Les Pousseurs de pensée: Les Dimensions de l’esprit : Tome 2 - Dima Zales - E-Book

Les Pousseurs de pensée: Les Dimensions de l’esprit : Tome 2 E-Book

Dima Zales

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Beschreibung

La suite très attendue du livre Les Lecteurs de pensée par un auteur de bestsellers au classement du New York Times et de USA Today .

Que suis-je ?

Qui a tué ma famille ?

Pourquoi ?

Il me faut des réponses avant de me faire tuer par la mafia russe. 

Si mes amis ne me règlent pas mon compte avant.

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Les Pousseurs de pensée

Les Dimensions de l’esprit : Tome 2

Dima Zales

♠ Mozaika Publications ♠

Table des matières

Mentions légales

Description

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Extrait de Le Code arcane

Extrait De Liaisons Intimes De Anna Zaires

À propos de l’auteur

Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont soit le produit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des personnes, vivantes ou non, des entreprises, des événements ou des lieux réels n’est que pure coïncidence.

Copyright © 2014 Dima Zales

www.dimazales.com/francais.html.

Tous droits réservés.

Sauf dans le cadre d’un compte-rendu, aucune partie de ce livre ne doit être reproduite, scannée ou distribuée sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, sans permission préalable.

Publié par Mozaika Publications, une marque de Mozaika LLC.

www.mozaikallc.com

Couverture par Najla Qamber Designs

www.najlaqamberdesigns.com

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne Voogd

Révision linguistique par Valérie Dubar

e-ISBN : 978-1-63142-125-9

Print ISBN : 978-1-63142-126-6

Description

Que suis-je ?

Qui a tué ma famille ?

Pourquoi ?

Il me faut des réponses avant de me faire tuer par la mafia russe.

Si mes amis ne me règlent pas mon compte avant.

1

Mon téléphone fait un bruit très irritant. Mais pourquoi l’ai-je posé à côté du lit ?

Je lutte à contrecœur pour me réveiller. Le bruit énervant continue alors j’attrape mon téléphone.

— Allô ?

Ma voix est toute rocailleuse. Combien de temps ai-je dormi ?

— Darren, c’est Caleb. Je t’attends en bas de l’immeuble. Descends.

L’adrénaline monte d’un coup et je passe dans le Calme. Je suis couché sur le côté gauche du lit, à côté de mon corps figé. Son visage a un regard pitoyable et très inquiet. Mon visage.

J’attrape ma montre sur la table de chevet. Il est 6 h 13.

Les événements des jours précédents me reviennent en tête avec une clarté surprenante. Le séjour à Atlantic City où j’ai rencontré Mira pour la première fois. Mon ami Bert qui a fait des recherches sur elle. La rencontre avec elle et son frère Eugene dans leur appartement de Brooklyn. Le moment où j’ai appris que j’étais un Lecteur. Mira qui se fait kidnapper par les Russes et notre demande d’aide à la communauté des Lecteurs. Caleb et Julia qui nous aident. Tout me revient, suivi du pire.

J’ai Poussé quelqu’un.

C’est un acte qu’aucun Lecteur ne devrait pouvoir faire. Quelque chose que seuls les Pousseurs, haïs par les Lecteurs, peuvent faire.

J’ai retiré le libre arbitre de quelqu’un.

Et maintenant, Caleb est ici à l'aube.

Merde. Mon cœur s’emballe. Mira m’a-t-elle vraiment dénoncée ? Peut-être auprès de l’entière communauté des Lecteurs ? Et si c’est le cas, qu’est-ce que cela signifie pour moi ? Que font les Lecteurs aux Pousseurs ? Je me souviens que Mira menaçait de tuer tous les Pousseurs qu’elle rencontrerait. Que se passe-t-il si je suis un de ces Pousseurs ? Si les autres Lecteurs apprenaient que j’ai Poussé ce gars pour qu’il se jette entre Mira et cette balle, que feraient-ils ? Rien de bon, j’en suis sûr. Mais pourquoi révèlerait-elle ce que j’ai fait ? La seule raison pour laquelle elle est encore en vie, c’est parce que j’ai Poussé ce type à prendre la balle à sa place, et elle doit le savoir.

Caleb est-il là pour une autre raison ?

Aussi étrange que cela puisse paraître, je lui dois encore un voyage dans l’esprit de quelqu’un d’autre. Est-il là pour ça ? Ce serait nettement préférable. Je ne veux pas qu’il sache que je suis un Pousseur.

Si c’est effectivement ce que je suis. Hier, j’ai eu l’air de prouver que j’étais un Lecteur. Je l’ai prouvé deux fois, à deux personnes différentes. Ils semblaient convaincus. Cela signifie-t-il que les Lecteurs ne savent pas réellement ce que les Pousseurs peuvent ou ne peuvent pas faire, ou bien est-ce que c'est autre chose ? Je ne suis peut-être ni un Lecteur ni un Pousseur. Existe-t-il une troisième possibilité ? Il existe peut-être d’autres groupes dont nous n’avons même pas entendu parler.

Suis-je les deux ? Un hybride. Est-il possible qu’un de mes parents ait été un Lecteur et l’autre un Pousseur ? Si c’est le cas, je suis le résultat d’un mélange des sangs ce qui, d’après Eugene, est un énorme tabou. Mira et lui sont des sang-mêlé, alors il est sans doute plus ouvert d’esprit à ce sujet que les Lecteurs purs et durs. Cela signifie-t-il que mon existence va à l’encontre de quelques règles absurdes ? Cela pourrait expliquer pourquoi mes parents biologiques étaient convaincus que quelqu’un voulait les tuer.

Cela pourrait expliquer pourquoi ils ont été assassinés.

Je pourrais rester ici dans le Calme à réfléchir pendant des heures, mais toutes les réflexions du monde ne feraient pas partir Caleb. Il faut que je sache ce qu’il fait ici.

