Les Cahiers de Douai - Arthur Rimbaud - E-Book

Les Cahiers de Douai E-Book

Arthur Rimbaud

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Beschreibung

L'ouvrage "Lire en une heure Les Cahiers de Douai" propose, comme les éditions précédentes sur le roman, une version concentrée du recueil de poèmes d'Arthur Rimbaud mis au programme des épreuves anticipées de Français pour la session 2024. Cette série est pensée pour aider les lycéens à saisir les grandes lignes d'une oeuvre qu'ils pourraient avoir du mal à lire intégralement. Ce qui est initialement ressenti comme une contrainte par un lecteur laborieux peut alors devenir un plaisir, les passages clés des poèmes ayant été préalablement sélectionnés. Le lycéen aura ainsi la certitude d'avoir pris connaissance de l'essentiel sans se livrer à un travail de mémorisation trop ardu. Entre ces passages clés, des résumés très détaillés de ce qui a été écarté permettent de ne perdre ni le fil de l'intrigue ni la logique de l'organisation d'ensemble. Pour ne pas l'encombrer avec des éléments qu'on peut trouver aisément ailleurs, cette collection s'astreint à ne proposer qu'une biographie minimaliste de l'auteur et elle ne présente de l'oeuvre en elle-même que les éléments préalables jugés incontournables pour sa compréhension globale. En revanche, un dossier thématique est joint à la sélection présentée afin que le lycéen qui souhaite approfondir sa lecture puisse le faire avec une certaine autonomie. Cette version synthétisée des Cahiers de Douai s'inscrit dans cette même logique, même si tous les poèmes courts ou considérés comme "incontournables" ont été livrés dans leur globalité. Pour chacun d'entre eux, un rapide commentaire à vocation explicative a été joint de sorte que la lecture soit plus aisée, notamment lorsque les poèmes présentent un sens implicite dissimulé. Comme pour les précédentes éditions, un dossier en lien avec le parcours associé "émancipations poétiques" a été joint en seconde partie : la place des Cahiers de Douai dans l'oeuvre et dans le siècle est abordée en premier lieu ; l'émancipation par l'écriture l'est dans un second temps. S'ajoutent à ces études un plan de commentaire détaillé du poème "Roman" et une lecture linéaire du sonnet "le Buffet". Un corpus complémentaire sur "les arts poétiques" est assez logiquement ajouté ensuite, car "l'émancipation   créatrice" passe nécessairement par une réflexion sur la modernisation du genre au XIXe et au début du XXe. Pour finir, un petit quiz contribue à permettre, comme à chaque fois, d'auto-évaluer sa lecture.

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Arthur Rimbaud

Les Cahiers de Douai

Extraits choisis, passages résumés ou commentés, et dossier réalisé par

Jean-René Armand

Certifié de Lettres Modernes

© 2023 Jean-René Armand

Tous droits réservés

ISBN : 9782322100491

Édition : BoD - Books on Demand, Norderstedt

Avant-propos

La collection Lire en une heure s’adresse principalement aux lycéens des classes de première. À l’issue de l’année scolaire, ils devront présenter, tant à l’écrit qu’à l’oral des épreuves anticipées de Français, des œuvres qu’ils auront lues et travaillées avec leur professeur. Or, l’expérience montre que beaucoup d’entre eux, les bons élèves y compris, auront depuis bien longtemps renoncé à ces lectures. Soit l’œuvre, souvent longue ou morcelée, leur semble trop rébarbative, soit elle leur paraît trop compliquée. En effet, ils se seront contentés d’un résumé, dont on trouve de multiples versions sur Internet, ou le cas échéant, d’une adaptation filmée plus ou moins réussie.

Dans les deux cas, le choix n’est pas satisfaisant. Un simple résumé, surtout s’il est fragmentaire, ne permet pas de correctement « fixer » les passages essentiels. De la même manière, un film présente très rarement une intrigue fidèle à celle du support initial, un réalisateur étant toujours obligé d’adapter son scénario aux exigences cinématographiques de la projection en salle ou aux attentes des spectateurs. Et, dans le cas de la poésie, une telle alternative est carrément inenvisageable.

