Les Initiés: Les Dimensions de l’esprit : Tome 3 - Dima Zales - E-Book

Les Initiés: Les Dimensions de l’esprit : Tome 3 E-Book

Dima Zales

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Beschreibung

Voici la suite passionnante de la série des Dimensions de l'esprit par un auteur de bestsellers au classement du New York Times et de USA Today.

Kidnappé. Conscience élargie. Et ce n’était que le début de ma journée. 

J’ai toujours cru être un type assez sympa. Du genre qui ne voudrait jamais tuer quelqu’un. 

Apparemment je manquais juste de motivation. 

Certains crimes ne peuvent jamais être pardonnés.

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Les Initiés

Les Dimensions de l’esprit : Tome 3

Dima Zales

♠ Mozaika Publications ♠

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont soit le produit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des personnes, vivantes ou non, des entreprises, des événements ou des lieux réels n’est que pure coïncidence.

Copyright © 2014 Dima Zales

www.dimazales.com/francais.html

Tous droits réservés.

Sauf dans le cadre d’un compte-rendu, aucune partie de ce livre ne doit être reproduite, scannée ou distribuée sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, sans permission préalable.

Publié par Mozaika Publications, une marque de Mozaika LLC.

www.mozaikallc.com

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne Voogd

Révision linguistique par Valérie Dubar

Couverture par Najla Qamber Designs

www.najlaqamberdesigns.com

e-ISBN : 978-1-63142-138-9

Print ISBN : 978-1-63142-139-6

Description

Kidnappé. Conscience élargie. Et ce n’était que le début de ma journée.

J’ai toujours cru être un type assez sympa. Du genre qui ne voudrait jamais tuer quelqu’un.

Apparemment je manquais juste de motivation.

Certains crimes ne peuvent jamais être pardonnés.

1

Je n’arrive pas à croire à quel point la vie est nulle sans le Calme. Ces deux dernières semaines ont été un cauchemar, dis-je à Mira en étalant la dernière couche de crème solaire sur ses longues jambes parfaites.

Le soleil de Floride me réchauffe le dos et son effet relaxant se mêle à l’agréable torpeur due à ma piña colada.

— Oui, c’est terrible, ajoute-t-elle paresseusement. Nous les Russes, nous avions tort d’envoyer tous ces gens en Sibérie pour les punir. Nous aurions dû les envoyer à South Beach.

Je regarde l’océan bleu et les filles magnifiques, dont la plus canon est celle qui est assise à côté de moi. Elle a peut-être raison d’être sarcastique. Les choses ne sont peut-être pas si terribles après tout.

— Tu vois bien ce que je veux dire. Ta compagnie et l’endroit rendent la chose supportable, dis-je en me remémorant les détails de nos moments passés à boire, à manger, à lézarder sur la plage, et surtout à coucher ensemble — quotidiennement. Mais je n’aime pas l’impression de n’avoir aucun contrôle sur mon destin.

— Tu veux des illusions, c’est ça ? Tu es assez vieux pour savoir que nous ne contrôlons rien du tout, dit-elle en levant ses lunettes de soleil. Ce que tu as de mieux à faire, c’est d’apprécier ce que la vie apporte de bon, puis t’en sortir du mieux que tu peux quand elle te fait subir l’avalanche de merde habituelle.

Je sais qu’il vaut mieux ne pas contredire sa triste philosophie de la vie. Nous avons déjà eu une version de cette conversation. Si je continue, elle me rappellera que la plupart des Lecteurs passent la majorité de leur temps sans pouvoir déphaser à cause de leur petite Profondeur et que la plupart des gens ne peuvent pas le faire du tout. Elle me traitera alors d’ingrat et/ou d’enfant gâté. Bien sûr, le fait que je ne dise rien ne signifie pas que je suis d’accord avec elle. Même quand j’étais enfant, lorsque Sara utilisait l’argument ‘il y a des gens qui meurent de faim dans le monde’, cela ne fonctionnait jamais.

Au lieu de répéter la même rengaine, j’essaie stratégiquement de changer de sujet.

— As-tu faim ? Je vais aller au bar pour nous acheter quelque chose.

— Oui, dit-elle d’un ton plus affectueux.

Elle accepte ma défaite avec grâce.

— Prends-moi une de ces quesadillas au fromage. Je serai dans l’eau quand tu reviendras.

Je la regarde marcher sur la plage vers l’océan. La vue de Mira dans un minuscule bikini me remet de bonne humeur.

D’accord, j’ai peut-être exagéré ma situation. Nos efforts pour dépenser tout l’argent que Jacob avait dans sa mallette — mallette que Mira avait eu la présence d’esprit de s’approprier en fuyant les coups de feu — avaient été plutôt sympa. En tout cas jusqu’au moment où j’ai gagné deux gros millions grâce aux actions bancaires que j’ai vendues à découvert après ma Lecture fortuite de Jason Spades, le PDG de la banque. Ce que j’avais vu dans son esprit à la salle de sport était encore mieux que prévu : le gouvernement avait dû renflouer la banque et les actions avaient chuté d’un coup, ce qui m’avait permis d’encaisser un pactole. Cependant, l’inconvénient d’être multimillionnaire, c’est que cela diminue l’intérêt des dépenses frivoles — pour moi en tout cas.

Une fois que Mira est hors de vue, je me lève, j’enlève le sable de mes jambes et je me dirige vers le Tiki-bar. En m’approchant du bar, je vois un autre facteur atténuant l’enfer de ces deux semaines : mon meilleur ami Bert et ma tante Hillary sont tous les deux assis au bar à déguster des boissons fruitées avec des petits parasols. Bert est arrivé il y a quatre jours, tandis que Hillary nous a rejoints à la fin de la semaine dernière.

