Les Lois du progrès déduites des phénomènes naturels - Romolo Federici - E-Book

Les Lois du progrès déduites des phénomènes naturels E-Book

Romolo Federici

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Extrait : "Le sens étymologique du mot progrès, que les peuples modernes ont d'un commun accord emprunté à la langue latine, ne représente pas une idée abstraite, ne renferme pas une signification complexe et sert encore moins à reproduire une image ou une métaphore. Rien de plus simple; au contraire, rien de plus clair que ce sens. Il indique le fait qui tombe universellement sous nos yeux et à chaque instant, lorsque les corps, se déplaçant, prennent une direction quelconque."

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Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 212

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Introduction

Devenu le possesseur des produits universels de la terre et apte désormais à comprendre les merveilleux mouvements du ciel qui se relient avec elle, l’homme se répandit, sous toutes les latitudes du globe, dans les régions déjà prêtes à le recevoir, après que l’énergie végétale se fut épuisée à lui en préparer le règne : œuvre d’émondation à laquelle on dirait presque que la nature travaille encore sous nos yeux, avec une anxieuse furie, dans les forêts vierges des zones tropicales.

Partout où il apparaît, du pôle à l’équateur et dans les deux hémisphères, sur les continents ou dans les îles les plus reculées, parmi les glaces silencieuses ou sous les feux les plus ardents du soleil, vivant ou endormi dans les couches profondes d’une autre période géologique, l’homme est toujours le même. Les dimensions du corps, la longueur des bras, la capacité du bassin, la largeur du crâne, ainsi que les traits du visage et la couleur de l’enveloppe épidermique ont beau varier, le type humain demeure inaltérable dans son essence.

Depuis les images grossières qui le reproduisent, gravées en creux sur les pierres et les ossements de l’Europe ancienne ou sur les gigantesques blocs de l’Amérique primitive, jusqu’aux simulacres des dieux et des héros que l’Égypte, la Mésopotamie, l’Inde conservent encore ; et, depuis ces simulacres jusqu’aux formes d’une si mâle élégance du Jupiter Olympien, jusqu’à l’aspect d’une si ineffable tendresse de Jésus, la ressemblance générale de son espèce ne s’est aucunement transformée.

Traversez les océans et les déserts, franchissez les régions des hautes montagnes, percez les ténèbres des temps antiques, sondez les abîmes des âges qui ont précédé l’histoire, vous trouverez parfois l’homme dissemblable dans les détails, mais constamment semblable à lui-même dans l’ensemble. Comme la lumière et le son qui, bien que se composant de gradations successives, n’éveillent dans l’esprit qu’une seule idée, ainsi l’espèce humaine, sous ses variétés multiples, se manifeste une et complète.

Quand même il existerait chez l’homme des diversités plus grandes, la faculté sensible qui le résume mieux que toute autre, la Parole, suffirait seule à établir son identité à travers tous les espaces et tous les temps : elle suffirait à le constituer, non plus espèce, mais genre distinct de tous les autres genres. L’habitant de Ninive, de Memphis, d’Athènes, de Rome, reconnaissait jadis son semblable dans le vil barbare dont il avait fait son esclave, de même que le fier Espagnol et le citoyen anglo-saxon le reconnaissent aujourd’hui dans le nègre et dans le peau-rouge. Nous-mêmes hésitons-nous à le reconnaître dans le témoin des âges les plus lointains, lorsque la pioche magique, on peut le dire, du géologue, le ramène au jour des cavernes profondes de la terre ?

La parole n’est pas seulement une intonation ou une articulation de sons ; elle n’est pas une simple expression de sensations commune à tous les animaux en général, ni une émission de syllabes particulière et propre à une de leurs espèces : la parole représente l’acte de l’intelligence, qui, coexistant avec les autres phénomènes dont l’ensemble caractérise l’homme, ne pouvait manquer de se manifester au moyen de ce signe sensible. Car l’homme n’est plus l’homme sans l’intelligence, et, sans la parole, l’intelligence n’atteindrait pas son but. Il faut dès lors conclure, non seulement que l’homme est l’être qui parle, mais que, dès sa première apparition sur la terre, l’homme a possédé le don nécessaire de la parole.