Je sors du lit et je marche nu vers la porte. Dans le Calme, personne ne peut me voir, je ne m’en soucie donc pas.

Je descends jusqu’au rez-de-chaussée en ne portant que mes pantoufles et je sors par la porte d’entrée. Il y a en fait un nombre surprenant de personnes dans la rue : des conducteurs, des piétons, même des gens de la rue, tous figés dans le temps. Ils doivent être fous pour être debout si tôt.

Je ne mets que quelques instants à localiser la voiture de Caleb. Elle est garée précisément à l’endroit où il m’a déposé hier. Il semble avoir ses petites habitudes.

Il tient son téléphone. C’est drôle de savoir que je suis à l’autre bout de ce coup de fil. J’examine soigneusement l’intérieur de la voiture, cherchant des indices pour expliquer ce qu’il fait ici. Je ne trouve rien, si ce n’est deux cafés dans des tasses en carton. Y en a-t-il un pour moi ? Comme c’est gentil. Je trouve bien un pistolet dans la boîte à gants, mais cela ne m’inquiète pas réellement. Caleb est le genre de type à cacher des pistolets partout juste au cas où.

Je ne m’approche pas de Caleb lui-même, car si je le touche je le tirerai dans la Dimension de l’esprit — c’est comme cela qu’il appelle le Calme — et il saurait alors que je l’espionne. Sans mentionner les vannes parce que je suis tout nu.

Déçu de ne pas pouvoir obtenir plus d’informations, je retourne à l’appartement. Je touche la main de mon corps figé qui serre le téléphone, et je sors du Calme.

— C’est à quel sujet, Caleb ? Je viens juste de me réveiller.

Ma voix est toujours rauque, alors je tousse en couvrant le téléphone de la main gauche.

— Sors et on parlera, répond-il.

Je ne suis pas d’humeur à écouter un long débat. Connaissant les capacités de Caleb, s’il était ici pour me faire du mal, je me serais sans doute réveillé avec son pistolet dans la bouche.

— Je serai en bas dans vingt minutes, lui dis-je.

— Dix, dit-il en raccrochant.

Il y a vraiment des gens qui n’ont aucune courtoisie.

Je me lève rapidement, je me brosse les dents et je m’habille. Puis je me prépare un smoothie vert : ma solution pour un petit-déjeuner mobile. Trois bananes congelées, une grosse poignée de noix de cajou, une dose d’épinards et une dose de chou frisé finissent dans le mixeur. Quelques secondes bruyantes plus tard, je suis en route avec une tasse géante dans la main. Je prépare souvent un smoothie pour gagner du temps les rares fois où je me rends au bureau.

En parlant de travail, Caleb ne comprend-il pas que les gens normaux ont des emplois où ils doivent se rendre le mercredi matin ? Ce n’est pas mon cas, mais ce n’est pas la question. Je suis encore plus irrité maintenant. D’un autre côté, il est tôt, et nous aurons peut-être fini avant que la journée de travail commence.

— T’as intérêt à avoir une bonne raison pour me tirer du lit si tôt.

J’ouvre la portière de la voiture de Caleb.

— Bonjour à toi aussi, Darren.

Il ne tient pas compte de mon air renfrogné et il démarre la voiture dès que je monte.

— Écoute gamin, moi non plus je ne voulais pas te réveiller si tôt, mais Jacob a pris le vol de nuit et il a demandé à te voir avant ta journée de travail, de façon à ne pas trop te déranger. Alors me voici.

Jacob, le chef de la communauté des Lecteurs veut me voir ? Merde. Mira a peut-être parlé de ce que j’ai fait à tout le monde et c’est arrivé jusqu’en haut de la hiérarchie. D’un autre côté, Caleb ne semble pas particulièrement hostile, alors j’ai peut-être tort.

Pendant que Caleb se fraye un chemin dans quelques rues, ma nervosité concernant les raisons du rendez-vous avec Jacob est rapidement remplacée par la peur de la façon de conduire de Caleb. Je ne lui en ai pas voulu d’avoir roulé comme un fou quand nous devions sauver Mira, mais il n’a aucune raison de le faire à présent.

— Je n’ai pas besoin de rentrer pour travailler, alors ne nous tue pas s’il te plaît, dis-je.

Caleb ignore ce que je lui dis, alors je demande : que veut Jacob ?

— Ça ne me regarde pas. C’est entre lui et toi.

Caleb klaxonne contre un type qui s’est arrêté à un feu rouge, comme s’il s’agissait d’une erreur.

— J’essaie de rattraper le temps qu’on a perdu pendant que tu te préparais. On a un truc à faire avant que je te conduise chez Jacob.

Le feu change de couleur et nous bondissons en avant.

— Quel truc ?

Pendant que je sirote ma boisson, je me rends compte qu’il ne s’en est pas moqué. La plupart des gens me posent au moins des questions. D’après mon expérience, pour l’américain moyen, les boissons matinales vertes font l’objet de méfiance ou de ridicule.

— On va aller s’amuser, dit-il en essayant apparemment de me remonter le moral. Notre première cible est un type à Brooklyn.

— Notre cible ? De quoi parles-tu ?

— De notre arrangement. J’ai pensé à quelqu’un.

J’aimerais vraiment qu’il regarde la route.

Notre arrangement. Merde. J’avais espéré qu’il oublie ma promesse de l’aider à Lire plus loin dans les souvenirs d’un combattant, ce que les autres Lecteurs refusent de faire pour lui. J’espérais en apprendre davantage sur les raisons de ce refus, même s’il est trop tard maintenant : j’ai déjà accepté de le faire en échange de son aide pour sauver Mira.

Tout à coup, sa façon de conduire n’est plus mon principal souci.

— Tu peux me renseigner sur ce que nous sommes sur le point de faire ?

