Les Montagnes de l'Antarctique : guide complet - Damien Gildea - E-Book

Les Montagnes de l'Antarctique : guide complet E-Book

Damien Gildea

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  • Herausgeber: Nevicata
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Pour la première fois, les montagnes et sommets de l'Antarctique sont réunis dans un livre unique !Un magnifique ouvrage destiné non seulement aux alpinistes et mordus de montagne, mais aussi aux amateurs de voyages lointains, avides de découvrir les rares contrées encore méconnues de notre planète.Grimper en Antarctique est une expérience unique. C'est un rêve auquel seuls de rares alpinistes ont eu le privilège d'accéder à ce jour. Un rêve que vous pourrez aujourd'hui carresser, grâce à ce très beau livre abondamment illustré et remarquablement documenté.Damien Gildea vous entraînera dans la riche histoire de l'aventure alpine en Antarctique, depuis les premières explorations au dix-neuvième siècle jusqu'aux exploits des grimpeurs extrêmes d'aujourd'hui. Il vous conduira au coeur des montagnes les plus impressionnantes et les plus reculées du pôle Sud...Découvrir les incroyables montagnes de l'Antarctique émergeant de l'immensité blanche laissera plus d'un lecteur véritablement sans voix... Difficile d'imaginer que l'on est encore sur Terre !Un livre de référence indispensable dans toute belle bibliothèque de voyage ou de montagne !A PROPOS DE L'AUTEUR Alpiniste et explorateur polaire, Damien Gildea a mené avec succès sept expéditions dans les plus hautes montagnes de l'Antarctique, de 2001 à 2008. Il est l'auteur du livre Antarctic Mountaineering Chronology, paru en 1998, et de cartes topographiques approfondies de l'île Livingston (2004) et du massif du Vinson (2006). Ses articles et photos ont été publiés dans de nombreuses revues du monde entier, tels l'American Alpine Journal ou le magazine américain Alpinist. Il a également guidé une expédition à ski vers le pôle Sud et participé à plusieurs expéditions en Himalaya, au Karakorum et dans les Andes. Lorsqu'il n'est pas en expédition, Damien Gildea vit en Australie.EXTRAIT IntroductionGrimper en Antarctique est une aventure unique. Elle marque toujours fortement ceux qui ont la chance fabuleuse de la vivre. Dans l’histoire de l’homme au pôle Sud, elle a pendant des années été essentiellement réservée à ceux qui travaillent à des programmes scientifiques gouvernementaux et nationaux sur l’Antarctique, disposant de moyens logistiques et financiers énormes. Cependant, et cela va de soi, jusqu’il y a quelques années, l’aspect purement « alpin » de ces explorations restait marginal. L’alpinisme n’était qu’un moyen au service de la science. L’escalade « récréative », elle, était mal vue et le plus souvent ignorée. Dans les pages qui suivent, j’espère préserver la mémoire de certaines de ces ascensions, souvent plus importantes pour ceux qui les ont réalisées qu’elles ne le paraissent au travers des comptes-rendus scientifiques officiels. En tout état de cause, l’alpinisme fait partie intégrante de la riche histoire de l’homme en Antarctique, qui se doit d’être écrite pour le profit du plus grand nombre.Les visiteurs – et en Antarctique nous sommes tous des visiteurs – ne sont que les tout petits pions d’une vaste machine scientifique et politique. Incroyable envergure, admirable qualité du travail accompli jusqu’ici et aujourd’hui encore dans ces recherches ! Elles nous apportent une vision critique non seulement de l’Antarctique, mais aussi de notre monde.

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Introduction

Grimper en Antarctique est une aventure unique. Elle marque toujours fortement ceux qui ont la chance fabuleuse de la vivre. Dans l’histoire de l’homme au pôle Sud, elle a pendant des années été essentiellement réservée à ceux qui travaillent à des programmes scientifiques gouvernementaux et nationaux sur l’Antarctique, disposant de moyens logistiques et financiers énormes. Cependant, et cela va de soi, jusqu’il y a quelques années, l’aspect purement « alpin » de ces explorations restait marginal. L’alpinisme n’était qu’un moyen au service de la science. L’escalade « récréative », elle, était mal vue et le plus souvent ignorée. Dans les pages qui suivent, j’espère préserver la mémoire de certaines de ces ascensions, souvent plus importantes pour ceux qui les ont réalisées qu’elles ne le paraissent au travers des comptes-rendus scientifiques officiels. En tout état de cause, l’alpinisme fait partie intégrante de la riche histoire de l’homme en Antarctique, qui se doit d’être écrite pour le profit du plus grand nombre.

Les visiteurs – et en Antarctique nous sommes tous des visiteurs – ne sont que les tout petits pions d’une vaste machine scientifique et politique. Incroyable envergure, admirable qualité du travail accompli jusqu’ici et aujourd’hui encore dans ces recherches ! Elles nous apportent une vision critique non seulement de l’Antarctique, mais aussi de notre monde.

En règle générale, les premières ascensions en Antarctique furent réalisées sur la Péninsule, la partie la plus accessible du continent et, aujourd’hui encore, la plus populaire, où de splendides montagnes s’élèvent face à la mer. Puis, les activités humaines se sont étendues aux autres régions du continent et l’on érigea des stations scientifiques, qui devinrent des bases pour explorer les sommets alentour, comme les immenses Montagnes Transantarctiques avec les bases Scott et McMurdo, sur l’île de Ross. Enfin, avec l’avènement dans les années 1980 de voyages privés vers l’intérieur du continent, d’autres régions suscitèrent un intérêt purement alpin. La plus haute montagne de l’Antarctique, le Mont Vinson, dans la chaîne des Sentinelles, est ainsi devenue une destination commerciale annuellement profitable. Quant aux stupéfiantes tours rocheuses de la Terre de la Reine Maud, elles sont aujourd’hui visitées presque régulièrement. Il y a également des sommets intéressants dans d’autres régions : ainsi dans les Transantarctiques du Sud, où se trouvent les plus hautes montagnes encore vierges de l’Antarctique, ou sur l’île Alexandre, avec ses chaînes encore relativement peu explorées, car trop loin de la Péninsule pour être rejointes à la voile et pas assez populaires pour justifier des rotations d’avion. Dispersés partout autour du continent, les objectifs d’envergure ne manquent pas, telles les grandes parois rocheuses de la chaîne de l’Ohio et des Monts Sarnoff, ou les sommets lointains de la Terre de Mac Robertson, ou encore ces géants de roche et de glace, balayés par les tempêtes, qui s’élèvent au dessus de la mer en Géorgie du Sud.

STEPHEN CHAPLIN, HAUT SUR LA FACE OUEST DU MONT CRADDOCK, chaîne des Sentinelles, Montagnes d’Ellsworth. En dessous, la jonction sud du glacier Bender et du glacier Nimitz. Au-delà, les petits sommets de la chaîne Bastien.

