Les grands jours du tribunal révolutionnaire - G. Lenotre - E-Book

Les grands jours du tribunal révolutionnaire E-Book

G. Lenôtre

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Aux premiers jours d'octobre 1793, le vieux local du Parlement de Paris reprenait son animation des jours anciens, des grands jours de lits de justice : seulement le personnel était grandement dissemblable. C'était un mouvement continu de juges ou de jurés, arrivant de leurs provinces, venant se mettre à la disposition de Fouquier-Tinville, accusateur du nouveau tribunal révolutionnaire créé par la Convention, s'installant, prenant l'air du Palais, se familiarisant avec la nouveauté du lieu, faisant choix d'un cabinet parmi ceux laissés vacants par les magistrats de Cassation, et circulant dans le va-et-vient des ouvriers posant des grilles, des prévenus conduits à l'instruction, des gendarmes groupant des condamnés, des témoins, des geôliers, des avocats, des employés empressés et novices, des bourreaux attendant les ordres

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Sommaire

Le Tribunal Révolutionnaire.

Les Grands Jours du Tribunal.

Les Messes rouges.

La vie au Tribunal Révolutionnaire.

La Revanche.

I

LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE

Aux premiers jours d'octobre 1793, le vieux local du Parlement de Paris reprenait son animation des jours anciens, des grands jours de lits de justice : seulement le personnel était grandement dissemblable. C'était un mouvement continu de juges ou de jurés, arrivant de leurs provinces, venant se mettre à la disposition de Fouquier-Tinville, accusateur du nouveau tribunal révolutionnaire créé par la Convention, s'installant, prenant l'air du Palais, se familiarisant avec la nouveauté du lieu, faisant choix d'un cabinet parmi ceux laissés vacants par les magistrats de Cassation, et circulant dans le va-et-vient des ouvriers posant des grilles, des prévenus conduits à l'instruction, des gendarmes groupant des condamnés, des témoins, des geôliers, des avocats, des employés empressés et novices, des bourreaux attendant les ordres. Fouquier avait l'œil à tout, dirigeait tout, parait à tout. C'était alors un homme de quarante-sept ans, noir de cheveux et de sourcils qu'il avait très fournis, avec des petits yeux ronds et chatoyants ; le front bas, le visage plein, le teint blême, le nez court et grêlé, les lèvres rasées et minces, le menton volontaire. Il était de bonne taille, avec les épaules carrées et les jambes fortes1.

Il accueillait les nouveaux venus, les renseignait, les quittait pour siéger, correspondait avec le ministre, courait aux comités, rentrait fourbu, dormait trois heures, assistait aux interrogatoires, rédigeait les actes d'accusation, aidé par son ami Grébeauval, qui bien que nommé juge, n'en continuait pas moins la rédaction des réquisitoires, par Bonnet, l'homme à l'œil de verre, et par Lumière, un musicien de guinguettes qui lui servaient de secrétaires. L'entente, d'ailleurs, était parfaite, entre l'Accusateur public et son substitut Lescot-Fleuriot. Celui-ci était en si bonnes relations avec Grébeauval qu'il ne le quittait guère : ils prenaient leurs repas ensemble : on les surnommait le mari et la femme.

Au nombre des arrivants est Dobsen, qui a mené ardemment la lutte contre les Girondins, au 31 mai, ce qui lui valut de passer le premier sur la liste des juges au tribunal révolutionnaire, nommés par la Convention, dans la séance du 3 août.

En même temps que Dobsen, paraît au tribunal Pierre-André Coffinhal. Ancien clerc chez un procureur au Châtelet, puis homme de loi, pour Fouquier une vieille connaissance. C'est un homme de trente et un ans, robuste et grand comme un Hercule, avec des yeux noirs, d'épais sourcils, un teint jaune et une voix retentissante. Il a été successivement médecin, avocat, saute-ruisseau, orateur de clubs, commissaire du district de Saint-Louis-en-l ‘Ile, où il habite, rue Le Regratlier, commissaire national près le tribunal du deuxième arrondissement. C'est là qu'est allé le chercher le vote de la Convention.