La collection Lire en une heure offre l’occasion de découvrir un ouvrage réduit de manière significative, mais sans que la précision du contenu en soit altérée. Ce qui est initialement ressenti comme une contrainte par un lecteur laborieux peut alors devenir un plaisir, les épisodes clés d’un roman, les scènes majeures d’une pièce, les poèmes incontournables d’un recueil ou les extraits significatifs d’un essai ayant été préalablement sélectionnés. Le lycéen aura la certitude d’avoir pris connaissance de l’essentiel sans se livrer à un travail de mémorisation trop ardu. Entre ces passages clés, des résumés très détaillés de ce qui a été écarté permettent de ne perdre ni le fil de l’intrigue ni la logique de l’organisation d’ensemble.

Pour ne pas « l’encombrer » avec des éléments qu’on peut trouver aisément ailleurs, cette collection s’astreint à ne proposer qu’une biographie minimaliste de l’auteur et elle ne présente de l’œuvre en elle-même que les éléments préalables jugés incontournables pour sa compréhension globale. En revanche, un dossier thématique est joint à la sélection afin que le lycéen qui souhaite approfondir sa lecture puisse le faire avec une certaine autonomie.

Cette version légèrement synthétisée des Cahiers de Douai s’inscrit dans cette même logique, même si tous les poèmes courts ou considérés comme « incontournables » ont été livrés dans leur globalité. Pour chacun d’entre eux, un rapide commentaire à vocation explicative a été joint de sorte que la lecture soit plus aisée, notamment lorsque les poèmes présentent un sens implicite dissimulé.

Comme pour les précédentes éditions, un dossier en lien avec le parcours associé — « émancipations poétiques » — a été joint en seconde partie : la place des Cahiers de Douai dans l’œuvre et dans le siècle est abordée en premier lieu ; l’émancipation par l’écriture l’est dans un second temps. S’ajoutent à ces études un plan de commentaire détaillé du poème « Roman » et une lecture linéaire du sonnet « le Buffet ». Un corpus complémentaire sur « les arts poétiques » est assez logiquement proposé ensuite, car « l’émancipation   créatrice » passe nécessairement par une réflexion sur la modernisation du genre poétique au XIXe et au début du XXe. Pour finir, un petit quiz contribue à permettre, comme à chaque fois, d’auto-évaluer sa lecture.

Je rappelle que que cettesérie d’étudesest intégralement réalisée par mes soins. Elle est certes imparfaite, mais elle nécessite un travail important qui est conçu dans l’optique d’aider les lycéens à se confronter au programme des épreuves anticipées. Elle ne prétend aucunement se substituer à la lecture du recueil complet ou à une étude issue de la recherche universitaire. Si elle incite quelques-uns de ses lecteurs à se plonger spontanément dans les œuvres originales,elle aura atteint son objectif.

Il existe de nombreux sites Internet proposant de télécharger gratuitement l’intégralité de ce recueil aux formats PDF, Kindle ou Epub. Ces versions étant souvent de bonne, voire d’excellente qualité, on pourra très clairement s’en satisfaire pour approfondir sa lecture si on le désire.  

Biographie d’Arthur Rimbaud

(1854-1891)

Arthur Rimbaud naît à Charleville (Ardennes) le 20 octobre 1854. Son père, Frédéric Rimbaud, militaire de son état, abandonne son foyer, laissant très tôt le jeune Arthur âgé de six ans sous l’autorité de sa mère, née Vitalie Cuif, une femme autoritaire, de son frère aîné et de ses deux sœurs.

