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Extrait : "Il est de toute nécessité, ami lecteur (laissez-moi vous donner ce vieux nom), que je vous introduise dans le monde dont je vais vous raconter les merveilles. Entrez sans crainte, la maison est à vous. Voulez-vous la parcourir avec moi, de la cave au grenier ? Dites oui, ce ne sera pas long. D'abord sur une mer de feu, ou sur un lac de feu entouré de matières solides, – on ne sait pas au juste lequel des deux, vu que personne n'y est allé..."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN
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Seitenzahl: 222
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Je voudrais raconter ici ce qu’offrent de plus intéressant une science et un art que j’ai toujours pratiqués, la science géologique et l’art des mines.
Les exploitations souterraines sont de nature à provoquer l’étonnement chez ceux qui ne les connaissent point, et il faudrait assurément plus d’un volume pour en définir toutes les merveilles.
J’ai déjà traité ces questions d’une manière suivie dans d’autres publications.
Cette fois, je ne veux agir en quelque sorte qu’en tirailleur.
Prenant un peu au hasard, et cherchant avant tout à rendre les sujets attrayants, accessibles à tous, je dépeins d’abord à grands traits l’édifice souterrain où gisent les merveilles que je veux décrire.
À propos de fossiles, j’examine une question encore pendante pour quelques-uns, celle de l’homme antédiluvien, qui préoccupe tous les géologues, tous les penseurs de notre temps.
J’aborde ensuite l’exploitation souterraine, principalement celle des carrières. Parmi celles-ci, je parle surtout des carrières de marbre de Carrare et de celles de pierres de construction de Paris, toutes les deux si curieuses à tant de titres.
Les filons métalliques donnent matière à une étude de géologie appliquée, qui peut être utile aussi bien à l’industriel qu’à l’homme du monde.
Enfin je termine par les sels et les gaz naturels la description des trésors minéraux que la nature a réservés comme un appât, comme une excitation à l’activité humaine.
En manière d’épilogue, je jette un coup d’œil sur les houillères françaises. Avec le fer, le charbon compose aujourd’hui notre véritable richesse souterraine.
N’y a-t-il pas là de quoi suffire à ce petit livre ? Je voudrais qu’il inspirât au lecteur le désir d’en savoir davantage, et de pousser plus avant l’examen de toutes les merveilles dont le monde souterrain est rempli.
L. SIMONIN.
Paris, août 1869.
De la cave au grenier. – Mer ou lac de feu. – Roches ignées. – Terrains cambrien, silurien, dévonien, carbonifère. – Terrains permien, triasique, jurassique, crétacé. – Terrains éocène, miocène, pliocène. – Terrains diluvien et alluvien. – Développements successifs de la vie animale et végétale sur le globe. – Les fossiles. – Discussions des anciens savants. – Les médailles de la géologie. – La caverne de Maestricht. – Les génies du monde souterrain. – Le dernier fossile.
Il est de toute nécessité, ami lecteur (laissez-moi vous donner ce vieux nom), que je vous introduise dans le monde dont je vais vous raconter les merveilles.
Entrez sans crainte, la maison est à vous.
Voulez-vous la parcourir avec moi, de la cave au grenier ?
Dites oui, ce ne sera pas long.
D’abord sur une mer de feu, ou sur un lac feu entouré de matières solides, – on ne sait pas au juste lequel des deux, vu que personne n’y est allé, – repose la première écorce continue de la petite boule qui nous porte. Ce sont des granits et autres roches massives, cristallines, que l’on appelle aussi ignées, parce qu’on pense que le feu a joué un grand rôle dans la formation de ces matières (carte I).
J’ai dit « on pense ; » j’aurais dû dire « on pensait. » Il y a quelques années, mettez vingt ans, on croyait que les granits étaient produits par le feu, comme les matières que les volcans vomissent aujourd’hui encore de l’intérieur de la terre. Puis d’autres géologues sont venus qui ont pensé le contraire, et qui ont prétendu que l’eau seule, portée il est vrai à une très haute température, avait joué un rôle dans la formation des roches granitiques. Avant eux, vers la fin du siècle dernier, le géologue allemand Werner prétendait bien que les granits, et les roches de même famille, les porphyres, etc., n’avaient été produits que par les eaux, comme tous les terrains. Ainsi, en ce cas comme en tant d’autres, la vérité est difficile à débrouiller ; mais passons : là n’est pas précisément le sujet de nos études. Nous ne sommes pas, du reste, dans le secret des dieux.
