Les derniers secrets de l'humanité - Jacques Malaterre - E-Book

Les derniers secrets de l'humanité E-Book

Jacques Malaterre

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Beschreibung

20 ans après "L'Odyssée de l'Espèce" (9 millions de téléspectateurs sur France 3 en 2003), Jacques Malaterre réalise un nouveau film sur nos origines avec la caution des meilleurs paléontologues dont Yves Coppens. Pour ce faire, Jacques Malaterre part en Chine en plein covid. Des repérages au tournage, en passant par les répétitions, il vit et travaille pendant six mois avec une équipe chinoise, pour ramener un film d'une grande sensibilité. Récit d'une aventure. – L'auteur. Jacques Malaterre commence sa carrière à Avignon avant de monter à Paris pour réaliser ses premiers 

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Malaterre
commence sa carrière à Avignon avant de monter à Paris pour réaliser ses premiers documentaires. Infatigable défricheur, il traque l'âme de ses personnages et fait travailler ses comédiens selon les méthodes

de l'Actors Studio. De Maria Casarès à Henri IV, ses documentaires, fictions, docu-fictions et mises en scène de théâtre l'emmènent au Maroc, en Géorgie, au pôle Nord, en Ouganda, en Bulgarie et jusqu'au Mont Altaï...



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Couverture

Page de titre

Pour Sara et Manolo

« Quand tu ne sais plus où tu vas,Arrête-toi, retourne-toi,Et regarde d’où tu viens. »

Proverbe africain.

PRÉFACE

VOUS AVEZ BIEN FAIT de choisir ce livre, il va vous plaire. Si vous êtes un fan inconditionnel de Jacques Malaterre, c’est une évidence. Pour ceux qui s’intéressent à la préhistoire, que Jacques affectionne tant mettre en images depuis plus de vingt ans, ce sera une belle découverte.

J’ai eu la chance de participer à la création du film Les Derniers Secrets de l’Humanité – Coulisses d’un tournage en Chine, œuvre au cœur de la trame narrative de cet ouvrage. Porter à l’écran les humains préhistoriques est une gageure. Je suis bien placé – en tant que paléoanthropologue – pour le savoir. Mon travail consiste à tenter de reconstituer, à partir de minces traces, les comportements des humains du passé. Ainsi, le risque pour les artistes, mais également pour les préhistoriens, est de laisser une trop grande place à l’imagination, en composant avec ce que nous croyons être la vie de nos ancêtres. De nombreux documentaires cinématographiques ou livresques tombent dans le piège. Mais Jacques Malaterre a su raconter l’histoire d’existences humaines au cours des millénaires, en y intégrant, avec art, l’état des recherches. Les connaissances scientifiques transpirent à travers les images de son film. Autant de savoirs que les spectateurs pourront s’approprier. Le livre que vous tenez dans vos mains explique comment il a réussi ce prodige.

Enfin, les passionnés de cinéma ne sont pas oubliés. Ils découvriront l’envers du décor, le quotidien du réalisateur durant ce travail au long court. Un voyage à travers la Chine en pleine crise du covid ! Tous les ingrédients sont réunis pour une expérience unique, que vous allez ainsi partager, de quarantaine en décors somptueux. En lisant les mots de Jacques, j’ai revécu en détail ces deux dernières années à observer, de loin, le film se faire pas à pas. Vous allez apprendre à connaître un homme attachant, entier, sincère. Un ami. Je vous souhaite une excellente lecture et une formidable aventure.

