Les asphodèles fleurissent sur l’asphalte - Julien Brun - E-Book

Les asphodèles fleurissent sur l’asphalte E-Book

Julien Brun

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Beschreibung

Un violent accident de moto plonge Elisenda dans le coma. De son lit d’hôpital, elle entend ce qu'il se passe autour d’elle, mais demeure impuissante, sans pouvoir ni bouger, ni parler. Entourée d’un voile opaque, elle se bat contre la mort, flirte avec la vie, ressasse le passé, affronte ses remords et papillonne avec l’amour…Un roman intimiste qui invite à réfléchir sur la vaste question du sens de l’existence.

Un texte très émouvant où nous volons sur les mots, à fleur de peau, ne sachant quelle en sera la sortie. L’état comateux ramène à l’enfance, à sa vie parcourue, au positif, au négatif, comme des bulles de souvenirs qui tournent en boucle avec toujours cette phrase qui revient : “Je ne sais”, et qui résume bien la situation de l’humain face à sa finitude. Cette belle histoire est une ode à la vie.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Julien Brun est né et habite Montpellier. Il écrit des romans. Passionné de littérature hispanique et latino, il passe son temps entre sa fille et sa passion pour l’écriture. Imprégnée d’humanisme, révulsée par les inégalités, sa plume acerbe et sentimentale entrevoit un monde imparfait, mais bercé d’espoirs.

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Julien Brun

Les asphodèles fleurissent sur l’asphalte

Du même auteur

– Le rocking-chair

5 Sens Éditions, 2021, réédition

– Le murmure des oiseaux

5 Sens Éditions, 2021, réédition

– La vie, un livre entrouvert

5 Sens Éditions, 2020, roman

– Besoins d’ici, désirs d’ailleurs

5 Sens Éditions, 2017, roman

 

Laia, la vie est une fleur délicieuse qui croît et qui fleurit sur le bord d’un précipice.

Prologue

« Mon amour, c’est le fil

auquel se tient ma vie »

 

Étienne de la Boétie

 

L’amour finit toujours par une tragédie.

Je l’entends encore prononcer la fameuse phrase « je te quitte, entre nous, c’est fini ».

Abandonnée, délaissée.

Désespérée, déprimée.

Peut-être les quatre à la fois.

La douleur se déverse dans ce grand lit froid que j’occupe seule.

Je tourne et retourne dans les draps, au bord du précipice. Les murs tanguent. Le plancher s’effrite. En chien de fusil, blottie dans le creux du matelas, mon corps ne répond plus.

La nuit s’attarde.

Les heures passent.

J’attends.

Tourne et retourne.

Le jour va peut-être finir par se lever.

Dans le silence de l’appartement aux persiennes closes, seul le tic-tac de la pendule rythme le temps.

Les yeux rivés dans le vide, je cille et vacille.

Pourquoi m’a-t-il laissé tomber ?

Les larmes affluent et se perdent dans un opaque brouillard. Les souvenirs s’évaporent. La vie s’arrête, subitement, au moment de son envol.

Il y a quelques heures encore, j’étais sûre de vouloir passer ma vie avec lui, je rêvais de mariage, de lui faire un enfant. Lui, sans donner plus d’explications, me dit de sa voix mielleuse « qu’il n’a plus la flamme, que c’est comme ça, que ces choses-là ne se commandent pas ».

Sans compassion, il me regarde une dernière fois puis tourne les talons.

« Je te quitte, entre nous, c’est fini. »

Le claquement de la porte me fait sursauter.

Ses pas résonnent dans la cage d’escalier.

En l’espace d’une seconde, il s’en va.

Je m’effondre.

Prostrée, anéantie.

Mon ventre trésaille.

Je pleure.

Les larmes se figent dans l’oreiller. À l’écoute de ma respiration saccadée, tout s’évapore. Les espoirs fondés. Les rêves chuchotés. Les plaisirs évanouis. J’ai mal partout et grelotte de tout mon corps.

Pour lui, je serais allée au sommet du monde pour décrocher les étoiles. Pour lui, je me serais coupée en quatre pour que son visage rieur se reflète dans la profondeur de mes yeux. Pour lui, j’aurais quitté tout ce que j’affectionne, tout ce que j’ai bâti, tout ce que j’ai tant désiré. Juste pour lui.

Que faire pour l’oublier ?

