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Dans la communauté juive en France, tout comme aux États-Unis et en Israël, en moyenne un mariage sur deux se célèbre entre une personne juive et non-juive. Sujet plusieurs fois millénaire, le phénomène de mariages mixtes prend une acuité particulière du fait de l’intégration ou de l’assimilation de la communauté juive à celles majoritaires, de la conversion au judaïsme et de l’identité juive elle-même. Les mariages mixtes entre juifs et non-juifs est un ouvrage qui rapporte les études, les différentes opinions et interprétations de la halakha – loi juive – sur ce fait qui soulève bien des passions.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Samuel Lévy est professeur des Universités en Cardiologie. En 2011, il reçoit le prix Laennec pour sa contribution au prestige de la cardiologie française. Sur le plan communautaire, il a été président du Consistoire régional israélite Alpes-Provence. Il s’intéresse au sujet des mariages mixtes, particulièrement préoccupants dans les plus petites des seize communautés juives de cette région.
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Seitenzahl: 182
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Samuel Lévy
Les mariages mixtes
entre juifs
et non-juifs
Essai
© Lys Bleu Éditions – Samuel Lévy
ISBN : 979-10-377-7588-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Sous la direction de :
Samuel Lévy
Professeur des Universités en cardiologie
Président du Consistoire Régional Israélite Alpes-Provence (1999-2017)
La passion de la connaissance pour elle-même, la passion de la justice jusqu’au fanatisme et la passion de l’indépendance personnelle expriment la tradition du peuple juif, et je considère mon appartenance à cette communauté comme un don du destin.
Comment je vois le monde, Albert Einstein
Flammarion, 1979Albert Einstein
Avec nos remerciements pour leur participation et leur contribution :
MM. Dan Amiach (Aix-en-Provence), Joseph Amar (Carpentras), Zvi Ammar (Marseille), Yehudah Assedou (Marseille), Jacquy Ayache (Aix-en-Provence), Gilbert Benhayoun (Aix-en-Provence), Elie Berrebi (Marseille), Roger Bohbot (Marseille), Gérard Bornand (Gap), Albert Cohen (Martigues), Hervé Cohen (Aix-en-Provence), Jacques Cohen (Marseille), Jean-Pierre Cohen (Marseille),Maurice Cohen-Zagouri (Marseille), Roger-Pierre Corcia (Toulon), Thierry Farreau (Marseille), Bernard Guigui (Marseille), Gerard Guigui (Marseille), Yves Haddad (Toulon), Maurice Hassoun (Calas), Charles Heiselbec (Marseille), Marcel Labboz (Marseille), William Labi (Marseille), Gregory Leichihman (Gap), Jean-Claude Lévy (Marseille), Sidney Mimoun (Marseille), Claude Nahoum (Avignon), Roland Sarfati (Marseille), Jonathan Sicsic (Marseille), Maurice Sicsic (Marseille),Evelyne Sitruk (Marseille), Daniel Sperling (Marseille), Michel Chemla (La Ciotat), Jacques Teboul (Marseille), Michele Teboul (Marseille), Clément Yana (Marseille), Martine Yana (Marseille), Jocelyn Zeitoun (Marseille), Jean-Jacques Zenou (Marseille).
Nous remercions tout particulièrement pour leur participation :
Monsieur Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France (2009-2013), pour l’honneur de sa présence et pour sa brillante conférence sur le thème : « Quel avenir pour la communauté juive ? »
Madame Joëlle Allouche-Benayoun (écrivain, Docteur en psychologie sociale, Université Paris 12, France), pour sa contribution.
M. Zvi Ammar, président de la communauté israélite de Marseille, pour son amical soutien.
Rav Réouven Ohana, Grand Rabbin Régional, Grand Rabbin de Marseille, France.
Rav Haïm Amsellem, ancien Grand Rabbin de Genève, député à la Knesset (membre du parti religieux Shass, Jérusalem, Israël).
Rav Haïm Harboun (Aix-en-Provence), auteur du livre « Sous les ailes de la Providence ».
Monsieur Elie Berrebi, directeur du Consistoire de Marseille, pour son aide à la préparation de la Journée d’étude du 27 juin 2010.
Monsieur William Zerbib, secrétaire du CRIAP, pour sa contribution et son aide précieuse.
Prof. René H. Lévy, Professeur de pharmacocinétique, Université de Seattle, État de Washington, USA, pour avoir revu ce document et pour ses suggestions constructives.
Maître Sidney Mimoun, avocat (Marseille), pour son aide et son soutien amical.