Non tant qu’il y ait en Antarctique quelque montagne ou paroi plus haute, plus longue, plus difficile ou plus verticale que toute autre montagne ou paroi sur un autre continent ! Mais leur situation unique – là est toute la différence. Il n’y a qu’UN Antarctique. Grimper en Antarctique se rapproche au mieux de ce que la plupart d’entre nous pourraient ressentir en grimpant sur une autre planète – sur Terre, mais pas de la Terre. Marcher sur le plateau sommital du Mont Vinson, c’est comme marcher sur la pointe des pieds sur le toit d’un grand vaisseau, voguant à la dérive sur une mer blanche sans fin, comme suspendu au-dessus de tous les autres éléments du continent. En Antarctique, jamais vous ne partez pas à pied d’un village ou d’une route, comme en Himalaya ou en Alaska, jamais vous ne rentrez chez vous à pied !

JED BROWN SUR UN SOMMET SANS NOM AU-DESSUS DU GLACIER EMBREE. Au fond, la dangereuse face nord-est du Mont Anderson, chaîne des Sentinelles, Montagnes d’Ellsworth.

ALPINISTES À LEUR CAMP DE BASE, chaîne des Orvinfjella, Terre de la Reine Maud.

Ce serait une erreur aussi d’envisager l’avenir du continent au travers du seul prisme de la science, ou en utilisant uniquement le langage émotionnel des mouvements écologistes d’aujourd’hui, ou encore en ne considérant que les arguments des aventuriers et des sportifs. Si l’Antarctique ne doit pas être le fief politique des diplomates, il n’est pas non plus un simple laboratoire géant. Pour assurer son avenir, il faut davantage que de simples programmes scientifiques. Nous sommes tous concernés par l’Antarctique – l’enjeu est trop important pour ne pas l’être.

Faire de l’alpinisme en Antarctique reste un luxe, nullement essentiel à l’humanité. Mais c’est aussi un magnifique moyen de voir, de comprendre et d’être en phase avec un continent si important pour le reste du monde. En ouvrant le passé et le futur de ces montagnes antarctiques lointaines à un large public, j’espère que bien des hommes seront amenés à aimer cette terre et, partant, à s’en préoccuper.

Car l’Antarctique représente pour nous un défi – il nous faut agir d’une manière plus responsable avec l’environnement naturel, auquel nous appartenons, mais que nous ne dominons pas. Ne détruisons pas la base de notre survie. Utilisons-la, mais sans la détruire. Partageons-la, mais sans nous battre. Nos choix nous déterminent, comme le fera notre gestion de l’Antarctique.

Le meilleur de la montagne, c’est le désir, la passion, l’amitié, l’engagement, l’excellence et puis la joie. L’Antarctique ne mérite pas moins que tout cela.

1. Chaîne des Sentinelles

2. Chaîne de l’Héritage

LES MONTAGNES D’ELLSWORTH

Les montagnes d’Ellsworth sont constituées de deux chaînes principales: la haute chaîne des Sentinelles au nord et la chaîne plus basse de l’Héritage au sud, toutes deux séparées par le glacier Minnesota, qui s’étend d’est en ouest.

LA CHAÎNE DES SENTINELLES

Les Sentinelles s’étirent sur presque deux cents kilomètres et forment comme une longue épine dorsale dentelée. De nombreuses arêtes rocheuses hérissent le versant qui descend d’un jet sur le plateau glaciaire : espacées avec régularité, ces arêtes prennent alors un aspect uniforme inhabituel. Entre celles-ci, de nombreux couloirs et de grandes parois s’élèvent parfois jusqu’à deux mille mètres au-dessus du plateau glaciaire, qui s’étale d’est en ouest.

Avec ses 4892 mètres d’altitude, le Mont Vinson1 est le sommet le plus élevé du massif du même nom. Ce massif, grand ensemble tout blanc d’environ quinze kilomètres de long sur quinze de large, est situé à peu près au milieu de la chaîne des Sentinelles, le Mont Vinson se trouvant à l’extrémité sud de la partie la plus élevée. Le massif est surmonté de nombreux petits sommets situés tout autour d’un haut plateau de glace vive, balayé par les vents. Au-delà, plusieurs longues arêtes descendent jusqu’aux glaciers environnants. Comme souvent dans d’autres chaînes du reste du globe, la plus haute montagne présente plusieurs versants relativement faciles d’accès. Mais le Mont Vinson offre également des faces plus raides et des arêtes effilées. Passé le Mont Shinn, la chaîne se rétrécit d’une manière spectaculaire, pour former les crêtes aériennes de l’Epperly, du Tyree et du Shear. Elle se prolonge ensuite jusqu’à son extrémité nord, au-delà du Long Gables et de l’Anderson. Un col élevé relie le sud du massif du Vinson à celui du Craddock, plus petit, mais avec des arêtes plus raides et plusieurs sommets élevés. L’extrémité sud de ce massif achève de manière superbe la ligne des Sentinelles. La face sud plonge directement sur le glacier Severinghaus puis, partant de là et jusqu’au pôle Sud, plus rien ne dépasse les 4000 mètres d’altitude.

DAMIEN GILDEA près du sommet du Mont Anderson.

Chaîne des Sentinelles

1. Mont Wyatt Earp 2370 m

2. Mont Morgensen 2790 m

3. Mont Ulmer 2775 m

4. Mont Washburn 2727 m

5. Mont Crawford 2637 m

6. Mont Malone 2460 m

7. Mont Sharp 3359 m

8. Mont Dalrymple 3600 m

9. Mont Goldthwait 3813 m

10. Mont Schmid 2430 m

11. Mont Hale 3546 m

12. Mont Press 3760 m

13. Mont Bentley 4137 m

14. Mont Anderson 4144 m

15. Long Gables 4059 m

16. Mont Giovinetto 4074 m

17. Mont Jumper 2890 m

18. Mont Levack 2751 m

19. Mont Ostenso 4085 m

20. Mont Bearskin 2850 m

21. Mont Gardner 4573 m

22. Mont Tyree 4852 m

23. Mont Epperly 4508 m

24. Mont Shinn 4660 m

25. Mont Waldron 3217 m

26. Mont Vinson 4892 m

27. Mont Tuck 3588 m

28. Mont Mohl 3604 m

29. Mont Rutford 4477 m

30. Mont Benson 2184 m

31. Mont Craddock 4368 m

32. Mont Allen 3248 m

33. Mont Southwick 3087 m

À LA RECHERCHE DU « VINSON »

Difficile à croire aujourd’hui : les plus hautes montagnes de l’Antarctique étaient presque inconnues jusque dans les années 1950 ! En 1935, l’aviateur américain Lincoln Ellsworth avait survolé la chaîne (qui plus tard portera son nom), mais elle était ce jour-là presque entièrement cachée par les nuages. Seul apparaissait un petit sommet. Ellsworth ne pouvait alors savoir que les plus hautes montagnes du continent se trouvaient juste sous lui. Il donna à ce sommet de 2775 mètres le nom de sa femme, Mary Louise Ulmer, sommet appelé donc aujourd’hui Mont Ulmer.

