Les cadavres n'ont pas toujours bonne mine - Philippe Colin-Olivier - E-Book

Les cadavres n'ont pas toujours bonne mine E-Book

Philippe Colin-Olivier

0,0

Beschreibung

Roland Arezzeau, milliardaire à la fois cynique et généreux, est frappé d'une maladie neurologique. Affaibli, craignant pour sa sécurité, il engage deux gardes du corps singuliers, Costes et Bernstein. L'un, fripouillard mais romantique, l'autre, vantard et séducteur. Une complicité inattendue naît entre le super-riche et les deux super-pauvres. Mais, alors qu'il semble se rétablir, Arezzeau trépasse brusquement. Rumeurs et suspicion envahissent l'atmosphère. A-t-il été assassiné ? et par qui ? Dans l'entourage du défunt, chaque visage porte le masque du suspect. Nos deux compères se lancent dans une enquête doublement inspirée : venger le magnat… et mettre la main sur le magot.



À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Colin-Olivier a publié une douzaine de romans. Récemment, "Le Bal des débutants" et "Qui a tué le maire de Paris ?" En duo avec la journaliste Laurence Mouillefarine, il a signé aussi "Vous êtes riche sans le savoir". Il a également été scénariste pour la télévision. Selon les critiques, il se singularise par un sens aigu du burlesque, des dialogues drôles et satiriques. À retrouver dans ce thriller joyeusement immoral.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 155

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Les cadavres n’ont pas toujours bonne mine

ROLAND AREZZEAU, quatre-vingt-trois ans, cent huit millions d’euros, un château, douze immeubles, une propriété à West Palm Beach, neuf sociétés écrans, trois paradis fiscaux, sept mille hectares de forêts, des préservatifs à ses initiales, une Rolls, et toutes ses dents.

Il profitait de la vie. Il s’amusait. Combien de trimestres ou d’années avait-il devant lui ? La vieillesse n’a pas de temps à perdre !

Roland Arezzeau, anarcho-capitaliste, avait crânement fait fortune et prenait plaisir à se souvenir de spéculations réussies. Avoir mieux joué qu’un autre l’amusait. Son ardeur, sa lucidité l’avaient placé dans le rôle du vainqueur.

On dit qu’un homme très riche ne peut être qu’un cynique. Oui, Roland, humaniste tôt repenti, était cynique. Mais également généreux et drôle. Il avait de l’humour, qualité rare chez les hommes d’argent.

Mécène, patriote à sa façon, il venait de faire construire, à ses frais, le musée du Maquisard, en Haute Loire, un hommage à la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

Roland était aussi un séducteur. Cent vingt-deux maîtresses recensées au cours de son existence, dont beaucoup considérées avec un œil d’artilleur : il prônait les aventures d’un soir et savait se montrer aux petits soins pour ces filles durant quatre-vingt-dix minutes, en se gardant de les laisser espérer davantage. Il ne croyait pas aux revenants mais aux revenantes, aux femmes qui s’accrochent.

Roland Arezzeau, esprit pratique, avait toujours disposé d’une garçonnière proche de ses bureaux. Après un dîner à une bonne table, un excellent vin, des fleurs, les filles devenaient sensibles à ses brames de désir. Improviser une sieste crapuleuse souligne les qualités d’adaptation d’un grand entrepreneur.

Roland Arezzeau était resté célibataire jusqu’à un âge avancé. Il avait longtemps estimé que le mariage n’était qu’une sorte de soleil d’hiver, moins lumineux qu’engourdissant.

Quelques-unes de ses maîtresses s’étaient proclamées enceintes. Dubitatif, Il montrait néanmoins un cœur d’or et leur proposait un dédommagement au meilleur tarif.

Maintenant âgé, il méditait sur cet esprit de conquête et cultivait sa mémoire dans la récitation, chaque matin, du prénom de ses préférées : Marie, Aïcha, Roseline, Nadia, Agnès… Diane. Oh ! Diane dont le cœur battait de l’aile et qui ne savait jamais si, oui ou non, elle était amoureuse.