Néanmoins, avant que cette faculté admirable eût achevé de forger le langage, il a dû s’écouler une longue suite de siècles. Qu’on réfléchisse, en effet, à la tâche difficile qui lui incombait de fournir et de fondre, en quelque sorte, les signes destinés à reproduire les idées abstraites et les rapports de ces signes entre eux. Les études philologiques, quelque loin qu’elles aient été poussées de nos jours, n’ont pourtant pas réussi à découvrir un seul mot-type ou racine nouvellement introduit dans les temps qui nous sont connus. Aussi quelques écrivains en ont-ils conclu qu’à l’heure où l’histoire commence, l’homme avait déjà perdu une partie de sa puissance d’invention, et d’autres que le langage n’était pas son œuvre, qu’il lui avait été révélé ou transmis par un être supérieur. Mais si la source commune des langues disséminées dans le monde a échappé jusqu’ici aux investigations des plus savants linguistes, il est désormais évident que, soit qu’on les classe en deux ou en trois grandes familles, elles gardent toutes le même caractère et décèlent toutes une organisation identique. Il s’ensuit que, de même que l’homme peut vivre sous tous les climats et se reproduire dans les races les plus diverses, de même il peut entendre et parler toutes les langues.

De formidables révolutions géologiques, de gigantesques déplacements dispersèrent les peuples, comme le simoun fait du sable des déserts. Peut-être des races entières disparurent-elles dans les cataclysmes qui changèrent maintes fois l’aspect du globe ; mais, parmi ces effroyables bouleversements du sol et les dépôts pestilentiels laissés par les eaux, la parole survécut pour reconstituer le lien des nouvelles générations qu’elle rattacha ainsi aux générations disparues. L’écriture reparut procédant tantôt de la description, tantôt du son, tantôt de l’idée pure, groupant, accouplant, disposant les syllabes de mille manières. Dans les seuls caractères cunéiformes, on distingue trois formes successives et différentes de reproduction du langage.

La parole demeure inséparable de l’homme.

C’est que la parole crée une sphère absolument distincte de tout autre centre ou système de l’univers, la sphère où, seul entre toutes les créatures, non plus l’homme, mais l’être humain se perpétue et se développe. Elle émane de la parole cette patrie sublime et immortelle, dont chacun de nous, au même degré, devient le citoyen : je parle du monde intellectuel, œuvre de l’homme, et, en même temps, milieu exclusif de son existence.

Or, quoique l’origine de notre espèce reste enveloppée dans les voiles mystérieux sous lesquels s’accomplit l’acte de la création, ou, si l’on veut, de l’émanation des choses, sa division en plusieurs branches, en variétés diverses sur la surface de la terre suit une marche identique. La descendance directe de races relativement inférieures d’un type supérieur, tel que l’aryen, peut faire hésiter l’esprit ; mais la raison refuse absolument d’admettre que d’une souche de vertu moindre provienne ce qu’il y a de plus parfait en son genre. Qu’il me soit permis, pour l’instant, de faire seulement remarquer que, si rien ne se fait avec rien, il faut aussi que le produit se retrouve dans le producteur. Avec tous les entrecroisements et toutes les sélections possibles, on ne parviendra jamais à faire entrer dans les produits mixtes un élément caractéristique qui ne se trouve pas d’abord dans leurs générateurs. D’autre part, il n’est pas présumable que des branches diverses et séparées aient apparu soit successivement, soit simultanément, tout en gardant le même type et en suivant le même développement, la même tendance à se grouper en société morale au moyen du langage.