Jusqu’en 1959, la position exacte du point le plus élevé du continent resta inconnue. On lui avait donné le nom provisoire de « Vinson », d’après Carl G. Vinson, sénateur de l’État de Géorgie et depuis longtemps fervent défenseur des opérations américaines en Antarctique. En 1959, on pensait encore que ce « Vinson » serait situé dans la zone des grands volcans de la Terre de Marie Byrd plutôt que dans la Terre d’Ellsworth2. Ce doute serait venu d’un vol effectué par Richard Byrd et Paul Siple lors de l’opération Highjump pendant la saison 1946–1947. Ils avaient alors vu des formes d’une montagne rocheuse plus haute que leur avion qui volait à 3000 mètres. Siple et d’autres passagers du vol estimèrent l’altitude de la montagne à plus de 5000 mètres ! En fait, il s’agissait d’une erreur due à l’angle de vol de l’avion passant au-dessus d’un des plus hauts sommets de la chaîne de l’Executive Committee (sommets au demeurant connus de Byrd dès 1934). Cette erreur se voyait renforcée par des vols précédents, qui avaient pris le Mont Sidley pour l’improbable « Vinson ». L’US Air Force avait même publié une carte montrant un sommet élevé près du 77°S 124°O, que l’on pensait être soit le « Vinson », soit le « Nimitz », autre sommet dont l’existence restait à prouver.

« … Selon la carte, le Vinson devrait être sur notre gauche à environ 4300 mètres au-dessus du niveau du plateau glaciaire… Mais rien, nous devons avoir dépassé le point où le Mont Nimitz est supposé se trouver… Toujours rien… Les montagnes plus loin doivent être les sommets de la chaîne de l’Executive Committee. »3

John Pirrit escaladera jusqu’à 3650 mètres l’un de ces sommets, plus tard connu sous le nom de Mont Sidley – avec ses 4285 mètres, le plus haut de la chaîne de l’Executive Committee. Il fera aussi l’ascension, puis la cartographie, de trois sommets moins élevés au nord. Mais toujours pas de « Vinson » !

VUE VERS LE SUD DU SOMMET DU MONT BENTLEY. La face nord du Mont Tyree est la grande paroi rocheuse évidente à gauche du centre de la photo et le sommet du Mont Shinn est juste visible à sa gauche. Le sommet du Mont Gardner est à droite du Tyree.

LA CHAÎNE DES SENTINELLES VUE DU NORD-EST, avec, de gauche à droite, les Monts Vinson, Shinn, Tyree, Gardner, Giovinetto et Anderson.

En janvier 1958, un vol de l’aéronavale des États-Unis, parti de la station Byrd, aperçut de hautes montagnes plus à l’est, dans la Terre d’Ellsworth4. Au cours de la saison 1958–1959, d’autres cartographes se déplacèrent à l’aide de véhicules à neige Tucker et découvrirent dans cette zone un grand massif montagneux, qui semblait avoir un point plus élevé que tous ceux connus jusqu’alors en Antarctique. Enfin, on l’avait trouvé, le Vinson ! L’un des membres de cette équipe était un jeune glaciologue, Bill Long, qui sept ans plus tard en fera l’ascension. D’autres équipes scientifiques se rendirent dans la zone au début des années 1960 et y firent même quelques escalades mineures. En décembre 1961, deux géologues américains, Trevor Bastien et John Splettstoesser, furent les premiers à faire une ascension dans la chaîne en gravissant les sommets secondaires des Howard Nunataks (1800 mètres environ) puis le Mont Wyatt Earp (2370 mètres).

Pendant la saison 1963–1964, une équipe de l’université du Minnesota effectua également des travaux dans cette zone et John Evans, l’un de ses membres, jeune géologue et grimpeur enthousiaste, se vit offrir un vol en hélicoptère jusqu’au sommet du Mont Vinson. Il déclina l’offre… Mais Evans, à l’instar de Long, étaient destinés à revenir.

POLITIQUE ET PROJETS

Le Vinson était donc désormais classé plus haute montagne de l’Antarctique. Son ascension allait immanquablement susciter l’intérêt. Particulièrement aux États-Unis, où deux groupes d’alpinistes expérimentés, l’un basé sur la côte Est et l’autre sur la côte du Pacifique, projetèrent de le gravir. Mais ces projets restèrent sans suite, car l’obstacle majeur était l’énorme effort logistique nécessaire pour pénétrer à l’intérieur du continent. Les autorités américaines pour l’Antarctique avaient déjà édicté ce qui restera une règle permanente : les ressources, le personnel et les capacités logistiques étaient destinés exclusivement à la science, et non au sport. Et pourtant, heureusement, un événement inattendu allait leur forcer la main.

En 1962, Woodrow Wilson Sayre, un Néo-Zélandais aux amis très influents et petit-fils de l’ancien président des États-Unis, fit une tentative audacieuse sur l’Everest lors d’une expédition légère. Ayant obtenu un permis pour gravir le Gyachung Kang (7952 mètres) dans la région de l’Everest, Wilson, ses trois compagnons et leurs sherpas entrèrent au Tibet par le col du Nup La, puis déroutèrent l’expédition de son objectif en descendant vers l’est, jusqu’au glacier ouest du Rongbuk. Voyageant légers et se partageant les charges, ils atteignirent rapidement le glacier principal du Rongbuk, puis sa branche est, pour se retrouver au camp de base utilisé par toutes les expéditions britanniques d’avant-guerre à l’Everest, qui passaient alors par l’arête nord. Ils durent renoncer au col nord et revinrent sans dommage par le même chemin. Toutefois, leur aventure ne fut guère appréciée par les autorités népalaises. Elle provoqua un incident diplomatique, dont l’expédition américaine à l’Everest, planifiée pour faire en 1963 la première ascension de l’arête ouest, faillit faire les frais. Le raid de Sayre, raconté plus tard dans le livre Four Against Everest, fut temporairement caché par les autorités, mais pas oublié !

Deux ans plus tard, Sayre projeta de gravir le Vinson. Il aurait même, semblait-il, trouvé un avion et recruté un pilote pour y aller ! Le gouvernement américain eut vent de ses plans et décida d’intervenir. Dans un premier temps, il refusa toute autorisation à Sayre ainsi qu’aux autres candidats ayant un objectif similaire. Le célèbre alpiniste autrichien Heinrich Harrer planifiait également une expédition au Vinson et s’était informé de l’aide logistique qu’il pourrait obtenir, lorsqu’en 1961, il fut invité à la base McMurdo.