La sérénité était venue. Les sens de Roland s’étaient apaisés. Le voilà tendre sur le tard. Il s’interrogeait enfin sur la psychologie féminine : elle est mystérieuse aux yeux des hommes, autant attendre le plus longtemps possible pour admettre n’y rien comprendre.

Roland avait convolé sur le tard, à soixante-douze ans, et il adorait sa femme, Nadège, trente-neuf ans. Elle en paraissait dix de moins.

Le port de tête de Nadège était parfait, c’était une blonde élancée avec les gestes du raffinement. Son nez droit, un teint scandinave firent fondre Roland quand il la rencontra lors d’un déjeuner à la brasserie Lipp.

Nadège n’avait heureusement pas les lèvres bulbeuses de celles pressées de rajeunir. Sa poitrine était discrète. Roland écartait les seins qui, tels des bolides, ratent le tournant du soutien-gorge et filent droit vers le public. Roland aimait les femmes racées, peu lui importait leur groupe biologique. Noire, Asiatique ou Caucasienne, elles étaient les reines de son monde.

Dur en affaires, bienveillant parfois, Roland était un homme de paradoxes. Il excellait dans l’ambiguïté.

Autre caractéristique, qui amusait ses domestiques et ses amis, Roland était hypocondriaque, il se croyait régulièrement atteint des maladies les plus variées.

*

Cette saison, Roland était surtout préoccupé par la France célébrant avec ferveur son abaissement.

Le vandalisme prospérait. Les crimes de sang aussi. Quant à la jalousie à l’égard des riches, elle semblait plus vigoureuse.

Plusieurs enlèvements de personnes très fortunées, dont celui de son ami Arnaud du Gué de Castillon, banquier d’affaires et collectionneur de bijoux Art déco, l’avaient incité à engager deux agents de protection rapprochée, Costes et Bernstein.

Les hommes qui choisissent ce métier, que d’aucuns nomment gardes du corps, ont de vilaines habitudes, dont celle de cracher sur le sol tels de stupides joueurs de football. Ce sont souvent d’anciens flics ruisselant de vinasses, des karatékas illettrés, des boxeurs sonnés, catégories à l’abri de toute éducation.

Aussi importe-t-il de les sélectionner judicieusement. Roland en avait reçu plusieurs à son bureau, certains mettaient mal à l’aise. Intentionnellement en manches courtes, ils exhibaient des biceps tatoués de dragons ou de serpents. L’un des derniers, Letton d’origine, semblait accueillir un élevage de poux dans ses cheveux huileux. La brute jargonnait une poussière de langue russo-polonaise. Il effraya Ratonne, la chatte du gardien, qui en fit une fausse couche.

Après réflexion, et deux entretiens, Costes et Bernstein furent retenus par Roland. Ils paraissaient bien élevés et lui avaient été recommandés par un député européen qu’ils défendirent lors d’une agression par un pitbull à Bruxelles : chien d’attaque qui croquait la vie à belles dents, autant dire la cuisse des politiciens.

À première vue, Costes et Bernstein formaient un duo bizarre qu’il espéra complémentaire.

Le jour où Roland les reçut, il observa, avec une délicate surprise, le livre glissé dans la poche de la veste de Bernstein. Roland ne pouvait deviner le subterfuge pour inspirer confiance. S’étant renseigné sur Roland en jetant un coup d’œil sur la Toile, Bernstein avait cru bon se munir d’un bouquin acheté d’occasion : Charles De Gaulle : de Barrès à Ben Bella.

En d’autres circonstances, Bernstein laissait apparaître Le Saint pèlerinage à La Mecque, texte qui portait au délire les princes arabes. Quant à Un soir de Kippour, en édition reliée, il pouvait émouvoir, jusqu’aux larmes, les Juifs. Certains en perdaient leur kippa.

