BARRES. L’abbaye de Pontigny, in-8. Auxerre, 1845.

LARCHER DE LAVERNADE. Histoire de la ville de Sens, in-8. Sens, 1847.

L’ABBÉ BRULLÉ. Histoire de l’abbaye royale de Sainte-Colombe-lès-Sens, in-8. Sens, 1852.

Meuse

MICHAUD ET POUJOULAT. Notice sur Jeanne Darc, in-8. Paris, 1837.

J. QUICHERAT. Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne Darc, 5 vol. in-8. Paris, 1841-1849.

BARTHELEMY DE BEAUREGARD. Histoire de Jeanne Darc, 2 vol. in-8. Paris, 1847.

VALLET DE VIRIVILLE. Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne Darc, in-8. Paris, 1854.

DESJARDINS. Vie de Jeanne Darc avec des cartes d’itinéraire, in-18. Paris, 1854.

L’orgue de Clairvaux et le moine André

Dom Gassot de Defens, 47e abbé de Clairvaux, fit exécuter dans l’église de son monastère de grands travaux qui lui valurent les éloges de ses contemporains. Ce révérend abbé voulut encore que l’orgue répondît par sa grandeur aux embellissements dus à sa libéralité. Le 20 juillet 1731, dom François Fauvre, prieur de Notre-Dame-des-Rosiers, et procureur de l’abbaye de Clairvaux, conclut donc avec Jacques Cochu, facteur d’orgues, demeurant à Châlons-sur-Marne, un marché par lequel ce dernier s’engage à exécuter, moyennant 1 550 livres, « un positif de 8 pieds en montre et de 16 jeux. » Tous les matériaux doivent être fournis au facteur, qui doit de plus recevoir la nourriture des religieux, sauf la collation qui sera remplacée par le souper. Le 20 juillet de l’année suivante, Jacques Cochu conclut un nouveau marché avec le procureur dom Fauvre ; il promet de rendre dans quatre ans et quelques mois le grand orgue, moyennant une somme de 6 000 livres. Maître Jean Gillot de Langres est chargé de faire la balustrade de la tribune et reçoit 300 livres. Le grand orgue est terminé en 1736 ; dom Nicolas Similiart, religieux profès de Signy, et Benigne Balbastre, organiste de la cathédrale de Dijon, passent quatre jours à examiner le travail de Cochu. Le 7 avril, quittance finale est donnée par l’habile facteur.

Cinquante-six ans après, des affiches, apposées dans le district de Bar-sur-Aube et dans les villes importantes des départements voisins, annoncent que l’orgue de Clairvaux est à vendre, et que l’adjudication sera faite à Bar-sur-Aube, le 10 septembre 1792. Les marguilliers de la cathédrale de Troyes présentent, au Directoire du département, une requête, signée par l’évêque constitutionnel, Augustin Sibille, pour obtenir cet orgue, « dont la vente ne doit produire à la nation qu’une somme médiocre, mais qui doit répondre à la beauté du vaisseau de leur église. »

Malgré cette pétition, l’orgue est vendu, moyennant la somme de 12 500 livres, au sieur Bernard Lecuyer, entrepreneur de bâtiments, demeurant à Bar-sur-Aube, sous cautionnement du sieur Joachin Girardon. Mais le ministre de l’intérieur, ayant déclaré qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que l’orgue de Clairvaux fût accordé à la commune de Troyes, la vente fut résiliée. René Cochu, fils du célèbre facteur, fut choisi pour amener l’orgue à Troyes. Longtemps oublié sous la tour Saint-Paul, où la poussière et l’humidité lui portèrent de graves atteintes, il ne fut rétabli, dans sa beauté première, qu’en l’année 1808.

« Aujourd’hui, lorsqu’on assiste à une cérémonie de grande fête, dans l’antique et majestueuse cathédrale de Troyes, il est bien difficile de ne pas sentir son âme s’émouvoir à la ravissante musique de l’orgue. Mais si l’on disait qu’un grand artiste, un génie peut-être aussi grand que Meyer-Beer, est venu ensevelir et consumer dans son sein une vie pleine de jeunesse, d’avenir et d’espérance, si sa main ne faisait qu’abandonner les touches, si la dernière symphonie au milieu de laquelle s’est exhalée son âme, pouvait vibrer encore, quelle sensation n’exciterait pas en nous la vue du monument dont il fut la gloire ignorée ? Pourquoi n’a-t-il rien laissé de lui, le moine-artiste de Clairvaux ? Pourquoi ses chants se sont-ils élevés pour mourir dans la solitude, sans parvenir au monde ? Mais s’il fut inconnu, c’est justice de révéler son existence et de publier ce que nous avons appris de son histoire.

En 1743, un jeune homme pâle et les vêtements en désordre, vint se présenter aux portes de l’abbaye de Clairvaux. Ce ne fut pas un moindre étonnement pour les religieux qui le reçurent, quand il leur apprit qu’il venait se faire moine. Le sourire qui parut sur leurs lèvres resserra bien cruellement le cœur du jeune homme. Il n’avait pas songé que, pour être admis dans l’ordre, il fallait un nom et des richesses ; que lui n’avait jamais eu de richesses et n’avait pas encore de nom : on le lui apprit. Cependant, comme il était languissant et accablé de fatigue, on le conduisit à la salle d’asile ; là, il s’assit tout rêveur dans l’embrasure d’une fenêtre en face de la grande flèche de Saint-Bernard qu’il contempla tristement ; puis ses yeux, en se portant autour de lui, rencontrèrent ceux d’un vieillard qui le considérait avec un vif intérêt : c’était le prieur du monastère. Le premier mouvement du jeune homme fut de se jeter à ses pieds, en s’écriant : « Vous du moins, ne me repoussez pas, mon père ! » Il y avait dans son élan quelque chose de si entraînant, sa voix était si persuasive, ses grands yeux humides de larmes exprimaient tant de souffrance, que le bon moine, tout ému, le releva pour le serrer dans ses bras. Puis regardant avec attendrissement sa belle figure où se révélait une âme pure et candide :

– « Que me demandez-vous, mon enfant ? » dit-il avec bonté.