Antoine Balzeau, paléoanthropologue

DE L’ODYSSÉE DE L’ESPÈCEAUX DERNIERS SECRETS DE L’HUMANITÉ

« Le hasard n’est que la volonté des dieuxqui veulent garder l’anonymat. »

Proverbe africain

LE COVID N’EXISTAIT PAS et la Chine m’attirait. Je rêvais de tigres à dents de sabre, de gorilles de plus de deux mètres de haut et d’éléphants vertigineux. Mythique bestiaire… Je voulais arpenter les terres pelées et les forêts tropicales, voir les lacs d’altitude, sentir le froid polaire et les touffeurs humides. « Viens… », disait la Chine. Je n’y avais pourtant aucune attache, nulle connaissance. Mais je ressentais cette attraction, fondée sur l’intuition que l’empire du Milieu recélait peut-être le secret de nos origines. J’en parlai à Yves Coppens qui me répondit : « Tu as raison, il faut aller là-bas ». La science progressait et il fallait en rendre compte : dire que des peuplades asiatiques avaient franchi les premières le détroit de Béring, raconter la vie de nos ancêtres à travers celle de nos cousins chinois, en montrant qu’ils n’étaient pas les brutes épaisses que l’on croit, mais des êtres sensibles, subtils, sentimentaux…

Vingt ans plus tôt, Patricia Boutinard Rouelle, directrice à France Télévisions, m’avait commandé un 90 minutes sur les origines de l’homme. « Après les dinosaures, les Anglais sont en train de plancher sur nos ancêtres, alors pourquoi pas nous ? me dit-elle. Je voudrais un film sur les grandes étapes de l’évolution. » Proposition alléchante. Mais comment rivaliser avec Jean-Jacques Annaud, un des rares, avec Luc Besson, à tenir tête aux Américains ? Avec La Guerre du feu, Annaud avait signé un film culte, presque indépassable bien que licencieux scientifiquement. Et puis, quelle légitimité avais-je ? Moi qui ne faisais aucune différence entre Néandertal et Cro-Magnon et pensais encore que Lucy était une chanson des Beatles. La boîte de production avec laquelle travaillait Patricia voulait un documentaire classique montrant Yves Coppens palabrant dans des grottes. « Pas question d’imiter leur meilleur film : La Vie des cervidés à Chambord, me dit Patricia, nous allons faire du tout fiction ! » Courageuse, elle osait bousculer les règles et l’intelligentsia du documentaire. Petit projet deviendrait gros.

Le défi me donnait le vertige. Je le relevai précisément pour cette raison. Avec Barthélémy Fougea comme directeur de production, nous formions une bande de cow-boys avec des méthodes de cow-boys.

Il me faudrait à nouveau allier l’information du documentaire à l’art de la fiction.

Des documentaires, j’en avais une trentaine à mon actif. D’abord des films institutionnels tournés dans le sud de la France, jusqu’à L’Adieu au pape qui me fit quitter Avignon pour Paris. Jean-Pierre Cottet fut le catalyseur de cette évolution, mon parrain, celui qui me donna ma chance. Je filmai grâce à lui les chevaux de Bartabas, bien avant le succès que connaît aujourd’hui le Fort d’Aubervilliers.

Vinrent ensuite des portraits d’artistes forts en gueule : Armand Gatti à Avignon, Djuri au Bataclan, Maria Casarès, histoires d’actrice… J’éprouvais déjà le besoin de me rapprocher de mes sujets, de devenir mes personnages, de percer leur fibre. Pour offrir au spectateur une vérité à laquelle il ne s’attendait pas. Je tombais amoureux de Maria Casarès, si pleine de verdeur du haut de ses soixante-dix ans. Je la revois, à la sortie d’une répétition avec les élèves comédiens du Théâtre National de Strasbourg, petite femme intrépide, la clope au bec, le pantalon remonté jusqu’aux seins, s’exclamer : « Qu’est-ce qu’on apprend avec ces jeunes ! » C’était une infatigable chercheuse. Maria arrivait quatre heures avant de jouer, sa seule respiration consistant à sortir du métro une station plus tôt pour marcher jusqu’au théâtre. « Ce sont mes vacances… », me disait-elle les yeux pleins d’étoiles. Elle avait chez elle une tête de mort et, dans ses rares moments d’abattement, plongeait ses yeux dans ceux du crâne… qui lui redonnait goût à la vie. Un charme renversant, une énergie à tous crins et une sensibilité à fleur de peau. La voix de Casarès, cette mangeuse d’hommes, chevrotait au souvenir de Camus, son grand amour illégitime.