Bernstein, petit rouquin né à Paris, fils d’un repris de justice et d’une gardienne de prison, avait du bagou et de l’entregent. Il mesurait la sensualité des femmes avec convoitise, à l’inverse du gros et gourmand Costes dont la préférence allait aux parfums épars des choux à la nougatine.

– Bernstein a été consultant auprès de la direction du contre-terrorisme, avait indiqué l’ami député.

Un autre bobard de Bernstein.

Son associé Costes parlait peu. Né à Panuf-sur-Brenne, dans une famille de paysans alcooliques et incestueux, son cou avait la circonférence d’une balise de chantier. Il pesait cent quarante-neuf kilos, masse musculaire et chairs grasses mêlées. Costes vous regardait fixement, ses yeux étaient chargés d’images lentes. Un visage de brontosaure, dont le foie, l’estomac, le pancréas et les intestins se disputaient la place, et menaçaient de transpercer la chemise par-delà la ceinture. Mais Costes, s’il raisonnait avec parcimonie, était visiblement capable de soulever, d’une seule main, un char de trente tonnes avec son équipage.

– Il a un diplôme de tireur d’élite. Il a été reçu premier à un stage au FBI, avait encore précisé l’ami député de Roland.

Le diplôme était faux, et Costes, s’il caressait avec amour son Beretta, évitait de le pousser jusqu’à la chaleur d’une détonation.

À la demande de Bernstein, Costes posait volontiers au dur, comme s’il lui était plus facile d’appuyer sur la détente que de plaquer un accord à la guitare.

*

Depuis cinq jours, Roland Arezzeau avait les paupières qui se fermaient.

« Je me fais vieux », pensa-t-il d’abord. Il peinait à marcher. Le soir, il se sentait fatigué, lui à l’ordinaire inépuisable.

Puis ses bras furent pris d’une ankylose. Il s’interrogea, mais le corps humain étant le fief de l’énigme, il ne sut conclure dans un sens ou dans un autre.

Il n’en parla pas à sa femme Nadège. Elle s’angoissait facilement.

Un jeudi, alors qu’ils étaient invités à l’inauguration d’une exposition consacrée à la culture berbère, impossible d’ouvrir les yeux. Il se retrouva à demi aveugle, cramponné au bras de Nadège.

– Tu as un AVC, assura, inquiet, un ami qui le vit comme foudroyé.

– Non, murmura Roland.

Il savait qu’une attaque cérébrale se caractérise par une faiblesse latérale, des fourmillements et une difficulté à s’exprimer.

– Chéri, je t’emmène à l’hôpital, dit Nadège, tremblotante.

– On verra demain.

Costes et Bernstein patientaient dans la Rolls à l’emplacement réservé aux cars de touristes. Ils le virent de loin qui marchait péniblement.

– Merde ! Le patron s’est pris une lame ! évalua Bernstein qui songea à un islamiste.

Costes abandonna son Manga préféré, celui destiné aux enfants de douze ans très en retard dans leur scolarité. Il tourna la tête.

– Oui, il a l’air de morfler…

Bernstein sauta de la voiture et se porta vers Roland.

Soutenu par Bernstein et Nadège, Roland put atteindre la Rolls.

– Nous allons à la maison, indiqua, sobre, Nadège. Elle était livide.

Même s’il avait le cœur un peu loin de tout, Bernstein fut ému. Tant de l’état physique de Roland que pour les joues soudain creuses de Nadège. Bernstein était l’ennemi juré du drame. Il aimait le plaisir. C’était un viveur folâtre.

Pour une fois, Costes, toujours partant pour conduire à l’allure d’une tortue, accéléra.

Il brûla deux feux rouges. Peu importe ! Lever des fonds pour les campagnes électorales vous épargne le caractère diabolique des contractuels. Jamais Roland Arezzeau n’avait payé une seule contravention. À Noël, il noyait de cadeaux le préfet de police, adorable chochotte en ménage avec un imam algérien.

L’état de Roland ne s’améliora pas. Ses paupières restèrent closes. Il souffrit de crampes aux cuisses et de pertes d’équilibre lorsqu’il tenta de se lever pour aller pisser.