Le jeune homme lui déclara d’une voix tremblante ce qui l’amenait à l’abbaye.

Le vieillard exprima la plus grande surprise.

– « Oh ! ne me regardez pas ainsi, se hâta d’ajouter le suppliant ; je mourrai, mon père, si vous me chassez d’ici. Je suis pauvre, mais honnête ! Je suis musicien, laissez-moi toucher les orgues du monastère… mais par Dieu ne me refusez pas ! »

Les regards de l’artiste avaient pris une expression si élevée, sa main s’était portée avec tant de noblesse sur son cœur qui battait avec violence, que le prieur fut subjugué par un ascendant indicible. Il rêva quelques instants. « Je reviendrai ce soir, » dit-il à voix basse, et il s’éloigna.

Le lendemain était un dimanche. Les moines étaient rangés en longue file dans l’église. Le prêtre allait monter à l’autel. Une surprise s’empara de tous les religieux, quand une ouverture, telle qu’on n’en avait point entendu jusqu’alors, s’élança de l’orgue en brillants accords, puis retomba mollement sur un mode doux et plaintif de la plus pure expression. Tous les yeux s’étaient portés vers la voûte pour découvrir le génie nouveau qui venait d’animer de tant de vie l’instrument dont les concerts passaient auparavant inaperçus. Cette magnifique exécution n’était pas l’ouvrage du vieux maître de chapelle : lui se tenait debout, triste et pensif, à l’angle de l’orgue ; tandis qu’un jeune homme, brillant d’enthousiasme et de génie, quittait le clavier et venait s’agenouiller contre la rampe de la galerie, en face du chœur. Ce jeune homme, c’était le suppliant de la veille. Dès lors, ce fut le moine André.

Quels motifs avaient déterminé le musicien à s’enfermer dans un cloître ? on ne le sut jamais. « Comme il était arrivé, dit le sous-prieur, Hérard de Margerie, il s’en fut dedans la grâce de notre sire. Durant dix années céans, il ne s’ouvrit à aucun, touchant les peines de son esprit. » Pendant ces dix années, il se tint constamment seul, livré à d’ardentes méditations. Tous les soirs, au moment où le soleil s’enfonçait derrière la forêt de Clairvaux, une ombre se glissait le long des cloîtres et disparaissait sous les portes de l’église : c’était le moine André qui se rendait aux orgues, son asile de prédilection et de délices. Il parcourait lentement les galeries, la tête penchée sur sa poitrine, les joues pâles et creuses. Sa santé succombait aux transports d’une imagination brûlante. Mais quand le soleil sur son déclin frappait les vitraux coloriés et les tuyaux brillants de l’orgue, et remplissait la voûte de lumière, au milieu de ce jour fantastique, la tête d’André apparaissait resplendissante comme d’une auréole de gloire. En ce moment, son âme ardente était dans toute la force de l’inspiration, ses yeux lançaient des éclairs de génie, et sous sa main s’éveillait comme un souffle léger et mélancolique qui traversait le silence des voûtes. Où il était beau à voir, c’était surtout à l’heure de minuit, quand les cloches prenaient joyeusement leur volée par les airs, quand l’église se remplissait de lumières, et que dans l’enfoncement s’avançaient les longs rangs des moines en blancs surplis. Penché en avant sur les touches, le cœur palpitant d’impatience, le regard tout en feu, André attendait le signal, et faisait jaillir tout ce qui bouillonnait d’harmonie dans son âme. L’orgue s’éveillait grand et terrible, semblable aux trompettes du jugement qui seraient venues rompre le calme du vaste édifice. Puis c’étaient des accents douloureux qui venaient à tous les cœurs, des soupirs qui répondaient à d’autres soupirs, ou bien une voix pure, ailée, qui semblait arriver du ciel pour attirer des âmes qui n’appartenaient déjà plus au monde. Cette vie mystérieuse s’usa promptement sous les atteintes du génie. André fut six mois languissant sur un lit de douleur : on n’attendait plus que sa fin, la nuit de Noël arriva. Depuis six mois l’orgue était muet ; quand les moines entrèrent dans l’église, les derniers rayons de la lune se reflétaient sur ses longs tuyaux. Chacun y porta les yeux, puis les rabaissa tristement. Les matines s’étaient chantées sans la belle musique qui chaque année répandait une céleste joie sur la solennité, qui maintenant, sans elle, ressemblait à une cérémonie funéraire. Le prêtre s’avança vers l’autel, tous les yeux se levèrent vers les orgues, ô surprise ! on y aperçoit une lumière, et aussitôt les cent voix du géant font retentir la nef. Jamais tant de richesse et d’harmonie n’avaient été déployées. C’était un concert à la fois plus imposant que les voix des tempêtes, plus doux que les chœurs aériens des vierges : c’était comme un des chants éternels que les séraphins venaient apporter à la terre. Le sacrifice divin avait été suspendu, tout le monastère était muet d’admiration. Tout à coup la magique symphonie s’arrête, une note plaintive retentit encore…, et puis on n’entendit plus rien. Un moine courut aux orgues. La place du clavier était vide ; mais sur le parquet gisait un homme mort : « c’était André qui était venu commencer le dernier cantique ineffable qu’il devait achever au ciel. »