— Pour être honnête, je ne sais pas grand-chose, dit-il d’un air songeur en regardant la route devant nous. Quand je l’ai fait pour la première fois, c’était avec quelqu’un qui était à peine plus puissant que moi. La femme avec qui je l’ai fait ne pouvait passer qu’une seule journée dans la Dimension de l’esprit. Je crois que le temps que les deux personnes peuvent dépenser ensemble dans la Dimension de l’esprit détermine à quel point leurs esprits se joignent.

— Tu crois ?

Super. La confiance que j’avais dans la compréhension de Caleb part en fumée. Je me demande même s’il en sait plus que moi.

— C’est difficile à décrire, Darren. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il faut se mettre d’accord pour ne pas entrer dans la tête de l’autre.

C’est là que je réalise la chose : il aura accès à mon esprit. Il pourra accéder à mes pensées d’une façon que je ne comprends pas encore tout à fait. Si cela ressemble à la Lecture, il pourrait en théorie découvrir ce qu’il s’est passé hier. Il pourrait voir que j’ai Poussé quelqu’un, s’il ne le sait pas encore. J’ai l’impression que je pourrais avoir de gros problèmes si cela arrive. Par-dessus tout, j’ai envie de lui demander ce qu’il pense des Pousseurs, mais cela pourrait l’inciter à y penser, ce qui augmenterait les chances pour qu’il fouille dans mon esprit.

— Plus j’en apprends, moins j’ai envie de le faire, Caleb.

— Ouais, moi aussi j’hésite un peu, dit-il, et je commence à avoir de l’espoir. Puis mes espoirs sont anéantis quand il ajoute : mais ce n’est pas comme si l'on m’offrait une occasion pareille tous les jours. Et puis, un deal c’est un deal.

— Comment ça, tu pourrais ne plus jamais avoir une occasion pareille ? Je le ferais bien une autre fois, mais là tu m’as pris de court. Je ne t’attendais pas aujourd’hui. Je ne suis pas prêt, psychologiquement. J’aimerais y réfléchir un peu plus avant de plonger.

Cela me semble raisonnable, mais Caleb n’est pas convaincu.

— Oh, je n’ai pas peur que tu ne t’affranchisses pas de ta dette.

Je ne sais pas s’il plaisante ou s’il me menace.

— Non, poursuit-il, l’occasion dont je parle concerne notre cible.

— Ah bon ? Et qui est-ce ? Pourquoi est-ce une occasion si rare ?

Ma curiosité commence très légèrement à dépasser mes craintes.

— Il s’appelle Haim. J’ai découvert qu’il était en ville lorsque j’ai contacté mes connaissances pour qu’ils me donnent des noms de personnes qui pourraient m’apprendre quelque chose. Étant donné la nature de son travail, il pourrait partir à n’importe quel moment. C’est pour cela que je veux aller le voir maintenant.

J’intègre cette information quand nous sortons de l’autoroute dans ce que je pense être les hauteurs de Brooklyn, un quartier connu pour ses bâtiments en grès brun et pour ses vues sur les silhouettes des immeubles de Manhattan.

Par coïncidence, nous nous garons en double file à côté d’une de ces maisons : une maison en briques de deux étages. Elle a un charme désuet pour ceux qui aiment l’architecture ancienne, ce qui n’est pas mon cas. J’imagine très bien à quel point cela doit sentir le moisi à l’intérieur.

La rue, en revanche, paraît beaucoup plus propre que dans le quartier de Mira. Cela ressemble presque à Manhattan. Je comprends pourquoi certains de mes collègues ont choisi de vivre ici.

— Fais-nous passer dans la Dimension de l’esprit, demande Caleb sans couper le contact.

J’obéis et je déphase. La frousse que j’ai eue pendant le trajet facilite les choses : la peur m’aide toujours à déphaser. Les bruits du moteur disparaissent instantanément et je me trouve assis sur le siège arrière.

J’attire Caleb dans le Calme avec moi et nous nous dirigeons vers la maison en silence.

Quand nous atteignons la porte verrouillée, Caleb la fracasse de quelques coups de pied puissants. Ses jambes doivent être incroyablement fortes. Puis il entre comme si l’endroit lui appartenait, et je le suis.

Je suis surpris de voir que l’intérieur est agréable, très agréable. Le décor a quelque chose d’exotique que je n’arrive pas à reconnaître.

Au rez-de-chaussée se trouve une cuisine où nous trouvons un homme et une femme assis à table, en train de manger leur petit-déjeuner. Ils ont tous les deux une peau d’olive et les cheveux bruns. Le type est plutôt bien bâti, ce qui ne m’étonne pas, étant donné que Caleb a dit que c’était une sorte de combattant.

— Lui, dit Caleb en le pointant du doigt.

— Comment sommes-nous censés faire ?

— Tu fais comme si tu allais le Lire. Une fois que tu es sûr d’être à l’intérieur de sa tête, j’essaierai de le Lire en même temps. C’est la meilleure façon de l’expliquer. Tu ressentiras une sensation étrange : ton instinct sera de rejeter ce qui se produit. Tu devras combattre ce réflexe. Il faudra que tu m’autorises à partager ta Lecture. Si tu ne le fais pas, nous finirons tous les deux par le Lire séparément, comme si l’autre n’était pas présent.

— Et puis ? Qu’est-ce que ça fera si cela fonctionne ?

— Cette partie-là est difficile à décrire. Il est plus facile de l’essayer. Le mieux que je peux te dire, c’est ‘psychédélique’.

Il fait un petit sourire suffisant. Ce n’est pas rassurant.

Je suppose que je me contenterai de psychédélique. Certains paient pour avoir ce genre d’expérience. Cela n’a jamais été mon cas, mais bon.

— OK, j’ai compris. Et on ne se balade pas dans les souvenirs de l’autre, dis-je en essayant de paraître nonchalant.

— Ouais, autant que possible, mais c’est la roulette russe. Tu verras ce que je veux dire dans une seconde. Bonne chance.