Nadège ne parvint pas à dormir. Elle perdit deux kilos en une nuit.

Dès neuf heures du matin, Nadège appela le docteur Weinbergg à son cabinet.

Roland donnait depuis vingt ans sa confiance à ce médecin généraliste, dont le diagnostic était sûr. Roland savait que la plupart de ses confrères étaient discrètement corrompus par les laboratoires pharmaceutiques. Weinbergg échappait à ce travers. Il vous observait avec un nez de chien truffier.

– A-t-il une déformation de la bouche ? interrogea le médecin.

– Non, Docteur.

– Des troubles de la parole ?

– Non.

– Ça ne peut être un AVC. Quant aux paupières qui tombent, je ne comprends pas…

Weinbergg savait Roland parfois hypocondriaque et capable de prétendre souffrir de scorbut alors qu’il dévorait cinq fruits par jour.

– Rappelez-moi si sa santé ne s’améliore pas. Mais je ne suis pas inquiet.

*

Le lendemain, Roland ne put se lever seul. Il fut incapable de mâcher la mie d’une tartine de pain complet. Ses maxillaires se dérobaient.

Ida l’aida à faire quelques pas. Ida tenait le rôle d’assistante personnelle de Roland. Et depuis deux décades. Célibataire, elle habitait chez les Arezzeau. Jeune, et après avoir acquis un diplôme d’expert-comptable, elle avait rejoint Roland qui venait de créer une compagnie d’assurances. Elle avait su l’arracher à ses créanciers. Plus tard, elle fut le complice invisible de l’ascension de Roland Arezzeau. Roland prisait son discernement. Il évoquait fréquemment sa sagacité. Aussi, Ida faisait-elle partie de la famille.

À midi, Roland fut incapable de planter les dents dans une tranche de terrine aux pistaches, dont il raffolait. Il ne sut davantage avaler une feuille de salade.

– Oh là là ! s’inquiéta, en chancelant, Thérèse, la domestique en chef aux mollets en gouttes d’huile. Elle était secrètement amoureuse de lui.

Vers 13 heures, à bout de nerfs, Nadège décida d’appeler à nouveau le docteur Weinbergg. Pourrait-elle l’atteindre un dimanche ?

Elle laissa un message sur sa boîte vocale.

*

À cette même heure, Costes déjeunait au Périgord Noir, estaminet de la rue de Tocqueville.

Les noix de Saint-Jacques aux légumes acidulés, ainsi que le filet de canard aux navets farcis, il s’était préparé, depuis le matin, à s’en régaler. « Ventre, réjouis-toi ! », pensait-il. Costes savait encourager ses organes préférés.

De son côté, Bernstein, qui s’était fait une règle d’honorer Dieu en caressant ses créatures, partageait la couche d’une brunette délurée. Une Catalane. À vingt-sept ans, elle aimait le sport, les cunnilingus et la plage du Touquet. Elle était l’une de ces filles dont le mouvement des reins relève le goût d’une journée pluvieuse.

Bernstein la familiarisait avec un sexe de patriote. Si on aime son pays, brandir le glaive !

– Alors, heureuse ?

Elle était en nage, pas encore accessible au remords d’avoir cédé si facilement. La sueur, tel un gel coiffant, redressait ses cheveux d’un noir épais.

Nadège Arezzeau interrompit les prouesses de Bernstein. Elle lui adressa un SMS.

Il lut le nom de Nadège sur l’écran tout en dorlotant la Catalane.

Bernstein mit aussitôt un terme à l’une de ces douceurs que les filles qui viennent de jouir portent au pinacle.

– Venez ! Vite ! écrivait Nadège.

Bernstein sauta dans un caleçon corail.

– Où tu vas ? s’affola la brunette.

Pas de gaspillage affectif. Le temps pressait.

– Je file !

– Qui c’est ?

– Il y a un sorbet au champagne dans le frigo. Sers-toi, ma chérie.

Tout en descendant l’escalier en sautant une marche sur deux, il prévint Costes.