Les bourdons de la cathédrale de Sens

La sonnerie de l’église cathédrale de Sens a, depuis bien des siècles, acquis une célébrité justement méritée par sa merveilleuse harmonie. Qui n’a pas entendu parler de la cloche Marie, qui, dans une journée pleine d’alarmes, sonna d’elle-même pour jeter l’effroi parmi les ennemis et pour les éloigner de la vieille métropole, si l’on en croit une tradition du pays sénonais ? Mais l’histoire plus grave, rapporte que l’évêque Loup, de bienheureuse mémoire, poursuivi par Clotaire II, et redoutant les bandes farouches du roi de Soissons, se rendit à l’église principale de Sens, et fit sonner la cloche Marie pour appeler le peuple et pour l’exhorter à la prière. Saisis de terreur à ce bruit étrange, les ennemis s’enfuirent, « comme si le Dieu des armées combattait pour les fidèles et pour le pasteur. » Peu de temps après, Clotaire s’empara de la ville de Sens et fit enlever la cloche qui lui avait causé tant d’effroi. Mais transportée dans l’enceinte de Paris, l’harmonieuse Marie « resta muette et ne voulut rendre aucun son. » Frappé de ce prodige, Clotaire la rendit au saint prélat dont les vertus lui avaient été si longtemps inconnues. Marie recouvra la voix dès le bourg de Pont-sur-Yonne, et la conserva plus ou moins grave, plus ou moins mélodieuse jusqu’en 1792. Conduite à Paris avec les sept cloches de la Tour-de-Plomb, elle disparut dans cette grande fournaise d’où sortirent les canons qui proclamèrent partout la gloire du nom français.

Vers le milieu du XVIe siècle, longtemps après le départ du célèbre Martin Cambige, de Beauvais, qui poussa les travaux de la cathédrale de Sens avec une activité vraiment prodigieuse, les chanoines résolurent de faire fondre des cloches d’une grosseur considérable. Dès l’année 1557, ils obtinrent la permission « de couper 50 arpents de bois dans la forêt de Rageuse. » Cette vente produisit 10 500 livres tournois destinées à la fonte des bourdons. Le marché fut passé devant Me Cellier, notaire à Sens, le 22 avril 1560, avec Mongyn-Vyard, fondeur, demeurant à Auxerre. Mongyn devait recevoir 450 livres tournois pour la fonte des deux grosses cloches de la tour neuve, et refondre cinq cloches de la grosse tour, « qui n’étoient point d’accord. »

Les deux bourdons furent donc fondus en 1560. Savinienne fut baptisée le 17 octobre, par M. de Challemaison, doyen de la cathédrale. Les parrains furent MM. Christophe d’Illiers, grand-vicaire ; Jean Richer, président du présidial ; Robert Hémard, lieutenant criminel, et le savant Claude Gousté, prévôt de Sens. Les marraines furent Mme Lhuillier, veuve d’Ambroise Lhuillier, lieutenant criminel, et Mme Hodoard, veuve de Jacques Hodoard, avocat du roi. L’inscription suivante fut gravée sur Savinienne :

Anno milleno quingento terque viceno,
Facta sonans Senonis Saviniana fui.
Obscuræ nubis tonitru ventosque repello,
Ploro defunctos, ad sacra quosque voco.
Archiepiscopatum Romæ tenente Pio quarto, regnante
Francisco secundo.
Gaspard Mongin-Viard ma faicte.

Les quatre vers latins furent composés par l’archidiacre de Melun, Guillaume Fauvelet, et traduits par un poète contemporain de cette manière :

Je fus fondue à Sens l’an mil cinq cent soixante ;
Par mon son et le nom du premier saint primat,
La tempête et les vents n’offensent ce climat,
Je semonde à l’office, et les morts je lamente.

Potentienne, fondue le 18 novembre 1560, ne fut baptisée que le 3 janvier, par M. de Challemaison. Les parrains furent MM. Roger de Lure, bailli de Sens ; Christophe Ferrand, lieutenant particulier, et Pierre Guillaume, receveur du domaine. Les marraines furent Mme Cartault et Mesdemoiselles de Beaumoulin et Lhuillier. L’inscription suivante fut gravée sur cette cloche :

Potentiana ego proxima Savinianæ come, fusa mense novembris anno Christi 1560, Pio quarto romano pontifice, régnante Francisco secundo, Joanne Bertrando, romanæ ecclesiæ cardinali, arch. Senon.

+ Gaspard Mongin-Viard ma faicte.

Quelques auteurs rapportent que des vers furent aussi gravés sur la cloche Potentienne, et que le chapitre, qui avait seul fait les frais des deux bourdons, les fit effacer parce qu’ils avaient été mis sans sa permission. Les deux cloches furent montées dans la tour de pierre et placées sur le beffroi construit sous la direction du fabricier. L’appareil en fut établi avec tant d’art, que le minime Féri ne fit retoucher cette charpente qu’en 1760.

