Les Amours de village - Émile Richebourg - E-Book

Les Amours de village E-Book

Émile Richebourg

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Beschreibung

Un recueil de nouvelles qui puisent leur inspiration, comme le titre l'indique, dans les amours villageoises.

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littérature française, Classique, romance, nouvelles, Amour de village

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Les Amours de village

Les Amours de villageDEUX AMISPÉCHÉ D’ORGUEILJUSTIN JUSTINEMARCELLE LA MIGNONNETTELA FILLE DU FERMIERLES VIOLETTES BLANCHESLA JOUE BRÛLÉEPage de copyright

Les Amours de village

 Émile Richebourg

DEUX AMIS

I

Ils se nommaient Étienne et Jacques.

Ils étaient nés la même année, à Essex, petit village d’un de nos départements de l’Est.

Jacques était le fils d’un riche fermier. Le père d’Étienne, un pauvre journalier, usait toute la force de ses bras, toute la sueur de son corps pour donner du pain à sa femme et à ses cinq enfants. Il est à remarquer que ce sont généralement les plus pauvres qui ont une plus nombreuse famille.

En été, aux jours de la fenaison, Radoux, le père d’Étienne, fauchait à lui seul la moitié des prairies du fermier Pérard. Il était aussi le premier parmi les travailleurs, quand venait l’heure de couper les blés et les avoines. En hiver, – en ce temps-là les machines à battre étaient encore très rares – Radoux devenait batteur en grange ; de mémoire de paysan, jamais à Essex, avant Radoux un fléau n’avait frappé autant de gerbes et d’épis dans une journée. Aussi le manœuvre ne manquait jamais d’ouvrage. Il le fallait, d’ailleurs, car cinq enfants à nourrir était une rude tâche.

Mais Radoux voyait grandir Étienne, son aîné, et il se disait avec un sourire heureux :

– Dans quelques années mon gros gars sera déjà assez fort pour manier la faucille et égrener une gerbe.

Étienne promettait, en effet, de devenir aussi fort, aussi robuste que son père. Le jeune sauvageon n’attendait que la greffe pour donner de bons fruits. À défaut de l’instruction, qu’il ne pouvait recevoir, les conseils de ses parents et une extrême sensibilité devaient développer les bons germes qui étaient en lui.

Un jour de fête de Pâques, les enfants, réunis sur la petite place du village, faisaient rouler des œufs teints de diverses couleurs. Tout à coup, une querelle s’éleva entre Jacques, le fils de M. Pérard, et Étienne Radoux. Ils avaient alors dix ans.

Jacques était un enfant faible et délicat, mais hargneux et agaçant comme certains petits roquets qui aboient dans les jambes des passants et se lancent sur les molosses pour essayer de leur mordre les jarrets. Il savait son père riche, il était mieux vêtu que ses camarades : cela le rendait fier, dédaigneux, insolent, et lui faisait prendre vis-à-vis de ceux-ci un grand air d’importance. Déplaisant et insupportable, il froissait ses jeunes compagnons et s’attirait des inimitiés nombreuses.

Ce jour-là, il portait pour la première fois un joli vêtement de velours bleu, sur lequel scintillaient de magnifiques boutons de cuivre doré.

La dispute, comme toutes les querelles d’enfants, allait se terminer par la reprise du jeu, lorsque Jacques, comparant son superbe costume aux pauvres vêtements d’Étienne, lui dit méchamment et avec mépris, en le regardant des pieds à la tête :

– Tu devrais aller te cacher, avec ton pantalon rapiécé et ta veste crasseuse ! Va-t’en donc, mendiant !

Les yeux d’Étienne s’enflammèrent de colère. Encouragé par ses camarades, qui l’approuvaient de la voix et du geste, il marcha sur Jacques le poing levé. Ce dernier recula prudemment. D’un bond, Étienne aurait pu l’atteindre et le renverser ; mais il avait une autre intention ; l’idée d’une vengeance cruelle venait de passer dans sa tête. Il le poussa jusqu’au bord d’une mare où croupissait une eau fangeuse. Alors un sourire singulier crispa ses lèvres ; il s’élança sur Jacques et, d’un coup d’épaule, le jeta dans la mare.

Tous les gamins applaudirent.

Aux cris poussés par la victime, qui se débattait dans la fange, un homme accourut. Il se pencha sur l’eau, saisit Jacques au collet, l’enleva comme une plume et le remit à terre sur ses deux pieds. Cet homme était le père d’Étienne.

Sans adresser une parole à son fils, il le prit par la main et l’entraîna rapidement vers sa demeure, pendant que Jacques, honteux et désolé, regardait piteusement ses beaux habits souillés de boue.

– Assieds-toi là, dit Radoux à son fils dès qu’ils furent rentrés au logis, en lui indiquant un escabeau.