Le but de ce livre n’est pas de retranscrire l’intégralité des travaux du Consistoire Régional Israélite Alpes-Provence (CRIAP) sur le dossier des mariages mixtes, entrepris depuis 2007, mais de rapporter l’essentiel des idées, des discussions et des problèmes soulevés pendant les nombreuses réunions de travail et de réflexion, tant en Conseil d’Administration de notre association qu’en commissions, et notamment lors du colloque du 27 juin 2010, et pendant les années qui ont suivi.
Nous savions ce dossier très sensible et le rabbinat régional et national, ainsi que les instances consistoriales, y est régulièrement confronté. Le dossier reste brûlant. Cependant, nous ne pouvions pas ne pas nous intéresser à un problème qui concerne toutes les communautés et rester inactifs, compte tenu des répercussions considérables qu’il entraîne. Mal géré, le problème des mariages mixtes peut avoir des conséquences démographiques sur le judaïsme. Un président de communauté se trouve souvent impuissant face à ce problème étroitement lié à celui des conversions. La décision finale revient, dans tous les cas, aux instances rabbiniques qui jugeront du désir sincère ou non du candidat, en fonction des règles préétablies de la halakha (loi juive). Quand bien même le rabbinat estime, malgré un projet de mariage soupçonné ou avoué, que l’intention du candidat à la conversion est sincère, commence alors un processus long (12 mois ou plus) et parfois coûteux, au bout duquel tous les candidats ne parviennent pas à franchir avec succès la ligne d’arrivée. Une autre difficulté est que le problème des conversions est diversement traité par les différentes communautés malgré les efforts du Grand Rabbinat de France pour tenter d’en harmoniser les règles.
Le Consistoire Régional Israélite Alpes-Provence (CRIAP) a eu pour objectif d’étudier les différents aspects du problème des mariages mixtes en France et de les consigner dans un « livre blanc », faisant une photographie de la situation aussi proche que possible de la réalité, avec les répercussions possibles pour le judaïsme de notre pays. Ce livre blanc rend compte des travaux basés, certes, sur les témoignages recueillis, mais surtout sur les études et témoignages afin de nourrir la réflexion du rabbinat et des instances consistoriales de notre région, et de celles de notre pays, et à s’interroger sur l’avenir. Les travaux du CRIAP se sont déroulés dans un cadre uniquement consistorial. À aucun moment le CRIAP n’a prétendu remplacer ni se départir des règles fixées par le Consistoire central et le Rabbinat de France.
Prof. Samuel Lévy
Président du CRIAP
Le problème des mariages mixtes est lourd en émotion et celui qui s’y penche en mesure rapidement la complexité. En France comme ailleurs, ce problème est sujet à controverse. Avant de l’aborder, il faut rappeler un certain nombre de données démographiques qu’apporte l’enquête effectuée par le Fonds Social Juif Unifié (FSJU), rapportée par Erik Cohen en 2002 [1,2]. Elle est basée sur l’étude de 1132 chefs de famille appartenant à 30 départements français. Il y a, selon cette enquête, environ 500 000 juifs en France et 575 000, si l’on compte les conjoints non-juifs des couples mixtes. La majorité d’entre eux habitent Paris (24 %) ou la région parisienne (30 %), et les 46 % restants habitent la province essentiellement dans 4 villes : Marseille, Lyon, Nice et Strasbourg. Cinquante pour cent environ des juifs français sont nés en France et 50 % sont nés à l’étranger. Quarante pour cent des juifs français ont fait des études supérieures, 60 % ont obtenu le baccalauréat, ce qui est supérieur aux 24 % de la population générale en France.