Suivant M. Tarbé, Savinienne pèserait 29 milliers, et Potentienne 27. Mais M. Quantin, qui a parcouru les registres de la fabrique de la cathédrale de Sens, prétend que Savinienne ne pèse que 23 674 livres, déduction faite du déchet pour la fonte. La ferrure de cette cloche était de 2 150 livres, et le battant de 475 livres. Potentienne, moins grosse, ne pèse que 21 527 livres ; le poids de sa ferrure et de son battant ne s’élevaient qu’à 1 900 livres. Quoi qu’il en soit, Savinienne n’en est pas moins la cloche la plus parfaite qui ait jamais été fondue, pour l’exactitude des dimensions, la forme élégante et le son harmonieux. Échappés au pillage révolutionnaire, les deux bourdons de la cathédrale de Sens excitent encore l’admiration des voyageurs, et ont obtenu plus d’une fois les honneurs d’une citation. Sans aller à Pékin, à Moscou et à Nankin, où, dit-on, sonnent de merveilleuses cloches, il est permis à Sens de constater toute l’harmonie qui devait s’échapper des clochers et des tours au Moyen Âge, temps heureux où la maison de Dieu était le vrai domicile du peuple !

Histoire du premier cep de la Champagne

C’était vers l’an 1250. La Champagne, qui était alors une des plus considérables provinces de la France, avait pour maître le comte Thibaut, non moins célèbre par ses poétiques écrits que par ses vaillants exploits. Il s’était lié d’amitié avec la reine Alice, souveraine de l’île de Chypre, où il faisait de fréquents voyages.

Durant un de ses séjours dans cette île, il traversait un soir la première cour du palais au moment où l’on allait infliger la peine du fouet à un pauvre esclave dont le crime était d’avoir pénétré la nuit jusque dans les appartements de la reine pour y voir une de ses femmes, avec laquelle s’étaient écoulées les belles années de son enfance.

Le comte eut pitié de ce beau jeune homme ; il demanda d’abord qu’on suspendît l’exécution, et obtint sans peine la grâce du condamné.

Grande fut la reconnaissance du tendre Cypriote ; il l’exprima de son mieux au comte, et fut assez heureux pour pouvoir lui en donner des preuves peu de jours après. Voici dans quelles circonstances :

Thibaut s’endormait dans les délices de l’île de Chypre ; depuis longtemps le vaisseau qui devait le ramener en France était à la voile ; depuis longtemps ses braves compagnons l’attendaient avec impatience ; il ne pouvait se décider à quitter ces bords enchantés. L’heure sonna pourtant où il fallut partir, et la reine voulut assister à son embarquement.

Il montait seul une barque légère richement ornée, et sa suite le précédait dans un autre bateau. Au moment où il s’éloignait de la rive, un choc imprévu fit chavirer la faible barque et précipita le comte dans les flots, sous les yeux de la reine !

Le danger était grand, car Thibaut ne savait pas nager, et de tous ses pages, écuyers, hommes d’armes, qui poussaient des cris et s’agitaient éperdus, pas un ne se présentait pour le sauver, lorsque le jeune esclave s’élança, aussi prompt que l’éclair, plongea et ramena sain et sauf à son navire le comte, au moment où il allait infailliblement périr.

Touché de cette preuve de dévouement et désireux de récompenser dignement celui qui venait de la lui donner, Thibaut voulut emmener avec lui, ce qui lui fut sur-le-champ accordé, le jeune Cypriote, et déjà le vaisseau voguait à pleines voiles vers la côte d’Europe, que le pauvre enfant n’était pas sorti de sa stupeur et n’avait pu faire entendre une prière ou une parole de regret.

Il s’éloigna donc les yeux attachés sur l’île aimée ; la nuit et l’espace avaient jeté entre elle et lui un voile impénétrable qu’il regardait encore. Étaient-ce les rives embaumées et fleuries, les coteaux couverts de bois de rosiers et de jasmins, ou bien la compagne chérie de ses jeunes années qu’il essayait de revoir ?

En France, sous le pâle soleil de nos climats, loin de sa mer d’azur, de son ciel sans nuit, le pauvre Cypriote ne pouvait que souffrir ; malgré les soins affectueux du comte, il mourait d’une mort lente, trop lente au gré de ses désirs.

Un jour que Thibaut se promenait silencieux et rêveur dans les jardins du château de sa ville de Provins, son séjour de prédilection, il trouva son jeune esclave étendu sur le sable de l’avenue et baigné de larmes.

– Qu’as-tu, Saleb, et pourquoi pleures-tu ? lui dit-il avec bonté.

– Oublie ton esclave, maître, oublie-le.

– Ne sais-tu pas que je t’aime, que je veux te voir heureux.

– Le bonheur n’est plus pour Saleb.

– De quoi as-tu à te plaindre ici ? parle, je te l’ordonne !

– Pardonne, maître, Saleb n’est pas ingrat ; il est comblé de tes bienfaits, il te bénit ; mais le bonheur le fuit.

– Ah ! je comprends, tu penses à ton île si belle, à son soleil si radieux ?

– Le soleil que je pleure n’est pas celui qui donne aux fleurs et aux fruits de Chypre leur éclat et leurs parfums, c’est celui qui rayonne dans deux yeux noirs, celui qui éclaire mon âme, qui brûle le sang dans mes veines et fait battre mon cœur.

– C’est vrai, tu aimes, Saleb ?

– Oui, maître.

– Et tu es aimé ?

– Oh ! oui !

– Ne te plains pas, alors, car tu es favorisé de Dieu, qui accorde souvent à l’esclave ce qu’il refuse quelquefois au maître.

– Mais sans Léa, Saleb mourra.

– Oui, tu as raison, Saleb doit mourir, car il est aimé.

– Pardonne donc au pauvre Saleb, seigneur, et laisse-le mourir.

– Mais si je permets à Saleb de retourner dans sa patrie, d’aller revoir sa compagne Léa, qui pleure peut-être aussi là-bas et veut mourir aussi ?