L’enfant obéit. Il tremblait de tous ses membres. Le calme de son père l’effrayait ; il pressentait quelque chose de terrible. Voulant essayer de se justifier :

– Mon père, balbutia-t-il, laissez-moi vous raconter…

– C’est inutile. Tout ce que tu pourrais me dire, je le sais. Maintenant, écoute-moi.

II

Radoux était pâle ; il prit une chaise et s’assit en face de son fils. Sa femme était sortie avec les autres enfants, ce qui ne contribuait pas à rassurer Étienne. De grosses larmes roulaient de ses yeux.

– Mon père, s’écria-t-il, j’ai été méchant aujourd’hui, mais je ne le serai plus, je vous le promets ! Ne me battez pas !

Ces derniers mots de l’enfant firent tressaillir le père, et il devint plus pâle encore.

– T’ai-je donc jamais frappé ? dit-il d’une voix étrange. M’as-tu vu une seule fois lever la main sur toi ou sur tes frères ?

– Oh ! non, mon père, jamais !

– Dieu n’a pas donné à l’homme la force pour qu’il s’en serve brutalement, reprit Radoux. Tu viens de commettre une mauvaise action, Étienne ; oui, tu as été méchant ; mais avant de te faire des reproches, je veux savoir si tu as du cœur. Fais bien attention à ce que je vais te dire.

« Un jour, il y a de cela un peu plus de dix ans, je conduisais ta mère à la fête d’un village voisin. Elle était à mon bras, un jeune homme osa l’insulter. J’ai su plus tard qu’il croyait s’adresser à une autre personne. Son erreur nous fut fatale. Il n’avait pas fini de parler que déjà emporté par la colère, je l’avais frappé violemment. Il tomba à mes pieds comme une masse.

» Le lendemain, le malheureux était à l’agonie et moi… en prison !

» Comprends-tu, Étienne ? Pour venger ta mère outragée, j’avais tué un de mes semblables ! Je fus emmené par les gendarmes, j’avais mérité mon sort.

» On était à la veille de l’hiver, et l’année avait été mauvaise. Ta mère restait seule, désespérée, sans bois, sans pain, sans argent et incapable de travailler. Tu allais venir au monde…

» Dieu seul a connu ma douleur et a vu toutes les larmes que j’ai versées dans mon cachot. Il m’a entendu maudire la force qu’il m’a donnée, et c’est à genoux, les mains jointes, que j’ai juré alors de ne plus me servir de cette force funeste autrement que pour le travail. En quelques jours, j’ai souffert toutes les tortures de l’âme et du cœur.

» – Ma pauvre Marie, me disais-je, que va-t-elle devenir ?

» Cette seule pensée me rendait comme fou. Je poussais des cris épouvantables et je me démenais si fort, entre les quatre murs de ma cellule, qu’on crut devoir me lier avec des cordes pour m’empêcher d’attenter à ma vie.

» J’avais bien raison de me désoler en pensant à ta pauvre mère. L’hiver arriva, et un matin, toutes ses ressources épuisées, elle resta dans son lit ; elle se sentait trop faible pour se lever. Alors elle dit :

» – Ce soir ou demain je serai morte !

» Ce même jour, une jeune femme, ou plutôt un ange, entra dans notre pauvre demeure. Je dis un ange, car, arrivant à la dernière heure, elle était bien l’envoyée du bon dieu. Elle vit la mourante pâle, maigre, glacée et comprit tout.

» Une heure après, un grand feu pétillait dans la cheminée, et deux valets de ferme apportaient d’énormes paniers pleins de provisions. La mort, qui déjà frappait à la porte, s’en alla. Ta mère était sauvée ! »

Étienne écoutait le récit de son père avec une émotion croissante.

– L’excellente femme dont je viens de te parler, poursuivit Radoux, allait bientôt devenir mère, elle aussi. Or, pour un petit enfant qui va naître, on prépare des langes, de petits bonnets, de petites chemises… tout est petit pour un bébé mignon. Ici, ta mère n’avait pu faire aucun apprêt pour te recevoir ; mais à la ferme, sans rien lui dire, on confectionnait deux layettes, comme si on eut attendu deux jumeaux.

» Le jour de ta naissance, ta mère pleura de surprise et de reconnaissance en te voyant couché sur de beaux langes fins, doux et blancs, marqués à son nom. Mais elle avait tant souffert depuis trois mois, ta pauvre mère, que, lorsqu’elle voulut te donner le sein, elle s’aperçut avec terreur qu’elle n’avait pas de lait. Et la sage-femme, qui te trouvait malingre et chétif, comprit que tu ne pourrais pas vivre. Elle eut bien soin de ne pas parler de ses craintes à ta mère, cela aurait pu la tuer du coup, mais elle le dit tout bas à quelques voisines.

