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Extrait : "Les grands vignobles de la Gironde sont une des gloires de la France, une des sources les plus fécondes de sa prospérité commerciale et agricole ; ils lui assurent une sorte de royauté que personne ne lui conteste, et forment autour de son front une auréole qu'on ne saurait trouver chez une autre nation de l'univers."
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Seitenzahl: 117
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Les grands vignobles de la Gironde sont une des gloires de la France, une des sources les plus fécondes de sa prospérité commerciale et agricole ; ils lui assurent une sorte de royauté que personne ne lui conteste, et forment autour de son front une auréole qu’on ne saurait trouver chez une autre nation de l’univers.
Eh bien ! nous avons entrepris d’élever à notre beau pays un monument digne de la haute renommée de ses produits sans pareils ; et pour rendre notre œuvre complète et irréprochable, nous avons voulu tout voir, tout constater par nous-même. Nous avons consulté les propriétaires, nos praticiens, nos œnologues les plus distingués ; nous avons visité un à un les châteaux, les principaux vignobles, surtout les crus de haute distinction.
Dans ce pèlerinage artistique et œnologique, nous avons admiré tantôt la magnificence, tantôt l’aspect monumental et pittoresque des habitations des grands propriétaires qui ont voué leur intelligence et leur activité à la vigne, c’est-à-dire à la plus noble des productions de notre vieille France.
Et, en admirant ces châteaux, les uns crénelés, les autres couronnés de tourelles élégantes, précédés de portiques, ornés de clochetons, nous nous sommes demandé pourquoi on n’avait pas réuni dans une même galerie ces monuments anciens et modernes de notre viticulture nationale.
Alors, nous avons résolu d’utiliser, pour la glorification de notre pays, non seulement nos connaissances sur la viticulture et l’œnologie, mais encore l’art photographique, dont nous avons fait une étude particulière, étude que le jury de la dernière Exposition de Bordeaux a jugée digne de son approbation, puisqu’il a bien voulu nous décerner une de ses médailles.
Nous avons donc photographié les principaux châteaux, dans la pensée d’en composer un album qui formera, en quelque sorte, le musée des grands vins.
Les voyageurs qui ont visité, à diverses époques, soit les régions orientales, soit la Grèce, soit l’Italie, ont eu le soin de donner les descriptions et les vues des monuments historiques où se sont passés de grands évènements.
À plus forte raison, devons-nous étudier, au point de vue de l’histoire et de l’art architectural, les châteaux et habitations qui sont autant de temples de la vigne.
Telle a été l’idée première et fondamentale de l’ouvrage que nous publions aujourd’hui : le monde entier connaît les vins de la Gironde, mais on ignore généralement que, dans notre riche pays, les grands vins sont aussi magnifiquement logés que les plus puissants seigneurs du moyen-âge.
Notre ouvrage sera donc une révélation et en même temps un livre héraldique où chaque propriétaire trouvera ses titres de noblesse.
Nous avons suivi, pour la classification de nos photographies, l’ordre généalogique établi par la tradition et par l’aréopage du commerce girondin. La série s’ouvre par les quatre premiers grands crûs ; viennent ensuite les deuxièmes grands crûs, les troisièmes, les quatrièmes, les cinquièmes.
Nous avons aussi visité et apprécié de nombreux et beaux vignobles qui méritent de figurer dans notre ouvrage, bien que la Commission syndicale ne les ait pas encore admis aux honneurs de la classification officielle ; ces belles propriétés, appelées à un brillant avenir, nous ont fourni des sujets d’étude du plus haut intérêt, au double point de vue de l’histoire et de l’œnologie.
Pour la première fois, l’art photographique aura été appliqué à reproduire ces constructions qui s’élèvent au milieu des pampres, les unes splendides par leur magnificence, les autres gracieuses et charmantes dans leur simplicité.
Ce n’est pas sans raison qu’on a établi, principalement dans le Médoc, trois grandes catégories de vignobles : 1° les Châteaux ; 2° les Bourgeois ; 3° les Paysans. En effet, le système féodal semble s’être maintenu dans la région médocaine : les Châteaux donnent les vins les plus exquis, les plus renommés ; les Bourgeois ne figurent qu’au deuxième rang, et les Paysans sont, en quelque sorte, les vassaux des châtelains et des bourgeois.
Par la photographie, nous avons pu reproduire, avec l’exactitude la plus rigoureuse, les châteaux et les habitations bourgeoises que la richesse et la distinction des produits recommandaient à notre attention : sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres, notre ouvrage ne laissera rien à désirer.
Mais il ne suffisait pas de reproduire des vues exactes de ces monuments viticoles, de les montrer tels qu’ils sont, même aux personnes qui ne les ont jamais vus et ne les verront jamais : nous avons voulu compléter notre œuvre par une étude approfondie de l’histoire locale.