— Attends, jusqu’où dois-je reculer dans ses souvenirs ?

J’essaie ainsi de retarder l’inévitable.

— Ne va pas trop loin. Ton temps sera divisé par trois au moins. J’ai promis de ne pas assécher ta Profondeur et je veux tenir parole. Essaie simplement d’atteindre le premier souvenir violent que tu pourras. Cela ne devrait pas être difficile à trouver chez Haim.

Cette dernière remarque semble amuser Caleb.

— OK, très bien. Allons-y, dis-je en posant une main sur le poignet d’Haim.

Je commence à atteindre l’état de Cohérence qui est nécessaire pour la Lecture.

J’y parviens presque instantanément, malgré le stress supplémentaire.

Et puis je suis dans l’esprit d’Haim.

2

— Haim, c’est tellement bien que tu sois là, nous dit Orit en anglais. Nous buvons une gorgée du thé qu’elle a préparé pour nous en essayant de ne pas nous brûler la langue et nous pensons que le temps passé avec notre sœur est le temps fort de notre année.

— Maintenant, c’est ton tour, disons-nous. Tu dois venir nous rendre visite en Israël, à grand-mère et moi.

Orit hésite avant de hocher la tête. Malgré son accord, nous savons qu’il est peu probable qu’elle vienne. Cela ne nous déçoit pas réellement : en général, nous sommes trop en danger pour que la petite Orit reste avec nous. D’un autre côté, nous pensons qu’elle devrait vraiment visiter Israël. Elle y trouverait peut-être un mari, ou elle apprendrait enfin quelques mots en hébreu.

Moi, Darren, je me dissocie de la mémoire immédiate de Haim. Je suis encore une fois stupéfait par l’absence de barrières de la langue dans la Lecture. La langue natale de Haim semble être l’hébreu, pourtant je comprends ses pensées, comme celles des Russes de l’autre jour. Cela semble prouver que la pensée ne dépend pas du langage, sauf si ce phénomène s’explique autrement.

Je songe aussi au fait que les sentiments de quelqu’un d’autre deviennent les miens pendant une Lecture. Par exemple, la femme à la peau d’olive assise à cette table me semblait très banale tout à l’heure, mais dans la tête de Haim, tout est très différent. Ses yeux noirs et ses cheveux bruns sont exactement comme ceux de notre mère et cette similitude est augmentée par sa nature attentionnée...

Je suis distrait de mes pensées quand je ressens quelque chose de nouveau.

Ce quelque chose est difficile à expliquer. Avez-vous déjà eu le tournis en vous levant trop vite ou en buvant trop ? Multipliez cela par mille et vous pourriez avoir une idée de ce que je ressens.

Mon instinct me dicte de libérer ma tête de cette impression. D’obtenir de la stabilité, de revenir sur terre. Cela signifie que je dois faire le contraire, en tout cas si je suis les instructions de Caleb.

J’essaie donc de garder la tête qui tourne. C’est difficile, mais ma récompense, si l’on peut dire, est un renforcement de cette impression étrange. Maintenant, c’est moins une impression de tête qui tourne et plus comme si j’étais en chute libre. C’est une sensation que j’ai récemment appris à connaître en Lisant l’expérience de parachutisme de mon amie Amy.

Quelque chose de complètement différent commence alors.

Je suis pris par une sensation d’une intensité inimaginable, une combinaison d’admiration démesurée et d’émerveillement. Ceci est accompagné par une étrange béatitude, suivie par la sensation de devenir plus que moi-même, de devenir un être nouveau. C’est à la fois effrayant et très beau.

Cette sensation me prend par vagues : à certains moments, je ressens une profonde compréhension de tout ce qu’il y a dans le monde, dans l’univers, même — voire dans le multivers — comme si, tout à coup, mon intelligence était décuplée. Cette brève sensation d’omniscience s’efface l’instant suivant et ce que je ressens alors peut être décrit par le fait de chérir quelque chose de sacré, comme lorsqu’on vénère un monument pour les soldats morts à la guerre.

Au milieu de tout cela je prends conscience de ne pas être seul. Je fais partie de quelque chose de plus élémentaire que moi-même. Et puis je comprends.

Je ne suis plus simplement Darren. Je suis Caleb. Et je suis Darren. Les deux à la fois. Mais ce n’est pas comme dans la Lecture qui me permet d’être d’autres personnes. Ici, la connexion est beaucoup plus profonde. Pendant la Lecture, je vois simplement le monde à travers les yeux d’un autre. Cette expérience de Lecture jointe est beaucoup plus que cela. Je vois le monde à travers les yeux de Caleb, mais il voit également le monde à travers mes yeux. J’hallucine quand je me rends compte que je peux même voir à travers ses yeux comment est le monde à travers les miens, filtré par sa propre perception et ses partis pris.

Je vois qu’il essaie de ne pas aller trop loin dans mon esprit et j’essaie de lui rendre la pareille en me concentrant. Pendant que ceci se produit, les sentiments positifs que je ressentais jusque là commencent à s’assombrir. Je ressens quelque chose d’effrayant dans l’esprit de Caleb. Et l’univers entier semble crier une seule idée dans nos esprits joints : nous ne nous immisçons pas dans l’esprit de l’autre. Non, nous ne nous immisçons pas dans l’esprit de l’autre.

Mais avant que nous puissions suivre ce mantra raisonnable, une foule de souvenirs est soudain déclenchée.

Je sais, tout en ne sachant pas comment Caleb voit mes souvenirs les plus gênants et les plus vifs. Je ne sais pas pourquoi cela se produit : peut-être parce qu’ils sont très visibles dans mon esprit, ou parce qu’il est curieux au sujet de ces choses-là. Quelle que soit la réponse, il revit le moment où mes mères m’ont parlé de la masturbation. S’il était possible de rougir, j’aurais l’air d’une tomate en pensant partager ce souvenir en particulier. Il revit également d’autres choses, comme la première fois que j’ai déphasé dans le Calme après mon accident de vélo. La première fois que j’ai fait l’amour. Le jour où j’ai vu Mira dans le Calme et que j’ai compris que je n’étais pas seul.