— Non, je ne parle pas de trou noir, lui dit Bert. Cette singularité, c’est un point dans l’histoire quand la vitesse des avancées technologiques battra tous les records. Ce sera peut-être provoqué par l’intelligence artificielle ou par les post-humains — des gens qui fusionnent avec la technologie. Les IA, ou les humains améliorés apprendront rapidement comment produire une génération plus intelligente, et cette génération-là fera la même chose, ainsi de suite, ce qui créera une sorte de réaction en chaîne. Ce sera une explosion de l’intelligence au-delà de laquelle nous ne pouvons pas prédire ce qu’il se passera. Et c’est en cela que c’est un peu comme la singularité de la physique.

— Et ces soi-disant luddites de la technologie essaient d’empêcher ce scénario d’apocalypse ? demande Hillary, apparemment fascinée.

— Oui. Sauf que ce n’est une apocalypse que dans leur vision étriquée du monde. Dans la mienne, si tu veux absolument utiliser un terme biblique pour la décrire, cette singularité est plutôt comme le ravissement, l’enlèvement de l’Église : un événement fondamentalement positif où tous les problèmes du monde comme la mort seraient résolus. Mais oui, je pense que c’est ce qu’ils essaient d’empêcher. Ça et tous les changements en général.

— Bonjour, dis-je en interrompant la théorie du complot favorite de Bert.

Hillary me fait un grand sourire.

— Ah, Darren. Bert était en train de me raconter une histoire vraiment fascinante.

Elle le pense, ce qui signifie que Bert me sera redevable pour le restant de ses jours. Quand ils sont arrivés tous les deux à Miami, je les ai présentés sans chercher à les faire sortir ensemble. Je pensais simplement que ma tante et mon meilleur ami devaient se connaître. Je n’aurais jamais cru — vraiment jamais — que Bert plairait à Hillary. Le contraire n’est pas une surprise, ma tante est très mignonne comme le sont les petites choses : comme les chiots et les chatons. D’un autre côté, c’est peut-être sa taille qui a donné le courage à Bert de l’aborder de cette façon-là. C’est une des très rares filles à paraître petite à côté de lui. La drague de Bert a été une grande source d’amusement pendant cette période sombre. Le fait qu’elle a accepté de sortir avec lui est un miracle comme je n’en verrai jamais d’autres, d’où la dette envers moi. Je m’en attribue entièrement le mérite. Il a demandé à ce que je lui présente une fille et j’ai déclenché une série d’événements qui a fini par lui donner la femme de ses rêves : c’est le phénomène de cause à effet (accidentel).

— Je suis seulement venu chercher à manger, dis-je pour empêcher Bert de se relancer dans son baratin conspirationniste.

— D’accord, mais, il faudra vraiment que nous en parlions, dit Hillary d’un air boudeur. L’idée que des gens très traditionnels tuent des scientifiques parce qu’ils ne veulent pas du progrès est très intéressante.

Elle a toute mon attention à présent. Veut-elle dire que les traditionalistes de la communauté des Guides ou les puristes de la communauté des Lecteurs ont un rapport avec la théorie de Bert sur les luddites tuant des scientifiques ? Non, ce n’est pas possible. Il est plus probable qu’elle ait abusé des salades de Bert. Ouais, cela expliquerait beaucoup de choses.

— Oui, on dirait qu’il faudra en parler, dis-je malgré tout. Mais maintenant, ce n’est pas le meilleur moment.

— Dans ce cas, ricane Bert, je suppose que tu es aussi trop occupé pour connaître mes avancées avec la clé USB que tu m’as donnée.

L’enfoiré. Chantage de haut niveau.

— Je suppose que je peux trouver un petit peu de temps dans mon emploi du temps chargé pour écouter ça, dis-je en faisant signe au barman, qui m’ignore pour s’occuper d’une blonde sexy.

— Eh bien, cela nous ramènerait au même sujet, dit Bert d’un air triomphant, parce que les trois premiers noms de cette liste sont des scientifiques importants.

Oh ! merde. On dirait qu’il y a vraiment un lien. Cela complique l’histoire, ou plus précisément, l’absence d’explications fournies à Bert au sujet de la clé. Je ne peux pas vraiment lui dire que Jacob, un Lecteur puriste, voulait que la mafia russe tue ces gens-là, si ? C’est une question sérieuse. Jacob a été la seule personne à me faire le discours du ‘ne révèle pas notre existence aux gens normaux’. Ce n’est pas quelqu’un en qui j’aurais une confiance posthume.

Hillary a l’air de se concentrer pendant un moment.

Bert semble perplexe un instant avant de me dire :

— Nous en parlerons plus tard. Ce que je voulais vraiment te demander, c’est si Mira et toi vous aviez envie de sortir entre couples ce soir. Il y a ce restaurant végétalien cru que Hillary a trouvé sur Yelp.

D’accord, ça, c’est bizarre. Je suis convaincu que Hillary vient de le Guider — même si dans ce contexte, je dirais plutôt Pousser — et elle l’a fait pour changer le sujet de conversation. L’ironie de la chose est que sans le savoir, Bert se trouve au centre de la plus grande théorie du complot qui existe. Sa nouvelle copine peut littéralement lui faire faire ce qu’elle veut. Il vit le complot de ‘ma petite amie contrôle mon esprit’ et même un chapeau en aluminium ne pourra pas l’en empêcher. D’ailleurs, Hillary n’a pas été très subtile. Bert qui demande à aller dans un restaurant végétalien ? J’avais déjà eu du mal à le convaincre de goûter les sushis alors que c’est du bon poisson cru. C’est un amateur de steak-frites dans l’âme. Peut-être a-t-elle inclus cette information pour me montrer qu’elle l’avait Guidé. Étant donné son empressement à le Guider, il est étrange qu’elle ne l’ait pas empêché de faire son petit discours de geek tout à l’heure. Si je n’étais pas Inerte — incapable d’entrer dans le Calme après y être mort —, je m’en serais probablement chargé. Cela me convainc que, contre toute logique, elle apprécie vraiment les théories du complot de Bert.