Du même jour sont nommés juges, Scellier ; il a trente-sept ans et remplit les fonctions de juge au deuxième arrondissement ; — Gabriel Deliège, président du Tribunal de la Marne et qui fut député à la Législative, — Maire-Savary, ancien avocat au Parlement, juge au tribunal du premier arrondissement. Quelques jours plus tard se présente un provincial, Herman, qu'un décret du 28 août a nommé président en remplacement de Montané, toujours détenu.

Herman est un beau garçon de trente-quatre ans, de tournure élégante : il appartient à une très honorable famille de Saint-Pol : son père, mort depuis un mois, fut greffier en chef des États d'Artois. Lui-même, après de bonnes études, d'abord juge en sa ville natale est passé en la même qualité à Arras : il a été successivement président de l'Administration, puis du tribunal criminel du Pas-De-Calais. Robespierre qui l'estime comme un homme éclairé et probe, capable des plus hauts emplois, l'a désigné au comité de salut public comme un magistrat d'un patriotisme éprouvé. Au vrai, Herman est un candide : il a eu la mauvaise chance, étant à Arras, de choisir pour servante une pauvre paysanne de vingt-cinq ans, Prudence Foucquart, absolument illettrée, fille d'un ménager de Willerval : comme, après quelques mois de service, elle était sur le point d'être mère, Herman, très chevaleresque, a épousé sa domestique. Il a des goûts simples, aime la lecture et le jardinage, et se pique d'une désolante sensibilité, d'un manque absolu d'ambition, mais aussi d'un inébranlable attachement à ce qu'il considère comme son devoir. Au total un homme doux et terrible.

René Dumas qui lui est accolé comme vice-président, et qui débarque de Lons-Le-Saulnier, est tout autre : dans sa petite ville, où il est redouté, on l'appelait Dumas le rouge, pour le distinguer de son frère, avocat comme lui, et par allusion à la couleur ardente de ses cheveux, à la rousseur de son visage et de ses mains, désavantages qu'il cherchait à atténuer en s'affublant de vêtements écarlates. Dumas le rouge a trente-six ans, étant né à Jussey (Haute-Saône), en 1757. D'abord au séminaire, puis chez les Bénédictins, il a rompu ses vœux avant d'avoir reçu les ordres. La tradition de Lons-le-Saulnier l'accuse d'une infâme passion pour l'une de ses trois sœurs qui n'étaient dépourvues ni de grâce ni de beauté, passion dont la malheureuse fut victime. Plus tard, dit-on, elle en fit l'aveu.

Voici par quel exploit ce personnage s'était signalé à la bienveillance des comités : le frère aîné de Dumas était, on l'a dit, avocat à Lons-le-Saulnier : son père commandait la gendarmerie de cette ville : tous deux faisaient partie de l'administration du département du Jura ; mais ils étaient modérés et la société populaire, à laquelle ils déplaisaient, dépêcha vers Paris un groupe de citoyens éprouvés pour signaler leur tiédeur à la Convention. Dumas le rouge ne refusa pas de se joindre à cette députation ; il dénonça sans honte, ses plus proches parents. Dumas l'aîné eut heureusement le temps de passer la frontière et se réfugia à Genève. Plus tard, pour justifier ses concitoyens, il écrira, de là, à son frère, devenu président du tribunal révolutionnaire et celui-ci, reconnaissant l'écriture, au vu de l'adresse, refusera d'ouvrir la lettre, si ce n'est en présence de témoins ; cette lettre est aux Archives nationales, elle porte, de la main de Dumas, cette mention :

Le présent jour il m'est arrivé une lettre sans enveloppe, timbrée Genève ; j'ai reconnu l'écriture et j'en ai fait l'ouverture en présence de Fouquier, accusateur public et de Liendon son substitut, et, après avoir pris lecture en commun, j'ai demandé et il a été convenu qu'elle serait déposée au parquet pour y servir de pièce à conviction contre son auteur et ses complices. Au parquet le 18 floréal an II.