– Chez le patron, et au galop ! jappa Bernstein.

Toujours au restaurant, Costes posa son troisième verre de cognac dans un beau geste d’abnégation.

*

Roland Arezzeau faisait peine à voir. Ses paupières fermées, il n’avait plus rien du dieu de la finance.

Ida, qui, en toutes circonstances évitait la panique, donna son avis.

– L’hôpital Rothschild est spécialisé dans le traitement des yeux.

– On y va ! décida Roland.

Costes le prit dans ses bras telle une poupée, il le fit passer du pyjama violet au costume croisé. Il installa ensuite Roland dans la Rolls-Royce.

Bernstein veilla sur Nadège dont le regard demandait protection. Il alla jusqu’à effleurer son épaule.

Il leur fallut une heure pour atteindre l’hôpital Rothschild. Costes gara la voiture devant l’entrée principale en pulvérisant une petite dizaine de patinettes, objets dont il avait juré l’extermination.

Il y avait beaucoup de monde devant l’établissement de soins, certains, des écouteurs vissés aux tympans, d’autres bavardant, ou s’invectivant en diverses langues. La file d’attente impressionna Nadège.

– C’est terrible !

– Je vais jeter un coup d’œil. Restez là ! dit Bernstein.

Fougueux, il monta les marches de l’entrée principale. Il fendit plusieurs rangs de patients, bouscula une brochette d’administratifs en blouse blanche, armés chacun d’au moins cinq stylos dans leur poche pectorale. Il parvint, après plusieurs minutes, à trouver une infirmière. Elle lui indiqua qu’il convenait de prendre un ticket et d’attendre son tour.

– Ça sera long ?

– Quatre ou cinq heures.

À chacun donc de décéder dans le respect d’une patience imposée.

En revenant vers la voiture, Bernstein considéra que dans cinq heures Roland Arezzeau serait mort.

Il commenta cette problématique devant Nadège et Costes.

– Il faut passer devant tous ces pleurnichards qui viennent juste pour se faire mettre trois gouttes de collyre dans les mirettes.

– J’attendrai mon tour… murmura, courageux, Roland.

– Non, j’ai une idée, dit Bernstein.

– C’est quoi que tu veux faire ? interrogea Costes. Il se méfiait des inspirations de son partenaire.

– Toi, tu dois être atteint d’une syphilis tertiaire pour être aussi pétochard ? Je m’occupe de tout !

*

Désigné par le ciel pour tricher, Bernstein observa le tableau qui indiquait que le prochain malade appelé en consultation portait le numéro 58.

Une dame, casquée d’une perruque rose, se tenait debout devant l’écran. Elle portait un pantalon treillis usé. Les lacets de ses grosses chaussures étaient décolorés, son Tee-shirt représentait un vol de bécasses.

– Madame, seriez-vous le numéro 58 ?

– Oui !

– Vous souffrez beaucoup ?

– Non, c’est juste que depuis mon opération de la cataracte je vois trouble de l’œil droit.

– Seriez-vous d’accord pour m’échanger le 58 contre un 500 ?

– Un 500 quoi ?

– 500 euros.

– C’est une blague ?

– Bernstein fit glisser de sa main droite vers celle de la dame, un billet bien propre.

– Ah bon ? C’est pas tous les jours que je rencontre quelqu’un comme vous.

– D’accord pour le ticket ?

– Oui.

– Ça va mieux l’œil droit.

Elle ria.

– Oui !

*

Ils passèrent plusieurs couloirs dans la direction des urgences.

– C’est à vous ? demanda un gommeux au menton de décideur.

– Oui

– Installez-vous dans la salle d’attente.

Ils patientèrent une demi-heure avant d’être introduit auprès d’un jeune médecin au sourire de bienfaiteur. Plusieurs infirmières l’assistaient. Une fausse blonde était penchée devant un ordinateur.

Le médecin procéda aux examens d’usage après avoir assis Roland, et avec leur aide, devant le matériel idoine, dont une lampe à fente.