En effet, nulle part dans l’univers, on ne rencontre un peuple ancien ou, de nos jours, une tribu sauvage, chez qui ne se soit conservée quelque légende ou tradition de l’origine commune de l’homme et de ses premières conquêtes sur la nature. Quelle que soit la différence apparente de ces légendes dans l’Inde, la Mésopotamie, l’Égypte, la Grèce, la Palestine, dans les régions septentrionales de l’Europe, parmi les populations de l’autre hémisphère, parmi les Australiens et les Malais, elles révèlent toutes indistinctement la descendance ininterrompue de l’homme, l’instinct qui le porte à nouer des rapports avec ses semblables, son aspiration à pénétrer les causes de ce qui l’environne.

Le Zend-Avesta, les Védas, les livres récemment découverts des Assyro-Chaldéens, qu’on s’étudie à déchiffrer à l’Académie royale de Londres et dont les feuillets sont représentés par des briques gravées, les Kings et la plus complète des Écritures, la Bible, non moins que les mythes des Nubiens, des Égyptiens et des Grecs, rattachent nos sociétés contemporaines, de chaînon en chaînon, aux sociétés les plus reculées ou, pour mieux dire, au premier anneau de la chaîne sociale désormais impossible à briser. Et rien ne sert de contester les dates attribuées communément à ces monuments sacrés des nations : l’antiquité et la continuité de l’être humain dans le progrès n’en sont nullement ébranlées ; car un simple regard jeté sur la hauteur des conceptions et l’abstraction des idées que ces livres renferment suffit à nous convaincre de l’accumulation de siècles nécessaire pour atteindre à un tel degré de perfection.

L’avènement de Noé, ou l’ère des grands cataclysmes géologiques, fournit le meilleur argument en faveur de la continuité de l’existence de l’homme et de sa persévérance à marcher vers un même but. Soit que des nations, déjà rapprochées entre elles, fussent tout d’un coup séparées par les épouvantables transformations du globe, les déplacements du sol, les éruptions des montagnes, les éboulements et les inondations ; soit que, fuyant devant ces terribles catastrophes, des fractions de peuples déjà civilisés transportassent ailleurs, en le modifiant, l’héritage moral des aïeux ; soit enfin que, par suite des conditions nouvelles du sol et de l’atmosphère, les anciennes populations perdissent une partie du progrès moral déjà réalisé : il reste toujours vrai qu’un même foyer avait réchauffé les premières familles humaines. Car partout où l’on exhume l’homme, même des âges primordiaux, partout où l’on en découvre le plus léger vestige, on constate partout que l’homme était déjà parvenu à un degré quelconque de civilisation.

Depuis les grottes creusées dans les flancs ou à l’abri des rochers, depuis les palissades dressées le long des lacs et dans les marais, où il habita durant des siècles, jusqu’à Ninive, à Rome, à Paris, qu’il a, depuis, élevés pour en faire sa fastueuse demeure, lui, l’homme, à le considérer physiquement, n’a guère changé. Les peuples eux-mêmes, en dépit de la distance des temps et de la diversité des régions, ne différèrent pas beaucoup entre eux, jusque dans les formes de la vie sociale.

Seul l’être moral ne cessa d’élargir, d’étendre, de porter toujours plus loin les limites de son développement. Quelle différence entre le patrimoine de connaissances de l’homme d’aujourd’hui, maître presque souverain des forces de la nature, et le patrimoine intellectuel de l’homme qui, pour façonner la pierre informe, n’avait que la pierre même !

Le sentiment de la dignité humaine s’est accru avec le savoir, tandis qu’au contraire, avec l’intelligence plus haute de soi-même et de son prochain, la violence des passions a diminué. L’affection a émoussé l’âpreté des appétits et l’équité est venue se placer entre les conflits des intérêts, rétrécissant ainsi le champ des facultés sensitives par l’intervention et en raison de l’accroissement des facultés spirituelles.