» Il y en a qui répondirent :

» – Ma foi ! ce serait un bonheur pour la mère.

» Comme si les plus pauvres et les plus malheureux n’avaient pas le droit de conserver l’enfant que Dieu leur a donné !

» La fermière ne pensa pas ainsi, elle. Son fils était né depuis quinze jours ; pendant qu’il dormait dans son berceau, elle accourut ici, elle te prit dans ses bras, te couvrit de baisers, et, pendant que ta mère pleurait, elle te présenta son sein, que tu saisis avidement. Alors elle dit :

» – Marie, si vous le voulez, votre enfant partagera avec le mien. Je viendrai ici dans la journée autant de fois qu’il le faudra, le soir je l’emporterai à la ferme et nos deux enfants dormiront près de moi, dans le même berceau.

» La chose se fit ainsi, et pendant trois mois la bonne fermière t’a nourri de son lait, et si bien, que tu grandissais et devenais fort à vue d’œil. Après ce temps, ta mère, qui avait recouvré sa santé, t’éleva au biberon ; presque tout de suite, d’ailleurs, tu te mis à manger de la soupe comme un petit homme.

» Quant à moi, après trois mois de prison préventive, on m’avait fait passer en cour d’assises ; à l’unanimité des voix du jury j’avais été acquitté et j’étais revenu près de ta mère. Les certificats et les bons témoignages ne m’avaient pas fait défaut ; tous les villages du canton, où j’étais bien connu, s’unirent pour me sauver. D’abord j’avais eu grand’peur de la cour d’assises, mais on me dit :

» – En police correctionnelle, vous seriez condamné à la prison ; mais le jury vous acquittera.

» C’était la vérité.

» Maintenant, Étienne, tu as déjà deviné, sans doute, que c’est madame Pérard qui a été autrefois si bonne pour ta mère et pour nous tous, et que c’est à côté de son fils que tu as dormi toutes les nuits pendant trois mois. »

L’enfant, qui s’était contenu jusque-là pour ne pas interrompre son père, éclata tout à coup en sanglots.

– Papa, dit-il, je ne savais pas toutes ces choses, et je me repens bien de ce que j’ai fait.

– Comment t’y prendras-tu pour le faire oublier par madame Pérard ? demanda le père.

– Je ne le sais pas encore ; mais, à partir d’aujourd’hui, Jacques sera mon meilleur camarade. Souvent les grands et les plus forts que lui le battent : je prendrai sa défense, et comme ils savent tous que je n’ai pas peur, ils n’oseront plus l’attaquer.

– C’est déjà bien, fit Radoux ; mais ne sens-tu pas qu’il y a immédiatement quelque chose à dire ou à faire ?

Étienne regarda son père en ouvrant de grands yeux. Puis, soudain, il se leva et dit en pleurant :

– Je vais demander pardon à madame Pérard.

– À la bonne heure ! reprit Radoux ; voilà ce que j’attendais.

Et tout bas, en se parlant à lui-même :

– La leçon a été bonne, Étienne a du cœur.

Quand l’enfant arriva à la ferme, il trouva madame Pérard aidant Jacques à changer de vêtements.

– Madame Pérard, lui dit-il, c’est moi qui ai fait tomber Jacques dans la mare : je viens vous demander pardon à tous les deux. Quand j’étais tout petit, continua-t-il en se mettant à genoux, vous m’avez habillé, nourri et peut-être empêché de mourir… Mon père vient de me dire cela. Pendant trois mois, j’ai dormi avec Jacques dans le même berceau ; maintenant que je le sais, je ne l’oublierai jamais… Pardonnez-moi, madame Pérard, pardonne-moi aussi, jacques, je t’aime et t’aimerai toujours comme un frère.

– Ah ! Étienne ! s’écria madame Pérard avec attendrissement, tu ne sais pas combien tu me rends heureuse. Tout à l’heure j’ai pleuré quand j’ai su que c’était toi qui avais maltraité mon fils, toi, Étienne, dont j’ai tenu la petite tête sur ma poitrine, à côté de celle de Jacques !

Elle le prit par la main, l’aida à se relever et l’attira dans ses bras.

– Viens aussi, Jacques, reprit-elle, que je vous tienne encore une fois tous les deux près de mon cœur !

Les deux enfants s’embrassèrent ; puis, pendant que Jacques mettait un baiser sur une joue de sa mère, sur l’autre Étienne appuyait ses lèvres.

III

Ce fut une amitié vive et profonde, et pour mieux dire, fraternelle, qui unit Jacques et Étienne. On les voyait presque toujours ensemble, si bien qu’à Essex on finit par les appeler les jumeaux.