Il y eut ensuite Le Printemps du sacre (1993), une rétrospective des plus grandes interprétations de l’œuvre de Stravinsky : Pina Bausch, Martha Graham, Maurice Béjart et Marie-Claude Pietragalla… De l’intuition pure. J’ai plongé dans le torrent des corps. Ma caméra flirtait avec les danseurs de ballet, épousant le mouvement de l’intérieur, comme un acte charnel. Magie du documentaire et de l’improvisation, quand les plans surgissent d’eux-mêmes, à chaud, alors qu’il faut des heures de préparation pour esquisser l’équivalent en fiction.

Mes docus ne ciblaient pas que des gens célèbres. Un instinct me poussait vers ce que je ne savais pas faire, à changer d’ambiances et de sujets. À me faire peur. Partout, je traquais l’intime. J’ai ainsi créé des vidéo-matons de rue dans lesquels des habitants venaient raconter leur histoire face caméra. Aucune censure pour ces prises diffusées le lendemain à tout le quartier.

Alain de Sedouy, fondateur de Canal+ avec Marc Tessier et Pierre Lescure, connu pour avoir tenu tête à de Gaulle en passant un 52 minutes sur Daniel Cohn-Bendit, me commanda un jour un film sur le repos dominical des Français : du quart-monde à la bourgeoisie. Moi qui ne prends jamais de week-end… Un travail d’immersion. Il fallut des mois d’approche pour que la caméra pénètre au cœur des foyers en se faisant oublier. J’étais devenu l’ami de la famille. Cette confiance nous permit de filmer des scènes d’anthologie : la paella du samedi soir dans les jardins ouvriers. Et une scène d’ivresse délirante que je coupai au montage par égard pour mes hôtes. « Quoi qu’elle raconte, l’image doit être synonyme de respect » : une leçon donnée par mon producteur que je n’oublierai jamais. La téléréalité n’existait pas ; nous inventions un docu d’un nouveau genre. « Surprenant, me dit Sedouy avec son allure de Parrain, chapeau et manteau long, mais c’est un bon film, je vais le défendre. La chaîne n’y touchera pas ». Un vrai mec de la téloche, qui ne se couchait devant aucune doléance.

Il y eut aussi des documentaires animaliers. La vie des loutres et celle des hippos en Ouganda. Là encore, un gros travail d’approche. De la patience. Et beaucoup de chance…

Et puis les écrivains : Le Clézio, René Char, Pascal Quignard, Matéo Maximoff… On ne fait pas un film sur un auteur en compilant ses bons mots, mais en révélant ses tics : Quignard coupant ses Bic pour qu’ils tiennent dans un étui à lunettes, le même brûlant le manuscrit de son prix Goncourt et allant se recueillir sur la tombe de Baschô… « Tu n’es pas là, je repasserai plus tard » : petit mot de la main de Paul Éluard conservé par René Char. Deux grands amoureux des femmes. Avaient-ils conscience de leur notoriété à venir ?

Tous ces sujets m’ont nourri, forgé. Au plus près du réel, je me suis fait la main. La même logique prévalait à l’égard de nos aïeuls préhistoriques : l’envie de partager leur quotidien pour tutoyer leur vérité.

Pour narrer la vie de nos lointains ancêtres, les ficelles de la fiction étaient nécessaires. Seul le récit dramatique permet au spectateur d’entrer en empathie avec le personnage, de le devenir, même.