— Ouais, bien sûr, je le lui demanderai, dis-je en me demandant ce que Mira penserait de cette idée de restaurant végétalien.

Même si elle s’entend étonnamment bien avec Hillary, quand on y pense, la nourriture végétarienne lui poserait peut-être problème. Mira est définitivement une carnivore. Si elle était un animal, ce serait une panthère, contrairement à Hillary qui serait un hamster.

Je réussis enfin à attirer l’attention du barman et je passe ma commande.

— Veuillez revenir dans quinze minutes, Monsieur, dit le barman.

— OK, salut. Mira m’attend dans l’océan, dis-je. Je reviens dans un moment pour chercher la nourriture.

Je marche jusqu’à l’océan et il me tarde de nager. Pour la millième fois, j’essaie de déphaser. Je me sers de la peur de ne pas y arriver comme déclencheur, mais je frappe le mur mental habituel.

À mi-chemin de la plage, je remarque quelque chose d’étrange : un grand homme qui porte des vêtements de style militaire, sur une plage. Surpris, je regarde de plus près... et mon cœur bondit.

Je le reconnais.

C’est Caleb, et il est évident qu’il me cherche. Dès que son regard croise le mien, il fronce les sourcils et il se dirige vers moi.

Il traverse la distance qui nous sépare comme un éclair vert.

Je panique et je me retourne, prêt à partir en courant, mais il se trouve déjà à côté de moi.

Avant de pouvoir faire un pas, je sens le canon froid de son pistolet contre mes côtes nues.

— On va faire un petit tour, gamin, dit-il sèchement. Ne fais pas de bruit.

— De quoi s’agit-il ? dis-je en essayant de garder un ton neutre malgré la peur qui court dans mes veines. Je suis occupé.

— Ferme-la et continue à marcher, dit-il en me guidant vers la route.

Nous longeons silencieusement le morceau de plage qui appartient à notre hôtel et nous sortons dans la rue en direction de Collins Avenue. L’asphalte brûlant me fait mal aux pieds, mais la situation m’inquiète trop pour penser à la douleur.

Au bout de quelques minutes, nous nous approchons d’une Honda rouge garée près du trottoir. Caleb pousse le pistolet contre mes côtes.

— Monte.

— Laisse-moi au moins prendre quelques vêtements, dis-je en me rendant compte que je suis sur le point de faire un tour en voiture alors que je ne porte rien d’autre qu’un short de bain.

Au lieu de me répondre, Caleb sort une seringue et il l’enfonce dans le haut de mon bras avant que j’aie le temps de crier.

— Tu te fous de ma gueule ? parviens-je à dire d’une voix traînante avant de perdre connaissance.

2

J’ai conscience d’un mouvement. Je suis dans une voiture et elle avance très vite. C’est tout ce que je ressens. Je n’y vois rien pour une raison ou pour une autre et je ne sais pas trop comment je suis arrivé ici, quel que soit ce ‘ici’. Je suis aussi gelé. Tout me revient lentement.

Caleb m’a drogué. C’est sa voiture. Où me conduit-il ? Que se passe-t-il ?

Je déborde à présent d’adrénaline et même si je sais que cela ne sert à rien, j’essaie de déphaser dans le Calme.

Lorsque cela fonctionne, je suis si surpris que je n’arrive pas à croire que c’est réel. C’est pourtant le cas : je suis assis à l’arrière, la voiture ne bouge plus. Le grondement du moteur a disparu et je n’ai plus froid. Caleb est figé à la place du conducteur. À côté de lui, je vois un sac noir couvrir la tête de mon corps figé. Cela explique pourquoi je n’y voyais rien. Je trouve intéressant que le sac ne m’ait pas rejoint dans le Calme.

C’est en général ce que font les vêtements, mais je suppose que ce qui détermine quoi prendre dans le Calme a décidé que le sac ne faisait pas partie de mes vêtements. C’était une bonne idée et une autre petite preuve confirmant la théorie d’Eugene qui pense que tout ceci se produit dans notre esprit.

Alors, après tout ce temps que j’ai passé à m’inquiéter à son sujet, je suis de retour dans le Calme. Cependant, je ne peux pas en profiter. Pas sans savoir ce que fabrique Caleb.

J’ouvre la portière et je quitte la voiture. Je n’ai plus froid, même si j’aurais aimé porter autre chose qu’un maillot de bain. Je jette un œil à l’arrière de la voiture. À Brooklyn, le Hummer de Caleb avait plein de pistolets et de couteaux à l’arrière. Cette voiture, qui doit être une location, n’a rien de tout cela. Déçu, je regarde autour de moi.

Nous nous trouvons au milieu d’une autoroute qui semble traverser une forêt. Un mur d’arbres touffus s’étire sur des kilomètres de chaque côté de la route. Je n’ai aucun moyen de dire où nous nous trouvons. Cela ne ressemble pas du tout à Miami.

J’essaie de marcher dans la forêt, mais au bout de quelques échardes et égratignures, je décide que c’est une idée stupide d’errer sans but dans la forêt hostile, surtout si c’est pour comprendre où Caleb me conduit. Longer la route s’avère être tout aussi inutile. Même en marchant plusieurs kilomètres, je ne trouve aucune indication géographique.

Je retourne dans la voiture et j’essaie d’explorer l’avant. Je sors mon corps, toujours couvert du sac noir, de son siège et je le laisse tomber sur le sol sans ménagement, afin de regarder à l’intérieur de la boîte à gants.

Je finis par trouver quelque chose d’utile.

Fidèle à lui-même, Caleb y a laissé un pistolet, en plus des armes qu’il doit porter sur lui.