De même que nous reproduisons les beautés architecturales des châteaux girondins, de même nous donnons leurs monographies, nous indiquons les noms de leurs divers propriétaires ; nous constatons la qualité et la quantité des produits. Biographies des bienfaiteurs de la vigne, chroniques du moyen-âge, traditions et récits des temps modernes, nous avons tout compulsé, et nous avons pu réunir des matériaux historiques du plus haut intérêt.
Les Grands Crus Bordelais formeront ainsi une œuvre complète, sérieuse autant qu’utile, par l’histoire locale et les appréciations vinicoles autant que par les photographies.
Puisse ce travail, que nous consacrons à notre belle, à notre riche Gironde, obtenir l’approbation de tous les sérieux amis de la vigne française, dont notre pays est la manifestation la plus distinguée !
Mais notre ouvrage n’est pas seulement girondin et français, il est universel, parce que nos vins et les localités qui les produisent sont connus dans toutes les régions du globe.
Notre entreprise est donc éminemment française, éminemment nationale, puisqu’elle montrera sous un jour tout nouveau le plus beau fleuron de notre agriculture.
Les Grands Crus Bordelais formeront quatre parties :
1° Premiers grands crus et deuxièmes grands crus du Médoc ;
2° Troisièmes, quatrièmes et cinquièmes crus du Médoc ;
3° Les crus non classés du Médoc et des Graves, de Saint-Émilion, de la côte de Fronsac, du Blayais et de l’Entre-deux-Mers ;
4° Une partie spéciale est consacrée aux VIGNES BLANCHES : de sorte que notre ouvrage, qui commence par les grands crus du Médoc, aura pour couronnement les grands crus de Sauternes, de Bommes, de Barsac et de Preignac.
Dans cette partie, nous parlerons aussi des vignes blanches non classées et qui méritent de l’être.
À nos concitoyens, à tous les amis éclairés des produits de la vigne, à la France, la terre classique du vin, nous offrons et nous dédions les Grands Crus Bordelais !
ALFRED DANFLOU.
Bordeaux, janvier 1867.
LATOUR, à Pauillac
propriétaire de BEAUMONT, de FLERS et COURTIVRON
En sortant de Pauillac par la route de Lesparre, on aperçoit, au bas de plusieurs coteaux couverts de pampres, un château de forme bizarre et pittoresque, avec trois petites tours rondes et une terrasse qui domine une prairie entourée de beaux arbres. Les constructions sont propres, élégantes, et d’une blancheur qui les signale de loin. Des masses de verdure encadrent ce luxuriant paysage.
Aux tourelles surmontées des girouettes traditionnelles, aux nombreuses fenêtres qui s’ouvrent sur la vallée d’un côté, et de l’autre sur le vignoble, il est facile de reconnaître un château girondin ; mais dans l’ensemble, rien qui frappe ou qui étonne. L’aspect général est toutefois d’une rare élégance.
Et pourtant ce petit château, cette habitation d’apparence presque modeste, sont aussi connus dans le monde entier que les palais des Tuileries et de Versailles.
Nous sommes devant Château-Lafitte ! Salut donc, et trois fois salut au roi des vignes ! au plus célèbre des vignobles du Médoc !
Dans les annales de la viticulture et de l’œnologie, le nom de ce cru figure au premier rang ; ce nom est devenu pour les gourmets les plus distingués un point de rappel, une sorte de drapeau ; qui dit Château-Lafitte dit grand vin par excellence ; la vigne française n’en connaît pas de plus beau. La nature du sol, l’exposition des coteaux, le choix des cépages, les procédés de culture et de vinification, tout concourt au maintien de cette royauté inébranlable.
M. Goudal, régisseur, ou plutôt vice-roi de ce coin de terre vénéré de tous les buveurs de distinction, reste fidèle aux traditions des maîtres, et sait mettre heureusement à profit les ressources de la viticulture et de l’œnologie modernes. D’ailleurs, sir Samuel Scott, roi actuel des vignes, tient à honneur de conserver à ses produits toute leur pureté, toute leur distinction.
Château-Lafitte est donc aujourd’hui, comme il l’a toujours été, le digne représentant des grands vins, et il n’y a pas la moindre tache sur son noble blason.
L’histoire de ce manoir viticole est enveloppée de ténèbres, de même que les annales des plus grands empires. Les premières notions relatives à ce château datent pourtant du quatorzième siècle.
« Lafitte, dit l’annaliste Baurein, est le nom de la seigneurie de laquelle dépend la haute justice dans Pauillac.
Cette seigneurie est ancienne, et on trouve des seigneurs de ce nom dont il est fait mention dans les anciens titres, entre autres dans un acte du 8 mai 1355, où il est question de Jean de Lafitte, dounzet ou damoiseau qui s’y trouve énoncé : habitant de la paroisse de Pauillac. »
Le nom de ces seigneurs, suzerains de Saint-Lambert, figure dans l’histoire de la province de Guienne, surtout pendant la période de l’occupation anglaise. Gombaud de Lafitte était abbé de Verteuil en 1271, et cette famille donna à l’Église plusieurs personnages distingués par leur valeur et par leurs vertus.