D’une certaine façon, je revis tous ces souvenirs en même temps. Tous à la fois, comme dans un rêve.

Puis je me rends compte qu’autre chose se prépare. Je vois avec inquiétude un tsunami mental arriver vers moi.

Il s’agit des souvenirs de Caleb.

3

Caleb, l’engin a été trouvé.

Nous lisons le texto et nous sommes submergés de soulagement.

— Nous ? me dit une voix sarcastique dans la tête. C’est moi, gamin, Caleb. C’est mon souvenir.

— Je le vis comme s’il s’agissait de nous, Caleb, réponds-je sèchement en espérant qu’il peut m’entendre. Tu crois que j’ai envie d’être ici ?

— Alors, dégage.

— J’aimerais bien.

— Essaye, pense Caleb, mais c’est trop tard.

Je suis de nouveau immergé dans les souvenirs de Caleb qui continuent à se jouer comme une session de Lecture.

Nous nous rendons compte que le texto ne modifie pas notre mission. Nous nous approchons le plus possible de la voiture avant de nous dédoubler. C’est délicat d’attaquer quelqu’un qui peut également entrer dans la Dimension de l’esprit. C’est un art difficile que nous sommes encore en train de développer.

Par exemple, il est difficile de surprendre quelqu’un s’il ou elle peut se dédoubler. Depuis l’enfance, ceux d’entre nous qui ont la capacité de pénétrer dans la Dimension de l’esprit apprennent à observer tout ce qui nous entoure au moment du dédoublement. C’est du moins le cas de ceux qui sont paranoïaques.

La solution est très audacieuse : peu d’entre nous ont assez de cran pour l’essayer. Ce qu’il faut, c’est attaquer quelqu’un à l’intérieur de la Dimension de l’esprit.

Moi, Darren, je me dissocie un instant et je pense pour Caleb : ‘pourquoi attaquer quelqu’un dans le Calme ? Rien de ce que tu fais ici n’a d’effet sur le monde réel.’

— Qu’est-ce que je t’ai dit sur le fait de sortir de ma tête ? dit-il d’un ton fâché — s’il est possible de penser avec un ton fâché. Au moins, cesse tes putains de commentaires ! Pour ton information, quand l’un d’entre nous meurt dans la Dimension de l’esprit, il y a bel et bien un effet, un effet durable, crois-moi.

— Mais pourquoi ne pas faire ton attaque dans le monde réel ?

— Écoute, gamin, je ne suis pas là pour t’apprendre des trucs. Nous sommes ici pour moi, tu te souviens ? Si promets de te la fermer après, je t’explique. Un des avantages lorsque l’on attaque quelqu’un dans la Dimension de l’esprit est que l’autre personne ne peut pas me voir avant que je la tire du monde réel. C’est la discrétion ultime et la raison pour le développement de cette technique. Un autre énorme avantage est que dans la Dimension de l’esprit, un Pousseur ne peut pas utiliser des passants pour s’aider. C’est quelque chose que ces connards essaieraient de faire. Mais avant d’aller attaquer des gens dans la Dimension de l’esprit, pense que cette technique possède ses inconvénients. Dans un combat normal, je peux me servir de la Dimension de l’esprit. C’est très avantageux. Je peux me dédoubler et voir à quel endroit mon adversaire figé va me frapper. Si mon adversaire n’est pas un Lecteur ou un Pousseur, je peux aussi le Lire, ce qui me donne des informations importantes au sujet des actions de mon adversaire dans un futur proche. Malheureusement, dans le cas présent, l’adversaire est un Pousseur. Je ne peux compter que sur mes prouesses au combat. Cela me va très bien, étant donné que j’ai confiance en mes capacités dans ce domaine-là. Malgré tout, j’élabore toujours mes stratégies en partant du principe que mon adversaire soit aussi doué ou meilleur que moi, même si en pratique, c’est très improbable.

— Waouh mec, c’est beaucoup plus que ce que j’ai voulu savoir à ce sujet. Et très arrogant, en plus.

— C’est toi qui as demandé, trou du cul.

Caleb ne fait plus de commentaires et je suis de nouveau aspiré dans son souvenir.

L’alarme d’une voiture sonne au loin. Nous décidons que l’endroit où nous sommes maintenant devrait faire l’affaire : c’est assez loin pour que le Pousseur ne puisse pas nous voir arriver, mais pas si loin que nous ne pouvons pas nous battre le moment venu.

Nous nous dédoublons et l’alarme de la voiture ainsi que les autres bruits disparaissent.

Maintenant que nous sommes en mode de combat, notre besoin de tuer l’homme dans la voiture, le Pousseur, est écrasant. Cela submerge tout notre être. Nous avons rarement une occasion pareille. Une chance de tuer pour une cause juste. Nous n’aurons pas de cas de conscience après ceci. Non, pas de perte de sommeil ni même une once de regret cette fois-ci. Si quelqu’un mérite de mourir, c’est bien notre cible actuelle.

Cela fait des semaines que le Pousseur essaie de frapper la communauté des Lecteurs. Il est responsable de la bombe que nos hommes sont en train de désarmer en ce moment même.

Tant de Lecteurs auraient pu mourir. Sous notre garde. La possibilité est tellement impensable que nous n’arrivons toujours pas à l’imaginer complètement. Et tout cela fut évité par hasard, grâce à une découverte chanceuse. Nous avions vu les signes révélateurs dans l’esprit de cet électricien. Nous ne nous attardons pas sur ce qui aurait pu se passer si cela n’avait pas été découvert. La seule consolation est que nous serions morts en même temps que les victimes, étant donné l’endroit où l’explosion devait avoir lieu. Nous n’aurions pas eu besoin de vivre avec la honte d’avoir été chef de la sécurité et d’avoir laissé une telle chose se produire.