Les autorités américaines proposèrent à l’American Alpine Club de soutenir une équipe d’alpinistes américains pour l’ascension du Vinson. L’American Alpine Club contacta alors les deux groupes qui avaient montré de l’intérêt pour cet objectif. Pour éviter tout conflit, l’on choisit un chef d’expédition ne faisant partie d’aucun des deux groupes. Ce fut Nicholas Clinch. Avocat californien, il avait auparavant dirigé avec succès deux expéditions américaines majeures. En 1958, il avait été à la tête d’une équipe sur le Gasherbrum I (Hidden Peak), dans la chaîne du Karakoram, au Pakistan. Andy Kaufmann et Pete Schoening en réussirent le sommet – le premier sommet de 8000 mètres gravi par des Américains. En 1960, Clinch était retourné au Pakistan, à la tête d’une équipe pour la première ascension du Masherbrum (7821 mètres), le 26ème sommet le plus haut du monde.

La politique des autorités américaines consistait à « dévaloriser le trophée », comme le dira Clinch plus tard. Ainsi, personne d’autre ne voudrait essayer d’aller en Antarctique gravir le Vinson. Par ailleurs, un officiel de haut rang de la marine américaine, voyant des photos du Mont Tyree, le trouva si impressionnant qu’il pensa qu’aucun alpiniste au monde ne résisterait à l’envie d’en faire l’ascension. Il suggéra donc qu’en plus du Vinson, l’équipe américaine sélectionnée le gravisse aussi, juste par précaution ! Ainsi, non seulement l’expédition de 1966 réussira l’ascension du Vinson, mais elle réussira aussi à ce qu’aucun alpiniste non agréé par le gouvernement américain n’y mette les pieds, et cela pendant près de dix-sept ans !

Malgré les expéditions scientifiques au début des années 1960 aux Sentinelles inférieures, le Vinson en tant qu’objectif alpin restait donc totalement inconnu en 1966, alors qu’à la même date, tous les 8000 avaient été gravis, dont l’Everest à lui seul par vingt-quatre alpinistes, au cours de cinq expéditions et par trois voies différentes, soit bien plus d’alpinistes au seul sommet de l’Everest que dans toute la chaîne des Sentinelles !

UN DES FANIONS DE L’EXPÉDITION ALPINE AMÉRICAINE EN ANTARCTIQUE DE 1966–1967. Placé au sommet du Mont Gardner en janvier 1967 et emporté par Mugs Stump en 1989.

1966 – LA PREMIÈRE ASCENSION DU MONT VINSON

L’équipe de Clinch était forte et expérimentée. John Evans, qui était déjà allé dans la chaîne des Sentinelles comme géologue en 1961–1962 avec un groupe de l’université du Minnesota, était sans doute plus connu pour avoir fait la première ascension de la stupéfiante arête Hummingbird sur le plus haut sommet du Canada, le Mont Logan (5995 mètres), en 1965. Evans fut aussi l’un des premiers à gravir le Nose sur El Capitan, dans le Yosemite. Plus tard, il fera partie d’expéditions majeures, sur la face sud-ouest de l’Everest en 1971, ou, plus malheureuse, à la Nanda Devi (7816 mètres) en 1976. Il ouvrira également une nouvelle voie sur la face ouest d’un magnifique sommet de l’Alaska, le Mont Huntington (3731 mètres). Le glaciologue Bill Long, enseignant alors en Alaska, avait également travaillé en Antarctique, dans la zone du Vinson et fait en 1958 la première ascension du Mont Glossopteris (2865 mètres), dans la lointaine chaîne de l’Ohio. Les fossiles de feuilles trouvés là-bas étayèrent les théories des plaques tectoniques, leur association avec la dérive des continents et l’existence du supercontinent Gondwana. Brian Marts – à 23 ans, le plus jeune de l’équipe – et Barry Corbet étaient tous deux guides de haute montagne. Corbet avait été membre de la fameuse expédition américaine de 1963 qui avait fait la première de la difficile arête ouest de l’Everest. Peter Schoening, originaire de Seattle, était déjà célèbre dans le monde alpin pour son ascension de l’Hidden Peak, pour sa voie nouvelle sur le Mont Logan, et surtout pour avoir sauvé la vie de ses compagnons sur le K2 (8611 mètres) en 1954, lorsqu’il bloqua leur chute sur l’immense éperon sud-est avec son seul piolet comme ancrage. Sam Silverstein, le médecin de l’équipe, et Charles Hollister avaient participé à l’expédition de 1954 qui fit la première ascension de l’énorme éperon sud-ouest du Mont McKinley (6194 mètres), en Alaska. Il y avait enfin Eiichi Fukushima et Richard Wahlstrom, tous deux moniteurs d’escalade à l’université George Washington à Seattle.

Tous s’envolèrent donc pour Christchurch en Nouvelle-Zélande, base américaine pour les programmes dans l’Antarctique, d’où partent les vols jusqu’à McMurdo sur l’île de Ross et plus loin encore jusqu’au pôle Sud. À Christchurch, ils constituèrent leurs provisions, avec l’aide appréciable de Norman Hardie, l’alpiniste qui avait fait en 1955 la première ascension du Kangchenjunga, troisième sommet du monde (8586 mètres), et qui avait dirigé la base néo-zélandaise sur l’île de Ross. Un court arrêt à McMurdo, puis l’équipe alla directement en avion jusqu’à la chaîne des Ellsworth. Elle ne put atterrir à cause de la faible visibilité et fut déroutée à la station Byrd, où elle attendit dix heures. Le 8 décembre, atterrissage du LC–130 équipé de skis sur le plateau glaciaire, à environ vingt kilomètres à l’ouest des sommets principaux. À partir de là, les alpinistes utilisèrent un engin à neige pour rapprocher leurs vivres de la montagne, puis durent faire du portage eux-mêmes sur la dernière petite partie de leur approche, car l’essence pour l’engin, larguée lors d’un vol précédent, n’avait pu être localisée.

Sam Silverstein avait identifié une brèche étroite sur l’arête descendant au sud-ouest du Mont Shinn, qui pourrait permettre d’accéder aux pentes du Vinson proprement dites. Les alpinistes arrivèrent rapidement à cette brèche, nommée désormais col de Sam, et installèrent des cordes fixes pour faciliter le portage des charges nécessaires à la suite. Traversant la partie supérieure du bassin du Branscomb, l’équipe remonta la face jusqu’au col appelé maintenant col Goodge et y installa un camp. Le 18 décembre, Barry Corbet, John Evans, Bill Long et Pete Schoening atteignirent rapidement le sommet, d’où ils prirent des photos avec les drapeaux, placés en cercle, des douze nations signataires du Traité Antarctique. Le reste de l’équipe gravit le sommet les deux jours suivants. Succès de la politique pour « dévaloriser le trophée » ! Quelques jours avant Noël, l’équipe s’intéressa au Mont Shinn qu’elle gravit en trois groupes sur trois jours.