Pour ne pas faire de peine à Étienne, Jacques perdit peu à peu sa fierté hautaine et dédaigneuse et devint meilleur. Il oublia que son père était le plus riche du pays et s’habitua à considérer ses camarades, moins favorisés que lui sous le rapport de la fortune, comme étant absolument ses égaux. En cessant d’être orgueilleux, il perdit les défauts qui l’avaient fait haïr et acquit des qualités qui lui valurent de nombreux amis.

Madame Pérard ne cherchait pas à cacher le bonheur qu’elle éprouvait.

– Étienne disait-elle souvent, a fait plus pour l’éducation de mon fils que moi-même. Jacques doit à cette amitié si sûre et si dévouée ce que ma tendresse trop aveugle n’aurait pu lui donner.

À quatorze ans, Jacques fut placé au collège afin de compléter son instruction. M. Pérard, n’ayant pas d’autre ambition que celle de faire de son fils un agriculteur, n’avait pas voulu entendre parler du lycée et des études classiques.

– Jacques, avait-il dit, cultivera la terre comme son père et son aïeul. Aussi bien qu’un médecin, un avocat ou un notaire, un bon cultivateur rend des services à son pays. Je veux que mon fils soit un homme suffisamment instruit ; mais je n’ai pas besoin d’en faire un savant de profession.

Les deux amis furent forcément séparés pendant trois ans ; mais on se retrouvait aux vacances. Du reste, Étienne commençait à travailler avec son père, et le travail lui rendit moins pénible la séparation.

Enfin, Jacques revint à Essex pour ne plus le quitter, et, dès l’année suivante, son père lui confia une partie de la direction de l’exploitation de la ferme. Le jeune homme eut dans Étienne un auxiliaire des plus actifs. S’il n’y avait qu’un maître, il y eut deux bras déjà forts pour l’ouvrage et deux yeux de plus pour surveiller les ouvriers et tout voir.

L’âge de vingt ans arriva. Il fallut satisfaire à la loi du recrutement. Les deux amis tirèrent de l’urne chacun un mauvais numéro. Ce n’était rien pour M. Pérard, qui pouvait faire remplacer son fils, mais Étienne était soldat.

– Est-ce que tu veux réellement partir ? lui demanda Jacques un jour.

– Il le faut bien.

– Écoute : après en avoir causé avec ma mère, mon père veut bien te faire remplacer en même temps que moi. Il t’avancera la somme exigée, – on parle de deux mille cinq ou six cents francs, – et tu la rembourseras par acompte chaque année.

– Mon cher Jacques, cela durerait trop longtemps, peut-être les sept ans que je dois passer sous les drapeaux.

– Oui, mais tu resteras près de moi, tu ne quitteras pas ta famille ; et puis tu pourras te marier, épouser la belle Céline, que tu aimes.

Étienne rougit, et une larme se suspendit comme une perle au bord de ses longs cils.

– C’est vrai, dit-il, j’aime Céline ; mais même en ne partant point, je ne pourrais pas l’épouser.

– Pourquoi ?

– Réfléchis donc, Jacques ; nous sommes pauvres tous les deux, et nous ne gagnerons jamais assez d’argent pour vivre convenablement et en même temps payer ma dette. Quand on aime une jeune fille, vois-tu, et qu’on en fait sa femme, c’est pour lui donner une vie heureuse et non pour lui imposer des privations. Avec son aiguille, Céline vit tranquille et soutient sa vieille mère ; si je devenais maintenant son mari, je serais avec ma dette une nouvelle charge pour elle, et au lieu de sa modeste aisance d’aujourd’hui, ce serait la misère. Oh ! elle ne se plaindrait point !… Nous la connaissons, elle est pleine de courage et de dévouement ! Mais c’est pour elle que je l’aime et non pour moi. Je mourrais, ami, si je voyais pâlir ses belles joues, ou un pli se creuser sur son front. Non, je ne le veux pas. Je donnerai à mon pays les sept ans que je lui dois. Céline m’aime, elle n’a que dix-huit ans : elle m’attendra. À mon retour, je retrouverai du travail à la ferme, près de toi ; nous nous marierons et nous seront heureux.

« D’un autre côté ; je pense à mon frère, qui, dans quatre ans, tirera au sort à son tour. En partant, je l’exempte. Je suis l’aîné, Jacques, il faut bien que je fasse quelque chose pour les miens. »

Jacques prit les mains du conscrit et les serra affectueusement dans les siennes.

Le jour où Étienne partit, les adieux furent touchants et il y eut bien des larmes de versées à Essex ! Céline ne fut pas la moins désolée. En embrassant Étienne une dernière fois, elle dit :

– C’est près de ma mère et la votre que j’attendrai votre retour et que je compterai les jours de votre absence. D’ici là, je ne prendrai plus d’autre plaisir que celui de penser à vous.