Bien entendu, cette poule mouillée de Pousseur n’a rien fait par lui-même. Au lieu de cela, il a mentalement forcé le personnel de la communauté.

La rage nous envahit à nouveau quand nous repensons à la façon dont ces gens normaux et gentils se sont fait trafiquer l’esprit, simplement parce qu’ils étaient des entrepreneurs, des plombiers et des jardiniers qui travaillaient dans la communauté des Lecteurs. Nous fulminons contre cette injustice, contre le fait qu’ils aient pu exploser en même temps que les Lecteurs. Des dommages collatéraux aux yeux du Pousseur. Nous ne nous abaisserions jamais à une telle manœuvre. L’idée de dommages collatéraux est une des raisons pour lesquelles nous avons fini par quitter les Forces spéciales.

Notre rage augmente exponentiellement quand nous nous souvenons de ce que Julia a dit voir dans l’esprit de Stacy, la serveuse — ce que cette pourriture lui a fait. Le viol métaphorique de l’esprit de Stacy pour lui faire faire du mal aux gens pour lesquels elle travaillait ne lui a pas suffi. Cet enfoiré a fait un pas pervers de plus et il l’a violée littéralement. Il a décidé de mêler son travail contre nature avec l’abominable perversion du plaisir, lui faisant faire des choses tellement tordues...

Nous inspirons profondément en essayant de réprimer notre rage qui commence à déborder. La rage n’aide pas au combat. Pas dans le style de combat que nous avons perfectionné, en tout cas. Nous devons évaluer, analyser, puis agir. Historiquement, nous savons que les berserkers mouraient toujours, même si c’était dans la gloire, sur le champ de bataille. Ce n’est pas notre style. En fait, nous pratiquons quelque chose qui pourrait être considéré comme l’exact opposé de la fureur aveugle. Nous appelons notre technique le combat de pleine conscience. Cela nécessite un certain degré de calme. Nous respirons encore profondément. Il faut qu’une personne meure aujourd’hui et il est dans cette voiture. Nous devons continuer à vivre afin de pouvoir chasser et tuer tous ceux qui font partie de ce crime, de cette conspiration.

Nous regardons l’homme par le pare-brise. Nous sommes sur nos gardes. Nous reconnaissons les gens comme nous : un ancien militaire dont le langage corporel indique les Opérations Spéciales. La façon dont il s’est garé à l’écart de tout bon endroit pour tirer, la manière dont il se tient assis sur le qui-vive. Tous ces indices pointent vers une formation d’élite. Mais ce type n’est pas de la Division des Activités Spéciales comme nous. Nous en sommes presque sûrs. Il s’est peut-être entraîné avec l’équipe d’élite de la sécurité des Marines — même si ce salopard a sûrement Poussé pour y entrer, en tout cas pour l’étape de l’évaluation psychologique.

Nous prenons une dernière inspiration profonde, puis nous tirons dans la vitre du passager et nous donnons un coup de poing au visage du Pousseur en sachant que le contact physique l’attirera dans la Dimension de l’esprit. Notre but est de l’y tuer. Le faire lentement si possible, c’est un bonus.

Nous nous préparons à tirer dès qu’il se matérialise — mais il ne se matérialise pas. Nous sommes momentanément surpris. Il aurait dû apparaître dans le siège arrière, pensons-nous brièvement avant de ressentir une douleur aiguë dans notre épaule droite qui requiert toute notre attention.

Bizarrement, le Pousseur semble s’être matérialisé à l’extérieur de la voiture. Nous n’avons jamais vu personne prendre corps dans la Dimension de l’esprit de cette façon-là. Nous n’avons pas le temps de nous demander comment cela s’est produit ni où il a trouvé le couteau qui est à présent enfoncé dans notre épaule. Cette blessure concentre toute notre attention sur une seule chose : la survie.

La douleur est insoutenable et tenir le pistolet dans notre main droite est une véritable torture. Nous faisons de notre mieux pour ignorer la douleur, nous nous retournons et nous essayons de tirer sur notre attaquant. Il anticipe le mouvement et parvient à se dégager par une torsion. Si nous n’étions pas blessés, il n’aurait jamais pu s’en sortir de cette manière, mais dans la situation présente, notre arme tombe à terre un instant plus tard. Son autre main se dirige vers la poche de son manteau.

Il est temps d’effectuer une manœuvre désespérée.

Nous lui mettons un coup de boule : c’est un geste si dangereux que nous décourageons normalement nos employés de l’utiliser.

Le coup nous fait voir des étoiles et nous avons légèrement la tête qui tourne, mais il semble que le risque en valait la peine. Le Pousseur se tient à présent le nez que nous espérons cassé. C’est le moment.

En utilisant notre main gauche, nous lui donnons un coup de poing sur le nez — qu’il serre toujours dans ses mains — et avec notre bras blessé, nous passons la main dans la poche de son manteau.

Nous attrapons son pistolet, nous levons notre main droite et nous la redescendons. Cela nous fait moins mal d’utiliser notre main blessée de cette façon. Se servir du pistolet comme d’une massue est moins douloureux que de donner un coup de poing. La lourde crosse du pistolet atterrit au même endroit fragile sur le nez du Pousseur.

Il ne retire pas ses mains. Son nez doit être sérieusement endommagé.

Il tente un coup de pied en espérant frapper nos jambes. Nous nous écartons de son attaque, nous prenons le pistolet dans notre main gauche et nous ôtons le cran de sûreté.

Nous tirons d’abord dans le haut de son bras gauche. Il fait un étrange bruit de gargouillis.

Nous tirons ensuite dans le haut de son bras droit. Cette fois-ci, il crie.

Nous profitons du fait que sa douleur doit être atroce.

Nous tirons ensuite une fois dans chaque jambe et il tombe au sol en essayant d’adopter une sorte de position défensive.