Après un passage par l’institut Rossat, une école privée réputée, il entre en 1865 au collège de Charleville. Brillant élève malgré son caractère rebelle, il se distingue en étant lauréat de plusieurs concours. En 1870, il se lie d’amitié avec Georges Izambard, son professeur de rhétorique qui lui fait découvrir les grands auteurs. Au mois d’août de la même année, Rimbaud s’enfuit une première fois pour se rendre à Paris, mais il est incarcéré à la prison de Mazas car il a voyagé sans billet. Alerté par une lettre, son professeur parvient à le faire libérer. Il le conduit à Douai, chez les demoiselles Gindre, parentes de la famille Izambard. Mais une lettre de sa mère le contraint à rejoindre sans délai la ferme familiale de Roche, près de Charleville. À peine rentré, il s’enfuit à nouveau, passe par Charleroi, puis Bruxelles, pour regagner Douai et enfin se voit contraint de regagner à Charleville en novembre. C’est lors de ses deux premières fugues que sont rédigés – ou recopiés – la plupart des poèmes des Cahiers de Douai.

En février 1871, alors qu’il a à peine dix-sept ans, il se rend une première fois à Paris, mais sans le sou, il doit regagner Charleville à pied. C’est au mois de mai qu’il a la révélation de sa mission de « poète voyant1 » et qu’il adresse à Izambard puis à Demeny deux lettres demeurées célèbres2 . Entre temps, il « s’encrapule » et se vante de « cracher » sur le clergé. En septembre, il rencontre enfin Verlaine, son principal admirateur qui devient son amant. Le succès du « Bateau ivre » l’amène à participer aux réunions du cercle des « Vilains bonshommes3 », mais sa vie de bohème et ses manières trop rustiques aboutissent à son exclusion.

La vie dissolue menée avec Verlaine décide Mathilde, la femme de ce dernier à adresser un ultimatum à son mari : ce sera Arthur ou elle. En février 1872, Rimbaud est donc astreint à un nouveau séjour forcé dans les Ardennes, mais, en mai, il rejoint Verlaine, qui sous le charme du jeune homme, abandonne en juillet femme et enfant pour suivre son amant en Belgique, puis en Angleterre. Mais leur relation est orageuse : entre querelles, réconciliations et séparations, il entreprend, au printemps 1873, de rédiger Une Saison en enfer. Mais à Roche, le hameau où réside la famille, il s’ennuie, et rejoint Verlaine à Londres un mois plus tard. Une nouvelle querelle éclate. Verlaine laisse son amant sans argent et part pour Bruxelles. Ils s’y retrouvent en juillet, mais cette fois, c’est le drame : alors que l’adolescent menace de le quitter, Verlaine fait feu à deux reprises sur Rimbaud qui est légèrement blessé. L’agresseur est arrêté, condamné à deux ans de prison, et la victime, mineure, assignée à résidence dans la ferme familiale. Il y achève Une saison en enfer et s’attelle à la rédaction (et au recopiage) de quelques Illuminations.

En 1874, Rimbaud se rapproche de Germain Nouveau, un jeune poète, et il rencontre une dernière fois Verlaine, en 1875 à Stuttgart, alors que celui-ci vient de sortir de prison.  Ils seront les dépositaires de ses derniers travaux. Il gagne ensuite la Suisse, puis l’Italie. À la fin de cette année, il s’engage pour six ans dans l’armée coloniale hollandaise, déserte en mai 1876. L’année suivante, il part pour Brême, puis Hambourg, et Marseille, devient chef de chantier fin 1878 à Chypre et rentre en France en 1879. Un an plus tard, il embarque pour l’Égypte et gagne Aden en août. Il trouve un emploi dans une société spécialisée dans le commerce des peaux et du café. En 1885, il fait du trafic d’armes, et ce jusqu’en 1888. En 1891, il doit être rapatrié en France en raison d’une tumeur au genou droit qui s’est aggravée et qui causera sa mort en novembre.