– Mon cher Jacques, dit Étienne à son ami, je te confie Céline et sa vieille mère ; si le travail manquait, si la maladie venait, donne-leur tout ce dont elles pourraient avoir besoin : en un mot, remplace-moi auprès d’elles ; sois comme le frère de ma fiancée ; je m’en vais presque joyeux en pensant qu’elle aura en toi un ami dévoué.

– Je veillerai sur Céline ainsi que sur sa mère, et serait leur appui, répondit Jacques.

Deux jours après, Étienne arrivait au dépôt du 26ème régiment de ligne. Le jeune conscrit allait recevoir l’instruction militaire et devenir soldat.

IV

Nous passerons rapidement sur les six ans et demi pendant lesquels Étienne Radoux fut retenu loin d’Essex. Il venait d’être nommé caporal lorsque son régiment fut envoyé en Afrique. Il revint en France au bout de cinq ans avec le grade de sous-officier et la médaille militaire. Celle-ci lui avait été donnée après un combat contre une tribu insoumise de la grande Kabylie, où il s’était admirablement conduit, ce qui lui avait valu l’honneur d’être cité à l’ordre du jour de l’armée.

Un jour, son capitaine le fit appeler.

– Mon cher Radoux, lui dit-il, les sous-officiers et soldats de votre classe vont être renvoyés dans leurs foyers ; mais comme on tient à conserver dans l’armée les meilleurs sujets, j’ai reçu l’ordre de vous demander si vous voulez rester avec nous.

– Je vous remercie de votre bienveillance, mon capitaine, répondit Étienne ; mais depuis que j’ai quitté mon village, je n’ai pas vu mes parents, j’ai besoin de me retrouver au milieu de ma famille.

– On vous accordera un congé de six mois.

– Mon capitaine, c’est mon congé définitif que je serai heureux d’obtenir.

– Alors, nous vous perdons ; je le regrette vivement.

– Mon capitaine, avant d’apprendre à me servir du fusil et du sabre, je savais tenir la charrue et manier une faux. Ce sont ces outils de travail que je veux reprendre. Si je les ai laissés, c’est la faute du tirage au sort. Oh ! je ne regrette pas d’avoir été soldat ; je porterai toujours avec bonheur cette médaille que je crois avoir méritée ; et si un jour la France avait besoin de moi pour la défendre, je quitterais de nouveau ma famille et la charrue ; je reprendrais un fusil et je dirais à mes camarades de l’armée : « Je suis soldat, faites-moi une petite place au milieu de vous ! »

– Nous avons une puissante armée et j’espère bien que la France n’aura jamais besoin de faire appel à tous ses enfants.

Après ces paroles, le capitaine tendit la main au sergent et ils se séparèrent.

Quelques jours plus tard, Étienne Radoux était à Essex. Son père et sa mère avaient vieilli ; mais les petits frères et les petites sœurs étaient devenus grands ; la force des enfants remplaçait celle du père. Pour eux tous, le retour du frère aîné fut un jour de fête.

Jacques Pérard accourut pour serrer la main du sous-officier. Mais Étienne lui sauta au cou.

– Je t’attendais pour me conduire près de madame Pérard, lui dit-il. Je veux, dès ce soir, embrasser tous ceux que j’aime. Dans trois jours la moisson va commencer : demain, je ferai le tranchant de ma faux ; y aura-t-il à la ferme du travail pour moi ?

– Tu ne sauras plus, répondit Jacques en souriant.

– Nous verrons cela, fit Étienne sur le même ton. D’ailleurs, tu me jugeras à l’œuvre.

– Tu ne me parles pas de Céline, reprit le jeune fermier d’une voix légèrement émue.

– Mon cher Jacques, c’est souvent de la personne qu’on aime le plus qu’on parle le moins, répondit Étienne.

– Ainsi, tu es toujours dans les mêmes intentions ?

– Me crois-tu donc si oublieux ?

– Non, mais tu aurais pu changer d’idée.

– Mon ami, il y a des affections profondes que rien ne peut affaiblir ; de mon amour pour Céline, comme à mon amitié pour toi, le souvenir a servi d’aliment ; l’un et l’autre ne mourront qu’avec moi. Quand un cœur comme le mien s’est donné, il ne reprend plus.

– Alors, vous allez vous marier ?

– Après les moissons, à moins, cependant que Céline…

– Céline ?… tu n’achèves pas.

– Si elle ne voulait plus se marier ?

– Céline t’aime toujours, dit vivement le fermier, elle t’attend.

– Tu me dis cela comme si tu étais fâché

– Contre toi, parce que tu as l’air de douter, d’elle.

Les joues du jeune homme s’étaient empourprées, ce que ne vit point Étienne.

– Allons, reprit Jacques, viens jusqu’à la ferme, le père et la mère t’attendent.

– Est-elle toujours jolie ? demanda Étienne.