Avançons, montons de la cave au premier étage.
Ici commencent les terrains de sédiment proprement dits. D’abord les terrains cambrien, silurien et dévonien, ainsi appelés par M. Murchison, l’un des pères de la géologie britannique, parce qu’ils sont particulièrement développés, en Angleterre, dans l’ancien pays des Cambres et des Silures et dans le comté de Devon ; puis le terrain carbonifère, celui où l’on trouve surtout le charbon fossile, la houille, qu’on a nommée à si bon droit le pain de l’industrie moderne.
Tout ce système de terrains compose le système primaire, parce que c’est en quelque sorte le premier étage de la maison que nous visitons.
Montons à présent au second. Nous rencontrons les terrains permien, triasique, jurassique et crétacé, qui composent le système secondaire. Permien, parce que ce terrain a été surtout étudié dans la province de Perm, en Russie. Triasique, pourquoi ? Je vous attendais là, je parie que vous ne devinerez pas. Vous donnez votre langue aux chiens. Eh bien, parce que ce terrain se compose de trois groupes distincts, et que le mot trias veut dire en grec triade, groupe de trois, d’où les géologues, qui parlent quelquefois le grec comme les médecins de Molière parlaient le latin, ont fait l’adjectif triasique. Vous avez compris ; tant mieux.
Jurassique, je n’ai pas besoin de vous le dire, vient de ce que le type de ce terrain est surtout développé dans le Jura, et crétacé de ce que ce nouveau terrain renferme principalement la craie.
Voilà pour le système secondaire.
Au tertiaire maintenant ; si vous aimez mieux, au troisième étage de la grande maison terrestre ou plutôt de l’édifice souterrain.
Ce troisième étage est composé de trois terrains : l’éocène, le miocène et le pliocène, ou comme je l’ai écrit sur la carte I, suivant les termes adoptés par la géologie espagnole et italienne que je croyais les plus conformes aux règles grammaticales, l’éocénique, le miocénique et le pliocénique. Ces adjectifs ont le défaut d’être longs d’une toise. Des linguistes compétents m’ont fait avec raison remarquer que les mots éocène, miocène, pliocène, étant déjà des adjectifs et de la meilleure consonance, il n’était pas nécessaire de les affubler de la terminaison ique, qui sonne si mal aux oreilles.
Maintenant vous allez me demander (car vous êtes curieux, et vous en avez le droit) que signifient ces mots d’éocène, de miocène et de pliocène ?
Je vais essayer de vous l’expliquer.
Le géologue M. Lyell, une des gloires de l’Angleterre, avait remarqué que, dès le terrain éocène, une partie des espèces animales qui vivent encore aujourd’hui, à notre époque récente, surtout des mollusques, des coquilles comme on les nomme vulgairement, faisait son apparition sur la terre, et qu’en suivant la gradation, il y en avait moins dans le terrain intermédiaire que dans le terrain supérieur où il y en avait plus. M. Lyell eut donc l’idée d’appeler le terrain tertiaire inférieur l’aurore de ce qui est récent ou éocène ; le terrain tertiaire moyen, celui où il y a moins de ce qui est récent, miocène ou plutôt méiocène, par rapport au terrain qui va suivre ; et ce dernier, le terrain tertiaire supérieur, celui où il y a plus de ce qui est récent, pliocène ou plutôt pléiocène. Franchement M. Lyell n’était pas ce jour-là bien inspiré. « Du grec, il sait du grec, » sans doute ; mais il pouvait en faire un meilleur usage.