Aller transpirer ma colère dans une salle de sport, noyer mes désillusions dans un pot de crème glacée périmée qui git au fin fond du frigo, rester seule, vautrée dans un lit sans personne à qui parler, à refaire une histoire faite de non-dits ou saccager l’appartement encore empli de son odeur.

Je les entends encore ses mots.

« Je te quitte, entre nous, c’est fini. »

Des mots qui blessent, une phrase qui déchire.

Je repense à tous ces moments partagés, à nos fous rires, à nos interminables discussions, à nos câlins, à nos vacances, à notre amour, à nous.

Et puis, à ses derniers mots.

Qui tournent en boucle dans ma tête.

« Je te quitte, entre nous, c’est fini. »

Je me lève, attrape une feuille et saisis un crayon.

Sans réfléchir, je griffonne.

Le crayon s’anime.

Le personnage me ressemble, m’observe de ses yeux et me met au défi de rendre la scène plus réaliste. Les pastels se succèdent entre mes doigts sans que j’aie besoin d’y réfléchir, comme si les couleurs s’imposaient d’elles-mêmes.

Dans ma tête, le vide s’installe. Mon cœur s’emballe et mon sang pulse au bout de mes mains.

Je poursuis le dessin sur le même rythme, dans un brouillard irréel.

Je reprends mon souffle, comme prise par l’apnée.

J’observe le dessin de longues minutes.

Comment cette scène a-t-elle pu surgir de mon inconscient et se poser sur la feuille ? Et ce dessin ? Quelle signification peut-il avoir ?

Je ne sais.

Je sens que je vais finir en artiste torturée, hystérique ou peut-être paranoïaque.

Je pose le crayon, me jette sur le lit et me recouche, la tête enfouie dans l’oreiller.

Les limites deviennent floues.

Seul le vide se reproduit. Peut-être parce que je suis emplie de paradoxes, j’envoie les draps au pied du lit, me lève à nouveau, m’habille, descends au garage et enfourche ma moto.

Avec elle, j’oublie tout.

Les cheveux dans le vent, l’adrénaline, les virages à la corde, le pouvoir onirique des paysages, avide de vitesse en fendant l’air. Ne plus rien désirer d’autre que d’avaler les kilomètres, torse immobile, regard perdu au loin, la poignée des gaz enfoncée, à fond, vers l’horizon, avec en fond sonore, la voix grave du moteur qui s’élève jusqu’à ce que ne retentisse qu’une seule note d’une extraordinaire pureté.

Je roule.

J’accélère, des rêves plein la tête qui laissent entrevoir un frisson d’espérance.

Peut-être est-ce la définition du bonheur.

Peut-être est-ce simplement le début de la liberté.

Peut-être est-ce la porte d’un autre monde.

Je roule.

L’air est léger, gorgé de fraîcheur et d’iode déposés par les embruns de la mer toute proche.

Au bout d’une heure, je me gare.

À l’entrée du parc, un lilas dégage un parfum soyeux et délicat. Dans les branches d’un arbuste, un merle fait la cour à une éventuelle compagne avant de s’envoler à sa poursuite, zigzagant entre les rares badauds. Des abeilles et des libellules tournent, ivres de nectars.

Un doux silence s’empare du parc.

Un parc à la vue panoramique sur la ville et sur la mer, aux murs parfois recouverts de tags, parfois de lierres, aux allées ombragées ornées de sculptures, de bancs et d’escaliers, aux terrasses parcourues de canaux et de fontaines, à la végétation boisée de pins, de cèdres, de cyprès et, au détour d’un chemin des petits champs sauvages couverts de fleurs.

Un lieu magique.

Un lieu pour cicatriser.

Ou peut-être un lieu pour oublier.

Je ne sais.

Tant le passé défile sous mes yeux fatigués.

L’image de Paco, mon ex, apparaît, cueillant des brassées d’asphodèles dans les allées de ce parc qui borde les flancs de Montjuïc.

Je ferme les yeux.

Le passé est toujours là.

La silhouette de Paco flâne dans ce labyrinthe végétal.

Une présence que je sens, une présence que je sais illusoire, névrotique.

Mais qui, contre toute raison, rassure.

Paco traverse une allée, se réfugie derrière un tronc d’arbre, penche sa tête et m’observe du coin de l’œil. Se sachant repéré, il s’enfuit, saute un petit ruisseau et se cache dans un buisson. Un bruit me fait sursauter. Une ombre s’évapore. Il enjambe une terrasse, passe derrière une statue en marbre, frôle une branche de mimosa et disparaît dans un amas de rochers d’où jaillit une source.