Maintenant, la partie de combat de pleine conscience est terminée et nous pouvons laisser revenir notre rage.

Malgré tout, nous ne laissons pas notre rage nous faire aller trop vite. Nous donnons un coup de pied et nous inspirons. Puis nous frappons encore et encore.

Nos mouvements se font dans une espèce de brouillard. Le temps semble ralentir.

Quand nos jambes font mal et que nous sommes satisfaits par la quantité de bruits d’os cassés, le jeu commence à nous lasser. Après tout, sauf si le Pousseur meurt de ses blessures, il sera comme neuf en sortant. Mais cela ne va pas se passer ainsi. Nous pointons le pistolet sur la tête de notre adversaire.

Il est temps d’aller au but. Il est temps de commencer à tuer ce Pousseur...

Moi, Darren, je dois me rappeler que cette expérience n’est qu’un souvenir terrible de Caleb. Je me sens mal. Mais en même temps, je me sens aussi étrangement à l’aise avec ce souvenir. C’est une combinaison très bizarre et contradictoire.

— Sans déconner, nous interrompt la voix de Caleb. Nous faisons partie du même esprit pour l’instant et ma moitié est à l’aise. Comment la tienne, la moitié faible se sent n’a aucune importance. Ça ne te plaît pas ? Alors, dégage.

J’essaye, mais je ne parviens pas à le contrôler. Un autre souvenir de Caleb me parvient spontanément.

Nous entendons un gros bruit et nous nous réveillons. Le réveil à côté de notre lit indique trois heures du matin, ce qui signifie que nous n’avons dormi qu’une heure. Une seule heure de sommeil après avoir couru des centaines de kilomètres en quatre jours.

Quelqu’un nous traîne quelque part. La fatigue atténue quelque peu la panique, mais nous savons que quelque chose de mauvais nous attend. C’est alors que nous prenons le premier coup. Puis le second. Quelqu’un nous pousse, et nous glissons et tombons sur du sang. Après tout cela, ils ont décidé de nous casser la gueule ?

Nous essayons d’ignorer la douleur en faisant un effort vaillant pour ne pas nous dédoubler dans la Dimension de l’esprit. Un tel répit, ce serait tricher, alors que nous souhaitons mériter notre place ici.

— Tu ne veux pas abandonner ? dit une voix sans s’arrêter et nous entendons quelqu’un acquiescer.

Celui-là ne se fera plus frapper, mais évidemment, il est exclu du programme. Pour nous, une telle option est hors de question. Nous donnerions n’importe quoi pour rester : nous pourrions perdre tout, supporter n’importe quoi. Nous n’abandonnons pas. Jamais.

Alors nous nous relevons lentement. Un coup atterrit sur nos reins, un autre au bas du dos, mais au lieu de nous accabler ils ont l’effet opposé : les coups nous motivent à agir. Nous avons l’impression que le monde entier essaie de nous rabaisser. Nous luttons pour chaque centimètre, pour chaque microseconde de progrès et nous nous retrouvons enfin debout sur nos deux pieds.

Les coups qui nous pleuvent dessus de tous les côtés s’arrêtent brutalement.

Un grand homme s’avance.

— Celui-ci ne se contente pas de survivre : ce bâtard veut se battre. Regarde sa posture, dit-il d’une voix où la surprise se mêle à l’approbation.

Nous n’avons pas la force de répondre. Au lieu de cela, nous le frappons de notre bras droit en bloquant instantanément sa contre-attaque.

L’homme lève les sourcils. Il ne s’attendait pas à une telle résistance.

Une fois que nous sommes en mode de combat, la mémoire des muscles prend le relais et nous commençons la danse mortelle de notre style de combat personnel. Malgré notre épuisement, nous ressentons de la fierté quand un coup rapide pénètre ses défenses. Son genou droit lâche sous l’impact, il vacille, même si cela ne dure qu’un instant.

Nous devenons une pluie de poings, de tête, de genoux et de coudes.

Le type saigne déjà quand quelqu’un crie ‘Stop !’

Nous ne nous arrêtons pas. D’autres gens entrent dans la bataille. Le style que nous avons développé peut normalement gérer de multiples adversaires, mais pas des gens de ce calibre, et pas quand nous sommes presque morts de fatigue. Nous envisageons l’idée de nous dédoubler, mais nous décidons de ne pas le faire.

Fatalistes, nous bloquons leurs attaques mortelles, mais un adversaire finit par donner un parfait coup de pied retourné sur le côté de notre tête et le monde s’assombrit.

Moi, Darren, je retrouve mes marques.

— C’était quoi, putain ? essayé-je de crier.

Bien sûr, je n’ai pas de corps, alors le cri se perd dans l’éther de nos esprits joints.

— Juste un peu d’entraînement, pense Caleb en réponse. Il faut vraiment que tu te concentres. Tu es sur la bonne voie, tu cherches la violence, mais tu es toujours dans la tête de la mauvaise personne — la mienne. Retourne chez Haim. Souviens-toi de ce que nous sommes venus faire ici.

J’essaie de m’en souvenir. J’ai l’impression que des années sont passées depuis que nous sommes venus à Brooklyn Heights pour Lire ce type israélien. Je me rends alors compte que je suis toujours là avec Haim et Caleb, toujours en train de discuter avec Orit, la sœur de Haim/Caleb/moi-même. Le choc de devenir un double — non, un triple — esprit est toujours présent, mais au moins j’arrive de nouveau à penser par moi-même.

— Dépêche-toi, me presse Caleb. Nous sommes sur le point de retomber dans nos souvenirs respectifs.

Je ne veux pas que cela se produise, alors je fais un effort herculéen pour revenir dans la tête de Haim. J’essaie de me sentir léger. Je m’imagine être de la vapeur dans le brouillard, aussi léger qu’une aigrette de pissenlit flottant dans une légère brise matinale, et cela semble fonctionner.