Je vous devais, mon cher lecteur, cette explication un peu longue. Tant de gens aujourd’hui emploient ces mots d’éocène, miocène, pliocène, dont ils ignorent absolument le sens ! N’employez que des mots que vous entendez parfaitement, surtout dans les sciences ; sachez au besoin l’histoire de ces mots et vous vous en trouverez bien.
Au quatrième et dernier étage pour finir, au système quaternaire. Celui-ci ne se compose que de deux terrains : le diluvien, qui a vu les grands déluges, et l’alluvien, qui voit seulement se former les dépôts d’alluvions qui se bâtissent petit à petit sous nos yeux. Mais la nature ne mesure pas le temps, elle va lentement parce que ses œuvres sont éternelles ; et peut-être qu’un jour le terrain alluvien comptera par son épaisseur aux yeux des géologues de l’avenir.
Vous avez parcouru sans trop de fatigue et sans trop perdre de temps, n’est-ce pas ? les principales parties de notre monde souterrain. Jetez encore un coup d’œil sur la carte I. Vous voyez que toutes ces parties, nommées dans leur ensemble terrains de sédiment, se superposent les unes aux autres comme les feuillets d’un livre. C’est en effet un grand livre que celui-là, c’est celui sur les pages duquel est inscrite l’histoire de la formation terrestre.
La vie s’est développée sur le globe avec les premiers terrains de sédiment. Des plantes infimes, des animaux d’espèces rudimentaires, ont fait leur apparition sur la planète dès que les milieux l’ont permis. Peu à peu, à mesure que les terrains se superposaient les uns aux autres et que les dépôts allaient s’élevant, la vie se modifiait aussi, progressait, revêtait des formes de plus en plus perfectionnées. Aux coraux, aux mollusques, s’ajoutaient successivement les crustacés, les poissons, les reptiles, puis les oiseaux, enfin les mammifères.
De même les plus humbles plantes, les mousses, les lichens, les fucus, voyaient bientôt naître à côté d’elles les fougères, dont les espèces arborescentes devaient présenter, à l’époque carbonifère, une ampleur qu’elles n’offrent plus aujourd’hui que dans les régions tropicales.
Aux fougères et aux plantes analogues se joignaient bientôt les conifères, et enfin, peu à peu, dans la période tertiaire et quaternaire, tous les arbres fruitiers et forestiers que nous voyons encore aujourd’hui.
Les restes de ces corps vivants, plantes ou animaux, qui depuis les premiers âges terrestres se sont développés à la surface du globe accomplissant leurs mystérieuses évolutions, les restes de tous ces corps vivants, quand ceux-ci ont laissé leur enveloppe, leur charpente intérieure ou seulement leur empreinte dans les différentes couches qui composent les terrains de sédiment, sont ce que les géologues nomment à proprement parler les fossiles, et les gens du monde les pétrifications y a ainsi des plantes, des coquilles, des os pétrifiés.
De tout temps les fossiles ont donné lieu aux discussions des savants, et les uns y ont vu longtemps une des preuves les plus certaines du déluge mosaïque, tandis que quelques philosophes, comme Voltaire, ne voulaient voir dans tous ces restés d’animaux éteints que des coquilles perdues par des pèlerins revenus de la Terre Sainte, des débris de cabinets de naturaliste jetés au vent, et même les restes d’un déjeuner d’excursionnistes en goguette.
Cela n’était sérieux ni d’un côté, ni d’un autre : qui trop veut prouver, ne prouve rien. Il faut prendre les fossiles pour ce qu’ils sont, pour les médailles de la géologie, comme on les a si à propos appelés. Avec eux, avec ces hiéroglyphes restés si longtemps indéchiffrables, le géologue reconstruit le passé de la terre, comme, avec les vieux manuscrits, avec les médailles métalliques, l’historien fait vivre les sociétés disparues.