J’ouvre les yeux.

Une légère écume blanchâtre s’écoule dans les flots. Elle dessine son visage qui, presque souriant, un brin ironique, un brin sarcastique, s’en va au loin vers le tohu-bohu de la ville et me délaisse encore une fois.

Au loin, l’écho de sa voix rebondit.

« Je te quitte, entre nous, c’est fini. » « … te quitte, entre nous, c’est fini. » « … entre nous, c’est fini. » « … fini. » « … fini. » « … fini. »

Je me retourne et marche.

Les larmes aux yeux au milieu de minuscules cascades. Je regarde le ciel, suivant les nuages jusqu’à l’horizon, poussés vers l’infini par le vent.

Épuisée, je me pose sur un coussin d’herbes. Ici, je peux rester immobile des heures, tant la nature est précieuse, tant elle est supérieure aux hommes.

La mer se reflète à mes pieds. La lumière du printemps règne sur les eaux calmes. Le soleil brille. Il n’y a rien d’autre dans ce monde infini que le soleil qui répand sa lumière et la mer qui la reçoit.

Devant moi, s’ouvre une petite prairie entourée de bois. J’ai envie de m’y perdre, que l’herbe me chatouille la peau, que les fleurs engloutissent mes sens, que les branches m’enserrent.

Un long soupir m’échappe, comme si j’avais retenu mon souffle trop longtemps. Je ne sais plus ce que c’est que d’être seule avec moi-même. Je crois que je n’ai plus rien à me dire. Que je me répète. Que je balbutie. Moi qui, pourtant, adore avoir la tête ailleurs, divaguer, libérer les folies que j’ai en moi. Des plus saugrenues aux plus réalistes. Des plus folles et inconvenantes aux plus interdites.

Je me lève, traverse le parc et regarde la ville.

Barcelone est là sous mes yeux.

Belle et amoureuse.

Brisée et solitaire.

Avec ses couleurs lumineuses.

Résonnent en moi de vieilles mélodies, des refrains bourrés de regrets, de nostalgies et de colères. L’un d’eux revient plus fort que les autres, avec insistance.

Je m’appuie contre un arbre que je caresse. Son écorce est douce. J’ai envie de hurler mon chagrin, ma solitude, ma folie.

Déboussolée, j’enfourche la moto et roule vers je ne sais où.

Dans ma tête, une voix résonne.

Elle me dit d’accélérer encore et encore. D’aller vite, toujours plus vite, en rupture avec la raison.

À la sortie d’un virage, un crissement de pneus attire mon attention. Je tourne la tête et donne un violent coup de guidon. La moto tangue avant que le flanc droit ne heurte l’avant gauche d’un véhicule qui arrive en sens inverse.

Projeté en l’air, mon corps atterrit sur le capot de la voiture et ma tête heurte le pare-brise.

Emportée par la vitesse du véhicule, je rebondis, tombe sur l’asphalte et m’écrase contre le trottoir. Le goudron me mord les chairs, me casse les os.

De la fumée.

Les yeux embués.

Des débris de verre.

Des cris.

La douleur.

Le corps brisé, empli de fourmillements.

Les brûlures me dévorent la peau.

Des éclats de voix brisent le silence.

Un flot de sang me souille le visage.

Un goût âpre de métal dans la bouche.

La colonne vertébrale fracassée.

Une tache sombre me masque la vue.

L’odeur de l’essence se répand sur la chaussée.

Au loin, les sirènes des secours mugissent.

Le fil de la vie se tend.

Puis se casse.

Mes yeux se ferment.

Le cerveau se déconnecte.

Et franchit la dernière ligne qui me sépare de l’au-delà.

De la lumière !

« C’est l’ombre qui donne

à la lumière sa splendeur »

 

Laurence Tardieu

 

Projetée à la vitesse de la lumière dans un sombre corridor, la clarté m’éblouit. Me pénètre, m’inonde jusqu’à ce que plus rien n’existe, enveloppée de rayons de couleurs claires, vives, nimbées de reflets cristallins.

De la lumière.

Intense, blanche, magnétique.

Aveuglante, brillante, irradiante.

Une étincelle.

Une lueur.

Une fusion qui captive.

Une liquéfaction qui fascine.