Voilà pourquoi l'image de Brutus n'était pas déplacée dans les locaux du tribunal.

Dumas aurait pu, d'ailleurs, se réclamer d'autres héros de l'antiquité et Ménélas, l'ancêtre légendaire des maris malheureux, devait, à ce titre spécial, lui servir de parrain. Le vice-président du tribunal révolutionnaire était en effet l'époux d'une jeune femme, très jolie et très ambitieuse, qu'avait grandement séduite l'éloquence et l'impétuosité patriotique de Pierre-Louis Ragmey, autre avocat à Lons-le-Saulnier. Le mari, assure-t-on, avait surpris les relations qui bientôt s'établirent entre sa femme et son collègue, et il se montrait tolérant. Ragmey ne quittait pas le ménage Dumas. Il fut, avec eux, du voyage de Paris, lors de la dénonciation portée à la Convention contre les modérés de Lons-le-Saulnier : il fut du voyage de retour, voyage qui prit fin à Dôle, car les deux compères n'osèrent affronter les huées de leurs concitoyens : et, comme ils avaient titres égaux à une récompense nationale, lorsque Dumas fut nommé vice-président du tribunal, Ragmey y fut promu juge. L'intime union persista donc entre les deux amis et la paix du ménage, durant quelques mois, du moins, ne fut pas troublée.

Les jurés, désignés, le 28 septembre, avalent reçu un avis expédié dès le lendemain et rédigé en termes tels qu'il ne pouvait subsister aucun doute sur la rigueur de leur mission. C'est de vos travaux, était-il dit, que le peuple attend l'affermissement de sa liberté.

Dès le lendemain dans les couloirs du tribunal circulèrent de nouvelles figures. Les Parisiens, comme de raison, se montrèrent les premiers : l'arrivée des autres s'espaça suivant leur éloignement : ils furent, pour la plupart, rendus en octobre ; mais quelques-uns tardèrent plus d'un mois à se présenter au Palais.

Ils pénétraient dans cette enceinte fameuse, un peu étonnés de leur importance et fort novices ; car les soixante citoyens que les comités avaient désignés, n'étaient en rien familiarisés avec les usages de la justice : il y avait là trois tailleurs, Presselin, Aubray, Gimond ; cinq peintres, Châtelet, Prieur, TopinoLebrun, Sambat, Camus et Gérard, — celui qui devait être le grand Gérard, et que David avait placé sur la liste pour le soustraire à la réquisition militaire ; — cinq menuisiers, Gauthier, Billion, Devèze, Trinchard et Duplay, l'hôte de Robespierre ; un marchand de sabots, Desboisseaux ; un chapelier, Baron ; un cordonnier, Servière ; un serrurier, Didier ; un rentier, Fauvel ; quelques-uns tels que le ci-devant marquis d'Antonelle, Fauvety représentant les sans-culottes du Gard, Besnard et d'autres, n'avaient pour métier que la Révolution.

Ce Besnard par exemple, ancien commissaire-priseur, avait été condamné plusieurs fois à rapporter une somme considérable provenant d'une vente de meubles et qu'il s'était appropriée. Sa situation de juré le sauva, aucun huissier ne se risquant à instrumenter contre lui. Pour connaître Fauvety et sa conception de la justice il suffit de lire une lettre écrite par lui à Payan lorsque, après avoir quitté le tribunal, il travaillait à la commission d'Orange : ... Mon collègue ne vaut rien, absolument rien ; il est quelquefois d'avis de sauver des prêtres contre-révolutionnaires ; il lui faut des preuves comme aux tribunaux ordinaires de l'ancien régime ! Nous avons quelquefois des scènes très fortes. Antonelle, gentilhomme taré, ruiné par une vie de désordres, déconsidéré à Arles, ville dont il avait été le maire et le député à l'Assemblée législative, renié maintenant par ses compatriotes, était usé par l'inconduite et les excès.