Les mariages mixtes sont en progression constante en France pour représenter 1 mariage sur 2 chez les jeunes âgés de 20 à 30 ans. Les causes de cette progression des mariages mixtes relèvent de plusieurs phénomènes sociologiques. Le premier est l’intégration actuelle de la communauté juive à la communauté majoritaire de France. Les juifs semblent mieux acceptés dans la société française, et de cela on ne peut que s’en réjouir. La société française valorise la mixité et le « droit à la différence », devenus des faits acquis dans un grand espace laïque, la religion étant reléguée au seul secteur privé. Comme il est dit précédemment, 40 % des juifs font des études supérieures, ce qui traduit un désir d’intégration et de participation à tous les niveaux de la communauté française. Le rapport sur la communauté juive d’Erik Cohen conclue que : « C’est une communauté qui est complètement en osmose avec la société dans laquelle elle vit » [1].L’évolution de la femme dans la société française s’est accompagnée d’un grand nombre de femmes juives dans les universités et dans les professions les plus variées. C’est précisément dans les universités ou les grandes écoles, ou sur le lieu de travail que les jeunes rencontrent leurs futurs partenaires. L’amitié avec les non-juifs se développe, peut évoluer vers l’amour et aboutir à un désir de vie commune. Ce phénomène n’est pas particulier à la France. La communauté juive américaine a vu les mariages mixtes progresser pour des raisons semblables, de 13 %, avant 1970, à 47 % en 2001. Comme le dit madame Joëlle Allouche-Benayoun dans ses travaux [2-4] (voir Chapitre 2), la moyenne des mariages mixtes en France est estimée à 30 %. Cependant, cette moyenne cache des réalités différentes. Une communauté juive nombreuse, bien structurée avec des lieux de culte, des centres communautaires, des restaurants « casher », et surtout des écoles juives dans lesquelles les enfants reçoivent une éducation juive, aura un pourcentage de mariages mixtes inférieur à 30 %. À l’inverse, une communauté faite d’une poignée de familles, ou peu structurée, aura un taux de mariages mixtes pouvant atteindre 90 % ou plus. Pour les protéger, les responsables communautaires enverront leurs enfants en Israël où ils feront leur vie et finiront eux-mêmes par émigrer (on dit faire leur « aliyah ») en Israël, ce qui pourra aboutir, à terme, à la disparition de ces petites communautés. Pourquoi au départ ces juifs attachés à leur religion n’ont pas choisi une grande ville avec une communauté juive conséquente et structurée ? Pour des impératifs souvent professionnels dans une société où la mobilité est devenue la règle ou pour des raisons personnelles variées. Le résultat est que ces petites communautés sont menacées de disparaître et nous voyons cela dans notre région Alpes-Provence. Un président d’une de ces petites communautés nous a avoué que lorsque deux jeunes viennent le voir pour lui dire qu’ils veulent se marier et que l’un des partenaires n’est pas juif, il se dit que peut-être il va récupérer, grâce au processus de conversion, deux membres pratiquants de plus dans sa communauté. Cependant, il sait que dans la grande ville la plus proche, le processus de conversion du conjoint peut ne pas aboutir et que les deux amoureux seront perdus pour sa communauté, voire même perdus pour le judaïsme, du moins pour ce qui est du partenaire juif. En plus, les responsables de petites communautés doivent maintenir une « ligne dure » pour renforcer la cohésion de leur communauté et « assurer sa survie ». En cela, ils sont souvent en phase avec leur rabbin. Les rabbins de France ont, pour la plupart, une interprétation très stricte de la loi juive tirée du « Choulhan Harroukh » qui exige que le converti (guiyour) n’ait pas d’autre « intérêt » à vouloir se convertir que son amour, s’adressant avant tout au judaïsme et à la Torah. Dès qu’il y a un projet de mariage, les rabbins estiment qu’il y a un « conflit d’intérêts ». Ceci explique les résultats des travaux de Doris Bensimon et de Françoise Lautman en 2002 [5], citées par Joëlle Allouche-Benayoun [2-4]. Sur 100 mariages dont l’un des conjoints est non-juif, le mariage religieux est juif dans 1,8 % des couples, catholique ou protestant pour 6,7 % des couples, et civil seulement pour les 91,5 % restants. Seul 0,7 % des conjoints (chrétiens) ont été convertis au judaïsme. Ce qui s’oppose à l’argument avancé de sa « dilution » et qui prouve que la porte du judaïsme français n’est pas grande ouverte.
La menace de disparition des petites communautés est, quoi qu’on dise, un affaiblissement de la communauté juive de France. Elle représente la raison essentielle qui nous a amenés à nous pencher depuis plusieurs années sur le problème des mariages mixtes. Nous avons recueilli avec William Zerbib, secrétaire du CRIAP, un nombre impressionnant de témoignages qu’il n’est pas notre intention de rapporter totalement ici, car nous souhaitons faire une analyse objective et non affective du problème, bien que nous ne soyons pas insensibles à tout ce que nous avons entendu. Il y a deux aspects dont nous n’avons pas au départ mesuré l’acuité : les souffrances endurées par les familles, surtout lorsque celles-ci sont pratiquantes et attachées au judaïsme, et les souffrances des enfants nés de ces mariages mixtes. Un fait est sûr : « Aucune famille ne peut se dire étanche au mariage mixte » [1,6]. Les parents du partenaire juif (on le verra souvent un homme) sont divisés entre l’amour de leur fils et leur attachement au judaïsme. Après s’être opposés à la liaison de leur fils avec une fille non-juive qui accepte de se convertir au judaïsme, ils se trouvent désemparés et souvent isolés. Personne pour partager leur souffrance, personne pour les conseiller et les aider à résoudre ce problème qu’ils vivent à tort comme l’échec de l’éducation juive qu’ils ont donnée à leur enfant. Nous verrons pourquoi au cours des ateliers dédiés à ce problème (chapitres 7-9). Plus terrible encore est la souffrance des enfants nés de mariages juifs et qui se sentent « juifs ». Nous parlons bien sûr de ceux dont le père est juif et dont la mère n’a pas souhaité se convertir, ou dont la conversion n’a pas abouti. Ils ne comprennent pas qu’on ne veuille pas les « reconnaître » et les intégrer dans la communauté juive pour mettre en conformité leur statut avec le nom qu’ils portent (voir chapitre 10 du Rav Haïm Amsellem).