Malheureusement, nous n’avons pu trouver que de rares documents sur l’origine de la grande renommée des vins de Château-Lafitte ; cela tient probablement à ce que les vins du Médoc demeurèrent presque inconnus jusqu’au commencement du seizième siècle. Il est à peu près certain que les premiers propriétaires ne purent donner à leurs vins le rang suprême qu’ils ont conquis depuis, parce que les procédés de viticulture et d’œnologie n’avaient pas encore atteint un degré de perfection suffisant ; dans tous les cas, l’histoire du Médoc est muette à cet égard ; et s’il fallait s’en rapporter maintenant à l’ancienneté des titres de noblesse, Château-Lafitte ne viendrait qu’après Château-Margaux, Haut-Brion, et même après Saint-Émilion, dont les vins faisaient les délices des rois d’Angleterre.
Tout ce que nous avons pu constater, au point de vue historique de la région médocaine, date seulement de 1641, c’est-à-dire de la fin du règne de Louis XIII. Les vins de Château-Lafitte ne se vendaient alors que de 80 à 100 livres le tonneau ; ils se consommaient comme simples vins de Graves et de Médoc, et on ne les emportait pas hors du pays, parce que les communications étaient fort longues, fort difficiles.
Mais aussitôt que les transactions commerciales s’établirent d’une manière sûre et régulière, vers la fin du dix-huitième siècle, les vins de Château-Lafitte furent très recherchés, et, dès 1745, nous les trouvons très honorablement mentionnés dans tous les contrats de vente et cotés à 1 500, même à 1 800 livres le tonneau.
Les renommées les plus grandes, les mieux établies, ont très souvent pour origine des évènements fortuits ; le hasard joue un rôle si important dans les grandeurs de ce monde !
Il advint donc que le maréchal de Richelieu, le vainqueur de Mahon, l’Alcibiade de son siècle, fut nommé gouverneur de la province de Guienne, et qu’il consulta à Bordeaux un médecin qui lui prescrivit le vin de Château-Lafitte comme le tonique le plus puissant et en même temps le plus agréable. Le maréchal trouva, en effet, la prescription très efficace et en même temps très agréable ; il revint à Paris bien portant, presque rajeuni.
« Maréchal, lui dit Louis XV, je suis tenté de croire que vous avez vingt à vingt-cinq ans de moins qu’à votre départ pour la Guienne.
– Votre Majesté ignore donc que j’ai trouvé la fameuse fontaine de Jouvence ?
– J’aurais dû deviner que vous étiez un peu sorcier, fit le roi en riant.
– Pas plus sorcier que Votre Majesté, répondit Richelieu, qui conserva toujours son franc-parler. Seulement, je suis un peu observateur, et je profite des découvertes que je fais. Or, j’ai découvert que le vin de Château-Lafitte est un cordial généreux, délicieux et comparable à l’ambroisie des anciens dieux de l’Olympe. Sire, Château-Lafitte est un modeste château de votre province de Guienne, aujourd’hui peu connu, mais prédestiné à une gloire sans pareille. »
Et le maréchal raconta au roi comment l’usage du nectar médocain avait rétabli sa santé épuisée. Il offrit quelques bouteilles, qui furent acceptées et dégustées avec délices par Louis XV.
Peu de jours après, on ne parlait à Versailles que du vin de Château-Lafitte, honoré de la haute approbation du roi. Tout le monde voulut en boire, et l’heureux propriétaire, M. de Ségur, réalisa de très beaux bénéfices ; il fut même proclamé roi des vignes, titre mérité, que ses successeurs ont porté depuis.
Le vin de Lafitte trôna donc dans les festins du maréchal de Richelieu ; Mme de Pompadour lui donna la place d’honneur dans ses petits soupers, et, plus tard, Mme Dubarry se fit presque un devoir de ne boire que du vin du roi, comme on disait alors. Le Lafitte fut à la mode tout comme le vin de Beaune l’avait été sous Louis XIV. En 1790, nous le trouvons coté à 2 200 fr le tonneau, somme considérable si on tient compte de la valeur de l’argent avant la Révolution.
En 1792, Château-Lafitte appartenait à M. de Péchard, président au Parlement de Guienne ; il fut déclaré propriété nationale par décret de la Convention. Un riche Hollandais, nommé Vandemère, l’acheta un million deux cent mille francs, pour le compte d’une maison d’Amsterdam ; en 1803, il en devint seul propriétaire.
Depuis plusieurs années, le roi des vignes est sir Samuel Scott, riche banquier anglais, qui a jugé qu’il ne pouvait mieux employer sa fortune que dans l’achat du premier vignoble de France, et par conséquent du monde entier. Sir Samuel Scott, admirablement secondé par son gérant, M. Goudal, un maître en viticulture et en œnologie, tient religieusement sa belle propriété à la hauteur de son grand renom ; malheureusement, ses produits sont à un prix très élevé, et ils se consomment en très grande partie dans les festins de la noblesse britannique. Mais la France est assez riche pour approvisionner le monde entier de ses vins.