– Revoir Léa, la ramener sous ton soleil, pour vivre tous deux près de toi ! mais c’est plus de bonheur que n’en promet à ses enfants le grand Dieu que tu m’as fait connaître. Cela se peut-il ? cela se peut-il ? Ne te joues-tu pas de ton pauvre esclave ?

Et, ce disant, il se jetait aux pieds du comte et embrassait ses genoux.

Le comte Thibaut aimait le jeune Cypriote ; et en outre qu’il avait gardé un fidèle souvenir de son dévouement, il sympathisait aux douleurs du pauvre esclave. Dès le lendemain donc il rendait la liberté à Saleb, qui partait ivre d’espoir et de bonheur, jurant à son maître de revenir avec Léa pour lui consacrer le reste de leurs jours.

De longs mois s’écoulèrent, deux années et plus se passèrent, et Saleb ne revenait point. Le comte s’était résigné à cet abandon ; il excusait même dans son cœur Saleb d’avoir mis en oubli ses serments et de l’avoir sacrifié à Léa, lorsqu’un matin on vint lui annoncer l’arrivée de son esclave et de sa compagne. Ce fut avec un empressement joyeux qu’il donna l’ordre de les introduire près de lui.

Lorsque le jeune et beau couple eut, dans ce langage ardent et figuré de l’Orient, exprimé au comte sa gratitude :

– Maître bien-aimé, dit Saleb, après des jours aussi nombreux que les étoiles du ciel, les enfants des hommes parleront encore de ta vaillance et rediront les doux chants que le grand Dieu t’inspire et qui coulent de tes lèvres comme un ruisseau de perles ; et pourtant, Léa et Saleb, afin de reconnaître tes bienfaits, t’apportent des présents à l’aide desquels tu deviendras plus célèbre encore que par tes chants si beaux, plus immortel que par tes exploits si glorieux.

– Mon doux seigneur, dit Léa en s’agenouillant, ton humble esclave t’apporte la rose, la fleur aux parfums sans pareils ; transportée des bois de notre île chérie dans tes jardins, elle te fera bénir de toutes celles qui viendront lui demander l’éclat de la santé et des attraits nouveaux.

– Moi, bon et noble maître, dit Saleb, je t’offre un pied de l’arbre sans prix, qui donne cette liqueur merveilleuse qui réjouit le cœur. Avec ce seul pied tu pourras féconder les montagnes de ta patrie, qui acquerront une si grande renommée, que tous les peuples du monde s’en disputeront un jour les délicieux produits.

Et le comte accueillit les présents de ses deux esclaves ; et la rose de Chypre embauma bientôt les jardins de son palais de Provins, d’où elle se répandit dans toute la contrée, dont elle fut plus tard et est aujourd’hui encore la richesse.

Quant au cep de vigne, par une vertu particulière au sol dans lequel il fut planté, il prospéra et se multiplia prodigieusement, grâce à une culture habile et à d’augustes encouragements.

Un siècle plus tard, les coteaux incultes et infertiles jusque-là de la Champagne se convertissaient en riches cépages, à qui nous devons ce vin que l’industrie moderne a si merveilleusement perfectionné pour les délices de nos tables et la joie de nos banquets.

Et tandis que l’île de Chypre, soumise aux lois du Coran, qui défend l’usage du vin, négligeait cette précieuse culture, la Champagne, qui pratiquait la vénérable maxime : Vinum bonum lætificat cor hominis, devenait une des gloires œnologiques de la France, et finissait par rendre tous les peuples ses heureux tributaires.

Les fous de Troyes à la Cour des Rois de France

L’auteur des Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Beaux-Arts, établie dans la vieille capitale de la Champagne, cite un passage des Récréations historiques de M. Dreux du Radier, qui prouve que Troyes avait l’honneur de pourvoir de bonne heure la cour de France de ces fous qui, portant marotte, n’en donnaient pas moins des leçons de sagesse aux rois et à leurs courtisans. Suivant M. Dreux, Troyes aurait encore possédé dans ses archives, au XVIIIe siècle, une lettre de Charles V, par laquelle ce monarque annonçait gravement à sa bonne cité la mort de son fou, et priait les notables « de lui en envoyer un autre, suivant la coutume. » Grosley, « qui s’enfonça dans la poussière des archives de l’Hôtel-de-Ville pour découvrir la lettre de Charles V, mit d’abord cette lettre et le récit de M. Dreux au rang de ces anecdotes inconsidérées que de mauvais plaisants font courir sur le compte des honnêtes champenois. » Mais lorsqu’il vit cette maudite lettre insérée dans le Journal Encyclopédique, le bonhomme, écrasé par l’autorité de ses rédacteurs, n’en dormit pas. Courant tous les cabinets des savants, frappant à la porte de tous les antiquaires, il demande l’exhibition de la lettre, et finit par en souhaiter l’existence, « parce qu’elle déposerait singulièrement en faveur de l’ingénuité, de la candeur et de la franchise de ses pères. » Prouvant ensuite que ces fous jouaient exactement le rôle du sage Ésope à la cour de Crésus, du divin Platon à celle de Denis, il en trouve un dans la personne de Pierre de Villiers, simple dominicain, qui devint successivement confesseur du roi Charles et évêque de Troyes.