PETE SCHOENING ET JOHN EVANS au sommet du Mont Vinson, le 8 décembre 1966.

BARRY CORBET au sommet du Mont Tyree, deuxième plus haut sommet de l’Antarctique, le 6 janvier 1967.

BARRY CORBET haut sur l’arête nord-ouest du Mont Tyree lors de la première.

BRIAN MARTS haut sur l’arête sud-ouest du Long Gables pendant la première, janvier 1967.

Tout le groupe se rendit ensuite au nord pour tenter l’ascension d’un couloir évident, à l’extrémité nord de la longue face ouest du Mont Gardner. Les alpinistes installèrent des cordes fixes dans le couloir, établirent un camp sur une plate-forme rocheuse près du sommet, puis traversèrent le vaste plateau vallonné pour établir un second camp à environ 4100 mètres sur les pentes supérieures du versant est du Gardner. De là, le jour de l’an, Evans et Marts montèrent les premiers au sommet, suivis par tous les autres, à l’exception de Corbet.

Restait cependant le grand défi du Tyree. Situé au nord et au-dessus de leur camp avancé sur le Gardner, le Tyree se présentait comme une pyramide rocheuse raide séparée du Gardner par une arête effilée. De nombreux membres de l’équipe étaient intimidés à l’idée de tenter ce sommet et la réussite en resta toujours incertaine. Ils réalisèrent qu’ils auraient besoin d’un camp avancé plus près du Tyree lui-même. L’on pouvait envisager une voie qui partirait de très haut sur le Gardner puis en redescendrait pour rejoindre une arête conduisant au Tyree. Mais la première tentative fut un échec : Evans et Corbet se retrouvèrent suspendus au-dessus d’un couloir sans fin, très haut sur l’énorme face est… La voie qu’il fallait emprunter allait en fait presque jusqu’au sommet du Gardner, puis redescendait sur la partie supérieure de la face est jusqu’aux pentes neigeuses, versant est de l’arête. Ils y installèrent des cordes fixes, puis Fukushima, Long et Marts établirent un camp sur le col élevé au sud du Gardner et y portèrent des vivres permettant à Corbett et à Evans de faire une tentative vers le sommet. De nouveau, la tentative échoua lorsqu’ils essayèrent de suivre le fil de l’arête depuis leur camp jusqu’au col sur l’arête nord-ouest du Tyree. Ils réalisèrent alors qu’ils pouvaient traverser dans la neige sur le versant est et sous l’arête nord-ouest, pour rejoindre un petit couloir qui revient directement sur l’arête menant au sommet du Tyree, là où sa pente s’accentue. En suivant cette ligne, ils rejoignirent l’arête, passant la plupart du temps par la partie supérieure de la face ouest, partie sans difficulté technique, mais impressionnante et très exposée. Le 5 janvier 1967, Corbet et Evans atteignirent le sommet du Tyree ! Ils remportèrent le grand prix en faisant l’ascension de loin la plus difficile à cette époque en Antarctique. Les grimpeurs redescendirent par la voie de montée, décordés la plupart du temps, et atteignirent enfin le camp après vingt-deux heures non-stop ! Sur leur descente par le Gardner, ils changèrent de direction pour permettre à Corbett de gravir le sommet du Gardner, car c’était le seul de l’équipe à ne l’avoir pas encore fait.

Moins d’une semaine plus tard, toute l’équipe se rendit à nouveau au nord sur le plateau glaciaire pour faire encore deux ultimes ascensions avant de repartir – définitivement, pensaient-ils, car ils croyaient ne jamais devoir revenir. Deux autres tentatives échouèrent sur la longue arête ouest du Long Gables, avant la réussite d’une troisième. Fukushima, Long, Marts et Schoening gravirent l’arête et traversèrent les pentes supérieures de la face nord pour faire le tour du sommet, en une seule et longue traite d’une escalade soutenue et exposée, à peine moins difficile que celle du Tyree. Pendant ce temps, Hollister et Silverstein, qui devaient faire le Mont Giovinetto, se joignirent à Evans et Wahlstrom pour réussir la première ascension du Mont Ostenso par une pente neigeuse d’inclinaison modérée sur le versant nord-ouest, atteignant le sommet aérien tout en neige soufflée.

Ainsi se terminait l’une des expéditions alpines les plus réussies de tous les temps. Une seule équipe était arrivée dans un massif totalement inconnu. Tous ses membres gravirent la plus haute montagne du continent, mais aussi les deuxième, troisième et quatrième plus hauts sommets et en complément encore deux autres sommets élevés. Un tel exploit ne sera égalé que deux décennies plus tard par Conrad Anker.

1979 – UN SOMMET VOLÉ ET LE DRAPEAU MYSTÈRE

Le massif du Vinson ne reçut aucun visiteur pendant treize années, jusqu’à ce qu’une équipe scientifique américaine conduite par le professeur Campbell Craddock établît sa base au sud de la chaîne, sur le glacier Minnesota. Dans cette équipe, il y avait trois invités venant d’autres pays, les géologues allemands Peter von Gizycki et Werner Buggisch et le Russe Victor Samsonov. Ces derniers devaient effectuer des travaux de terrain sur la montagne. On leur demanda de ne pas aller au sommet, mais après avoir été déposés par hélicoptère sur une base à l’ouest du col de Sam, ils ne purent résister à leur envie de gravir le plus haut sommet de l’Antarctique. Ils l’atteignirent le 22 décembre 1979 par la voie de la première ascension. Samsonov planta l’un de ses bâtons de ski dans la neige du sommet – il y restera jusqu’en 2007 – et y attacha un petit drapeau rouge de l’Union soviétique. Des géographes américains très loin sur le plateau glaciaire au sud-est purent voir ce drapeau avec leurs instruments de mesure alors qu’ils rectifiaient un calcul d’altitude. Ainsi l’altitude du Vinson se vit-elle réajustée de 5140 mètres à 4897 mètres, même si l’ancienne altitude erronée continua à figurer encore de nombreuses années sur les cartes. Cette ascension non autorisée du Vinson provoqua une controverse auprès des autorités en charge des programmes américains.

EN DÉCEMBRE 2006, POUR LE QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE DE LA PREMIÈRE DU VINSON, Eiichi Fukushima, John Evans, Sam Silverstein et Brian Marts de retour au camp de base du Vinson.

L’ALPINISTE ET SCIENTIFIQUE ALLEMAND PETER VON GIZYCKI avec le drapeau de l’Alaska qu’il trouva au sommet du Vinson en 1979.