Les gisements de fossiles se rencontrent partout. En France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, il y en a de très célèbres. Au siècle dernier, sur les bords de la Meuse, on citait les fameuses carrières de Maestricht, où se donnèrent tour à tour rendez-vous les savants à lunettes (fig. 1). Pendant les guerres de la République, le gouvernement français lui-même s’émut au sujet de ces cavernes, et tout en faisant le siège de Maestricht, il délégua un naturaliste, Faujas de Saint-Fond, pour aller étudier les fossiles qu’elles renfermaient. En ces temps-là, on menait volontiers de front et la science et la guerre. Faujas étudia consciencieusement les carrières de la montagne de Saint-Pierre, comme il les appelait, mais se trompa sur les restes fossiles qu’elles contenaient. Ce ne fut que plus tard que Cuvier démontra que ces restes n’étaient autres que ceux d’un immense reptile, d’espèce perdue, qu’il appela le mosasaure ou le saurien de la Meuse, Maestricht étant en effet situé sur cette rivière. Et ainsi finit l’histoire du grand animal, d’autres disaient le grand crocodile de Maestricht, qui avait si longtemps préoccupé les géologues.
À côté des savants, il faut toujours ranger les gens du monde, le vulgaire si l’on veut. Ceux-ci ont eu longtemps des opinions différentes sur les fossiles. Ils y ont vu, comme les anciens, des jeux de la nature, des effets d’influences planétaires, des pétrifications d’urine de lynx, des productions de la foudre, etc., etc. Les Allemands, plus poétiques, avaient imaginé que c’étaient les génies du monde souterrain, Nickel et Kobolt, qui étaient passés par là, et qui, fouillant le sous-sol, entassant les roches les unes sur les autres, y avaient gravé ces dessins étranges, fantastiques, mystérieux, que l’on croyait voir dans les fossiles (fig. 2).
J’ai dit qu’à mesure que les terrains sédimentaires s’étaient étagés les uns sur les autres, la vie s’était modifiée, et que, par exemple, les espèces animales avaient revêtu des formes de plus en plus parfaites. L’homme est ainsi venu le dernier, à son heure ; mais est-il venu avec les plus récents dépôts alluviens ou avant eux, a-t-il ou non vécu avec les grands mammifères disparus du terrain diluvien : en un mot est-il ou non fossile ? C’est ce que nous allons examiner. Et certainement cette question n’est pas une des moins intéressantes que peut provoquer l’étude du monde souterrain, ou, si vous préférez, des merveilles que ce monde renferme.
État et importance de la question. – La terre est un soleil éteint sur lequel les eaux ont bâti des continents, et où la vie a subi diverses évolutions. – L’homme fossile n’est pas l’homme antéhistorique. – Recherches des anciens géologues. – Homo diluvii testis. – Les anthropolithes. – Opinion de Cuvier. – Découvertes dans les cavernes. – Objections qu’on y faisait. – M. Boucher de Perthes. – Les haches de pierre de la vallée de la Somme. – La mâchoire de Moulin-Quignon. – Un congrès scientifique. – Yoé. – Menchecourt. – Les fabricants de silex taillés. – Le meunier Quignon. – Découvertes de M. E. Lartet. – Découvertes en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Amérique. – Enseignements à tirer des faits établis.
Il importe de bien préciser la question qui va être examinée.
Il s’agit ici du premier homme, tel que la science aujourd’hui le définit, tel que des découvertes récentes nous permettent de l’étudier. L’homme fossile, c’est le premier homme éteint, disparu géologiquement, et qui a laissé dans les couches souterraines du sol l’empreinte de ses ossements pétrifiés, et jusqu’à la trace de sa primitive industrie.
L’homme fossile, c’est l’homme remontant bien au-delà de l’histoire, bien au-delà de la mythologie, et rejeté dans la nuit lointaine des temps géologiques.
Quel problème s’offrit jamais plus intéressant aux spéculations de la science et de la philosophie ?
Il s’agit ici de fixer l’époque précise où, la vie continuant son évolution incessante, l’homme apparut à son tour sur le globe, nouvel anneau dans la chaîne des êtres. On devine aisément tout le profit que l’ethnologie et l’histoire peuvent tirer de l’étude bien faite de ce grand phénomène, et l’importance prépondérante de cette curieuse question.