Les artistes ne sont pas plus recommandables : Gérard doit siéger rarement et Fouquier le dispense d'être assidu ; mais Prieur et Châtelet se montrent pleins de zèle. Jean-Louis Prieur, à qui l'on doit le recueil des Tableaux de Paris pendant la Révolution, est le fils d'un ciseleur du roi : il a trente-quatre ans en 1793 : rien, dans son allure, de l'habile et ingénieux artiste que ses dessins nous révèlent : il a la mine têtue, vulgaire, l'air dur, le front bas, le menton fuyant, avec de la finesse et de l'ironie aux lèvres. C'est un gamin de Paris, grandi parmi les polissons, sur le pavé des rues. Claude-Louis Châtelet, son collègue, a l'aspect d'un père noble quelque peu hébété : il est plus âgé que Prieur de cinq ans et a été employé, jadis, par Marie-Antoinette, aux peintures des coquettes paysanneries de Trianon. La reine et l'artiste se retrouvent ici : lui, trône à la Grand'Chambre ou à la Tournelle, parlant haut, riant fort, raillant les accusés qui passent, conduits par des gendarmes, au long des corridors ; elle, agonise en bas, dans un cachot noir au plus profond de la prison sur laquelle pèse l'amoncellement de bâtiments, de galeries et de tours formant la masse énorme du Palais.

Qui présida au choix de ces hommes, auxquels vont être livrées la fortune et la vie de tant d'êtres humains ? Pourquoi ceux-là et non pas d'autres ? Qui sera responsable, devant l'histoire, de leur implacable rigueur à dix-huit francs par jour ?

On a dit que Fouquier-Tinville et Lescot-Fleuriot guidèrent les deux comités dans la composition des listes : leur ingérence est manifeste : Fouquier y inscrivit certainement nombre des déclassés, heurtés au cours de sa vie de misère, au temps où il était homme de loi. Fleuriot y glissa ses amis ; Lumière, Fievez, Tinchard, Topino-Lebrun étaient de sa section : mais on y devine surtout l'intervention de Robespierre : outre Duplay, chez qui il habitait, et dont les affaires n'étaient pas florissantes, il y plaça Didier, le serrurier de Choisy, Souberbielle, son médecin, le luthier' Renaudin, Châtelet, Girard, Gravier, qui étaient ses gardes du corps. Ceux-là ne seront pas timides : rapprochés des collègues Brochet, Chrétien, Leroy, Ganney, Jourdeuil, ils vont former l'état-major de Fouquier, l'élite que celui-ci groupera dans les grandes occasions, et dont il sait d'avance qu'il pourra tout obtenir.

1 Lorsque, après la mort de Louis XVI, la Convention avait décidé, le 10 mars 1793, d'instituer, pour mieux protéger la patrie contre les traîtres, un tribunal révolutionnaire, Fouquier-Tinville, substitut de l'accusateur public au tribunal criminel du département de Paris, en avait été nommé accusateur public. C'était la revanche de la besogneuse vie de clerc qu'il avait menée jusqu'alors. Dès son installation, il prit une place prépondérante et s'arrangea pour déloger du Palais tous les magistrats qui ne faisaient pas partie du tribunal révolutionnaire, en particulier ceux de Cassation qui occupaient encore la Tournelle. Prévoyant peut-être l'effroyable extension qu'allait prendre son travail, il avait voulu pour lui seul tous les locaux de l'ancien Parlement royal (l'actuel Palais de Justice).

II

LES GRANDS JOURS DU TRIBUNAL

Si ces hommes avaient cru assumer, ainsi qu'ils le proclamaient, une tâche patriotique, ou simplement honorable, comment aucun d'eux n'eut-il, par la suite, la pensée d'écrire ou de conter ce qu'il avait entendu et fait au temps du tribunal ? Dans la masse énorme d'autobiographies et de justifications qu'a engendrées la Révolution, on ne trouve pas un seul récit émanant d'un des collaborateurs de Fouquier-Tinville : tous souhaitèrent qu'on oubliât cette phase de leur existence ; pourtant ce qu'ils avaient vu méritait d'être consigné ; il n'est pas permis de croire qu'ils pussent jamais l'avoir oublié ; et pas un n'éprouva le besoin de soulager sa mémoire, ainsi que le fit Bailleul, auteur de l'Almanach des Bizarreries humaines.