Principauxrecueils attribués à Arthur Rimbaud4

1870 : Recueil Demeny, ou Cahiers de Douai

1873 : Une Saison en enfer

1872-1875 : Illuminations

Premier cahier

Première soirée5

« — Elle était fort déshabillée,

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres penchaient leur feuillée

Malinement6 , tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,

Mi-nue, elle joignait les mains.

Sur le plancher frissonnaient d’aise

Ses petits pieds si fins, si fins.

— Je regardai, couleur de cire

Un petit rayon buissonnier7

Papillonner, comme un sourire

Sur son beau sein, mouche au rosier.

— Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s’égrenait en claires trilles8 ,

Un joli rire de cristal…

Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »

— La première audace permise,

Le rire feignait de punir !

— Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :

— Elle jeta sa tête mièvre

En arrière : "Oh ! c’est encor mieux !…

Monsieur, j’ai deux mots à te dire…"

— Je lui jetai le reste au sein

Dans un baiser, qui la fit rire

D’un bon rire qui voulait bien…

— Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres penchaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Dans ce poème composé de huit quatrains aux vers octosyllabiques, il est question de séduction amoureuse : un jeune homme aussi impatient que maladroit essaie de séduire une jeune fille à demi-dénudée. Tout en s’offrant à son regard en même temps qu’à celui des arbres qui assistent à la scène en spectateurs, elle se défend de lui céder sans avoir préalablement résisté : « Veux-tu finir ! » lui ordonne-t-elle. Les mouvements de retrait du corps, les rires qui répondent aux trois baisers, les paroles moqueuses donnent à l’ensemble une allure de comédie légère teintée d’ironie : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. » dira Rimbaud dans « Roman ». S’est-elle soumise à ses avances ? Nul ne le sait : les points de suspension après « qui voulait bien... » et la reprise du quatrain initial semblent indiquer que non.

Sensation9

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue !

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien

Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

Mars 1870

Ce court poème, conjugué entièrement au futur, s’inscrit dans la thématique récurrente chez Arthur Rimbaud du bonheur de voyager dans une nature bienfaitrice et accueillante. La sensation tactile est transcendée par la marche du fugueur. La pensée et la parole seront superflues face à cette plénitude que procure le projet du départ. La comparaison finale « — heureux comme avec une femme. » revêt un sens important, car la suite du recueil se chargera à démontrer que les femmes seront souvent pour Rimbaud, un sujet de déception.

Le Forgeron10

Palais des Tuileries, vers le 10 août 9211 .

Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant

D’ivresse et de grandeur, le front vaste, riant

Comme un clairon d’airain12 , avec toute sa bouche,

Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,

Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour

Que le Peuple était là, se tordant tout autour,

Et sur les lambris d’or traînant sa veste sale.

Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,

Le « bon roi » doit subir les remontrances et les reproches du « maraud de forge », un misérable qui lui rappelle ses crimes : le travail forcé des paysans soumis à la cravache du seigneur, la misère d’un peuple dépouillé par un clergé avide de pièces d’or.

… « Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,

C’est entre nous. J’admets que tu me contredises.

Le Forgeron n’est pourtant pas amer : il évoque avec lyrisme le goût naturel de chacun à participer aux semailles, aux récoltes, à la transformation du blé en pain. Mais il n’en profite jamais :

Si l’on était certain de pouvoir prendre un peu,

Étant homme, à la fin ! de ce que donne Dieu !

— Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire !…

Dès lors, il énumère les raisons qui l’ont conduit à se révolter : le travail forcé, les fils enlevés par la guerre, les filles abusées par des soldats lubriques, l’opulence éhontée des puissants, et pour finir les embastillements injustifiés.

« Non. Ces saletés-là datent de nos papas !

Oh ! Le Peuple n’est plus une putain. Trois pas

Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.

Cette bête suait du sang à chaque pierre

Et c’était dégoûtant, la Bastille debout

Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout

Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

— Citoyen ! citoyen ! c’était le passé sombre

Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !

Il se souvient alors de la fierté éprouvée quand s’est concrétisé le rêve insensé de retrouver une pureté originelle en voyant le peuple se soulever et marcher dans Paris : « Enfin, nous nous sentions Hommes […] Nous nous sentions si forts ! Nous voulions être doux ! » Mais les mouchards, les hommes de loi corrompus, les collecteurs d’impôts ont eu raison de sa clémence : ils ont mérité de voir la colère du peuple s’abattre sur eux. C’est pourquoi il entraîne le roi vers la fenêtre pour qu’il observe la foule déchaînée, animalisée « comme [le sont les] chiens » : hommes et femmes vont « bavant » et « hurlant » pour assouvir leur vengeance. Sa femme et lui sont à l’image de cette foule : ils sont « les gueux », « la crapule », une engeance que le régime monarchique a lui-même créée. Mais il veut croire en un futur heureux, en un monde meilleur :

Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes

Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir,

Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,

Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes

Où, lentement vainqueur, il domptera les choses

Et montera sur Tout, comme sur un cheval !

Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,

Plus ! — Ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :

Nous saurons ! — Nos marteaux en main ; passons au crible

Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !

Une vie simple, faite de labeur, sous le regard d’une épouse aimante ne pourrait que conduire au bonheur de tous, y compris celui du roi : « Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer ! » Mais le temps n’est pas venu, car la bataille, la rancœur, la terreur de revivre les mêmes brimades étouffantes l’obligent à rejoindre la canaille, à se dresser pour « laver les pavés sales » et à dire aux puissants : « Merde à ces chiens-là ! »

— Il reprit son marteau sur l’épaule. La foule

Près de cet homme-là se sentait l’âme soûle,

Et, dans la grande cour, dans les appartements,

Où Paris haletait avec des hurlements,

Un frisson secoua l’immense populace.

Alors, de sa main large et superbe de crasse,

Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,

Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

Ce poème en alexandrins, d’inspiration hugolienne, possède une dimension épique en présentant un moment intense de la Révolution française. Celle-ci sonne la chute de la Monarchie absolue et la fin de l’Ancien Régime. Mais Rimbaud dénonce implicitement les dérives du second empire, et témoigne de l’engagement du jeune poète aux côtés de la révolution prolétarienne de 187113 . Le Forgeron symbolise, de par son statut mythique, le lien entre l’univers de la terre, autrement dit le monde rural et celui des usines, c’est-à-dire urbain. Il parle au nom de toutes les victimes des pouvoirs despotiques. Il attire l’attention du Roi sur le fait que tout un peuple se rassemble au sein d’une même colère. Ce peuple considère la grande bourgeoisie et surtout l’aristocratie comme les responsables ou les complices de sa misère.

Soleil et chair14

I

Le poème, divisé en quatre mouvements, s’ouvre sur un huitain qui fait l’éloge d’une nature primitive et du renouveau : « Le Soleil... Verse l’amour brûlant à la terre ravie. » L’aube printanière engendre un « grand fourmillement de tous les embryons », c’est pourquoi le poète exprime ses regrets dans une lamentation adressée à Venus.

Et tout croît, et tout monte ! — Ô Vénus, ô Déesse !

Je regrette les temps de l’antique jeunesse,

Des satyres15 lascifs, des faunes animaux,

Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux

Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !

Je regrette les temps où la sève du monde,

L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts

Dans les veines de Pan mettaient un univers !

Le temps originel où les Dieux de l’antiquité « berçaient l’Homme », le nourrissaient « comme un petit enfant » est malheureusement révolu, car l’Homme a renié la Nature, personnifiée ici par « Cybèle […] gigantesquement belle […] et parcourant les splendides cités sur son char d’airain ». L’Homme se prétend « Roi », l’homme se prétend « Dieu », mais ce faisant, il a perdu l’amour et la beauté – celle dAstarté –,  « la clarté // Des flots bleus », la pureté de « l’écume », « les parfums de la vague », mais aussi « le chant joyeux du rossignol ».

II

Dans ce deuxième mouvement, Rimbaud déclare sa foi en Aphrodite,