Je prends le pistolet et je m’en sers pour ouvrir la veste de Caleb. Je ne veux pas le toucher : je ne voudrais surtout pas qu’il apparaisse dans le Calme avec moi. J’avais raison, néanmoins. Il porte un pistolet et le gros couteau qu’il aime avoir avec lui est attaché à l’intérieur de sa veste.

D’accord. Que faire maintenant ?

Je décide de retourner dans le monde réel et de faire semblant d’être sans connaissance. Maintenant que je ne suis plus Inerte, je peux déphaser de temps en temps pour regarder autour de moi. Peut-être qu’au bout de quelques kilomètres, je saurais où nous nous rendons.

Je touche mon corps figé et je sors du Calme.

Le bruit revient instantanément, tout comme l’air froid de la climatisation. Ce qui est plus gênant, c’est que j’ai de nouveau la nausée, soit à cause de sa façon de conduire, soit à cause de ce qu’il m’a injecté pour m’endormir. Peut-être un mélange des deux. Je ne veux surtout pas vomir, en particulier avec un sac sur la tête, alors j’utilise un truc que je fais depuis l’enfance et j’inspire profondément. J’inspire. J’expire. J’inspire. J’expire.

La nausée disparaît lentement.

La voiture s’arrête soudain en crissant des pneus, réduisant tous mes efforts à néant. Je vomis presque.

En un éclair, le sac est enlevé de ma tête. Je garde les yeux fermés et je fais semblant de ne pas avoir repris connaissance. J’aimerais que Caleb coupe le moteur maintenant que nous nous sommes arrêtés : le froid de la climatisation me fait frissonner, ce qui trahit le fait que je suis réveillé.

Le monde devient alors étrangement silencieux. Caleb m’a attiré dans le Calme. Je garde les yeux fermés.

— Arrête tes conneries, gamin. Je sais que tu fais semblant, dit Caleb. Je t’ai attiré là, ce qui signifie que même si tu étais sans connaissance, tu ne l’es plus à présent. Cela prouve également que tu n’es plus Inerte. Et si nous discutions un peu ?

Merde.

Il a raison. Le fait d’attirer quelqu’un dans le Calme le réveille : c’est ce qui était arrivé à Mira quand je l’avais sortie de son sommeil et qu’elle m’avait remercié en pointant un pistolet sur ma tête. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur ce souvenir agréable, car des mains puissantes m’attrapent par les cheveux et par le maillot. En un mouvement rapide, je vole hors de la voiture, je m’égratigne les coudes et j’atterris dans une explosion de douleur.

— Putain, Caleb. Qu’est-ce que tu fous ?

Je tousse en essayant de me mettre à genoux.

— Ah, tu es donc bien réveillé, dit-il avant de me donner un coup de pied dans les côtes.

L’air s’échappe d’un coup de mes poumons et je lutte pour reprendre ma respiration.

Il me frappe encore. Et encore.

Je suffoque et je vomis presque de douleur quand il s’écarte enfin. Je me demande s’il va chercher un pistolet pour finir ce qu’il a commencé. Au moins, cette fois-ci je sais que je survivrai à la mort dans le Calme, même si j’étais encore une fois Inerte pendant Dieu sait combien de temps. Avec toutes les forces qui me restent, je commence à ramper pour m’éloigner, malgré les protestations de mes côtes fracassées.

Je suis soudain de retour dans la voiture dans le monde réel, couvert par le bruit du moteur et l’air froid de la climatisation. Je ne ressens aucune douleur, mais tout redevient alors silencieux.

Je regarde Caleb, qui est à présent assis à l’arrière avec moi. Qu’est-ce qu’il fabrique ? Il m’a sorti du Calme avant de m’y attirer de nouveau.

— Sors. Tout. De. Suite, dit-il en serrant les dents.

J’ai l’horrible sentiment que je n’ai encore jamais vu Caleb vraiment énervé. Pas jusqu’à maintenant, si c’est bien ce qu’il est.

Le cœur battant, je me faufile tant bien que mal hors de la voiture. Il descend également et il enlève sa veste avec les armes, la laissant tomber sur le sol.

Il a l’air de vouloir se battre.

Je ne tiens pas compte de ma situation désespérée, je me concentre et je me prépare.

Ma main droite se déplace pour bloquer son premier coup sans que mon cerveau le lui dise. La gauche essaie de le frapper à la mâchoire. Il parvient à bloquer mon crochet et l’instant d’après, je vois des étoiles.

Mon nez est l’épicentre d’une douleur innommable. Je sens quelque chose de chaud couler le long de mon menton et quand j’essaie d’inhaler, quelque chose empêche l’air d’entrer. Mon nez doit être cassé. Lorsque je comprends cela, je bloque un coup destiné à mon plexus.

Caleb fait alors ce que je ne peux que qualifier de tacle de foot américain. Il se précipite sur moi et comme je ne m’y attendais pas, je perds l’équilibre et je tombe à terre.

Caleb me donne un coup de pied dans la tête. Le craquement qui accompagne son coup donne l’impression que l’univers vient de s’ouvrir. Je pense vaguement qu’il doit s’agir d’une fracture du crâne quand une lumière blanche douloureuse emplit mes yeux.

Caleb semble s’arrêter et je perds connaissance.

Je me trouve de nouveau dans la voiture froide. La douleur est partie, mais ma confusion est multipliée par cent. Qu’est-ce qui...?

Puis je suis de nouveau attiré dans le Calme.

— Tu veux continuer à jouer, ou bien es-tu prêt à parler ? demande Caleb lorsque je suis sorti de la voiture en chancelant.

C’est donc cela ? Une espèce de torture créative qu’il a inventée ? Me casser la gueule dans le Calme, effacer mes blessures en sortant du Calme, puis m’y attirer de nouveau, me frapper, me retaper et répéter ?

— Qu’est-ce que tu veux, putain ? dis-je avec plus de courage que je n’en ai vraiment.