Je n’ai point découvert la lettre du monarque, mais prétendre que Pierre de Villiers jouait le rôle de fou, n’est-ce pas là une de ces mille témérités historiques qui nous accusent dans Grosley cette funeste démangeaison de tout exploiter. S’il avait visité l’église de St-Germain-l’Auxerrois, il aurait vu la tombe du fou dont le roi Charles V déplora le trépas, et pour les obsèques duquel il donna bien généreusement douze livres de cire, dont la quittance se trouve dans les comptes de la maison de ce prince. Cet officier burlesque, inhumé sous un magnifique mausolée, s’appelait Grand-Jehan, de Troyes.

Courtalon-Delaistre, contemporain de Grosley, mais plus poli, répondit à M. Dreux du Radier sans nier l’existence de la lettre :

Du Radier, ne sois plus étonné qu’autrefois,
La première cité d’une grande province
Ait envoyé des fous pour réjouir un prince ;
Nous nous faisons honneur d’être fous de nos rois.

M. Dreux du Radier répondit :

Esprit charmant, aimable champenois,
Pour l’honneur de votre province,
Vous étendez trop loin vos droits.
Seuls vous pouviez jadis donner des fous aux rois ;
Ce privilège n’est pas mince ;
Mais adorer son maître, être fou de son prince,
C’est le droit de tout cœur françois.

Le journal l’Aube a publié la lettre de Charles-le-Sage, qui préoccupa si longtemps les érudits de Troyes ; nous la reproduisons textuellement, parce qu’il est probable que Charles V dût écrire à sa bonne ville la mort de son fou et lui en demander de cette famille, attendu que les dépenses considérables faites aux obsèques de ce pauvre Grand-Jehan, prouvent qu’il remplissait dignement sa fonction :

« Charles, par la grâce de Dieu, roy de France, à leurs seigneuries les maires et échevins de nostre bonne cité de Troyes, salut et dilection.

Savoir faisons à leurs dessus dictes seigneuries, que Thevenin, nostre fol de cour, vient de trespasser de celluy monde dedans l’aultre. Le Seigneur Dieu veuille avoir en gré l’âme de luy qui oncques ne faillit en sa charge et fonction emprès nostre royale seigneurie, et mesmement ne voulsit trespasser sans faire quelque joyeuseté et gentille farce de son métier. Pourquoi nous avons ordonné que luy seroit dressé marbre funéraire représentant le dict sire avec une épitaphe condigne.

Ores, comme par le trespassement d’icelluy, la charge de fol en nostre maison est de faict vacquante, avons ordonné et ordonnons aux bourgeois et villains de nostre bonne ville de Troyes, qu’ils veuillent pour droict à nous acquis déjà depuis longues années, nous bailler un fol de leur cité pour recréer nostre majesté et les seigneurs de nostre palais.

Ce faisant feront droict à nos royaulx privilèges, et pour récompenses seront les dicts bourgeois et villains à tout jamais nos féaux et amés subjects. Ce tout, sans délais ni surcis aulcuns ; car voulons que la dicte charge ne reste un plus longtemps vacquante.

En nostre palais de Paris, le XIV janvier de l’an de l’Incarnation MCCCLXXII. »

Le bibliophile Jacob, dont les savantes recherches nous ont révélé les vieux usages du royaume de France, prétend que les fous à la répartie vive, mordante et spirituelle, étaient appelés morosophes ou fous-sages. Ces hommes, vraiment singuliers, étaient choisis surtout parmi les nains, les bossus, les nègres et les plus grotesques variations de l’espèce humaine. L’histoire, qui a daigné s’occuper des cartes de Charles VI, n’a pas écrit les fastes des fous. On connaît seulement les noms de Thevenin et de Grand-Jean, sous Charles V ; de Caillette et de Triboulet, sous Louis XII et François Ier ; de Polite et de Brusquet, sous Henri II, François II et Charles IX ; de Sibilot, sous Henri III ; de maître Guillaume et de Chicot, sous Henri IV ; d’Angoulevent et de l’Angely, sous Louis XIII et Louis XIV.

Nul ne les aima plus que Charles-le-Sage, qui en avait fait ses plus privés, et qui se réjouissait de paroles joyeuses et honnestes. Thevenin fut enterré dans l’église de Saint-Maurice, à Senlis, dans un magnifique tombeau, avec cette inscription :

« Ci gyt Thevenin de Saint-Legier

fol du roi nostre sire,

qui trespassa le onziesme jour de juillet,

l’an de grâce MCCCLXXIV.

Priez Dieu pour l’âme de ly. »

Les fous en titre d’office étaient alors au nombre des officiers de toute maison princière. Jean, duc de Berry, frère du roi, qui mourut en 1416, fut accompagné à ses obsèques par ses fous vêtus de deuil.

Le petit Charrié, De Charleville, et l’empereur Alexandre

Le corps d’armée prussien devait être passé en revue par les empereurs de Russie, d’Autriche et le roi de Prusse. Les habitants de Sedan, de Charleville et de Mézières accouraient de tous côtés : c’était surtout Alexandre que chacun voulait voir.

Un enfant de Charleville, âgé de onze ans, d’une charmante physionomie, avait déjà fait deux lieues en courant sur la route de Mézières à Rethel, pour voir les équipages. Exténué de fatigue, et n’apercevant sur la route que quelques voyageurs sans distinction, il résolut de retourner chez ses parents. Il monte derrière la première voiture qu’il rencontre et qui se dirigeait vers Mézières. C’était un coupé découvert, dans lequel étaient deux individus de très simple apparence.

Il était tranquillement assis, lorsqu’un des voyageurs lui adressa subitement la parole :

– Que fais-tu là ?

– Rien, monsieur ; vous le voyez, je retourne à Charleville.

– Qui donc t’a permis de monter là ?