Cet être moral se reflète, à différents degrés, sur les groupes sociaux qui émanent de lui, qui se résument en lui, et qui, grâce à lui, tendent à se réunir et à se ressouder ensemble. Cet être moral se perpétue en thésaurisant dans son sein l’œuvre des générations successives, et c’est pour cela qu’on l’appelle Humanité. L’Humanité est, en effet, le verbe qui révèle la présence de l’être enfanté par le développement moral du genre humain.

L’histoire de l’homme se déroule aujourd’hui tout entière sous nos yeux, griffonnée en traits incertains par sa main inexperte avant d’être tracée avec ces caractères que l’admirable sagacité de son esprit a su lui suggérer pour communiquer avec les âges futurs. Lui-même a pris soin de nous décrire l’aspect de la terre au milieu de laquelle il vivait, les végétaux dont il était entouré, les animaux qu’il lui fallait combattre et ceux qu’il dressait pour en faire ses auxiliaires ou ses compagnons fidèles. Il nous en a transmis l’image pour perpétuer l’une de ses premières et plus importantes conquêtes, de même que nous sculptons dans le marbre impérissable les découvertes les plus utiles à la société. Il nous initie à ses coutumes, à ses chasses, à ses pêches, il nous fait voir ses ustensiles, ses poteries, ses instruments ; il nous dévoile ses rites funéraires et le culte de ses divinités. Sans parler des musées moins considérables qui vont se multipliant dans toute l’Europe, le Musée de Copenhague et les collections de la Suisse nous fournissent assez d’éléments pour reconstituer la vie complète de l’homme primitif. En Asie, en Égypte, dans la Grèce, dans le centre et le midi de l’Italie, les ruines grandioses et encore inexplorées d’époques plus récentes couvrent le sol de leur masse épaisse et empêchent de pénétrer dans des abîmes encore plus profonds. Mais, dans le nord de l’Europe, en Bretagne, en Belgique, dans la région des Alpes, en Lombardie, sur les côtes de l’Afrique, sur les rives du Mississippi, du Scioto et de l’Ohio, l’infatigable curiosité de la science et le défaut de grands souvenirs historiques ont permis de renouer la descendance directe des premiers ancêtres. Là, si l’on ne retrouve pas encore intacte, creusée dans la roche ou flottante sur les eaux, la maison de l’habitant primitif, on y découvre au moins de larges traces de son existence sociale, et, avec les habitudes d’une civilisation déjà compliquée, ses tombeaux, ses autels, ses ateliers communs, les bornes mêmes de ses villes et de ses camps retranchés. Car, hélas ! pour féconder la civilisation, les associations industrielles ne suffisent pas, il faut encore des noces de sang.

Les dolmens et les tumulus celtiques ou druidiques qu’on découvre non seulement en Bretagne, mais aussi dans le Jutland, dans le Sleswig, en Poméranie et dans la province de Constantine en Algérie, les grottes sépulcrales d’Aurignac et de la Madeleine, le réceptacle colossal des débris des festins funéraires d’Havelse, les allées ouvertes ou séparées par des chambres, je veux dire les menhirs de Carnac, les cimetières de Hallstadt, près de Salzbourg, de Saint-Jean de Belleville en Savoie, et de Somma en Lombardie, attestent la grandeur des ressources matérielles et l’élévation des idées morales qui étaient déjà l’apanage des sociétés vivant à l’écart dans les régions boréales. Ignorées jusque dans ces derniers temps, quelques-unes d’entre elles étaient contemporaines de ces superbes empires de l’Orient, qui éblouissent encore les imaginations ; quelques autres leur étaient même antérieures. Déjà, quand la pierre seule fournissait les instruments et la matière du travail, non seulement la satisfaction de tous les besoins de la vie était garantie, mais les arts étaient nés et développés.