Mon premier court métrage fut primé à Tokyo. D’autres suivirent : En attendant Bernard Georges, L’amour dans l’âme… Fabriquer une histoire sur 90 minutes, j’en rêvais sans savoir comment franchir le pas. En 1995, Pierre Devert, directeur de la fiction de la 6, me tend la main : « J’ai vu vos docus, je voudrais une fiction. » Contrairement à nombre de diffuseurs et de producteurs, Pierre ne se prenait pas pour un réalisateur. C’était un coach, l’Aimé Jacquet de l’audiovisuel. Regardant un jour avec lui une scène qui ne fonctionnait pas et dont il relevait les faiblesses, je lui demandai : « Que dois-je faire ? » Il me répondit en souriant : « Je n’en sais rien, c’est toi le réalisateur ! » Pierre deviendra un ami. Je réaliserai ainsi Le Cri du silence, La Colère d’une mère, Juge et partie… Toujours des unitaires, jamais de séries au long cours qui tuent le désir et la créativité. Je créerai aussi Boulevard du Palais pour la 2, quittée au bout de quatre épisodes, pour rester neuf, pour rester libre ; la série durera dix-sept ans ! En exerçant le métier qui est le mien, je refuse de tomber dans la routine, quand bien même elle me permettrait de faire de l’argent facile. Je veux raconter des histoires chaque fois nouvelles. Défricher. Découvrir. Apprendre. Toujours apprendre.

L’apport de la fiction dans mon expérience fut considérable et tient en un mot : la direction d’acteur. Répéter, répéter, répéter. Pousser une idée si loin dans le corps que, le son coupé, le spectateur ne perd rien du sens de l’intrigue.

À l’orée des années 2000, Patricia Boutinard Rouelle me propose donc un documentaire sur les origines de l’humanité. Je me lance dans l’inconnu avec une contrainte supplémentaire : faire un film sous caution scientifique. Pourtant, la préhistoire demeure une énigme. La recherche en la matière est cousue de suppositions… Nous sommes des défricheurs. La 3D n’en est qu’à ses balbutiements. Le risque d’échec est immense. Paradoxalement, il va de pair avec une liberté infinie. Je veux faire renaître l’homme préhistorique, montrer comment il interagit avec ses semblables et son environnement, avec une gestuelle aussi vraisemblable que possible.

Et le démon me prend. Les contraintes du docufiction deviennent un facteur d’excitation et de surpassement. Si la recherche interdit certaines choses, elle en permet d’autres, des folies qui déjouent parfois l’imaginaire. Quel scénariste oserait créer le personnage d’un roi converti six fois sortant sans escorte après dix-huit tentatives d’assassinat ? Aucun. C’est pourtant le délirant destin d’Henri IV, que j’ai porté à l’écran en 2008. De même pour nos ancêtres. Les informations livrées par l’os et la pierre nous permettent de bâtir une Odyssée trépidante étalée sur sept millions d’années : des singes découvrant la station debout aux raffinements d’Homo sapiens.

Yves Coppens fut la cheville ouvrière du film. Ce paléontologue émérite, professeur au Collège de France et auteur d’une vingtaine d’ouvrages, est un des découvreurs de Lucy, cette Australopithèque fossile excavée en Éthiopie qui a révolutionné l’état des connaissances, en montrant que la marche sur deux jambes (– 3,2 millions d’années) précède l’augmentation du volume de la boîte crânienne. Coppens, avec sa bonhomie de grand-père barbu, étaye ainsi les positions de Darwin en démontrant que l’homme a évolué en s’adaptant aux changements de son milieu. Par ailleurs bon vivant et fantastique pédagogue, Yves Coppens sentit le potentiel du film et se prit de sympathie pour moi. Il eut l’intelligence et l’humilité de refuser d’apparaître à l’écran pour ne pas plomber le documentaire d’un ton doctoral. Pour autant, Coppens apporta toute sa légitimité au film. J’absorbai son savoir pour m’en inspirer à chaque étape de la fabrication. Et il devint mon ami.

De l’acquisition de la station debout par les grands singes à la conquête des cinq continents par Homo sapiens, L’Odyssée de l’Espèce est composée de plusieurs histoires. À l’image de l’évolution, le film avance par paliers, avec des sauts temporels de plusieurs centaines de milliers d’années. Il se dégage de l’ensemble une forte unité car le héros est toujours le même : l’Homme.