Socrate, dit-on, avait écrit sur les murs de son école, et répétait sans cesse à ses disciples ce fameux aphorisme : « Connais-toi toi-même. » C’est ici le cas d’appliquer le mot de Socrate, au moins sous le rapport physique. Étudions notre origine, et par là apprenons à mieux nous connaître nous-mêmes, et à marquer la place, j’entends la véritable place, que l’homme occupe dans l’univers.
La terre, soit qu’on la considère avec la Place, comme, une nébuleuse échappée du soleil, ou, avec quelques astronomes d’aujourd’hui, comme une partie de la matière cosmique subitement condensée en sphère, la terre n’est qu’un soleil éteint.
Ainsi s’exprime Béranger.
Nous savons que sur la première écorce du globe, les eaux, laissant peu à peu déposer des sédiments argileux et calcaires, ont bâti des continents. Les êtres qui vivaient à l’intérieur, à la surface ou au bord de ces eaux, ont été successivement engloutis dans les couches que celles-ci formaient, et ce sont les restes de ces êtres éteints, ainsi déposés au milieu des sédiments, qui composent, nous le savons aussi, ce que l’on appelle les fossiles.
Le principal caractère des fossiles est d’appartenir généralement à des espèces éteintes et de plus en plus perfectionnées à mesure qu’on remonte l’échelle des formations que nous avons, avec la plupart des géologues, décomposées en quatre grandes périodes. Dans la première apparaissent des crustacés souvent énormes, ancêtres des homards et des écrevisses, et les premiers poissons ; dans la seconde, se montrent de gigantesques sauriens, précurseurs des lézards, des serpents et de tous les reptiles d’aujourd’hui ; dans la troisième naissent les grands mammifères, aïeux de nos éléphants, de nos tapirs, de nos rhinocéros ; enfin dans la quatrième apparaît, avec d’autres mammifères restés pour la plupart fossiles, notre commun aïeul, l’homme. L’homme a-t-il laissé ses dépouilles dans les plus anciens dépôts de cette période quaternaire, ceux qu’on nomme le terrain diluvien, dépouilles qui alors se trouveraient mêlées à celles des grands mammifères éteints, ou l’homme n’est-il apparu qu’à la fin de cette période quaternaire ? tel est le nœud de la question. Si l’homme est fossile, son âge est diluvien, et il peut avoir cent mille ans ; si l’homme n’est pas fossile, il est d’apparition récente, il n’a que six ou sept mille ans. Mais l’homme fossile (ou un être qu’on peut nommer ainsi à cause de l’analogie ou même de l’identité de son organisation avec la nôtre), l’homme fossile existe, et l’une des découvertes les plus remarquables de la science d’aujourd’hui, est précisément d’avoir démontré la contemporanéité de l’homme et des grands mammifères éteints : l’ours et l’hyène des cavernes, le rhinocéros aux narines cloisonnées, l’éléphant chevelu, le cerf aux grandes cornes, le renne, dont une espèce alors habitait nos climats. Je ne parle pas de l’aurochs, de l’urus, du bouquetin, encore vivants aujourd’hui dans quelques parties de l’Europe, ou disparus d’hier à peine.
Cette découverte de l’homme fossile se relie intimement à celle de l’homme qu’on pourrait simplement appeler l’homme antéhistorique, ou si l’on veut l’homme mythologique, celui que toutes les légendes ont célébré à l’origine des peuples, et que la science d’aujourd’hui peut réclamer, j’entends l’homme des tourbières, des cités lacustres, des kickkenmœddings du Danemark, etc. Mais je me bornerai à l’homme fossile proprement dit, l’aîné de tous, celui que nous révèle spécialement l’étude du monde souterrain.
Cette question de l’homme fossile a de tout temps préoccupé les savants. L’homme témoin du déluge, l’homo diluvii testis, était la preuve la plus convaincante sur laquelle les anciens géologues comptaient pour appuyer leurs théories. Et aujourd’hui, chose étonnante, plus d’un de nos grands savants, et parmi eux le célèbre fondateur de la géologie française, celui qui peut disputer à Cuvier l’honneur d’avoir créé la science, plus d’un de nos grands théologiens, sont rebelles à la découverte de l’homme fossile, et la nient absolument.