Nous voyons clairement que le problème des mariages mixtes est intriqué avec deux autres problèmes : celui de l’identité juive (qu’est-ce qu’être juif ?) sur lequel il n’y a, à ce jour, pas de consensus, et avec lequel l’État d’Israël n’arrive pas à se dépêtrer, et celui des conversions qui est central au problème des mariages mixtes. Sans conversion, pas de mariage juif si l’un des partenaires n’est pas juif, surtout si c’est la mère, comme nous le verrons plus loin.
À l’évidence, le Consistoire Israélite Alpes-Provence (CRIAP) qui représente le judaïsme « orthodoxe » dans notre région ne peut soutenir qu’une conversion conforme à la Halakha, c’est-à-dire la loi juive. Il est d’autres types de conversions dont il ne sera pas question ici, car seule une conversion dite « halakhique », donc conforme à la loi juive, est universellement reconnue (voir le Chapitre 3 du Rav Ohana). Mais la « halakha », qui signifie « mouvement », a subi en matière de conversions, au cours des siècles, des évolutions impressionnantes, indissociables du contexte sociologique, de l’environnement et des besoins des différentes époques (voir chapitre 4 du Rav Harboun). Le problème difficile des enfants nés de mariages mixtes et qui souhaitent rejoindre le peuple juif, partager son destin, est particulièrement aigu en Israël. Certains de ces enfants qui vivent en Israël et combattent dans l’armée israélienne, donc, risquent de mourir pour Israël alors qu’on refuse de reconnaître leur appartenance au judaïsme (voir chapitre 10 de Rav Haïm Amsellem). Ce problème si particulier à Israël ne sera pas sans influence sur les juifs de la diaspora. Comment faire face au problème des conversions et des mariages mixtes en faisant abstraction de l’existence de l’État d’Israël ?
Ce document n’a pas pour objectif d’aborder toutes les nombreuses facettes du problème compliqué des mariages mixtes. Nous l’avons centré sur la conversion « halakhique », conforme à la loi juive, particulièrement celle des enfants nés de ces mariages mixtes et qui souhaitent faire partie du « Peuple juif » pour lequel ils montrent leur attachement et dont ils souhaitent partager le destin. Peut-on les aider ?
Samuel Lévy et Zvi Ammar
Le mariage mixte menace-t-il la pérennité même du judaïsme ? voir chapitre 15
L’augmentation importante des couples mixtes en France ces trente dernières années met aujourd’hui, sur le devant de la scène, leurs descendants : se sentent-ils juifs ? Sont-ils considérés comme juifs par les différents judaïsmes ?
Une nette progression
La question des mariages mixtes n’est pas nouvelle pour la communauté juive. Elle se pose historiquement depuis l’émancipation des juifs de France, c’est-à-dire depuis deux siècles, en fait, depuis la Révolution française et la sortie des juifs des ghettos. Sauf qu’il se produit aujourd’hui une accélération de ce phénomène dans le monde entier, et en France tout particulièrement.
Les chiffres dont nous disposons sont ceux de l’enquête 2004 sur les juifs du monde entier, menée par le démographe israélien Sergio Della Pergola [7, 8]. En Russie et en Ukraine, il y a 80 % de mariages mixtes, chiffre absolument énorme. En Allemagne et en Hongrie vivent aujourd’hui des communautés juives importantes. Ainsi, par exemple, la communauté juive allemande, 3e communauté juive européenne (après la France et le Royaume-Uni), est formée de juifs venant de l’ancienne URSS et des pays de l’ancien bloc soviétique. Sergio Della Pergola, de l’Université Hébraïque de Jérusalem, évalue à 60 % le taux de mariages mixtes en Allemagne et en Hongrie, et de 55 à 60 % le taux de mariages mixtes aux États-Unis d’Amérique [7].
