Les Caraïbes en exil - Francis Daniel Nina - E-Book

Les Caraïbes en exil E-Book

Francis Daniel Nina

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Beschreibung

El caribe en el exilio est un recueil de 12 nouvelles brèves écrites par Francis Daniel Nina, un auteur portoricain à multiples facettes. Comme on le sait, Porto Rico est une île des Grandes Antilles dont le statut est particulier : c’est un État Libre Associé aux États-Unis mais qui cherche à conserver ses racines espagnoles et caribéennes malgré l’exil et la séparation. Et, justement, ce sont ces mêmes thèmes dont traite ce livre avec humour et gravité, localisme et universalité. Ce sont des sortes de « tranches de vie » anonymes que nous offre Daniel Nina, des situations quotidiennes en apparence banales mais qui parfois tournent au drame et montrent à quel point la vie est un défi permanent vers plus de liberté. Comme le souligne lui-même l’auteur (Prologue) : « Avec le temps, j’ai appris à lutter, à résister et surtout à trouver des réponses ».


À PROPOS DE L'AUTEUR


Francis Daniel Nina est né en 1962 à Porto Rico. Il a vécu de 1985 à 1991 en Europe puis de 1991 à 2000 en Afrique du Sud. Il est avocat et universitaire. Il a fondé en 2011 un journal cybernétique intitulé : El Post Antillano. Il a publié des essais, des nouvelles et deux romans biographiques dont les protagonistes sont des chanteurs de salsa : Rompe Saragüey en 2016 et El nazareno en 2017.

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Daniel Nina

Les Caraïbes en exil

Traduit par Françoise Léziart

 

Prologue

Les Caraïbes dans la vitrine du monde

 

L’homme marche mais pas l’arbre. L’arbre reste sur place même si certains d’entre eux voudraient être des hommes et se mettre à marcher. On apprend à s’enraciner. L’agriculture nous a fait nous arrêter. Semer la terre et la récolter est la tâche des hommes ou des femmes qui ont décidé d’appartenir à un clan. Ne pas bouger et s’enraciner : ce sont des choses qui sécurisent les êtres humains. Acheter une terre, se dire, cette terre est à moi,représente une sorte d’idéal. Et si, chemin faisant, on est chassé de cette terre ou qu’une catastrophe naturelle détruit notre maison, c’est comme un déracinement aussi douloureux qu’une maladie.

Ce curieux livre de contes débute par deux épigraphes notoires. L’une de Pedro Mir, tiré du poème « Si quelqu’un veut savoir quelle est ma Patrie » : Quand le fil de toutes les frontières / tisse une toile entre toutes les patries… Par ces mots, le poète dominicain annonce comme un fait établi que la Patrie est unique. Et la pluie tombe sans discrimination sur l’humanité entière. C’est ce que dit la seconde épigraphe de Bob Marley, ce philosophe intemporel : Quand la pluie tombe / elle ne tombe pas sur la maison d’un seul homme, n’oubliez pas ça ! 1 Persécution politique, violence, répression, injustice sociale, pauvreté, peur de mourir, les raisons qui poussent les intellectuels ou les simples citoyens à partir en exil sont nombreuses. Les raisons sont aussi diverses que les histoires et les expériences. Mais en quoi consiste l’exil ?

Comme Gabriel García Márquez qui a écrit : Douze contes vagabonds, Daniel Nina nous présente douze contes où la narration résulte d’un regard télescopique sur la vie, la vie intime de ses personnages. L’auteur se penche sur eux comme sur son propre exil, loin de sa terre natale. Il n’est cependant pas un exilé dépourvu de tout, il est parti à la recherche d’aventure et de connaissance. Comme le dit Octavio Paz on sait bien que tout n’est que reflets. Et chaque récit compose une sorte de miroir originel, vers lequel l’écrivain veut nous mener, un espace qu’il éclaire de l’éclat ténu de ses mots.

D’après Julio Cortázar : « L’écrivain exilé est quelqu’un qui se sait dépouiller de tout ce qui lui appartient, d’une famille souvent et dans le meilleur des cas, d’une manière et d’un rythme de vie, du parfum de l’air et de la couleur du ciel, des maisons, des rues et bibliothèques, de son chien, du café entre amis et des journaux, musiques et promenades en ville. L’exil c’est la cessation de tout contact avec la nature et de tout lien avec l’air et la terre d’origine ; c’est comme la fin brutale d’un amour, c’est comme une mort inconcevablement horrible parce que c’est une mort que l’on continue à vivre en conscience. »

Depuis Londres, Daniel Nina observe et se livre à nous. L’éloignement de son pays crée chez lui un état d’étrangeté et de désarroi qui se reflète dans ses douze contes de l’exil. Et quand cet exil a pour dénominateur commun l’éloignement de la mer, de la Caraïbe turbulente et paradisiaque, c’est un drame vécu qui nous touche de très près. Je crois que nous sommes tous exilés d’une manière ou d’une autre et ce depuis le mythe du Paradis perdu dont on nous a arrachés pour toujours et vers lequel il n’y a pas de retour possible. L’être humain porte en lui cette sensation de déracinement qui fait partie de l’inconscient collectif universel.