Les débuts, il est vrai, furent assez ternes : du 1er au 12 octobre, on se contenta d'expédier la besogne courante, quelques curés, plusieurs jeunes gens accusés d'embauchage, une ou deux condamnations par jour, rien de plus. Fouquier, tout en dressant son nouveau personnel, préparait des coups de théâtre. Depuis le 2 août, il possédait, parmi ses pensionnaires de la Conciergerie la reine Marie-Antoinette, transférée là, du Temple, en vertu du décret qui la renvoyait devant le tribunal révolutionnaire. On semblait l'oublier ; mais Fouquier cherchait les procès retentissants comme un comédien recherche les beaux rôles ; peut-être aussi s'inquiétait-il de voir les terroristes reprocher au tribunal sa lenteur et ses ménagements. C'est donc lui, qui, le premier, stimula les Comités. — Le tribunal, écrivait-il, se trouve inculpé dans les journaux et dans tous les lieux publics sur ce qu'il ne s'est pas encore occupé de l'affaire de la ci-devant reine... On s'empressa aussitôt de réunir les pièces du procès : on en fabriqua même une, tout exprès, effroyable, celle-là, due à la collaboration d'Hébert, du savetier Simon, du maire de Paris, Pache, et du conventionnel David, lesquels ne craignirent point d'abuser de l'innocence du dauphin et d'arracher à l'enfant, contre sa mère, une déposition infamante. Ils escomptaient grandement l'effet, à l'audience, d'une si épouvantable révélation.

Les choses, pourtant, traînèrent en longueur : Fouquier manquait d'éléments pour rédiger l'acte d'accusation : il réclama du Comité de salut public la communication des pièces du procès de Louis XVI, espérant y trouver des inspirations : on les lui promit : mais avant même de les avoir reçues, il risqua l'affaire.

Le samedi, 12 octobre, à six heures du soir, un huissier du tribunal et quatre gendarmes amenèrent la veuve Capet à la Grand'Chambre, pour l'interrogatoire préalable. L'audience était terminée ; on avait condamné, ce jour-là, le curé d'un village des Vosges, prévenu, entre autres griefs, d'avoir déserté la procession, emportant le Saint-Sacrement, parce que les hommes armés qui lui faisaient escorte étaient ivres-morts. La vaste salle était vide et sombre : seules deux bougies l'éclairaient, posées sur le bureau de l'accusateur public, auquel avaient pris place le président Herman, Fouquier et le greffier Fabricius. On approcha une banquette sur laquelle s'assit l'inculpée. Herman posait les questions, Fouquier prenait des notes, Fabricius rédigeait. L'ombre remplissait l'immense pièce ; la voix de la souveraine devait résonner lamentablement, sous les hauts plafonds, dans ce grand espace désert. Tandis qu'elle répondait, ses regards fouillant les profondeurs noires de la salle distinguèrent des gens, qui se dissimulaient dans l'obscurité : des spectateurs privilégiés, sans nul doute, curieux de cette scène tragique. Ces ombres demeurèrent immobiles et muettes et, malgré les efforts de ses yeux myopes, la reine ne put les identifier.

Fouquier employa la journée du lendemain à rédiger l'accusation, quoiqu'il n'eût pas reçu encore les pièces annoncées par les Comités : le lundi, 14, à huit heures du matin, l'accusée parut en audience publique devant ses juges et les débats commencèrent.

Il est inutile de faire ici le récit d'un procès si souvent et si minutieusement conté : il suffira d'en fixer quelques traits qui aideront à reconstituer la physionomie du tribunal durant ces journées fameuses : quand l'accusée parut, la foule resta saisie du contraste émouvant entre la belle reine, souriante et parée dont tous les Parisiens avaient l'image dans la mémoire et la femme impassible, à cheveux blancs, très pâle, l'air brisé, toute plate dans sa robe de veuve. Elle s'assit sur un fauteuil qui servait, sans doute, à tous les prévenus jugés isolément, et le président l'interrogea aussitôt sur son nom et surnom, son âge, etc.