Les ateliers et les fabriques d’ustensiles, d’armes, d’objets de toilette et d’emblèmes en silex que l’on retrouve à Persigny, à Spienne en Belgique, et dans l’île d’Elbe, fournissaient des ouvrages ornés de figures de tigres et de poissons, dont le tranchant, le poli et le dessin prouvent une expérience et une habileté de main fort avancées. Tels sont, par exemple, les sceptres ou bâtons de commandement de Bruniquel et de la Madeleine. Plus tard, dans la seconde période, après la première dont la durée fut si longue, les fonderies de bronze établies à Échallens en Suisse, dans la Suède et la Norvège, fabriquent des armes et des outils, dont l’élégance rivalise avec ceux d’Ilion et de la Grèce à l’époque de la grande lutte chantée par Homère. Des villes en grand nombre s’élèvent alors sur des palafittes au bord des lacs et des marécages, ou sur des îles artificielles formées d’amas de terres rapportées et de blocs de pierre, à Morges, à Chabrey, à la Tène, à Wangen en Suisse, à Starnberg en Bavière et à Olmutz, à Mecklembourg, à Castione dans le territoire de Parme, à Saint-Vincent sur la côte d’Afrique, à Rio de Janeiro dans l’Amérique du Sud, et d’autres cités encore connues sous le nom de kjœkkenmœddings dans le Danemark, ou de crannoges dans l’Irlande. Le mouvement industriel et artistique, augmentant sans cesse, produit ces fours de fer découverts dans la Carinthie et près de Berne, dont la construction remonte à des époques antérieures à la grandeur romaine.

Des centres de population si nombreux et si considérables, qui des rivages de la Méditerranée s’étendaient jusqu’à ceux de la Baltique, n’étaient pourtant pas, quoique séparés, restés sans contact entre eux et sans que les uns eussent profité des progrès des autres. La puissante impulsion de l’Orient, même en perdant de sa force dans le long trajet qu’elle eut à parcourir, parvint à communiquer un principe de mouvement à ces contrées extrêmes.

Les verres et les tissus de laine découverts dans les tumulus du Jutland, les objets en ivoire des grottes de la Madeleine et des tombeaux de Hallstadt, le corail et l’ambre trouvés aux deux extrémités du continent européen ne démontrent-ils pas que des habitudes d’échanges avaient été contractées entre les régions les plus éloignées ?

Nous ne pousserons pas nos conjectures aussi loin que l’écrivain, qui, se fondant sur la découverte de deux crânes à Furfooz en Belgique, l’un attribué au type caucasien, l’autre au type africain, s’est hâté de conclure que des peuples de races si différentes se visitaient ou menaient une vie commune, dans ces âges lointains, en cette partie de l’Europe. Il paraît néanmoins indubitable que des tribus intermédiaires (dont l’une était peut-être la tribu helvétique) commerçaient entre elles et que des communications étaient établies entre les pays limitrophes, formant ainsi une chaîne ininterrompue de sociétés civilisées à divers degrés et qui s’entraidaient mutuellement.

Toutefois, quels qu’aient été le parallélisme ou la priorité entre elles de ces premières manifestations de la civilisation, les régions boréales de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique ne participèrent pas aux grandes effusions de lumière qui remplirent l’Orient. Jamais les sociétés n’y parvinrent au nombre immense d’habitants ni au degré élevé des empires qui surgirent presque partout en Asie et sur le seuil de l’Afrique. La Grèce et l’Italie elle-même les devancèrent de loin. Ou bien les différentes tribus et populations du nord et du centre de l’Europe (ainsi que d’autres contrées sur les autres points du globe), eurent pour source des émigrations qui, s’étant une fois détachées de la famille maternelle, laissèrent, en s’en éloignant, s’affaiblir ou se perdre une partie de la civilisation acquise ; ou bien des populations, séparées tout à coup les unes des autres par des cataclysmes géologiques, se trouvèrent livrées, durant un long espace de temps, chacune à son propre développement spécial, que chacune produisit différemment selon ses forces. De toute façon, la différence de degré et de civilisation apparaît évidente toujours et partout.