Étranges tâtonnements, surprenantes oscillations de l’esprit humain, qui va, par brusques soubresauts, de l’un à l’autre bord extrême de la route de la vérité, sans savoir jamais se tenir sur la ligne intermédiaire !
Il n’importe ! la question a marché, la lumière s’est faite, mais ce n’a pas été sans peine. Pendant tout le courant de ce siècle, et vers la fin du siècle dernier, dans des cavernes, dans les couches de ces dépôts quaternaires que nous avons nommés le terrain diluvien, on avait déjà rencontré des armes et des outils de pierre, et des ossements humains, mêlés à ceux des grands mammifères que je citais tout à l’heure, mais on ne s’y était guère arrêté. On recherchait plutôt ce qu’on nommait les anthropolithes, c’est-à-dire des hommes pétrifiés de toutes pièces, et, sous ce rapport, l’on n’avait pas eu la main heureuse.
Un des homo diluvii testis de ce temps fut reconnu par Cuvier pour n’être qu’un batracien, une énorme grenouille, l’autre pour le squelette d’un nègre moulé au milieu des coraux que les zoophytes élèvent encore aujourd’hui autour des îles des Antilles.
Quant à des os pétrifiés que l’on promenait par les villes comme étant ceux du géant Teutobochus, roi des Cimbres, vaincu par Marius, ils n’étaient autres que les restes d’un mastodonte.
Je ne parle pas des prétendues découvertes qui n’avaient qu’un côté plaisant, comme celle de cet homme de pierre trouvé dans la forêt de Fontainebleau, il y a quelque quarante ans, et qui raconta lui-même son histoire dans une brochure qui fit alors grand bruit. Cet homme pétrifié n’était autre qu’un bloc de grès de figure originale, comme il y en a de si nombreux dans la forêt de Fontainebleau. L’homme de cette époque rappelle celui du temps des Incas, couleur pain d’épices, confit dans le guano, extrait aux îles Chincha il y a quelques années, et promené en Europe de foire en foire. Mais tout cela n’est pas sérieux : il faut revenir aux véritables restes de l’homme antédiluvien, si longtemps soupçonnés et cherchés.
Cuvier proclamait de son temps que la science n’avait encore constaté l’existence ni du singe ni de l’homme fossiles, mais que peut-être les continents où notre premier père avait vécu avec son voisin immédiat dans l’échelle animale, avaient été engloutis sous les eaux dans quelque cataclysme géologique. Les disciples de Cuvier n’ont pas imité sa réserve.
Vers le même temps, on découvrait dans des cavernes des crânes de forme assez étrange, rappelant plutôt la tête du singe que celle de l’homme, et toujours au milieu de ces ossements, des outils de pierre, des haches de silex taillé.
Quelques géologues hardis proclamaient hautement que ces restes n’étaient autres que ceux du premier homme, que l’on avait là la preuve la plus certaine de la coexistence de notre commun aïeul avec les grands mammifères perdus, et qu’il fallait par conséquent reporter bien au-delà de la chronologie jusqu’alors admise l’apparition du premier couple humain.
À Engis sur la Meuse, à Neanderthal dans la Bavière, dans le midi de la France, à Bizes (Hérault), on trouve dans des cavernes des os d’hyène, d’ours, et avec eux des restes de poteries grossières, des traces de feu, des empreintes sur ces os. On répond à ceux qui voient là les restes de l’homme primitif :
« Les cavernes ont de tout temps servi d’habitation aux animaux et à l’homme, mais l’homme, que vous croyez si vieux, est venu dans ces cavernes chercher un refuge bien après les animaux éteints.
Il a établi là sa demeure, sa sépulture, et voilà comment des os humains se trouvent mêlés à ceux d’animaux fossiles. Quant aux empreintes sur ces os, ce sont des traces de dents de carnassiers.
Tout est mêlé, c’est vrai, restes d’industrie primitive et ossements d’animaux disparus, mais les eaux ont pénétré à plusieurs reprises dans ces cavernes, et y ont tout bouleversé. Les stalactites, elles-mêmes, ont étendu leurs formations récentes au milieu de tous ces débris.