Le narrateur de Changement de fréquence décide donc de désobéir à une voix maternelle archaïque, cet alter ego qui lui dicte toujours sa loi inconsciemment. Mais, là oui, il va parler à un étranger dans le train, un homme immonde, mal odorant, qui interpelle ceux qui dorment : « À travers leurs paupières fermées, ils prétendaient nier son existence. » Une micro seconde de contact s’est créée à tout jamais. Mais pas d’échange de paroles car un changement de station peut nous voler une vraie rencontre.

« Exil »adit Lacan « On ne peut pas trouver de meilleur terme pour traduire la non relation sexuelle », ce rendez-vous manqué avec l’autre. C’est ce qui se passe quand Claudio s’en va et que, elle reste prisonnière de sa tristesse et c’est l’incompréhension de son partenaire masculin qui la pousse à aimer une femme dans le conte intitulé : La nuit où tu es partie j’ai recommencé à vivre. L’exil du lit comme un grand vide. Merino aussi dans Les trois Claires cherche désespérément à combler sa solitude. L’exil et la désolation. Et ce sont les femmes des vitrines du centre d’Amsterdam qu’il cherche. Elles apparaissent et disparaissent, comme des fantômes au visage et à l’odeur distincte. Le personnage de « l’idiote » qui travaille dans un supermarché et tombe dans le piège de la séduction, fait aussi partie de ce type d’histoire où l’exil est un rendez-vous raté avec l’autre.

Mambo Tequila – et Papo le Magnifique – est sans doute le conte le plus réussi. Nina parvient à transmettre une sorte de cosmogonie intrapsychique en nous plongeant dans les pensées de ces deux personnages. La lutte pour le pouvoir, la stratégie du plus intelligent pour s’adapter aux bons codes, telles sont les lignes conductrices de ce conte. Deux miroirs séparés dans le temps nous sont présentés par l’auteur dans : La liberté c’est donc ça ! On y voit que l’esclavage, appréhendé sous deux angles différents, est toujours le même. Le personnage de Charlie Gorra nous serre le cœur dans : Je me souviens qu’un jour je t’ai aimé2. Il a un besoin irraisonné d’être aimé de cette femme qui l’a compris et l’a aidé dans sa maladie et ses excès. Elle le suit de loin en bonne samaritaine mais sans être masochiste. Charlie Gorra est « exilé » à New-York et il a appris une autre manière de parler, le Spanglish : « Anyhow, I should go. I have to work tomorrow mais il y a ces satanés Chinois Man et maintenant les Cubains, les Marielitos 3, les Haïtiens, les Dominicains, les Nicaraguayens, man everyone is here. Shit ! Le problème c’est que la rue n’est pas grande mais les customers sont toujours les mêmes. Yeah, I will better tomorrow. Mec ! Ça fait des années que j’en bave. »

Avec Le Musée et Notre incendie, l’auteur du livre Les Caraïbes en exil complète le spectre de personnages de cette Caraïbe bien singulière qui correspond à la Grande Caraïbe. Avec des langues qui renvoient à une même Patrie, à la même mer. Les contes de Daniel Nina sont toujours actuels vingt-cinq ans après leur publication. L’œil qui regarde et dissocie est un œil analytique qui pose des questions, qui creuse à l’intérieur, comprend le dedans et le dehors et joue sur les contraires. Et je me demande ceci : quand l’auteur regarde le monde aujourd’hui a-t-il enfin pu déchiffrer l’énigme des arbres ? Il est des arbres qui veulent être des hommes et pouvoir marcher. On voit leurs racines dépasser du trottoir, lézarder le sol. Mais il y a aussi des hommes qui veulent être comme l’arbre. Rester immobile, planter d’autres arbres.

 

Mairym Cruz-Bernal

San Juan, Porto Rico, 14 septembre 2015.

 

Quelques mots sur cette édition

 

Après avoir levé l’ancre, j’avoue que…

 

Pour moi le guaguancó 4 est une aubade

C’est la tristesse qui me fait sourire chaque matin

C’est ce qui va du quartier à l’intérieur de l’âme

Ce que filtre le cœur lui-même

Ce qui dans nos veines devient sentiment fou

Ce qui me fait palpiter d’émotion

Pour moi tout ça c’est guaguangó

Pour moi tout ça c’est guaguancó.

 

C’est plus que la mulâtresse qui bouge

La taille comme une révolution

Ça va plus loin qu’un coup de tambour

Et même l’amour est pour moi un guaguancó.

 

Pour moi le guaguancó est une aubade

Car il prend feu dans l’âme comme une lumière

C’est une force pénétrante de vérité

C’est le rythme qui me rend heureux

C’est le rythme qui me rend heureux.

 

Catlino « Tite » Curet 5 : « C’est ça le guaguancó »

 

Vingt ans ont passé depuis la première édition de cette série de contes : Les Caraïbes en exil (San Juan, Editions Coa, 1990) qui a été pour moi d’une extrême importance. Au-delà du fait de publier un livre, mon premier livre, c’était aussi pour moi la première approche de certains axes thématiques qui m’accompagnent toujours.

