Les Oasis au fil de l'eau - Abderrahmane Moussaoui - E-Book

Les Oasis au fil de l'eau E-Book

Abderrahmane Moussaoui

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Beschreibung

Le présent ouvrage est une lecture du monde oasien et de ses dynamiques, à travers la question de l’eau (mise en valeur, adduction, partage, transaction et conflits), dans le Sahara algérien. C’est dans cette région que subsiste encore le fameux système des foggaras (s’apparentant aux qanâts iraniens) qui, depuis plusieurs siècles, permet aux ksour, ces établissements humains de la région, d’exister. Certains ksour, aujourd’hui encore, ne doivent leur survie qu’à ce mode d’adduction et d’irrigation si originale.

Pierre angulaire de l’économie oasienne, le système des foggaras fonde également la structuration de la société, ses représentations et ses hiérarchisations. Les quelques travaux ayant étudié ce mode d’adduction, ont souvent privilégié le point de vue géographique, hydraulique et plus rarement sociologique. Ici, la perspective se veut résolument anthropologique, interrogeant à la fois la culture matérielle, les dimensions culturelles et l’univers symbolique.

Aujourd'hui, le système des foggaras est de plus en plus chahuté par les nouveaux modes de vie et de consommation. L’urbanisation et la mise en valeurs de nouvelles terres agricoles a fini par désaffecter les palmeraies et entamer la déstructuration de l’ancien ordre social. De nouvelles réorganisations se mettent en place, selon de nouvelles modalités. Ce travail se veut à la fois une sauvegarde patrimoniale et une lecture anthropo-historique d’un présent en pleine mutation.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Abderrahmane Moussaoui a enseigné à l’université d’Oran avant de rejoindre, en 2000, le département d’anthropologie de l’université de Provence qu’il a dirigé de 2005 à 2007. Depuis 2012, il est professeur en anthropologie à l’UFR d’anthropologie de sociologie et de science politique à Lyon 2. Le sacré et la sainteté aussi bien en Islam que dans le catholicisme sont parmi ses thèmes de recherche privilégiés.

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Les Oasis au Fil de l'Eau

De la foggara au pivot

Abderrahmane Moussaoui

Les Oasis au Fil de l'Eau

De la foggara au pivot

CHIHAB EDITIONS

© Éditions Chihab, 2021.

www.chihab.com

Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

ISBN : 978-9947-39-394-9

Dépôt légal : avril 2021.

Remerciements

Qu’il me soit permis ici de témoigner toute ma gratitude aux nombreuses personnes qui m’ont prodigué aide et conseils lors de toutes ces années d’enquêtes. Je ne pourrais pas les citer toutes nommément ; et je m’en excuse par avance. Sans elles, cet ouvrage n’aurait jamais vu le jour.

Je voudrais cependant rendre un hommage appuyé aux « grands maîtres de l’eau » qui m’ont consacré tout leur temps pour m’initier aux arcanes de leurs savoirs. Je souhaite exprimer un hommage particulier à feu al-Hadj M’barak al-Ghâlmî le kiyâl de Bouda qui fut mon premier maître ; sans oublier tous les autres : Si Brahim Kiyyal de Messahel ; al-Hadj Amrani dit Bakli de ksar al Hadj d’Aougrout ; al-Khalfi de Mahdia (Adrar) ; al Khâl de Titaf (Adrar).

Toute ma reconnaissance va également à ceux qui m’ont fait bénéficier d’une partie de leur grande érudition : Si Ali Slimani d’Adgha (Adrar) et Abdesselam Dassidi de Timimoun.

J’ai également beaucoup appris auprès de Brahim Haichour d’al Ouajda, Abdelkader Fardjouli de Timimoun, al-Hadj Mohamed Mahmani de Sidi Youcef, Taha Ansari d’Adrar ; mais aussi auprès de mes amis à Adrar Youcef Kalloum, Abdelkrim Bel Hassen ; à Aougrout, Mohamed Ouedjlani ; à Timimoun, Hammou Kadiri, Abdelkrim Fassi, Moulay Miloud dit Tonton. Bien d’autres encore m’ont aidé par leurs conseils, informations, ou tout simplement par leur écoute et leur disponibilité. Qu’ils en soient tous sincèrement remerciés !