La foule qui se bousculait, derrière la cloison d'appui, pour mieux l'apercevoir, réclamait à tout moment qu'elle se tint debout, afin que rien du spectacle ne fût perdu. Ceux qui étaient près d'elle l'entendirent murmurer : — Le peuple sera-t-il bientôt las de mes fatigues ? Durant la lecture de l'acte d'accusation, on la vit, attentive et calme, promener machinalement ses doigts sur les bras de son siège comme sur un piano. L'audition des témoins se prolongea jusqu'à trois heures de l'après-midi ; on suspendit l'audience qui fut reprise deux heures plus tard.

Ils continuent à défiler, perfides, ineptes, ou respectueux. M. de la Tour du Pin, appelé à déposer, adresse à la prisonnière, en arrivant à la barre, un grand salut de cour. Un canonnier, Roussillon, déclare que, au 10 août, lors de l'envahissement du château, ayant pénétré dans la chambre de l'accusée, il a trouvé sous son lit des bouteilles vides, ce dont il conclut qu'elle avait grisé les chevaliers du poignard. Un certain Labenette raconte que la veuve Capet en voulait à sa vie et avait dépêché des spadassins pour l'assassiner. On écoute patiemment d'anciens domestiques de Versailles, des femmes de chambre, des geôliers, des gendarmes, des couturières.

Tandis qu'ils parient, Fouquier feuillette les pièces, bases de l'accusation, que vient de lui envoyer enfin la Convention et qu'il n'a reçues qu'une heure avant le commencement des débats.

Simon, le savetier du Temple, le précepteur du Dauphin, parait à la barre : l'aspect de cet homme, qui lui a pris son fils, doit ravager le cœur de la reine : elle le laisse parler, sans l'interrompre, n'osant, ne daignant pas peut-être lui demander comment se porte son enfant ; Hébert aussi est là ; à voix haute, il réédite sa sordide calomnie, et comme la reine garde le silence, il se trouve un juré pour insister... On sait le cri de protestation indignée que jette la noble femme, très émue, à l'assistance muette d'horreur. — J'en appelle à toutes les mères qui peuvent se trouver ici ! L'effet en est si grand que l'audience s'en trouve interrompue pendant quelques instants.

Un autre incident, navrant : on apporte sur le bureau du président un paquet scellé renfermant différents objets saisis sur la prisonnière lors de son transport du Temple à la Conciergerie. Herman brise les cachets et Fabricius présente à Marie-Antoinette chacun des souvenirs qu'il contient : elle voit ainsi passer devant ses yeux les fantômes de ceux qu'elle aime, personnifiés par ces reliques intimes que profanent les mains des huissiers ; Herman tranchant et froid comme une lame, presse ses questions : De qui ces cheveux ? — De mes enfants morts et vivants et de mon époux. — Ce papier chargé de chiffres ? — Une table pour apprendre à compter à mon fils. — Ce portrait ? — De Mme de Lamballe. — Et ceux-ci ? — Ce sont deux dames avec qui j'ai été élevée à Vienne. — Leurs noms ? — Les dames de Mecklembourg et de Hesse.

Fabricius sort ainsi un nécessaire garni de ciseaux et d'aiguilles, un miroir, une bague entourée de cheveux, un papier où sont deux cœurs entrelacés d'initiales, un petit carré de toile brodé d'un cœur enflammé percé d'une flèche. Ici Fouquier relève son nez grêlé ; lui qui, en ce moment même porte, sous ses vêtements, une médaille de la Vierge, feint d'ignorer ce qu'est un scapulaire. Il prend la parole et observe que parmi les accusés qui ont été traduits devant le tribunal comme conspirateurs et dont la loi a fait justice, en les frappant de son glaive, on a remarqué que la plupart, ou, pour mieux dire, la majeure partie d'entre eux, portait ce signe contre-révolutionnaire.