En France, les chiffres sont en augmentation constante, la progression des mariages mixtes est continue : en 1935, un couple sur 8 était un couple mixte, en 1955, après la guerre, un couple sur 6, un couple sur 4 en 1975, un sur 3 actuellement, sur l’ensemble de la population, et 1 sur 2 parmi les jeunes couples. On considère en effet que dans la population des 25-30 ans, un mariage sur deux est un mariage mixte.
Le problème est urgent : l’enquête dénombre 30 % de mariages mixtes dans l’ensemble de la population. Autrement dit, 70 % de la population juive fait un mariage dit endogame, et 30 % des juifs font un mariage dit exogame. Dans les 70 % qui font un mariage endogame (juif/juif), il faut considérer que 1 % des mariages seulement se font avec un conjoint converti, ce qui n’est pas énorme vu la passion des débats qui entourent cette question de la conversion. Il y a 1 % de couples mixtes dans lesquels la femme se convertit au judaïsme pour que le couple reste juif et puisse transmettre aux enfants quelque chose de la judaïté.
Une question de transmission
On dit transmettre effectivement, car le problème est celui de la transmission. Mais qu’est-ce que l’on veut transmettre ? Samuel Lévy disait : « On ne veut pas forcément transmettre la religion ». Pour ma part, lorsque j’interroge tous ces gens (et je fais des enquêtes depuis 25 ans), et c’était aussi le cas dans les enquêtes qu’avait faites Doris Bensimon dans les années 1970 [8], l’écrasante majorité dit « vouloir transmettre quelque chose du judaïsme ». Pour certains, c’est l’aspect religion, mais pour la majorité d’entre eux, c’est « autre chose » : des coutumes, des saveurs, une langue… Beaucoup se sentent, en réalisant un mariage mixte, « responsables d’une éventuelle disparition » du peuple juif.
Vouloir convertir leurs conjoints et vouloir que leurs enfants soient juifs, c’est pour eux vouloir perpétuer le peuple juif et éviter qu’il se dilue dans les sociétés environnantes. Ils veulent transmettre la judaïté parce qu’ils sont attachés à une culture, cette culture qui passe par plusieurs canaux : la musique, la cuisine de leurs mères ou leurs grands-mères, la langue, la mémoire. Il y a quelque chose qu’ils ne veulent pas voir disparaître. Vouloir être juif, vouloir transmettre sa judaïté à ses enfants, c’est loin d’être seulement, pour beaucoup d’entre eux, transmettre une religion, il faut insister là-dessus…
Si le fait d’épouser quelqu’un de non-juif c’est montrer que l’on s’est éloigné des traditions juives, on assiste aujourd’hui à ce paradoxe que certains veulent continuer à rester juifs et pourtant manifestent, en quelque sorte, désir et volonté d’être en même temps dedans et dehors.
La question de la transmission de la judaïté se pose en France au sein d’une population juive qui présente un certain nombre decaractéristiques sociales et démographiques qu’il nous faut rappeler.
Il y a une assimilation des juifs de France au modèle démographique français : les familles juives en France ne sont pas des familles nombreuses. La natalité est de 2,57 % dans les familles juives alors que dans la population générale, elle est de 2,1 %. La natalité est certes un peu plus grande dans les familles juives, mais de façon modeste. Il y a de plus en plus « d’unions libres ». Dans ces unions libres, il y a beaucoup plus souvent des femmes juives que des hommes juifs. Quand j’interroge ces femmes qui vivent en union libre avec des non-juifs, je m’aperçois qu’il y a là, dans ce choix de ne pas se marier, comme une stratégie pour ne pas aller au bout du couple mixte ou de la mixité conjugale : elles vivent avec un non-juif dont elles ne portent pas le nom.
Une population extrêmement diplômée
Une chose très importante qu’a dite le Pr Lévy est que les juifs constituent en France une population extrêmement diplômée, beaucoup plus que la population générale, et c’est dans cette population extrêmement diplômée que se développe le mariage mixte. On s’aperçoit, et c’est une constante, que ce sont surtout les hommes qui contractent un mariage mixte. Ce n’est pas particulier aux juifs français, c’est le cas pour toutes les populations du monde : partout, ce sont les hommes qui font des mariages exogames bien plus que les femmes.
La nouveauté, réelle, c’est qu’aujourd’hui, parmi la population diplômée, hommes et femmes ont le même type de comportement. On constate qu’à partir du moment où elles ont le niveau Bac+4, les femmes ont un comportement matrimonial proche de celui des hommes : 42 % des femmes diplômées et 41 % des hommes contractent un mariage mixte.