– De qui veux-tu parler ?

– D’elle, de Céline…

– Tu la verras, répondit Jacques brusquement.

Et il entraîna son ami.

Après la visite à la ferme, où l’accueil le plus amical lui fut fait, Étienne demanda à Jacques de l’accompagner chez madame Cordier, la mère de Céline.

– Non, répondit-il ; pendant cette première entrevue, je vous gênerais.

Étienne voulut insister.

– Ai-je donc besoin d’être témoin de votre bonheur ? répliqua-t-il froidement. D’ailleurs, j’ai un travail urgent à faire.

– Jacques n’est plus le même, se dit Étienne en s’en allant. Pourquoi est-il changé ainsi ? m’aimerait-il moins qu’autrefois ? Non, je ne puis le croire.

Il se sentait tout attristé et ne pouvait se rendre compte des sensations pénibles qu’il éprouvait. Mais le nuage qui avait obscurci son front se dissipa bientôt lorsqu’il se trouva en présence de Céline et que la jeune fille, émue et souriante, mit sa main dans la sienne.

Un instant il contempla ce visage charmant, qui rougissait sous son regard, et son silence, mieux que des paroles, exprimait son admiration. Céline n’était plus seulement gracieuse et jolie, elle était belle. Elle avait une de ces beautés rayonnantes que rêve l’imagination du poète et que le peintre fait éclore sous son pinceau. La pureté des lignes, la finesse et la régularité des traits ne cédaient rien à la fraîcheur du teint, à l’élégance des formes et à la gracieuseté des mouvements. Jamais plus beaux cheveux blonds n’ont couronné un front plus radieux. Son sourire seul suffisait pour la rendre adorable.

– Vous me trouvez donc bien changée ? demanda-t-elle à Étienne.

– Oui, car vous êtes mille fois plus charmante.

– N’est-ce pas qu’elle a embelli ? dit la mère ; elle seule ne veut pas en convenir.

– Oh ! je suis de votre avis, madame Cordier, Céline a tort. Oui, poursuivit-il en s’adressant à la jeune fille, en vous revoyant si belle, je n’ai pu vous cacher mon étonnement. Il est vrai que dans mon émotion il y a aussi le bonheur de me retrouver près de vous. Je n’ai qu’une chose vous demander, Céline : m’aimez-vous toujours ?

– Est-ce que je ne vous ai pas attendu ? répondit-elle avec un regard d’une douceur infinie.

– Et en t’attendant, Étienne, elle a économisé cent écus tout rond pour les frais de la noce, car elle a bien pensé que tu ne serais pas fourni d’argent. Elle peut m’appeler bavarde tant qu’elle voudra, mais je te dirai encore qu’elle a acheté un bandeau de belle toile de fil avec lequel elle t’a confectionné une douzaine de chemises.

– Ah ! Céline, chère Céline ! s’écria le jeune homme ému jusqu’aux larmes.

– C’est mal, ma mère, c’est mal de me trahir ainsi, dit la jeune fille.

Étienne l’entoura de ses bras, et, pour dissimuler son trouble, elle cacha sa figure contre la poitrine de son fiancé. Madame Cordier les regardait en souriant.

– C’est le commencement du bonheur, pensait-elle.

Le 20 septembre, Céline devint la femme d’Étienne. Jacques Pérard n’assista point à la cérémonie du mariage : il était parti la veille pour Paris. Ce fut un chagrin pour Étienne ; il ne pouvait s’expliquer l’étrange fantaisie de son ami, qui aurait dû choisir un autre moment pour aller visiter la capitale.

V

L’année suivante, au commencement de juillet, Céline donna le jour à deux jumeaux, un garçon et une fille jolis comme leur mère.

Après avoir fait quelques difficultés, Jacques consentit à être le parrain du petit garçon.

– Il va falloir travailler pour cinq, dit joyeusement Étienne ; mais j’ai du courage et mes bras sont forts.

Quelques jours après, on apprit avec stupeur que la guerre venait d’être déclarée à la Prusse. Mais on se rassura bientôt, lorsqu’on vit passer sur nos routes, marchant vers Metz et les bords du Rhin, notre artillerie et nos magnifiques régiments de cavalerie.

Personne ne doutait du succès. Mais bientôt, après Wissembourg et Reichshoffen, les Allemands se jetèrent sur la France comme un troupeau de loups affamés.

Un immense cri de douleur s’échappa alors de toutes les poitrines, et un frémissement de haine et de colère se répandit, comme une traînée de poudre qui brille, de l’Est à l’Ouest, et du Nord au Midi.

On s’empressa de rentrer les dernières récoltes, et les paysans de l’Alsace et de la Lorraine prirent leur fusil en criant « Mort aux Prussiens ! Vive la France ! ». Puis vint le désastre de Sedan !