Ensorcelle, absorbe.

Hypnotise, enveloppe.

Apeurée, je m’y abandonne.

Et vacille.

J’ai la mouvante impression que l’esprit se détache de mon corps telle une errance à mi-chemin entre rêve et réalité.

Égarée à la frontière du réel, je suis là, sans être là. Légère. Dépouillée. Expropriée de moi-même. Dépossédée de ma propre vie sans pouvoir lutter.

La brume m’emporte dans un tourbillon. Aliéné, mon corps se dilate. Aussi légère qu’une plume, je flotte dans l’air. Épouvantée, ma vue se décuple. Mes yeux se posent sur une ombre inerte. Je réalise que je sors de mon corps, que je ne suis plus moi.

Je plane.

Une vague d’informations m’assaille.

Mon cerveau sature, mon corps ne répond plus.

Que m’arrive-t-il ? Quelle est cette sensation nouvelle qui me happe ?

Un vent froid se glisse en moi. Comme une énergie magnétique. Par moments de petites caresses puis d’un seul coup des décharges électriques. La brume m’enceint. La nuit me voile. La lune m’éclaire. Les nuages me cachent. Le vent me déchire la peau.

Les brûlantes couleurs du crépuscule éclairent de nuances chimériques les portes des ténèbres. Le tissu scintillant va et vient. Puis disparaît. Nimbé de pénombre.

Le temps se dilate, comme une missive venue du fond de son tombeau, portée par les ailes de la mort. Ce qui se passe n’a aucun sens.

Un autre monde s’ouvre.

Celui de la peur, un univers noir, une étendue infinie. Un dernier combat. Une dernière volonté.

Ou peut-être un ultime désir.

Celui d’être un oiseau. Un petit battement d’ailes pour fuir. Le désir de vaincre la pesanteur terrestre.

Ou peut-être un soupir infini qui me délivre de ma disgrâce.

Celui d’un ailleurs moins pesant, moins cruel, moins étouffant. Une prison sans barreau.

Ou peut-être le désir de respirer dans les hautes atmosphères, un air plus libre, plus froid, plus naturel.

Insoluble.

Comment rejoindre l’autre rive ?

Ouvrez la fenêtre !

J’ai besoin de respirer.

De connaître une dernière fois l’extase.

Le nirvana.

Que m’arrive-t-il ?

Les nuages, portés par le vent, filent en accéléré. La mer se plie et se déplie. Les ombres changent. Les murs se construisent dans les vagues et éclatent sous la force des flots déchaînés en ondes irrégulières, à la surface, sans aucun déferlement.

Une musique retentit.

Lente dès les premières notes, une section d’orgue monte en crescendo dramatique. Elle accélère en un tumulte syncopé. Boucles de batterie, déflagrations de guitare, gongs arrogants, piano déstructuré. Au loin, un signal d’orage gronde. Des clochettes retentissent, graves. Un grondement d’orgue scintille, aigu. Puis retentissent des voix célestes.

La moto accélère et déboule d’amples virages en trajectoires rectilignes sur un ruban d’asphalte qui se déplie vers l’horizon. La liberté se déroule, sans but, sinon celui de trouver le néant. Sans laisser d’adresse, telle une fuyarde qui s’accroche au vent.

Le chaos. Les gens effrayés. Les bombes tombent et déchirent le sol. En vain, je cherche un abri, pour me protéger de la peur de l’inconnu qui se déploie sous un ciel couvert de brumes. La douleur persiste.La musique ne me parvient plus que par vagues harmonieuses, réduites à de légers et doux sifflements. La fièvre monte. Mes sens s’enivrent. L’engourdissement me paralyse.

Docteur, encore une petite piqûre, s’il vous plaît.

Une vision furtive. Une ombre dans la nuit qui martyrise.

Bercée par la musique, je me retourne. Peu à peu, elle disparaît.

La moto accélère encore.

Encore une dose d’euphorie, avant que la route, sinueuse, ne se transforme en impasse. Telle une vie qui se brise contre un mur. Plongée dans l’ombre, elle se déploie, ondoie et se tord.

Tout va vite, trop vite.

À la vitesse de la lumière.

Ça se bouscule jusqu’au moment où je ne peux plus suivre, où je déraille, où je n’en peux plus, où tout cela doit s’arrêter. Un désir aveuglant me saisit, une douleur me déchire, un cri s’élève de mon corps brisé.