— Tu peux commencer par expliquer comment Jacob s’est fait tuer par le pistolet que je t’ai donné.

Je sais alors que je suis profondément dans la merde.

— Jacob a été tué ?

Je fais de mon mieux pour sembler surpris, ce qui est facile parce que je le suis : je suis surpris que Caleb ait su pour le pistolet. Thomas — mon nouvel ami et le seul autre Guide adopté que je connais — était si convaincu que nous étions lavés de tout soupçon. Mais j’ai oublié que le pistolet que j’ai utilisé était celui que Caleb m’avait personnellement donné. Il a dû obtenir l’accès au rapport balistique de l’affaire du meurtre de Jacob et il s’est rendu compte que c’était son revolver qui l’avait tué.

— Tu sais qu’il a été tué.

Caleb croise les bras avant de poursuivre.

— Tu veux vraiment reprendre mon jeu ?

Je réfléchis vite en sachant très bien qu’un délai dans ma réponse sera interprété comme un signe de mensonge. Si je lui dis tout, y compris le fait que je suis un hybride, il me tuera probablement tout de suite, comme dans le souvenir dont j’ai fait l’expérience où il a tué un poseur de bombes Pousseur. Si je lui donne une semi-vérité — oui, j’ai tué Jacob, mais c’est lui qui était responsable de la mort des parents de Mira et Eugene —, il pourrait croire en la culpabilité de Jacob ou bien me tuer pour avoir tué son patron. Il ne me reste plus que la réponse la plus faible de toutes, mais je m’y aventure néanmoins, en ayant l’impression d’avoir autant de choix qu’une personne qui se fait Pousser.

— Attends, dis-je. Je ne sais vraiment rien au sujet de la mort de Jacob...

Caleb fait un pas menaçant vers moi.

Je me mets à parler plus vite.

— Écoute. Je me suis fait tirer dessus quand tu m’as déposé à la maison de Mira. Tu peux vérifier les dossiers à l’hôpital. Quand j’y étais, quelqu’un a pris le pistolet.

C’est à peu près plausible, et étant donné les circonstances, ce n’est pas la pire chose que j’aurais pu inventer. Malheureusement, Caleb ne récompense même pas ma réflexion rapide par une critique. Au lieu de cela, il s’avance vers moi et il m’envoie le premier coup, que je parviens à bloquer de la main gauche. Au même moment, mon coude droit touche sa mâchoire.

Il lève un sourcil de surprise et il réplique. Je ne sais pas exactement comment, car les mouvements sont flous et il s’ensuivit par une explosion de douleur dans ma poitrine. Comme avant, je tombe à terre et il me donne des coups de pied répétés. La raclée est affreusement douloureuse. Et comme avant, quand je suis encore tout juste en vie, il nous sort du Calme.

J’ai froid et cette fois ce n’est pas seulement à cause de la clim. L’adrénaline me pousse à réagir en combattant ou en fuyant. Je crains une autre raclée. Je ne pense pas pouvoir le supporter. Mais il ne m’attire pas dans le Calme. À la place, il repose le fichu sac sur ma tête.

— De toute façon, ils découvriront exactement ce qu’il s’est passé, me dit Caleb.

Avant de pouvoir demander ce qu’il veut dire ou qui sont ces ‘ils’, je sens une piqûre de ce que je pense être une seringue et le vide familier s’étend dans mon esprit quand je perds connaissance.

3

Une claque me réveille.

C’est la façon la moins agréable de se réveiller, suivie de près par les sonneries de réveil bruyantes et l’eau froide.

Avant même d’être entièrement conscient, je déphase.

Dans le Calme, je deviens beaucoup plus alerte — en particulier lorsque je regarde autour de moi.

Caleb et moi nous ne sommes plus seuls.

Un homme plus âgé fixe mon corps figé à travers la vitre de la voiture. Il semble avoir la soixantaine ou peut-être même soixante-dix ans. Je n’arrive pas à déterminer son âge, car je suis très mauvais pour jauger l’âge des gens de plus de quarante ans. Je sors de la voiture pour l’observer de plus près.

Il semble complètement incongru ici, au milieu de la route, même s’il aurait l’air incongru n’importe où avec l’espèce de toge blanche qu’il porte — n’importe où sauf peut-être en Grèce Antique. Ouais, la tenue étrange le fait ressembler à l’image que j’ai de Socrate — sans la barbe, car cet homme est rasé de près.

Est-il venu ici à pied ? Si c’est le cas, d’où vient-il, car nous sommes au milieu de nulle part ? Surtout, pourquoi est-il venu ici ? Sa tenue me fait développer des théories étranges. N’aimaient-ils pas les jeunes hommes en Grèce antique ? Je glousse nerveusement en imaginant Caleb appeler ce type sur son portable pour dire : « hé, grand-père, je t’apporte un jeune de vingt et un ans presque nu dans la forêt. Je t’enverrai les coordonnées GPS par texto. Le type est toujours sans connaissance parce que je l’ai drogué, alors venez vite, il est temps de l’agresser.

Je décide que la seule façon d’obtenir des réponses est de sortir du Calme et de laisser les choses se dérouler comme elles peuvent.

Je touche mon corps immobile sur le front en prenant garde à ne pas toucher la main de Caleb, qui revient vers lui après avoir frappé mon corps figé sur la joue.

Les bruits et la douleur de la claque reviennent. J’ouvre les yeux, mais avant de pouvoir dire quoi que ce soit, tout redevient silencieux et la douleur a disparu.

Je me trouve assis à l’arrière de la Honda de Caleb, attirer encore une fois dans le Calme. Je remarque que l’étrange vieil homme est à présent dédoublé, la version animée retirant la main du cou de mon corps figé : cela signifie que je suis dans son Calme en ce moment, et non dans celui de Caleb. Alors ce type est l’un des nôtres, probablement une espèce de Lecteurs, étant donné la présence de Caleb. Je remarque également que Caleb est assis à côté de moi à l’arrière. Il a dû être attiré dans cette session de Calme avant moi. Il tient un autre sac noir menaçant.