L’ennemi marchait sur Paris, et la France n’avait plus de soldats pour s’opposer à l’invasion. Le péril était grand. Afin de continuer la lutte, on fabriqua, on acheta de nouveaux fusils. On fondit d’autres canons, on appela les mobiles, les anciens militaires, enfin tous les hommes non mariés, de vingt à trente-cinq ans, à la défense de la patrie.

Jacques Pérard reçut l’ordre de partir : Alors Étienne dit à sa femme :

– Demain, Jacques et les jeunes gens de canton se rendent au chef-lieu, où ils doivent être armés. Je ne sais ce qui se passe en moi, Céline, mais il me semble que j’aurais honte si je restais à Essex les bras croisés, quand la patrie est en danger.

– Ah ! tu veux me quitter ! s’écria la jeune femme en pleurant.

– C’est vrai, je veux suivre Jacques et me battre à côté de lui contre les ennemis de mon pays. C’est le devoir de tous les Français.

– Mais on n’appelle pas les hommes mariés, répliqua-t-elle ; que parles-tu de devoir ?

– Je ne puis oublier que j’ai été soldat, Céline ; aujourd’hui la France est malheureuse, et ce serait une lâcheté de ne pas mettre à son service mes bras, qui ont appris à se servir des armes. Je ne te quitterai pas sans éprouver une vive douleur, mais le mérite d’une action est tout dans le sacrifice.

– Mais tu peux être tué ! reprit-elle en sanglotant.

– Je n’ai pas cette crainte, fit-il en souriant. D’ailleurs, si cela arrivait, la France, pour laquelle je serais mort, veillerait sur le sort de la veuve et des orphelins.

Il la prit dans ses bras et la serra contre son cœur.

– Pardonne-moi, Céline, reprit-il, pardonne-moi !… Je comprends et je sens la peine que je te fais ; mais je suis entraîné par quelque chose de plus puissant que ma volonté. Vois-tu, depuis quelques jours, c’est comme du feu qui coule dans mes veines. Je t’aime plus que jamais, Céline ; j’adore et je vénère en toi la mère de nos enfants, et pourtant, je m’éloignerai sans faiblesse, parce que je suis plein de confiance dans l’avenir.

La jeune femme essuya ses larmes.

– Je n’ai pas ta force et ton courage, Étienne ; mais mon affection n’est pas plus égoïste que la tienne.

« Il ne faut pas que tu puisses me reprocher un jour de t’avoir empêché de remplir ce que tu appelles ton devoir. Pars donc, puisque tu le veux, et que notre destinée s’accomplisse ! »

Du chef-lieu, les mobilisés furent dirigés sur Nevers, où le gouvernement de la Défense nationale avait établi un camp pour l’instruction des jeunes soldats.

Étienne rendit immédiatement de sérieux services comme instructeur. Au bout de quinze jours, on donna à Jacques le grade de sergent. Étienne pouvait faire un excellent officier : on lui offrit l’épaulette de sous-lieutenant ; il la refusa pour conserver ses galons de sergent qui lui avaient été rendus dès son arrivée à Nevers.

– Je ne reprends pas du service par ambition, répondit-il, mais seulement pour me battre contre les ennemis de la patrie.

« Et puis, on pourrait me séparer de Jacques Pérard et je ne veux pas le quitter. »

Quand ce dernier apprit le refus d’Étienne il le blâma.

– C’était peut-être ta fortune, lui dit-il.

– Bah ! ma fortune est dans le travail et la force de mes bras, répondit Étienne. Nous sommes amis, nous resterons égaux dans les rangs de l’armée ; je ne veux pas être ton supérieur.

Le 9 novembre, les deux sergents firent des prodiges de valeur à la bataille de Coulmiers.

Ce jour-là, l’armée de la Loire, à peine formée et composée de soldats improvisés en deux mois, montra par son courage et son intrépidité qu’on pouvait encore compter sur les immenses ressources de la France. L’armée bavaroise fut défaite et abandonna aux Français la ville d’Orléans. Alors une marche hardie sur Paris pouvait amener la délivrance de la grande ville assiégée. Tout le monde attendait et espérait ce mouvement. On se souvenait que dans maintes circonstances l’audace avait changé la fortune de la France.

Malheureusement, le général en chef de l’armée de la Loire perdit un temps précieux à Orléans et permit à l’armée de Frédéric-Charles, devenue libre après la malheureuse capitulation de Metz, de venir se placer entre lui et Paris. Or, quand d’Aurelle de Paladines voulut reprendre l’offensive, il se trouva en présence de forces supérieures.

C’est à Patay que nous retrouvons les deux sergents, Sur ce point, la résistance fut longue et énergique ; malgré la puissance de l’artillerie ennemie, le succès de la journée fut longtemps incertain. IL fallut l’ordre de battre en retraite pour laisser l’avantage aux Prussiens.