Notons ici un point secondaire : les trois alpinistes firent une erreur parfois répétée ultérieurement. Remontant la vallée encaissée menant au sommet principal, ils crurent qu’un sommet à l’est du Vinson, très similaire, était le vrai sommet. Toutefois, d’en haut ils virent à l’ouest le véritable sommet plus élevé et le gravirent. En fait, l’équipe de 1966 qui avait fait la première ascension s’était déjà demandé si elle avait atteint le point le plus haut et plusieurs alpinistes avaient secrètement espéré pendant des années – à tort bien sûr – une énorme erreur ! Ce sommet secondaire fut encore gravi par erreur en 1989, puis à nouveau en 1992, mais cette fois délibérément, par une équipe britannique qui crut en avoir fait la première ascension et le nomma Mont Kershaw, d’après Giles Kershaw, mort peu de temps auparavant dans un accident d’hélicoptère sur la Péninsule antarctique. Toutefois, comme Giles avait déjà donné son nom à un autre lieu du pôle Sud, l’USGS adopta la deuxième suggestion des alpinistes britanniques, Mont Sublime – maintenant son nom officiel.

Au sommet, von Gizycki trouva un drapeau bleu, à moitié enseveli sous la neige. Bien que déchiré et de couleur passée, on pouvait voir quelques étoiles. Il pensa avoir trouvé le drapeau australien planté au sommet par l’équipe de la première ascension en 1966, qui y avait laissé un drapeau de chacune des douze nations alors signataires du Traité Antarctique. Plusieurs années plus tard, von Gizycki rencontra John Evans et lui parla du drapeau. Evans, à la vue d’une photo, pensa qu’il ne s’agissait pas du drapeau qu’ils avaient planté au sommet. Relisant l’article d’Evans publié en juin 1967 par le National Geographic, von Gizycki réalisa que le drapeau qu’il avait trouvé était nettement plus grand que les douze drapeaux nationaux laissés en cercle par les Américains.

Qu’en est-il donc de ce drapeau ? Un alpiniste australien aurait-il fait secrètement l’ascension du Vinson entre 1967 et 1979 ? Un exploit aussi incongru semblait la seule possibilité et provoqua de nombreuses discussions parmi les personnes concernées. En février 2003, Damien Gildea alla en Allemagne interroger Peter von Gizycki, il photographia le drapeau en détail, correspondit avec Evans et d’autres pour tenter de résoudre ce mystère. Puis, en 2004, Evans parla du drapeau à Bill Long, l’autre géologue qui avait fait la première ascension. Long se souvint alors qu’en fait, il avait emporté puis planté au sommet, un drapeau de plus, un drapeau personnel et c’était ce drapeau et celui-là seulement qui avait résisté pendant treize années sur le toit de l’Antarctique : le drapeau de l’État de l’Alaska.

1983 – LE MONT VINSON, « SEPTIÈME SOMMET »

La seconde personne à toucher le bâton de ski de Samsonov fut le grand alpiniste britannique Chris Bonington. Il avait été invité à participer à une expédition quelque peu téméraire organisée par le duo richissime Dick Bass et Frank Wells. Ces derniers s’étaient lancés dans une aventure consistant à gravir le plus haut sommet de chaque continent, défi qui deviendra célèbre sous le nom des « Sept Sommets » et qui initiera le système des voyages privés en Antarctique. Bass et Wells affrétèrent un DC-6 et louèrent les services d’un pilote britannique expérimenté dans les vols polaires, Giles Kershaw, pour conduire Chris Bonington, Rick Ridgeway, Steve Marts et deux alpinistes japonais. Il s’agissait d’aller de Punta Arenas au Chili à la Péninsule antarctique, puis jusqu’au Vinson, grâce à des dépôts effectués avec l’aide du gouvernement chilien. Le légendaire alpiniste italien Reinhold Messner voulut se joindre au groupe, mais Bass et Wells refusèrent, car Messner aurait alors été le premier à gravir les « Sept Sommets ».

Hautes Sentinelles

1. Pic Knutzen 3373 m

2. Pic Branscomb 4520 m

3. 4753 m

4. Pic Sublime 4865 m

5. Pic Corbet 4822 m

6. Pic Schoening 4743 m

7. Pic Clinch 4841 m

8. Pic Marts 4551 m

9. Pic Silverstein 4790 m

10. Pic Hollister 4729 m

11. Pic Wahlstrom 4677 m

12. Pic Fukushima 4634m

1. Camp de base Vinson 2100 m

2. Camp inférieur 2800 m

3. Camp supérieur 3775 m

4. Camp du Shinn 3700 m

5. Ancien camp de base du Vinson (1966–1993)

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Voies principales

LA FACE OUEST DU MONT VINSON au-dessus du glacier Branscomb.

Le groupe de Bass et Wells emprunta la même voie que celle des expéditions de 1966 et 1979, mais lors de leur première tentative, le 23 novembre, tous, sauf Bonington qui atteignit le sommet, firent demi-tour dans un froid glacial et des vents soufflant en tempête. Bass, Wells, Ridgeway et Marts gravirent le sommet une semaine plus tard. Pour la première fois, le Vinson était gravi dans ce cadre des « Sept Sommets » et pour la première fois, une ascension était réalisée au sud de la Péninsule sans l’assistance d’un gouvernement.

1985 – ADVENTURE NETWORK INTERNATIONAL

En 1984 et 1985, l’alpiniste canadien Pat Morrow eut l’intention de gravir le Vinson pour compléter sa propre quête des « Sept Sommets », qui incluait cette fois la Pyramide de Carstenz (4884 mètres) en Nouvelle-Guinée occidentale (province de l’Indonésie, appelée Irian Jaya jusqu’en 2000), au lieu du plus modeste et facile Mont Kosciusko (2228 mètres), en Australie. Morrow réunit des personnes de provenances diverses pour former son équipe, mais une tentative en 1984 par Ushuaia échoua à cause d’un ennui de moteur. Fin 1985, Giles Kershaw s’envola alors une nouvelle fois du Chili jusqu’à la Péninsule et à la montagne. Il fallut beaucoup de négociations politiques et diplomatiques avec les autorités chiliennes et les accords conclus à cette époque restent aujourd’hui encore la base de toutes les expéditions. Par son ascension du Vinson le 19 novembre, Morrow avait le premier complété la version « Carstenz » des « Sept Sommets ». Sur le même vol se trouvait l’alpiniste britannique Martyn Williams, résidant au Canada, qui fera avec Morrow la première descente à ski du Vinson. Pendant plusieurs années Morrow, Williams et Kershaw conduiront des alpinistes sur le Vinson et des amateurs d’aventures sur le continent antarctique. Ils donneront à leur entreprise le nom d’Adventure Network International (ANI).