– Personne, monsieur, et pour peu que cela vous gêne, vous n’avez qu’à le dire, je vais descendre ; je suis monté derrière votre voiture, parce que je suis fatigué. J’ai beaucoup couru pour être un des premiers à voir l’empereur Alexandre ; mais, puisqu’il ne vient pas, je retourne à la maison.

– Tu serais donc bien content de voir l’empereur de Russie ?

– Je crois bien : on dit que c’est un si bel homme !

– Tu n’as qu’à monter sur le siège de la voiture, et tu verras l’empereur beaucoup plus à ton aise, lorsqu’il arrivera.

– Je vous remercie bien, monsieur.

– Qui es-tu ? lui dit l’un des inconnus, lorsque l’enfant se fut établi dans son nouveau poste.

– Je m’appelle Joseph Charrié, mon père est maître maçon et demeure à Charleville.

– Et tu fais ainsi deux ou trois lieues pour voir l’empereur Alexandre ?

– J’en aurais bien fait davantage ; mais je n’en pouvais plus, parce que, voulant être un des premiers à le voir, j’ai beaucoup couru.

Le voyageur riait.

– Est-ce que par hasard vous seriez Alexandre ? dit tout à coup le bonhomme.

– Et quand ce serait moi, que t’importe ?

– Bah ! jamais mes camarades ne voudront croire que j’ai parlé à un empereur.

– Pour leur prouver que tu lui as parlé, tu n’as qu’à rester sur ce siège ; lorsque nous arriverons à Mézières, tu verras qui je suis.

– Je vous remercie bien, monsieur Alexandre.

– Veux-tu venir avec moi à Sedan ?

– Je ne demande pas mieux, monsieur Alexandre ; mais je ne veux pas y aller sans la permission de mon père, il serait trop inquiet.

C’était effectivement l’empereur de Russie qui voyageait ainsi dans un simple coupé, ayant à son côté son frère Constantin. Arrivé à Mézières, où les deux princes ne s’arrêtèrent point, l’empereur fit écrire, par le prince Woronzoff, ce peu de mots :

« Je prie le maçon Charrié de ne point être inquiet sur le sort de son fils : je l’emmène avec moi à Sedan ; je le lui ramènerai après la revue. J’en aurai soin.

ALEXANDRE. »

L’enfant ne descendit point du siège où il se tenait comme un triomphateur, et, en parcourant la distance de quatre lieues de Mézières à Sedan, l’empereur ne cessa de causer avec lui sur l’état de son père et sur les lieux où il prenait les matériaux pour bâtir. Le petit bonhomme lui répondait toujours avec brièveté et autant que ses faibles moyens pouvaient le permettre.

– Quelle heure est-il ? lui dit l’empereur en descendant de voiture à Sedan.

– Je n’en sais rien, monsieur.

– Tu n’as donc pas de montre ?

– Non, monsieur.

– Voilà six pièces d’or, vas acheter une montre, et tu m’attendras dans cette maison où je loge. Demain, tu te trouveras tout prêt pour que je puisse te ramener à ton père.

L’empereur donna ses ordres et s’occupa d’autres choses.

Le jeune Charrié se hâta de satisfaire les désirs du donateur, et acheta une grosse montre d’argent avec une longue chaîne. Fier d’une si élégante parure, il faisait flotter jusque sur ses genoux ses charmantes breloques, en se promenant dans les rues de Sedan.

Au bout de deux jours, l’empereur quitta Sedan pour s’en retourner dans ses états, en passant par Mézières et Paris. Le petit Charrié se plaça sur le siège de la voiture, pour retourner à son tour dans sa famille. La conversation s’établit de nouveau entre le grand autocrate et le fils du maçon de Charleville.

– Veux-tu venir avec moi en Russie ? dit l’empereur au petit bonhomme.

– Je ne demande pas mieux, M. Alexandre ; mais je ne voudrais pas partir sans la permission de mon père.

– Eh bien ! en passant par Mézières, je vais la lui demander, et si tu veux, tu ne me quitteras pas.

– J’irai où vous voudrez, M. Alexandre.

Pendant deux lieues et demie, la conversation ne tarit pas. À une demi-lieue de Mézières, l’enfant aperçoit son père au milieu d’un groupe d’artisans.

– Tenez, M. Alexandre, voilà mon père là-bas : c’est celui qui a une longue lévite bleue ; si vous voulez lui parler, il faudrait faire arrêter la voiture.

L’empereur suit le conseil qui lui était donné par un si grand personnage, et fait avancer le maçon Charrié.

– Votre fils me plaît beaucoup, M. Charrié, voulez-vous me le confier ? Il viendra en Russie avec moi, j’aurai soin de son éducation.

– Mon prince, lui dit le maçon, je n’ai que cet enfant.

– Je vous le renverrai dans quelques années, vous pouvez l’abandonner à mes soins paternels.

– Je ne puis y consentir ; cet enfant est la consolation de sa mère, et je ne puis me séparer de lui.

– Je suis un honnête homme, monsieur Charrié, et je ne promets rien en vain.

– Je conviens de tout cela, mais…

– Vous avez tort, monsieur Charrié, dit le prince Constantin, qui était à côté de son frère, l’empereur ne veut que le bonheur de votre fils.

– Je suis peiné d’être forcé de vous refuser, mais je ne puis me déterminer à me séparer de mon fils unique.

– J’en suis fâché pour votre fils, dit l’empereur.

Aussitôt l’enfant descend de son poste élevé et se met à pleurer.

– Adieu ! monsieur Alexandre, portez-vous bien, je… je suis bien fâché de ne pas aller en Russie avec vous.