Au moment où les Français abandonnaient leurs positions, Jacques Pérard reçut une balle dans la cuisse. Étienne le vit tomber et s’élança pour le relever. Autour d’eux les obus éclataient et les balles sifflaient ; de nombreux escadrons prussiens s’élançaient dans la plaine pour s’emparer de nos traînards et menacer notre arrière-garde.

– Laisse-moi, dit Jacques d’une voix faible, songe à toi et ne t’expose pas plus longtemps au danger.

– T’abandonner ? jamais ! s’écria Étienne ; je veux te sauver ou je partagerai ton sort, quel qu’il soit.

– Malheureux ! tu n’entends donc pas le bruit de la fusillade ?

– Je n’entends rien ; mais je vois que tu es blessé, que tu souffres…

– Étienne, tu vas te faire tuer.

– Eh bien ! je mourrai près de toi, avec toi !…

– Mais je ne le veux pas. Pense à Céline et à tes enfants !…

– Ce sont eux qui me dictent mon devoir.

Il prit le blessé dans ses bras, le souleva et parvint à se relever en le tenant fortement embrassé. Sous le feu de l’ennemi, dans la neige jusqu’aux genoux et à travers une pluie de fer, il chercha à atteindre un fourgon d’une ambulance française qui recueillait quelques blessés à cent mètres plus loin. Il n’avait pas fait la moitié du chemin, lorsque tout, à coup deux escadrons de hussards prussiens débouchèrent à l’angle d’un petit bois et lui coupèrent la retraite.

Les deux sergents et une cinquantaine de mobiles furent enveloppés par les hussards et faits prisonniers.

VI

Après une résistance admirable, dans le Nord, avec Faidherbe, dans l’Est, avec Bourbaki, et dans l’Ouest, avec Chanzy, Paris, qui depuis quatre mois et demi tenait en échec deux cent cinquante mille Prussiens, Paris affamé, sans pain, agonisant, fut forcé de capituler.

Dès le mois de mars, aussitôt après la paix signée, l’Allemagne commença à rendre ses prisonniers. Nous n’avions pas moins de quatre cent mille hommes en captivité.

Jacques Pérard revint à Essex. Il souffrait encore des suites de sa blessure, mais la plaie était cicatrisée et guérie. Il avait été séparé d’Étienne Radoux dès le premier jour de leur captivité. En Allemagne, il avait cherché à savoir où il se trouvait ; mais il ne put obtenir aucun renseignement précis. Il rassura Céline en lui disant qu’Étienne avait été fait prisonnier en se dévouant pour lui, qu’il n’avait reçu aucune blessure et qu’elle pouvait espérer son retour prochain.

La jeune femme s’arma de courage et de patience.

Cependant les mois s’écoulaient, et on attendait en vain des nouvelles d’Étienne. Les prisonniers étaient tous revenus, à l’exception d’un petit nombre de malades. Étienne était-il donc parmi ces derniers ? Mais il devait avoir besoin d’argent, de vêtements, et, chose plus précieuse encore pour un captif, de nouvelles de ses enfants, de sa femme et de ses parents. Pourquoi n’écrivait-il pas ?

Céline ne cherchait plus à cacher son inquiétude, ses angoisses, de noirs pressentiments l’agitaient, ses nuits étaient sans sommeil, les belles couleurs de ses joues s’effaçaient, ses yeux s’entouraient d’un cercle bleuâtre, car elle pleurait souvent, tous les jours, en pensant à l’absent et en embrassant les jumeaux. Tout le monde prenait part à sa peine, les marques de sympathie ne lui manquaient point. On tâchait de la consoler en lui parlant d’espérance.

– Pour me consoler, il me faut le retour de mon mari, répondait-elle, ou une lettre de lui.

Et comme Étienne ne revenait pas et qu’aucune lettre n’arrivait, la pauvre Céline restait désolée.

Étienne Radoux était-il mort ? La jeune femme avait eu plus d’une fois cette sinistre pensée ; elle la repoussa d’abord avec énergie, elle ne pouvait croire à un si grand malheur ; mais elle revint avec plus d’opiniâtreté et il ne lui fut plus possible de l’éloigner. Certes, le silence d’Étienne et onze mois écoulés depuis la signature de la paix ne justifiaient que trop ses appréhensions.

On avait adressé deux lettres au ministre de la guerre. En réponse à la première, il promettait de faire faire immédiatement d’actives recherches au sujet du sergent Étienne Radoux et de réclamer le prisonnier à l’autorité prussienne. Il n’avait pas encore répondu à la seconde demande. Quand on en parlait à la jeune femme, elle remuait tristement la tête en disant :

– Je sais à quoi m’en tenir, le ministre ne me répondra plus.