J’ai le sentiment maintenant familier d’entrer profondément dans l’esprit de quelqu’un et j’essaie de me concentrer sur une fraction de ce que j’ai vu dans l’esprit de Caleb.

Cela semble fonctionner...

4

L’attaquant qui nous fait face expose son ventre un instant : c’est la dernière chose qu’il fera dans ce combat, pensons-nous en déclenchant notre rafale.

— T’as réussi, gamin, nous interrompt la pensée de Caleb. Nous sommes enfin tous les deux dans la tête de Haim.

— J’avais compris. Tu ne penses pas en hébreu, si ?

— OK. Maintenant, ferme-la et laisse-moi voir ça.

La ‘rafale’ est le nom que nous donnons à cette rapide succession de coups de poing dans le plexus de notre adversaire. Nous avançons contre lui en frappant, ce qui donne encore plus de puissance à nos coups. Nous comptons vingt coups avant qu’il essaie de nous bloquer et de contre-attaquer en même temps.

Brièvement impressionnés par l’économie de ses gestes, nous attrapons son bras et nous nous servons de son inertie pour le déséquilibrer. Il frappe durement le sol. Avant qu’il essaie de nous attirer à terre avec lui, nous donnons un coup de pied dans sa mâchoire et nous sentons le craquement de l’os quand le bord de notre pied nu touche sa mâchoire. Il ne bouge plus.

Il s’en remettra sûrement. Quelques côtes fêlées et une mâchoire cassée sont un petit prix à payer pour la chance de se battre contre nous. Si quelqu’un essayait cela en dehors de notre module d’entraînement, il n’apprendrait rien. Il serait mort.

Le module d’entraînement est notre réponse à l’immense demande de la part de nos amis au Shayetet qui souhaitent que nous enseignions notre style de combat unique à leur peuple. Ils savent que nous avons laissé le Krav Maga, l’art martial israélien, loin derrière nous. Ce que nous avons développé transcende le Krav Maga, transcende tous les styles de combat que nous avons rencontrés.

Combattre dans ces modules est un compromis. Pas de coups mortels ni d’attaques agressives sous la ceinture : personne ne meurt dans le module d’entraînement. Bien entendu, un tel compromis est contraire à l’intention de départ. Ce style a été développé dans un seul but : tuer son adversaire. À présent, nous dépensons une grande partie de notre énergie pour essayer de ne pas utiliser ce style de la façon dont il a été conçu. Ne pas tuer notre adversaire semble anormal, contraire à tout ce pour quoi nous avons passé notre vie à travailler. Une coquille vide de ce que nous imaginions. Nous sommes consternés de voir que personne d’autre ne semble se soucier de ces nuances. Ils réclament une école dans laquelle les civils apprendront ceci pour leur propre amusement sans comprendre qu’il est impossible de dompter cet entraînement. Ce n’est pas un sport pour les civils : c’est la vie ou la mort. Tout le reste déshonore le travail que nous avons accompli ainsi que les vies que nous avons prises en faisant évoluer notre style de combat unique.

— Ha-mitnadev haba, disons-nous en hébreu, ce que moi, Darren, je comprends signifier ‘volontaire suivant’.

Nous reconnaissons l’homme qui entre alors : Moni Levine. C’est un professeur de Krav Maga reconnu. Ils souhaitent probablement qu’il apprenne quelque chose de nous dans l’espoir de pouvoir le leur apprendre ensuite. Nous espérons que cela fonctionnera. Nous serions ravis de pouvoir laisser tomber cette entreprise futile d’apprentissage.

Moi, Darren, je me dissocie comme je l’ai fait au cours d’autres Lectures. Cette fois-ci, c’est différent, bien entendu, car je sens toujours la présence de Caleb. Je ressens son excitation. Il apprécie clairement le style de combat de Haim plus que moi.

— Ne pense pas à autre chose, me parvient la pensée de Caleb et je laisse le souvenir de Haim m’absorber à nouveau.

— Azor, esh li maspik, dit Moni au bout de cinq minutes d’attaques brutales.

Sans surprise, cela signifie ‘stop, j’en ai assez vu’.

Nous lui disons gentiment qu’il s’est bien battu et qu’il peut revenir quand il veut.

L’adversaire suivant entre. Puis un autre. Il doit y en avoir dix ou plus à la suite. Aucun d’entre eux ne représente un défi. C’est une autre partie de la formation que nous détestons. Nous nous battons presque comme un robot, laissant nos pensées s’attarder sur notre court voyage aux États-Unis à venir. Nous nous inquiétons que ce module d’entraînement nous fasse développer des habitudes fatales, comme de se perdre dans ses pensées pendant un combat...

Moi, Darren, je me déconnecte à nouveau, mais Caleb me convainc mentalement d’essayer de trouver un autre souvenir récent du même type. C’est donc ce que je fais. Il est presque identique au combat précédent, mais Caleb veut en faire l’expérience. Puis un autre. Et encore un autre.

Nous répétons cela en continu, revivant au moins une semaine — si ce n’est pas trois — de combats ininterrompus. Tout commence à se mélanger.

— Je n’en peux plus, finis-je par penser pour Caleb.

La fatigue que je ressens n’est pas physique, mais mentale. D’une certaine façon, cela la rend plus puissante, plus inéluctable. Le psychisme humain n’est pas équipé pour ce que nous faisons. J’ai l’impression de ne pas avoir dormi depuis des années, de ne pas m’être reposé depuis des millénaires. J’oublie l’époque où je n’étais pas Haim. Je ne me souviens pas d’un moment où je n’étais pas en train de me battre.

— D’accord, me parvient la réponse.

Je ressens soudain un énorme sentiment de perte. Comme si l’univers entier avait implosé.

Au bout de quelques instants confus, je comprends. Caleb est sorti. Je suis là tout seul, je ne fais plus partie de l’être aux esprits joints.