Ce grand voyage dans le temps ressuscite un pan de notre passé et éclaire le présent : une rencontre quasi martienne. Car l’homme préhistorique, davantage que l’homme historique, nous parle de ce que nous sommes au plus profond. Ses instincts, ses craintes, ses aspirations demeurent en chacun de nous. Rousseau avait raison : à l’état de nature, l’homme est bon, c’est-à-dire pur. Sans morale, ni interdits. Il sera perverti par la société.

L’homme d’aujourd’hui est la mémoire vivante de l’homme d’hier. J’irais même plus loin en me demandant si l’homme moderne ne refait pas tout le chemin de l’évolution dans ses premiers mois de vie. Nous naissons préhistoriques. Le nouveau-né ferme ses petits poings sur le doigt de l’adulte, un réflexe archaïque qui permettait jadis au petit singe de s’agripper aux poils de sa mère. L’enfant porte le monde à sa bouche. Les femmes et les hommes détectent dans leurs odeurs respectives bien plus que la fragrance d’un parfum. Les familles regagnent leur foyer à la tombée du jour, quand rôdent les prédateurs. Peignant la paroi d’une grotte ou gravant un coquillage, l’être humain est ému par la Beauté. Depuis un million d’années, le feu fait cercle. Nous veillons, nous rêvons aujourd’hui encore au coin du feu de cheminée comme si nos vies en dépendaient, parce qu’elles en dépendaient. L’instinct du nomadisme – voire les pérégrinations estivales – nous est resté. Autant de réflexes qui ont permis la préservation et la transmission de la vie.

Nos ancêtres vivent en nous. Leurs sentiments sont comme des ponts jetés par-delà les millénaires. Nous sommes des mammifères sociaux reliés dans une communauté de cœur. Aujourd’hui encore, aux quatre coins du monde, certaines tribus perpétuent un mode de vie ancestral.

Les chaussures, le maquillage, les rites d’appartenance et de passage, les funérailles, la danse, la musique ont plus de cent mille ans. L’homme moderne n’a rien inventé. Il hérite.

On pue la préhistoire !

Lorsque nous préparions Le Sacre de l’Homme, mes conseillers scientifiques, Jean Guilaine et Yves Coppens, aimaient plaisanter en disant que : « Le néolithique, c’est le début des emmerdes ». Après de longs mois de préparation, L’Odyssée de l’Espèce fut tournée en Afrique du Sud en une vingtaine de jours. Spécificité du réalisateur : n’exercer son métier qu’un ou deux mois par an. Le reste du temps : préparer, convaincre les financiers…

En 2003, je regarde mon film, diffusé par France 3, au bar d’un PMU. « Ce soir, tu nous tues », me dit au téléphone Takis Candilis, directeur de la fiction à TF1. Résultat des courses le lendemain matin : neuf millions de téléspectateurs. Ex aequo avec la Coupe du monde de football de 98, meilleur audimat de tous les temps pour France Télévisions.

Le président de la République française m’appelle deux jours plus tard : « Allô, c’est Jacques Chirac ! » Canular ou vérité ? pensai-je avant de reconnaître l’authenticité de cette voix tant de fois imitée. Il avait vu le film deux fois et me couvrit d’éloges. Mes jambes en tremblaient.

Mes films sur la préhistoire me permettront par la suite de rencontrer Nicolas Sarkozy, en 2010, et de prendre part, en 2023, au voyage officiel d’Emmanuel Macron en Chine où un banquet fut donné en l’honneur de la France par le Président Xi Jinping.

Invité au Festival de cinéma d’Angoulême par Dominique Besnehard en août 2023, lors du dîner de l’avant-première de mon film Les Derniers Secrets de l’Humanité, organisé par Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, et LVMH, j’ai pu dîner à la table de François Hollande… 4/4, le compte est bon.