— Ne bouge pas, dit le vieil homme d’une voix rauque.

Ma remarque sarcastique qui était sur le point d’expliquer très visuellement ce que Caleb et le grand-père pouvaient se faire est interrompue lorsque Caleb enfile le maudit sac noir sur ma tête et colle un pistolet entre mes côtes.

— Sors de la voiture et suis-moi, ordonna le vieil homme.

— Je ne peux pas vous voir, dis-je. Comment puis-je vous suivre ?

— Tiens, attrape ce morceau de corde, dit Caleb. Et si tu essaies quoi que ce soit, je m’arrangerai afin que nos conversations précédentes ressemblent à un échauffement agréable.

— Où m’amenez-vous ? Que se passe-t-il, putain ? dis-je à personne de particulier.

— Je te l’expliquerai quand nous arriverons, dit l’étranger d’un ton indiquant que la conversation est terminée.

On dirait quelqu’un d’habitué à donner des ordres.

Pendant que nous marchons, ils ignorent mes tentatives pour commencer une conversation et obtenir des informations. Il s’agit sans doute de la marche la plus terrifiante de ma vie, d’ailleurs, ainsi que la moins confortable. Nous traversons des routes de gravier, de l’herbe, une zone boisée et du bitume brûlant, pour ne nommer qu’une partie des terrains affreux. Aucune de ces surfaces n’est véritablement sympathique pour mes pieds nus.

Après ce qui ressemble à plus d’une journée de marche, nous nous arrêtons.

— Enlève cette affreuse chose de sa tête, dit le vieil homme.

Caleb attrape la capuche noire et l’arrache brutalement.

— Tu m’as presque cassé le cou, gémis-je en ressentant quelque chose de similaire au coup du lapin, mais personne ne daigne me donner de réponse.

La lumière vive me fait mal aux yeux, mais cela ne dure qu’une seconde. Le temps de récupération est vraiment plus rapide dans le Calme que dans le temps réel. Mes pieds guérissent déjà. C’est étrange. Je n’ai jamais traîné assez longtemps dans le Calme pour guérir d’une blessure, car il est beaucoup plus simple d’en sortir. J’ai négligé ma science, apparemment. C’est une information utile et elle augmente la crédibilité de la théorie d’Eugene selon laquelle seule notre conscience entre dans le Calme, et que ces corps ne sont pas exactement des corps réels, mais des manifestations de l’esprit. Ou quelque chose de ce genre.

J’examine à nouveau le vieil homme. Ses yeux bleu clair me dévisagent de haut en bas avec une curiosité froide. Pour quelqu’un de son âge, il est assez en forme, et ses cheveux blancs gominés sont presque tous là, ce qui est rare, je suppose. Peut-être se situe-t-il au bas de mon estimation d’âge après tout ? Néanmoins, je trouve encore justifié de l’appeler mentalement ‘Grand-père’ pour l’instant.

Je regarde derrière lui. Nous nous tenons près de plaines herbeuses et la forêt que nous avons traversée est visible au loin. Le paysage est joli, c’est sûr, mais ce qui attire mon attention, c’est l’immense temple qui se trouve juste derrière Caleb et Grand-père.

Le temple est finement ouvragé et il semble complètement incongru ici, au milieu des États-Unis. L’architecture s’inspire de l’Asie. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, alors je ne sais pas si le style est tibétain, chinois, ou japonais, mais je peux dire avec certitude qu’il n’est pas américain. Je commence à avoir peur. Caleb m’a-t-il assommé assez longtemps pour me transporter en Asie ? Mais cela n’est pas logique. Comment ferait-il monter un passager comateux à bord d’un avion ? C’est impossible. Nous avons conduit jusqu’ici, alors nous devons être quelque part en Amérique du Nord.

— Quel est cet endroit ? m’enquis-je en essayant de ne pas paraître trop impressionné. Où sommes-nous ?

— C’est notre maison, dit grand-père. Suis-moi, je vais te donner des vêtements.

Nous entrons par un grand portail doré, suivis par Caleb. Le thème du jour semble être la beauté à couper le souffle. Et ce n’est pas seulement les pétales de fleurs de cerisier figés dans l’air ou l’aménagement paysager. C’est le tout. Un profond sentiment de sérénité est mêlé à chaque petite pagode disposée stratégiquement, dans l’essence même des jardins de rochers géants. Si je n’étais pas convaincu d’être dans les plus gros problèmes de ma vie, je me détendrais sans doute pour profiter de tout cela. Les choses étant ce qu’elles sont, le paysage et la paix de ce Calme ralentissent mon pouls — légèrement.

Je ne suis pas surpris de voir des gens ressemblant à des moines lorsque nous entrons dans le temple. Leurs têtes sont rasées et ils portent des robes orange. Ce sont peut-être des bouddhistes ? Tout semble l’indiquer, même si je ne me souviens pas avoir vu une seule de ces emblématiques statues rondelettes avec leurs sourires sereins et leurs grands lobes. D’après ma mère Lucy, ce gros type n’est même pas le bouddha indien d’origine, mais une version chinoise qui est apparue beaucoup plus tard.

Nous gravissons des escaliers compliqués jusqu’à ce qui ressemble à une espèce de caserne.

— Tiens, mets ça, dit Grand-père en me tendant une robe et des sandales comme celles que portent les moines.

J’enfile la tenue tout en trouvant le résultat ridicule.

— Maintenant que tu es plus présentable, il y a des gens que j’aimerais te faire rencontrer, dit Grand-père et il sort directement de la pièce en m’empêchant ainsi de poser des questions.