Les grandes sociétés sémitiques et aryennes, qui fondèrent les grands empires dans la vaste plaine qui s’étend des monts d’Arménie au golfe Persique, ou dans la péninsule gangétique, ou dans celle du Nil, ou dans la petite Phénicie, ou dans la Palestine isolée, ne suivirent pas des voies moins différentes et n’obtinrent pas des résultats moins inégaux. La diversité est la même pour la race mongolique, dont nous contemplons encore avec admiration non seulement les traces, mais l’image même dans la civilisation, vénérable entre toutes par son antiquité, qui brilla et brille encore aujourd’hui en Chine.

Il y eut autant de diversité dans l’écriture de toutes ces nations que dans les langues qu’elle devait perpétuer, et même dans la matière employée pour la conserver. Les hiéroglyphes égyptiens s’alignent dans les papyrus roulés, tandis que les caractères cunéiformes sont gravés sur des briques, comme sur les feuillets d’un livre.

Des monticules de sable cachent, ou du moins cachaient jusqu’à ces dernières années, les grandes villes si glorieuses de la Mésopotamie, tandis que les ruines grandioses de l’Égypte révèlent encore à présent la puissance de ses métropoles. Ici des masses de pierre s’élevaient sur des masses de pierre ; là, on bâtissait avec de la terre cuite revêtue tout au plus de lames de basalte. L’ordre architectural de l’antiquité indienne se rapproche plus de celui des édifices découverts dans l’Amérique centrale que des constructions de l’Égypte. Cependant, de l’Euphrate au Nil, la sculpture, la peinture et l’orfèvrerie ne différaient guère dans l’imitation des objets naturels ; mais les connaissances chimiques et physiques étaient plus étendues chez les Égyptiens que chez les Assyriens et les Médo-Perses. L’aptitude au commerce, propre au Phénicien, à l’Hébreu et à l’Égyptien, manquait à la race aryenne. Mais, tandis que les grands ouvrages d’irrigation de la Mésopotamie et de l’Égypte dénotent le même degré de progrès agricole chez ces deux peuples divers, les populations soumises par les brahmanes aryens restent dans la période pastorale.

Ces anciens peuples diffèrent encore davantage entre eux par les institutions sociales. Le féodalisme militaire des Mèdes et des Perses diffère de la suprématie indivise entre les deux classes supérieures des Hindous. Si les satrapes ne furent pas les égaux et moins encore les supérieurs des mages ou prêtres dans la Perse, ils réussirent cependant à les soumettre à leur pouvoir : ce qui n’eut pas lieu dans les Indes, où il semblerait même résulter des plus anciennes hymnes des Védas que, dans les temps primitifs, le chef de tribu était aussi le seul intermédiaire suprême entre le ciel et la terre. Les bramines parvinrent seulement plus tard à se faire céder la moitié du pouvoir souverain des princes. En Égypte, ainsi qu’ailleurs, les castes apparaissent comme des indices généraux d’invasions successives, et les grands rois y brillent de la même clarté sombre qui émane également des combustions civiles intérieures et des guerres de conquête, pareilles à de fougueux météores. Mais là on découvre un organisme puissamment constitué, la Cité, véritable assise de la société égyptienne, soit que celle-ci doive son développement à des éléments différents des éléments asiatiques, soit qu’elle ait atteint à un degré plus élevé de perfectionnement social. Dans le centre, et plus encore à l’occident de l’Asie, les grandes villes furent sacerdotales, ou bien, comme nous l’apprennent les découvertes les plus récentes, des résidences royales : le peuple, dispersé dans les champs ou massé dans les faubourgs, se personnifiait dans le chef, dans le prince, dans le roi des rois. En Égypte, au contraire, de même que dans la Phénicie, l’être social a pu, dès les premiers âges, compléter, par la classification des ordres qui le composaient, son propre développement, constituer l’individualité de son action et fixer lui-même les limites de sa souveraineté.