L’Odyssée reçut le 7 d’Or du meilleur documentaire unitaire. Mon professeur d’histoire du lycée m’écrivit pour me demander si l’auteur de ce film était bien l’ado qui s’endormait pendant ses cours ! Quant aux créationnistes, ils me menacèrent de mort pour avoir égratigné leur Tout-Puissant. J’étais devenu militant malgré moi et spécialiste de la préhistoire.

L’Odyssée de l’Espèce me donna envie de remplir ma mission préhistorique, mon devoir d’Homo sapiens, et de devenir papa. Ma petite Sara naquit l’année suivante.

Le film eut plusieurs suites.

Homo sapiens, diffusé en 2005, fait un gros plan sur la seule branche à avoir survécu sur la quinzaine d’espèces humaines recensées. Nous descendons tous de cette même lignée : Homo sapiens. Nos ancêtres directs étaient déjà extrêmement évolués : ils maîtrisaient le feu et l’art, bravaient les animaux sauvages, déjouaient les intempéries et commencèrent à bâtir les premiers villages, prémices de la civilisation moderne. Encore la promesse d’une belle audience à France Télé. TF1 me « challengea » en passant ce soir-là un jeu télévisé spécial tsunami avec Alain Chabat, Patrick Timsit et Johnny Hallyday. « On va t’écraser », plaisanta Candilis. Verdict le lendemain : match nul avec 8 millions de téléspectateurs pour chaque chaîne.

Le Sacre de l’Homme, tourné en Tunisie et diffusé en 2007, s’attache au début de la protohistoire, entre – 15 000 et – 12 000 ans. Il montre les conséquences de la sédentarisation avec ses bienfaits et ses méfaits : agriculture, élevage, propriété, épidémies, chefferie, guerre, monnaie, institutions religieuses et politiques… Dans les millénaires qui suivirent, une partie de l’humanité s’arrogea le droit de manipuler l’autre.

AO est un eastern, sorti en 2010, tourné entre Bulgarie, en Ukraine, en Camargue, dans le Vercors et les Calanques, retraçant la vie du dernier néandertalien. Point de documentaire cette fois, mais une pure fiction, coécrite avec Michel Fessler, vieux camarade d’écriture, et documentée sous le regard de Marie-Hélène Patou-Mathis, préhistorienne. Nous prenons la liberté d’accoupler un Homo sapiens et un Homme de Néandertal pour leur donner une descendance alors que la science croit encore la chose impossible. Heureux coup du sort, les avancées de la recherche nous donneront raison l’année de la sortie du film. En dépit de six ans de travail et d’un budget colossal, AO n’eut pas le succès commercial attendu. Éric Garandeau, alors conseiller culturel de Nicolas Sarkozy et aujourd’hui directeur général de TikTok, m’invita tout de même à participer à une tournée en grande pompe dans les grottes de Lascaux, en présence des dignitaires de la science. Le président de la République ayant adoré le film, je me retrouvai parmi les huiles du cortège officiel, entre Frédéric Mitterrand, Carla Bruni et les tireurs d’élite… Retour à Paris dans l’avion présidentiel, puis jusqu’à mon domicile dans une voiture officielle encadrée par des motards faisant fi des embouteillages ; on y prendrait vite goût.

L’Odyssée de l’Espèce est devenu un documentaire-fiction culte. Dans les écoles, les collèges, les facs, le film révèle nos origines à plusieurs générations d’élèves. Un paléontologue d’une trentaine d’années me confia un jour qu’il avait eu la vocation en le regardant du haut de ses dix ans… Ce regard porté sur nos ancêtres disparus correspond aussi à un besoin de l’homme moderne de comprendre d’où il vient, qui il est, à une heure où la société est de plus en plus frénétique.

La paléontologie est une discipline en perpétuelle remise en question. L’état des connaissances évolue de jour en jour. Si le genre Homo est apparu en Afrique il y a environ trois millions d’années, nous savons qu’au moins six espèces humaines ont cohabité sur le continent asiatique il y a un peu plus de cent mille ans. Homo erectus