Je le suis, irrité, en me demandant s’il aurait ordonné à Caleb de me traîner hors de la pièce si j’avais décidé de ne pas coopérer. Je suppose que la réponse est affirmative.

Nous entrons tous les trois dans un grand amphithéâtre situé à l’étage du dessus. L’immense pièce ronde contient un grand cercle de moines vêtus d’orange et tous figés dans la position du lotus. Leurs visages sont sereins et neutres. Ils sont entourés par de nombreuses rangées de bougies et d’encens. Le feu et la fumée immobiles ressemblent à ce que l’on peut voir sur une photo tridimensionnelle à grande vitesse. Au centre de la pièce, entourée par les moines, se trouve une douzaine de silhouettes assises en un grand cercle à environ trente centimètres les unes des autres. Leurs robes blanches sont similaires à celle de Grand-père et comme lui, toutes ces personnes semblent plus âgées. Presque tous ont des cheveux blancs et les autres sont chauves. Lorsque nous nous approchons, je remarque une personne aux cheveux gris vêtue d’orange assise au centre de cet étrange arrangement. Il y a beaucoup d’espace entre lui et le cercle des personnes vêtues de blanc, comme si un autre cercle plus petit est intégré au milieu du grand.

En slalomant entre les méditateurs assis, Grand-père s’approche du cercle blanc et il touche la nuque d’une vieille femme. Une version vivante de cette femme regarde instantanément Grand-père avec intérêt.

— Tu devrais jeter un coup d’œil sur lui, dit Grand-père en faisant un geste vers moi. J’ai peu de doutes à présent.

La femme me dévisage de haut en bas et ses yeux finissent par se poser sur mon visage. Son visage aimable et arrondi semble sourire sans utiliser la bouche, comme la Mona Lisa.

— Bonjour, Darren, dit-elle. Je suis ravie de te rencontrer enfin.

Elle connaît mon nom. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Sans doute mauvaise.

— Salut, dis-je, mal à l’aise. Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Rose, dit-elle en faisant un vrai sourire.

— Ravi de vous rencontrer, Rose, dis-je en essayant de rester poli. Pouvez-vous s’il vous plaît me dire où je me trouve ?

— Paul ne te l’a pas encore expliqué ? demande-t-elle en regardant Grand-père.

— Je n’ai pas eu le temps, dit Paul. Nous avons dû nous assurer que tout se déroule selon nos plans.

— D’accord, dit-elle en étirant le mot pour le rendre plus apaisant.

Je la surprends presque à lever les yeux au ciel.

— On lui dit maintenant, poursuit-elle, ou bien vaut-il mieux attirer Edward et Marsha aussi ?

— C’est comme tu veux, répond Paul avec sang-froid.

S’il a remarqué sa réaction, il le cache bien.

— D’accord, Darren, laisse-moi commencer par te dire qui nous sommes, dit-elle en se tournant vers moi. Tu as peut-être entendu les autres parler de nous sous le nom d’Initiés, même si je pense que le terme est un peu collet monté.

Les Initiés ? J’ai du mal à en croire mes oreilles. Elle prétend qu’ils sont les Lecteurs légendaires qui, d’après Eugene, peuvent rester dans le Calme pendant des durées hallucinantes — comme moi. Je jette un regard vers Caleb, pour vérifier ce qu’elle dit, mais il ne fait pas attention à moi. Au lieu de cela, il regarde la vieille femme avec une expression de profond respect.

Bon, d’accord.

J’inspire pour me calmer.

— J’ai entendu ce terme, dis-je à la femme. Mais je ne suis pas certain de sa signification.

— Moi non plus, dit-elle en gloussant. C’est juste le nom que nous donnent les Lecteurs.

Je décide d’abandonner ce sujet pour l’instant.

— D’accord. Pouvez-vous me dire où nous nous trouvons et surtout, pourquoi je suis ici ?

— Le moment venu, interrompt Paul. D’abord, tu dois nous dire un certain nombre de choses.

— Bien sûr, dis-je prudemment. Comme quoi ?

— Dis-leur pourquoi tu m’as posé des questions sur Mark Robinson, intervient Caleb.

Paul hoche la tête.

— Ce serait un bon début.

Je suis complètement grillé. Si je leur raconte la vérité, ils connaîtront mes origines mélangées. Mais je ne sais pas du tout quel mensonge concocter pour expliquer mes questions au sujet de Mark, un Lecteur mort depuis longtemps.

— Jacob l’a mentionné quand nous avons parlé le jour où je me suis fait tirer dessus, dis-je en décidant de commencer par la vérité. Naturellement, j’étais curieux.

En entendant le nom de Jacob, le visage de Caleb s’assombrit et je me rends compte que ma réponse n’était pas des plus stratégiques.

— Tu en sais plus que cela, dit Paul calmement.

Il ne m’accuse pas tellement de mentir, il établit simplement un fait.

— C’est possible. Mais pourquoi ne me diriez-vous pas quelque chose maintenant ? Une contrepartie.

— Il a peur, dit Rose, son visage aimable devenant sérieux. Pourquoi a-t-il peur ?

Cette tournure de la conversation est totalement inattendue. Rose a l’air de me défendre. S’agit-il d’une étrange version du jeu du gentil flic (Rose, la gentille vieille dame) et du méchant flic (Grand-père) ?

— Pourquoi me regardes-tu comme si c’était de ma faute ? Pourquoi ne poses-tu pas la question à cette brute ? dit Paul d’un ton défensif en montrant Caleb du doigt.

— Jeune homme, dit Rose en accordant toute son attention à Caleb. Que lui as-tu raconté ?

— Rien, répond Caleb et sa voix possède un ton que je n’ai encore jamais entendu chez lui.

S’il s’agissait de quelqu’un d’autre, j’aurais pu jurer qu’il semblait respectueux.

— Je lui ai simplement posé quelques questions importantes au sujet de Jacob.