La Caraïbe nous façonne, en effet, en tant qu’aire géographique et en tant que communauté humaine. Mais aller d’un pays à l’autre a été une constante dans ma vie et dans la vie de bien des personnes originaires de ces territoires. Une soif de justice et de changement social est également présente dans ce livre. Cela dit, dans ce que j’ai écrit il y a 25 ans comme dans mes réflexions actuelles, l’exil, volontaire ou involontaire, est toujours un élément structurant, comme pour beaucoup d’autres personnes, dans la joie ou dans la peine.

Deux décennies et demie après avoir publié Les Caraïbes en exil et après avoir vécu en Europe (de 1985 à 1991) et en Afrique du Sud (1991 à 2000), je reconnais que larguer les amarres pour vivre d’une manière plus intense implique aussi quelques contradictions. La vie a été telle qu’elle est, pleine de joie et de tristesse parfois. Cependant, avoir pu conserver les thèmes qui ont structuré ma manière d’être tout au long des 25 dernières années, c’est très important pour moi.

Au cours de ces années, j’ai appris à devenir un homme – mulâtre – de la Caraïbe et des Antilles et à me sentir partie intégrante de cette région du monde. J’ai aussi appris à comprendre la vie et les formes sous lesquelles, souvent de manière injuste, l’histoire se présente à nous et nous contraint. Mais j’ai aussi appris à lutter, à résister et surtout à trouver des réponses. C’est à ce combat, cette résistance et ces réponses que je dois ce que je suis.

 

Cette édition de mon premier recueil de contes je la dédie à nouveau à mes sœurs Rose et Ruth, qui ont su former et rester un « couple de Caribéennes extraordinaires ». Je me sens redevable envers elles et envers toute ma famille dans les Caraïbes comme en exil.

 

Daniel Nina

San Juan

16 novembre 2015.

 

Changement de fréquence

 

À Patricia Díaz

 

Quand il est entré on était tous sur le même canal : celui de la fatigue après une longue journée de huit heures, tous entassés dans la rame du métro de 5 heures de l’après-midi.

J’avais changé plusieurs fois de station : mon voyage était épuisant comme de coutume. Il n’y avait même pas de place pour rester debout. Après un peu de forcing – coup de coude et coup de reins – je me suis retrouvé au milieu de la rame face aux portes coulissantes. Les sièges étaient occupés par des personnes qui, entre paquets, mallettes, manteaux et autres pardessus, montraient de la lassitude après une journée de travail et ne parvenaient pas encore à changer de canal. Peut-être que ce changement – exécuter la manipulation pour le transbordement – n’interviendrait qu’à leur arrivée à destination ?

L’homme entra et sa présence devint tout de suite visible. Il n’eut pas à batailler pour entrer, on lui laissait le passage comme à un émissaire divin. Il avait sur le médium de la main gauche un sparadrap sale, si sale qu’il avait sûrement cessé – depuis sans doute un bout de temps – de jouer son rôle hygiénique. Dans la main droite il tenait un bock de 33 cl de bière Lager. Il était parvenu à se frayer un chemin surtout à cause de sa saleté, de l’odeur qu’il dégageait. Son corps avait une odeur de fruit pourri. Il ne resta donc pas longtemps debout. À la station suivante il avait déjà trouvé le moyen de s’asseoir sur une banquette. À sa droite, se trouvait une jeune femme jolie qui ressemblait à une employée de commerce.

Il était imperturbable. À sa gauche, il y avait un homme de 35 ans, aux cheveux roux, vêtu à la manière « smart » de l’homme d’affaires anglais. Il restait sur le même canal. Face à lui, il y avait 2, 3, 4, 5 hommes smarts avec une mallette noire, des chaussures noires et un manteau gris, chemise blanche et cravate bleu marine. C’étaient de vrais gentlemen britanniques.

Il ne semblait pas impressionné par eux. Bien vite, sa présence se fit sentir et en l’espace de quelques secondes, ses voisins, très incommodés, changèrent de canal.

Saisissant l’occasion, son premier geste fut de tendre la main, celle du cœur en une quête improvisée au bénéfice de sa prochaine bière. Personne ne lui donna d’argent, quelques gestes de mécontentement commencèrent même à apparaître : ses voisins frontaux entamèrent une conversation fructueuse sur les affaires.

Il adopta alors une autre stratégie. Puisque la quête n’avait pas suscité l’enthousiasme du voisinage, pourquoi ne pas chanter ! Il devait chanter ! C’était mieux avec une musique de fond et l’on entendit soudain quelques notes de « rap ». Nouvelle gêne, autre changement de canal. Ses voisins frontaux ne pouvaient pas poursuivre leur savante conversation ; ils étaient obligés de se rabattre sur la lecture instructive du Financial Times. Sa voisine de droite fit un brusque changement : elle sortit de l’un de ses deux sacs, un magnétophone, des écouteurs, une cassette et s’installa pour se déconnecter en son âme et conscience.