Dans ce vol se trouvait également l’homme d’affaires américain Steve Fossett, qui allait battre de nombreux records du monde en montgolfière, avant de disparaître sans laisser de trace au cours d’un vol de routine en 2007.

Le Chili considérait les Ellsworths comme partie intégrante de son territoire, dans le cadre de ses revendications sur l’Antarctique. L’accord avec les autorités chiliennes stipulait donc qu’un Chilien devait nécessairement faire partie de l’expédition. C’est pourquoi un jeune alpiniste de Santiago, Alejo Contreras Staeding, rejoignit l’équipe. Il fera comme guide de nombreuses ascensions du Vinson au cours des années qui suivirent et travaillera ultérieurement pour d’autres expéditions majeures en Antarctique. Un mois plus tard, un deuxième vol devait amener plusieurs des premiers clients « célèbres » d’ANI – les chefs d’entreprise de matériel de randonnée et de montagne Yvon Chouinard et Doug Tompkins, ainsi que Glen Porzak et Gerry Roach. Roach sera ainsi le deuxième à compléter la version « Kosciuszko » des « Sept Sommets », suivi de très près par Porzak.

À partir de la saison 1986–1987, le nombre de clients augmenta, la plupart d’entre eux complétant avec le Vinson leur tour des « Sept Sommets », concept considéré alors comme nouveau et synonyme d’aventure. D’autres clients venaient simplement pour vivre une nouvelle expérience, profitant des nouvelles facilités logistiques permettant d’atteindre cette partie de la planète qui auparavant avait semblé totalement inaccessible. Messner finit par gravir son « septième » sommet en 1986. En 1988, les guides américains Phil Ershler et Vern Tejas se mirent eux aussi à conduire des clients au Vinson, activité qu’ils mènent (quoique séparément) encore aujourd’hui, soit plus de vingt ans après.

L’ÉNORME FACE SUD-OUEST DU MONT EPPERLY, avec à gauche la voie de la première par Loretan en 1994 et à droite la voie Le Cinquième Élément par Gildea-Rada en 2007.

Records au Vinson

Première ascension : Barry Corbett, John Evans, Bill Long, Pete Schoening (USA), 18 décembre 1966

Première ascension en solo : Vern Tejas (USA), 1988 – Voie de 1966

Première nouvelle voie 1 : Rudi Lang (Allemagne), 1991 – Face ouest, immense couloir de gauche – Rudi’s Runway

Première descente en ski : Pat Morrow & Martyn Williams (Canada), 1985

Première descente en snowboard : Stephen Koch (USA), 1999

Première descente en parapente : Vern Tejas (USA), 1988

Première ascension féminine : Lisa Densmore (USA), 1988

Première ascension féminine en solo : Heather Morning (Grande Bretagne), 2004

Première descente complète à ski féminine2 : Kit DesLauriers (USA), 2005

Plus jeune alpiniste au sommet : John Strange (USA), 12 ans, 2004

Plus grand nombre d’ascensions : 26, par Dave Hahn (USA), jusqu’en 2010

Ascension la plus rapide : Conrad Anker (USA), 9h10 aller-retour, 1998

1 Au moins une variante de la voie de 1966 a été gravie avant cette date, entre le glacier Branscomb supérieur et un camp avancé, semblable à la voie normale actuelle. On parle également de l’ascension d’une nouvelle voie sur la face ouest qu’aurait faite Mugs Stump au cours de la saison 1988–1989.

2 En janvier 2004, Heather Morning descendit à skis après son ascension en solo, sauf une petite partie au sommet du mur sous le col Goodge.

1989 – MUGS, LE TYREE ET LE GARDNER

Les visiteurs ne passant pas par ANI étaient cependant rares, même à cette époque, où déjà d’autres compagnies privées se développaient.

Deux géologues, Ed Stump (États-Unis) et Paul Fitzgerald (Nouvelle-Zélande), avaient eux des travaux à réaliser dans la région. Leurs assistants sur le terrain étaient Mugs, le frère d’Ed et l’un des meilleurs alpinistes américains de l’époque, et le guide néo-zélandais Rob Hall. Tous firent alors l’ascension du Vinson et Hall gravit même en solo une voie sur la face sud du Shinn, au-dessus du col Goodge. Ed Stump quitta très tôt l’équipe, atteint de gelures légères, mais les autres restèrent et, à l’aide de leurs motoneiges, participèrent au sauvetage d’alpinistes d’ANI blessés sur le Vinson. Mugs, à l’encontre des règles très précises de son contrat auprès de la National Science Foundation (NSF), ne put résister à tester son talent sur les faces gigantesques au-dessus de leur camp de base. Les membres de l’équipe discutèrent entre eux de l’impressionnante face sud-ouest du Mont Gardner, haute de 2000 mètres et c’est sur elle que Mugs se lanca en premier. Franchissant deux couloirs encaissés, interrompus par une courte section rocheuse, il atteignit le sommet – le premier à le faire depuis vingt-trois ans. Il y trouva un fanion laissé par l’équipe qui avait fait la première ascension en 1967. Quelques jours après, il recommença, dans un style similaire, mais cette fois sur l’énorme face ouest du Mont Tyree, en mixte, haute de 2300 mètres. Mugs redescendit par la voie originale gravie en 1967 par Corbet et Evans (par l’arête nord-ouest, puis par le Gardner). De son départ à son retour, il avait mis douze heures ! Dans l’univers des logistiques massives et de la sécurité d’abord, Mugs avait réalisé, avec beaucoup d’élan, un abrégé de l’idéal alpin – faire plus avec moins –, le portant à un niveau extrême. La NSF n’apprécia pas la publicité, même mineure, que reçurent ces ascensions, mais il ne faisait aucun doute que Mugs avait, à lui seul, élevé la barre de l’alpinisme en Antarctique à un niveau inégalé pendant presque une décennie – si tant est qu’il puisse être égalé, compte tenu de la témérité et du style dont il fit preuve alors. Deux années plus tard, Mugs se tua en tombant dans une crevasse alors qu’il exerçait son métier de guide sur le Mont McKinley.