Je frissonne en me souvenant de quelle manière il avait choisi de poser ses ‘quelques questions importantes’.

— Tu as eu pour ordre explicite de le conduire ici sans le blesser, dit Paul en remarquant apparemment ma réaction. Il fronce les sourcils en regardant Caleb. Quelle partie de cet ordre as-tu choisi de réinterpréter ?

— Il est blessé ? demande Caleb.

Maintenant, c’est lui qui est sur la défensive.

— Darren, dit Rose d’un ton exagérément apaisant, comme celui d’une mère avec un enfant capricieux. Peu importe ce qu’il s’est passé avec Jacob, tu n’auras pas d’ennuis. Quoi que Caleb t’ait raconté, c’était parce qu’il était fâché que sa mission ne se déroule pas comme il fallait.

Caleb pousse un grognement furieux, mais il ne dit rien.

— Quelle mission ? m’enquis-je avec méfiance.

— Jacob faisait partie d’un groupe que les Lecteurs appellent les puristes. Les puristes font partie d’un autre groupe, plus grand, appelé l’Orthodoxie, explique-t-elle patiemment. Caleb a travaillé avec nous pour infiltrer l’Orthodoxie et Jacob était une piste importante.

— Qu’est-ce que l’Orthodoxie ?

J’ai la tête qui tourne. Caleb était une espèce d’agent infiltré ? À vrai dire, en y réfléchissant, ce n’est pas très difficile d’imaginer Caleb dans ce rôle. Il est très bien formé au combat.

— C’est compliqué, dit Rose. Nous pensons qu’il existe une alliance entre les puristes et leurs homologues traditionalistes chez les Pousseurs.

— Il existe une organisation entière de ces gens ? Ce n’était pas simplement Jacob et un Pousseur ?

Cela m’échappe avant de pouvoir m’arrêter, et je me rends compte que j’ai admis que j’en savais trop.

— Alors, Jacob avait un allié Pousseur ? demande Caleb, dont le visage devient encore plus sombre.

— Oui, dis-je, car les mensonges ne m’aideront sans doute plus à ce stade. En fait, c’est vraiment lui que je poursuivais quand ce truc est arrivé avec Jacob.

— Dis-nous tout, dit Caleb.

— Jeune homme, intervient Paul, souviens-toi de ta place.

— Nous découvrirons ce qu’il s’est passé quand nous nous joindrons, dit Rose doucement. Pour l’instant, nous voulons juste nous assurer que toi, Darren, tu es bien celui que nous pensons.

— Attendez, je veux en savoir plus sur l’Orthodoxie, dis-je en revenant au sujet d’origine.

Je ne veux pas qu’ils s’intéressent à moi. Je ne veux pas qu’ils confirment leurs soupçons sur mon identité, en particulier si ces soupçons incluent le fait que je suis en partie Guide. C’est déjà énorme qu’ils ne soient pas fâchés contre moi pour avoir éliminé Jacob. Les Initiés ne le sont pas en tout cas, même si Caleb l’est.

— Nous ne savons pas grand-chose sur eux. Ils sont très secrets. Des gens comme lui — elle hoche la tête en direction de Caleb — essaient de découvrir plus d’informations sur cette secte. D’après le peu que nous avons appris, nous savons qu’ils sont responsables de nombreuses actions que nous n’approuvons pas.

— Quel genre d’actions ? dis-je en la regardant.

— Elles sont trop nombreuses pour les énumérer, dit-elle en fronçant les sourcils, mais leur plus grosse erreur est leur désir de se débarrasser de nous. Ils veulent retourner à l’époque où des Lecteurs de notre niveau n’existaient pas. Notre pouvoir les effraie. Nos coutumes les effraient. Tout les effraie, en réalité, ce qui explique pourquoi ils essaient d’étouffer tout progrès humain. Ils veulent s’assurer que le monde reste maintenu à l’intérieur de certaines limites qu’ils estiment confortables. Nous pensons qu’ils sont derrière la plupart des groupes fondamentalistes du monde, qu’il s’agisse des islamistes extrémistes ou...

— Assez, dit Paul. Je suis désolé de t’interrompre, Rose, mais nous pouvons en parler à un autre moment. Darren, allons droit au but. Mark était-il ton père ?

Je les regarde. Rose me jette un regard encourageant. Les sourcils de Caleb se lèvent légèrement, mais son expression reste neutre. Paul attend impatiemment.

— Pourquoi demandez-vous cela ?

J’essaie d’éviter le sujet.

— Nous posons la question parce que nous sommes presque sûrs que tu es son fils, dit Rose. Nous voulons le savoir sans l’ombre d’un doute avant de pouvoir passer à la suite de notre plan.

Je les bombarde aussi vite que possible de questions.

— Quel plan ? Pourquoi pensez-vous que je suis le fils de cette personne ? Et pourquoi est-ce important ?

— Nous pensons que tu es le fils de Mark parce que nous avons fait des recherches sur toi avant de demander à Caleb de te conduire ici. Quand nous t’avons vu, nous avons remarqué un air de famille. Ajouté à tes questions sur cet homme, la probabilité semblait grande, mais étant donné la personne avec laquelle il s’est marié, cela ne nous semblait pas possible, explique Rose.

Je leur lance un regard surpris.

— Vous savez qui il a épousé ?

— Oui, dit Rose en regardant Caleb avec prudence. Ce n’est pas la peine d’en parler maintenant.

— En effet, dit Paul. Mais je commence à comprendre la source de tes réticences sur le sujet.

— Oui, je comprends moi aussi, me dit Rose en souriant. Mais il n’y a pas à t’inquiéter. Pas à cause de nous, en tout cas.

— Ah ? dis-je d’un ton évasif. Pourquoi donc ?

— Parce que, mon enfant, Mark était notre fils, dit-elle en faisant un signe de la main vers Paul. Tu es notre petit-fils.