Les deux princes lui donnèrent une vingtaine de pièces d’or et continuèrent leur route.

Arrivé chez lui, l’enfant raconta tout ce qui s’était passé, en présence d’une vingtaine de commères du quartier. À la fin du récit, toutes les réprimandes tombèrent sur le pauvre maçon et sur la sottise qu’il avait faite de se refuser au bonheur de cet enfant. Voilà le bon maçon tout honteux de sa gaucherie et qui, pour la réparer, prend la poste avec son fils. L’empereur le reçoit fort bien à Soissons, mais le premier élan de la générosité avait été froissé par un refus trop sec de la part du maçon.

– Je ne fais que traverser Paris, lui dit le prince, je ne m’arrêterai nulle part avant d’arriver dans mes états ; allez m’attendre à Aix-la-Chapelle, où je serai après demain, et là je verrai ce que je déciderai.

M. le maçon Charrié ne jugea point à propos de faire le voyage d’Aix-la-Chapelle, il retourna tranquillement chez lui, et son fils apprit à bâtir des maisons.

Le jubé de Sainte-Madeleine de Troyes

La plupart des églises de Troyes étaient autrefois décorées de tribunes ou jubés, construits à différentes époques, et presque tous remarquables par la richesse des ornements ou l’élégance de leur structure. Le plus ancien de ces jubés était celui de la cathédrale, commencé par l’ordre de l’évêque Pierre d’Arcyes, en 1385, et achevé quinze ans après, sous la conduite de Henri Nardan, maçon, demeurant à Paris. Les révolutions et surtout le bon goût ont détruit ces admirables tribunes, ou plutôt ont déchiré le voile mystérieux qui dérobait le sanctuaire aux regards des fidèles. De tant de jubés détruits, un seul, le plus riche de tous, est resté debout : celui de l’église Sainte-Madeleine. Menacé plusieurs fois d’une ruine complète, il a traversé trois siècles et porte encore les légères blessures que lui a faites la main des hommes.

Chacune de ses deux faces se compose de trois arcs ou archivoltes ornées de moulures et de festons à jour, dont les courbes sont réunies par des pommes de pin. La retombée des arcs se termine par des doubles culs-de-lampe dont les plus saillants portaient jadis des statues, parmi lesquelles on voyait saint Longin, tenant la lance, et des anges tenant les autres instruments de la passion. Les clochetons ornés de fleurons et découpés à jour, dans l’intervalle des archivoltes, abritaient ces statues.

Entre les clochetons, sur chaque arc, se détache un cadre à plusieurs pans, rempli par de petites figures de saints en bas-relief ; le champ, autour des cadres, est occupé par diverses fleurs et feuilles d’ornement. Au-dessus règne la galerie entièrement découpée à jour, dont la forme élégante suffit pour faire connaître l’âge du monument. Des quatre statues qui accompagnaient autrefois le Christ placé sur la galerie, deux seulement sont restées, celle de la Vierge et celle de saint Jean l’évangéliste.

Des notes conservées aux archives de l’Aube, et recueillies par un marguillier de Sainte-Madeleine, nous apprennent que la construction de ce jubé ne fut commencée qu’en 1508. Le maître-maçon qui présidait aux travaux s’appelait Jean Gailde. Son salaire quotidien ne s’élève pas au-delà de 6 sous 3 deniers ; 18 deniers lui sont retranchés « pendant les petits jours, à cause de lui fournir des chandelles pour ouvrer et le charbon pour le chauffer. » Sous ses ordres travaillent François Matray, Martin de Vaux, Jacques Brisset, Nicolas Mauvoisin et Jean Courtin. Les soudures sont de plomb ; la poix blanche, l’encens et la cire vierge entrent dans la composition du mastic. Jean Gailde choisit lui-même les ouvriers, dirige l’œuvre et vérifie les comptes de l’épicier, des charretiers et de ses serviteurs. La pierre de Tonnerre, vendue par Antoine Roy et par Étienne, son frère, coûte 16 deniers le pied ; le foretaige d’un bloc de 21 sous coûte la même somme. Pour animer au travail, la fabrique donne des collations composées de pain, de vin et de gâteaux de flan. Les prêtres, les maçons, les manouvriers et quelques paroissiens y prennent part ; tous aident à monter ou à décharger les pierres. L’an 1512, les marguilliers parcourent les rues de la paroisse et font une quête pour subvenir aux dépenses du jubé. Les tonneliers « promettent des vessieaux. » De nouveaux ouvriers sont appelés, les travaux sont poussés avec une si prodigieuse activité, que Louis Lamy chante, la veille de Noël, sur le jubé « nouvellement lié, l’Évangile appelé la grande leçon, » et donne la somme de 10 sous. Trois années sont employées à construire les escaliers élégants qui servent de piliers butants à cette partie de la voûte. Jean Gailde taille lui-même tous les ornements, en retouche les vifs et les époussète. Simon Mauroy fait les écussons et les armoiries du jubé, tandis que Nicolas Halevin sculpte les ymaiges. L’inauguration de cet admirable chef-d’œuvre est faite le jour de Noël de l’an 1517. Deux ans après, Jean Gailde est enseveli sous le jubé, attendant tranquillement, dit son épitaphe, le jour de la consommation des siècles, sans crainte d’être écrasé.

La tombe de cet artiste, que les voyageurs pouvaient encore voir au XVIIIe siècle, a complètement disparu. Mais son œuvre est restée comme un pieux legs fait à la postérité par les paroissiens de l’église Sainte-Madeleine, et comme un des plus beaux morceaux de l’architecture religieuse.

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