LES ANNÉES 1990

Au cours de cette décennie, le nombre de groupes avec guides faisant l’ascension du Vinson augmenta considérablement, mais très peu gravirent d’autres sommets. L’alpiniste allemand Rudiger Lang fut le premier, en janvier 1991, à escalader l’un des grands « couloirs glaciaires » de la face ouest du Vinson, choisissant la ligne la plus directe, sur le versant gauche du plus grand de ceux-ci, une voie nommée aujourd’hui Rudi’s Runway. En décembre 1992, Conrad Anker et Jay Smith arrivèrent sur le glacier Gildea, alors vierge et sans nom. Avec des clients, ils firent la première ascension de la face sud du Vinson, s’arrêtèrent tout près du sommet principal et appelèrent leur voie From The Heart. Anker et Smith traversèrent ensuite les glaciers Bender et Severinghaus pour tenter de gravir l’énorme face sud du Mont Craddock (4368 mètres), mais ils durent faire demi-tour devant les risques d’avalanches. Revenant sur le glacier Gildea, la cordée fit la première ascension du Craddock par un éperon, versant ouest. On pensait alors que le Craddock était le sixième sommet le plus haut de l’Antarctique, suite à une erreur de mesure lui donnant les 4650 mètres indiqués sur la carte de l’USGS. Anker, dont c’était la première expédition dans la chaîne, devint par la suite l’un des alpinistes les plus actifs de la région du Vinson. Faisaient aussi partie de ce groupe deux autres américains, Robert Anderson et Joseph Blackburn. Anderson fit, en solo et en une seule et longue traite, la première d’une voie sur la face sud du Vinson, puis d’une autre sur l’arête sud-ouest. Pendant la saison 1993–1994, Jay Smith revint au Vinson pour faire avec sa femme, Jo, la première ascension du côté droit du grand « couloir glaciaire » qui descend du Pic Silverstein, nommant sa voie Heavenly Father. Un mois plus tard, Jay fit en solo la première voie sur la principale face ouest du Vinson. Linear Accelerator suit un couloir évident en ligne droite au centre de la face et arrive au sommet juste au nord du Mont Branscomb.

Restait le Mont Epperly, qui domine le site de l’ancien camp de base du Vinson. C’est l’une des plus hautes montagnes de l’Antarctique, également l’une des plus raides, et elle était encore vierge. En novembre 1994, l’alpiniste suisse Erhard Loretan gravit le Vinson et le Shinn, puis descendit sur un bassin à l’aplomb de l’Epperly. Après un premier échec, il réussit, en solo, l’étonnante et étroite goulotte de glace qui sépare en deux la face sud, plus difficile qu’il ne l’avait imaginée, avec des surplombs rocheux délités en haut de la goulotte. Le mois suivant, une expédition espagnole gravit deux voies sous le Pic Silverstein. L’une se termine sur le petit promontoire rocheux à l’ouest du sommet, un point nommé Pico Principe de Asturias, d’après la province espagnole d’origine. La même équipe tenta pour la première fois de gravir le Silverstein lui-même – encore sans nom et qu’ils appelèrent le Monte España. Ils passèrent par le large couloir à droite de la voie Smith de 1993, mais firent demi-tour bien avant le sommet. Ils arrivèrent en revanche en haut du petit sommet rocheux sur la rive ouest du Branscomb, qu’ils baptisèrent Pico Jaca. De ce sommet, la vue sur le versant ouest du massif du Vinson est fantastique. Comme il avait été gravi de nombreuses fois auparavant, il fut nommé Pic Knutzen par l’USGS en 2006, après la publication de la nouvelle carte de la Fondation Omega.

La saison 1995–1996 fut à la fois productive et dramatique. Le 29 décembre, Loretan revint refaire l’ascension de l’Epperly pour un film de Romolo Nottaris. Le film terminé, il partit vers le nord, à nouveau seul, et fit la première d’un haut sommet juste au sud du Mont Tyree. Ce sommet de 4500 mètres a une grande face ouest, du même type que celle de toutes les grandes Sentinelles voisines. Loretan gravit très rapidement le couloir étroit qui parcourt la presque totalité de la face et atteignit l’arête juste au sud du sommet. Des journaux baptisèrent ce sommet Pic Loretan, mais Erhard lui-même n’avait jamais suggéré ce nom. Notons aussi qu’en décembre 1995, pour la première fois, des alpinistes allèrent sur le glacier Patton, sur le versant est de la chaîne. Rob Hall et Ralf Dujmovits voulaient gravir le Tyree par ce versant, mais les conditions n’étaient pas sûres. Ils firent donc avec leurs clients l’ascension de deux sommets plus petits à proximité – les Mont Bearskin (2850 mètres) et Jumper (2890 mètres).

ALPINISTES HAUTS SUR LA FACE SUD-OUEST DU MONT SHINN, troisième plus haut sommet de l’Antarctique. La voie sort à travers la brèche dans le sérac au-dessus.

Voies du Vinson

A. Mont Shinn 4660 m

B. Mont Farrell

C. Mont Waldron 3217 m

D. Mont Havener

E. Mont Tuck 3588 m

F. Pic Schoening 4743 m

G. Mont Vinson 4892 m

H. Pic Clinch 4841 m

I. Pic Wahlstrom 4677 m

J. Pic Hollister 4729 m

K. Pic Silverstein 4790 m

L. Pic Fukushima 4634m

M. Pic Asturias

N. Pic Branscomb 4520 m

O. Pic Knutzen 3373 m

1. Vinson, voie normale 2007

1a. Voie du Headwall 1966–2007

2. Vinson, Arête Ouest - Anker 1997

3. Voie des Asturies - Alvarez/Huez 1997

4. Heavenly Father - Smith/Bentley 1993

5. Grand Couloir rive gauche - Anker 1998

6. Rudi’s Runway - Lang 1991

7. Banana Friendship Gully - Vidal 2004

8. Purple Haze - Morton/Passey 2005

9. Conjugant Gradients - Brown 2006

10. Linear Accelerator - Smith 1993

11. Voie Chiléno-Slovène - Paz Ibarra/Tyrril 2007

12. Voie de descente - Smith 1993 (10)

13. Gildea 2006

14. Voie Galfrio - Lagos/Vidal 2004

15. Vinson, voie originale 1966–1993 (variantes au col)

16. Dave Hahn - milieu des années 90

17. Sol de Media Noche - Paz Ibarra/Rada 2006

18. Voie normale du Shinn - Corbet/Hollister/Silverstein/Wahlstrom 1966

19. Shinn, face sud-ouest - 1ère ascension inconnue

20. Chouinard Route - Chouinard 1985

21. Shinn, arête sud-est - Monteath/Mortimer 1988

22. Voie du Col Goodge au Point 3692 m

23. Voie Hubert - Garcia/Hubert/Joris 2003

24. Pic Knutzen, voie originale - 1ère ascension inconnue

25. Pic Knutzen, face nord - 1ère ascension inconnue (Paz Ibarra/Tyrril 2007 ?)

HC Camp avancé - de 2007 à aujourd’hui

SC  Camp du Shinn - ancien camp avancé jusqu’en 2007

1997 – Triomphe et tragédie : l’expédition du GMHM

LE MONT TYREE VU DU GLACIER PATTON. De gauche à droite : l’arête est vierge, la voie française du Grand Couloir de 1997, l’arête nord-est vierge, la face nord vierge et, sur la ligne d’horizon à droite, l’arête nord-ouest gravie par Corbet et Evans lors de la première, après la traversée du Mont Gardner.