Il n’y avait que deux chaises dépareillées disponibles. Costes fut mis en pénitence sur un tabouret.

Bernstein se trouvait assis, et sa cuisse touchait celle de Nadège.

– Il ne s’agit pas d’un problème oculaire, indiqua, compétent et modeste, le spécialiste après dix minutes d’analyses.

Nadège se redressa.

– Qu’est-ce qu’il faut faire docteur ?

– Je prescris une analyse de sang. Nous en saurons plus.

*

Une journée plus tard, les résultats tombèrent. En dépit de la zone grise du jargon médical, Nadège comprit qu’il s’agissait probablement d’une myasthénie.

Roland ne moufta pas. Il attendait que la mort se jette sur lui pour en triompher. Arezzeau avait toujours agi pour gagner.

Nadège prit à nouveau contact avec le docteur Weinbergg.

Le généraliste s’exprima sur un ton mesuré. Sa voix douce était presque féminine. Weinbergg voulait prévenir tout affolement.

– Passez à mon cabinet à douze heures trente avec votre mari s’il vous plaît…

Nauséeuse, Nadège ne fut pas loin de vomir.

*

Il pleuvait. Un vent traître vous frappait dans le dos.

Costes et Bernstein accompagnèrent Nadège chez le docteur Weinbergg.

Costes était au volant de la Rolls-Royce.

Pour se remonter le moral, Costes s’était accordé une lampée de beaujolais au petit-déjeuner. Il était fier de n’avoir aucun antécédent de sobriété. Dans sa famille, l’alcool renforçait les défenses immunitaires.

À ses côtés, Roland plaisantait. Évoquer sa maladie offensait sa dignité.

À neuf heures, une fois mis debout, il s’était observé dans le miroir de la salle de bains. Il y était resté dix minutes. Ce visage de grand malade, le sien, il ne le connaissait ni d’Eve ni d’Adam.

« Qui est cette loque ? », se demanda-t-il.

Se découvrir une tête d’agonisant était une mauvaise rencontre.

À présent, Nadège était assise sur la banquette arrière.

Pour une fois, Bernstein se retint de tout libertinage.

Le docteur Weinbergg, qui d’ordinaire avait la manière pour vous faire attendre quarante minutes, reçut Roland et Nadège en moins de vingt secondes.

Il leur dit bonjour sur un ton rassurant.

Il affûta son regard et lut les résultats d’analyses.

Il eut un toussotement charmeur.

– Bien !

Il s’adressa à Roland.

– Seriez-vous opposé à une visite chez un neurologue ?

Là était sa malice. Ne pas tourmenter les malades. Leur suggérer…

– Allons-y ! dit Roland.

– Parfait. Je vais donc appeler le docteur Sarti. Un spécialiste.

Au téléphone, Weinbergg demanda un rendez-vous à son confrère. Après quelques phrases, ils comprirent que Sarti ne pourrait recevoir Roland avant trois semaines.

– Ah non, cher ami. Non. Demain de préférence… si je puis me permettre, insista, suave Weinbergg.

Le docteur Sarti au téléphone, mais aussi Roland et Nadège, comprirent qu’il n’y avait pas une minute à perdre.

– Demain vingt heures ? Oh, c’est si aimable à vous. Merci. Oui, un grand merci.

Le petit docteur Weinbergg, soulagé, eut un sourire de bambin triomphant.

– Le docteur Sarti vous verra demain à la fin de sa consultation.

*

– Saloperie de pluie, dit Costes au volant de leur antique Volkswagen.

– Tu n’as même pas fait réparer les essuie-glaces.

– Trop de soucis.

– T’angoisses pour ton loyer ?

– J’en ai mal au ventre.

– Je te ferai une péridurale… plaisanta Bernstein.

Ils roulaient vers l’immense appartement de Roland à Neuilly. Le ciel noircissait.

– Je demanderai au patron de nous avancer encore une fois de la thune, dit Bernstein.

– Il nous a à la bonne. Vraiment sympa.