Ceux de l’homme ne sont pas aussi anciens qu’on le croit, et remontent même, pour quelques-uns, à des époques presque contemporaines. »
Et l’on allait jusqu’à citer, pour les cavernes des Pyrénées et des Cévennes, les guerres de religion et les dragonnades, comme si à ces époques l’homme se servait d’épées en silex, de flèches en os barbelés, et préparait ses aliments dans des vases d’argile crue !
La théorie du remplissage récent des cavernes était même si bien admise, qu’un de nos savants écrivait dans ce sens, en 1847, dans le Dictionnaire d’histoire naturelle de d’Orbigny, au mot Cavernes, un article qui fut tout aussitôt considéré comme classique, et qui semblait fixer irrévocablement la question.
M. Desnoyers s’est depuis converti aux théories nouvelles, et, aujourd’hui, se trouve aussi en avant dans le camp des partisans de l’homme fossile, qu’il était resté naguère en arrière. Mais n’anticipons pas sur les évènements, et décrivons la période de transition par laquelle on est tout à coup passé d’un extrême à l’autre ou, si l’on préfère, de l’erreur à la vérité.
C’est à deux savants français que revient l’honneur d’avoir définitivement vidé la question de l’homme fossile. L’un est un archéologue, fondateur de la Société d’émulation d’Abbeville, M. Boucher de Perthes, ravi récemment à la science ; l’autre est un paléontologiste, un illustre successeur de Cuvier, M. E. Lartet.
Faisons à chacun de ces Christophes Colombs de la science la part qui lui revient.
M. Boucher de Perthes, bien que ses découvertes aient été constatées les dernières, mérite d’être cité le premier, comme étant le premier en date. C’est au commencement même de ce siècle que remontent ses recherches sur l’homme fossile. Avec une foi naïve, il s’enquérait des traces du déluge et des enfants d’Adam. À Marseille, dans des cavernes à l’est de la ville, à Gênes, où l’amena son père, plus tard au Pecq près Saint-Germain, et au champ de Mars à Paris, il trouvait, dans le terrain diluvien, soit des armes de pierre grossièrement ébauchées, soit des restes de l’industrie primitive de l’homme. Mais ses principales découvertes, celles surtout qui ont ému les savants, ont été faites à Moulin-Quignon, près d’Abbeville, et à Saint-Acheul, près d’Amiens. À Moulin-Quignon existe un terrain diluvien composé de cailloux, de silex roulés, agglomérés, au milieu desquels sont interposés des lits d’une terre rouge argileuse. Autour d’Abbeville on trouve ces mêmes dépôts, çà et là disséminés, et de temps immémorial on les exploite, dans l’une et l’autre localité, pour l’empierrement des routes.
M. Boucher de Perthes avait toujours remarqué, au milieu de ces cailloux, des pièces de formes étranges, triangulaires, taillées en biseau sur les bords et dénotant, d’une manière certaine, la présence de la main de l’homme. Cela rappelait les celte, ou haches polies, provenant des Celtes ou de leurs prédécesseurs.
Dès 1847, M. Boucher de Perthes, ayant rassemblé un certain nombre de ces haches, en avisa l’Académie des sciences de Paris, l’invitant à venir voir sa collection. Comme il doit arriver souvent en pareil cas, sa communication fut accueillie avec doute. Parmi les savants, plus d’un même ne dissimula point le soupçon que M. Boucher de Perthes pouvait bien être un peu fou.
M. Boucher de Perthes n’était pas un fou, mais une sorte de Breton obstiné qui, pendant toute sa vie, a plaidé la même cause, et l’a plaidée si bien, avec tant de persévérance, et sans qu’aucune moquerie ait pu l’atteindre ni l’ébranler, qu’il a fini par gagner son procès. Il peut être aujourd’hui, à bon droit, considéré comme le véritable parrain de l’homme fossile. C’est à lui que revient l’honneur d’avoir le premier fixé l’âge de pierre et de l’avoir fait définitivement accepter dans le monde savant.