Suis-je encore de ce monde ?

Docteur, que m’arrive-t-il ?

Coma.

Quatre lettres barbares.

Laconiques.

La nuit noire. Les étoiles. Un monde démolit. Un baldaquin de bleu suspendu ombre mes yeux. Je n’ai plus la notion de temps ni de l’espace. L’air est chaud pourtant je ressens une sensation de froid.

Je rêve.

Peut-être même que je délire tant le flot de médicaments m’exalte.

Des songes.

Des mirages.

Une cavalcade confuse d’images floues. Un vieux fantôme qui revient d’un pays lointain, à contresens, d’un voyage sans retour.

Emportée, bousculée, j’aimerais m’allonger au sommet d’une colline, à regarder le ciel, à sentir le feu de la terre. J’aimerais sonder la profondeur des océans, me confronter à la force des montagnes, sentir la douceur du sable sur ma peau. J’aimerais être transportée par le parfum des fleurs, bercée par les éclats de rire d’enfants jusqu’à en perdre tous mes sens.

J’essaye d’oublier les médicaments qui abrutissent, qui liquéfient. J’ai envie de me diluer comme de l’aquarelle dans le ciel.

M’évanouir.

M’envoler.

Un cyclone.

Un tourbillon féroce.

J’emprunte le rêve d’un autre, divague et joue à des jeux désinvoltes. Les ténèbres sont là, face à moi. Affligée, je regarde fixement à travers ses voiles sombres. Le silence gronde. Je flotte sur un fleuve en furie.

Il n’y a pas de lever d’un autre jour.

Pas de lendemain.

Je me souviens d’un jour où je suis jeune, libre, perchée sur les branches d’un vieil arbre, innocente, à essayer d’attraper le soleil et de le caresser. Une lumière blanche brille au travers du feuillage du vieil arbre. Nébuleuse, débridée, elle émane des yeux de la lune et m’aveugle.

Demain, ouvrirais-je les yeux pour célébrer l’arrivée d’un nouveau printemps ?

Une saison idyllique avec ses balades en forêt sous les parfums des glycines en fleurs. Les conifères et leur amertume qui envoûte. Les tubéreuses qui enivrent. Le souvenir de mes mains qui embaument la fraîcheur du thym et du romarin. L’odeur sucrée des orangers. Et celle des citronniers qui offrent un parfum piquant, intense, oriental. Les tilleuls qui me baignent de douceur.

Et ses parterres d’asphodèles.

Le printemps ne laisse aucun vide. Il ne tient pas seulement dans la tête. Il déborde.

La nature s’éveille.

J’entrouvre la fenêtre.

Le soleil brille de mille feux. Des pétales pleuvent et volent au gré du vent. Les oiseaux chantent, prémices de parades nuptiales. Les poètes déclament leurs vers. Une renaissance des sens. Le temps n’est plus. Le ciel se pare de pastels bleu azur. Les fleurs alignent leurs corolles. Une invitation à se poser à l’ombre d’un vieux chêne, fort et solide, entouré d’un sous-bois qui sent la garrigue. Des papillons s’agitent autour de moi.

Un oiseau s’envole. D’un cri strident, il me sort de la torpeur. Je le regarde planer et se fondre dans l’horizon en priant silencieusement pour qu’il vienne me chercher, qu’il m’amène sur ses ailes dans une de ces contrées secrètes où la vie est plus belle, où la souffrance n’existe pas.

Enfant, dans les contrées surplombant Barcelone, je marche, saute et escalade les moindres recoins. Je cours, contemple l’horizon et le moutonnement des flots à l’infini. La profondeur des forêts de chênes m’entoure et se referme sur moi. Tout est verdure, feuillages, sentiers, animaux sauvages tapis dans les fourrés.

La nature.

Secrète.

Elle ne s’offre qu’au regard des amoureux.

Mais aussi aux cœurs purs égarés.

Des champs d’asphodèles fleurissent jusqu’à leur dernier souffle, avec pudeur. Une profusion enchantée qui se presse d’éclore aux moindres rayons de soleil.

Abondance.

Qu’y a-t-il de plus éphémère qu’une fleur ?

Épanouies le matin, fanées dès la nuit tombée.

Peut-être la fugacité de l’existence.

Une succession de bips brise le silence.

Les moniteurs s’affolent et clignotent.

Les courbes jouent aux montagnes russes.