La Chine, monde complètement séparé du monde organisé par les races sémitiques et aryennes, nous offre un type social d’une constitution absolument différente. La société chinoise s’appuie sur deux êtres presque impersonnels, tellement ils représentent les intérêts généraux non seulement présents et passagers, mais passés et immuables, à savoir le patriarcat royal et la perpétuité de la famille. Pas de castes, pas d’ordres, pas de classes mixtes et intermédiaires : seules, les deux expressions les plus simples de l’universalité et des individualités sociales s’élèvent et se contiennent l’une l’autre. Un fil animateur va et vient perpétuellement d’un pôle à l’autre – le savoir – car tout le mécanisme du fonctionnement public repose sur le mérite personnel. La providence impériale, appelée « père et mère » de l’État, laquelle n’a point de limites lorsqu’elle veille à la garde des lois sanctifiées par les rites, en rencontre partout, au contraire, lorsqu’elle se hasarde à en créer de nouvelles. La famille, qui remonte infatigablement et se rattache aux premières racines de la première société originaire, a quelque chose de si sacré et de si durable que toute autre institution semble, en comparaison, vile et caduque. Ou bien cette grande simplicité est le reflet d’une civilisation primordiale qui s’est développée, comme dans un paradis, sans secousses et sans conflits ; ou bien elle est le résultat d’une longue suite de vicissitudes qui effacèrent successivement les traces des luttes, des prépondérances, des succès de tribus et de peuples envahisseurs, de classes et de partis triomphants.

La religion surtout, où se concentrait avec le plus d’intensité la force intellectuelle des peuples anciens, fournit la preuve par excellence des inégalités qui surgissaient entre eux, bien que la source et la direction finale des sciences divines soient, chez tous, absolument identiques. Même les groupes formés par les races ne peuvent être classés par types de religion : les religions diffèrent entre Aryens comme entre Sémites et Mongols. Le monothéisme est le signe éclatant qui accompagne le peuple hébreu dès sa première apparition, et le naturalisme, ou le culte des phénomènes physiques, domine sur les autels de l’Égypte. Toute idée religieuse est représentée, en Égypte, par un mythe : ce qui prouverait que les premières manifestations religieuses y ont déjà été altérées, soit par la grossièreté des peuples à qui elles furent transmises, soit par la précaution des prêtres, désireux de soustraire les dogmes établis aux fluctuations de la tradition.

Les religions des anciens Aryas connues jusqu’à ce jour n’étaient guère moins différentes entre elles. En effet, quel que puisse être le rapport entre les hymnes les plus antiques des Védas et quelques parties du Zend-Avesta, il est hors de doute que les Perses ne reconnurent pas dans les membres des castes souveraines de l’Inde des adeptes de leur foi et les considérèrent comme dévoués à de faux dieux et envahis par des doctrines barbares. Lorsque le panthéisme des brahmanes, réformé par Bouddha, s’exila, pour ainsi dire, parmi les peuples mongoliques, ceux-ci, en l’adoptant, ne tardèrent pas à l’altérer, grâce à leur aptitude spéciale, rebelle entre toutes aux abstractions métaphysiques. Introduit ainsi dans l’extrême Orient, le bouddhisme y partagea la souveraineté, en Chine, avec une théodicée informe du cru, au Japon, avec un vague dualisme qui reflétait les principes antinomiques des Perses.

Là où le caractère d’universalité se montre davantage, là aussi se manifeste plus que partout ailleurs, par la comparaison immédiate des parties contiguës, l’inégalité du concours apporté par chacun à l’œuvre commune. Lorsque, par une loi dont le présent ouvrage a le devoir de préciser les termes, se manifeste une tendance générale à atteindre un but déterminé, chaque peuple déploie, dans la poursuite de ce but, une aptitude qui lui est propre et y introduit ses éléments particuliers aussi bien dans l’ordre religieux que dans les autres organismes sociaux.