Un immense chagrin : Karima, partie trop tôt, ne lira pas ce travail, ni les premières lignes qu’elle a contribué à mettre en forme. C’est à sa mémoire que cet ouvrage est dédié.

Avertissement

En dehors de la graphie déjà consacrée par l’usage, nous avons orthographié les mots et les noms arabes selon la transcription suivante :

` spirante sonore émise par le larynx comprimé

’. attaque vocalique brusque explosive du larynx

dd emphatique

dhspirante interdentale sonore comme le the anglais

ghspirante vélaire sonore, sorte de r grasseyé

hlaryngale (ou spirante) sonore

h spirante pharyngale sourde

khvélaire sonore, jota espagnole

q occlusive arrière vélaire sourde obtenue par contraction du gosier

r r roulé

çs emphatique

tocclusive dentaire sourde emphatique

thspirante interdentale comme dans l’anglais think

u ou, comme dans tour

L’accent circonflexe sur une voyelle signale son allongement. Bien entendu, chaque fois qu’il s’agit d’une citation nous avons respecté la graphie adoptée par l’auteur.

Avant-propos

Si la disponibilité de l’eau dans les robinets des villes et villages du Sahara semble banale et naturelle au début de ce millénaire, les choses n’ont pas toujours été ainsi. Il n’y a pas si longtemps et aujourd’hui encore, certains établissements humains continuent à déployer des efforts gigantesques pour se procurer une eau rare ; et, des trésors d’ingéniosité pour la répartir de manière consensuelle en vue de satisfaire les besoins primordiaux. C’est le cas d’un certain nombre de ces villages fortifiés du Sahara appelés ksour (pluriel de ksar) et des oasis du Sahara algérien, un espace caractérisé par la rareté de l’eau et qui renferme, paradoxalement, une immense réserve d’eau souterraine. C’est cette réserve que les habitants du Sahara, disséminés dans son immensité désertique, exploitent pour maintenir la vie dans certains îlots. Ces oasis, minuscules taches vertes, ne sont ni un don du ciel, ni un tour facétieux d’une nature qui les aurait jetées au hasard, tels des dès éparpillés sur un immense tapis ocre. Elles sont d’abord le produit du travail acharné de l’homme ; mais aussi de ses facultés et capacités à composer avec les lois de la nature.

Dans le Sahara algérien, les oasis se présentent souvent sous forme d’archipels en contrebas des bassins versants. Elles sont localisées dans les zones d’exutoires naturels ou situées au niveau de l’affleurement des eaux captées en amont et drainées vers ces îles où aucune agriculture non irriguée n’est possible.

L’oasis existe grâce à l’eau qui séjourne dans les entrailles du désert. Cette eau est une manne captive entre les strates géologiques ; et que l’homme ne cesse de puiser. Comment est-elle parvenue jusqu’ici ? Par écoulement endoréique ? Par circulation souterraine depuis les régions pluvieuses du nord ? Appartient-elle, plutôt, à la période d’un Sahara humide ? Peu importe ! Ce qui est impératif pour les oasis sahariennes, c’est de la faire remonter en surface pour permettre que la vie humaine au Sahara puisse continuer et se maintenir. Car, ici plus qu’ailleurs, aucune vie n’est possible sans un apport d’eau autre que celui des précipitations qui sont quasi inexistantes. L’agriculture « sous pluie » est impossible ; parce qu’ici, il ne pleut pratiquement jamais. Cette contrainte est à la base d’une culture singulière et d’un mode de vie spécifique. Les oasis se caractérisent par une certaine conception et des usages de l’eau qui les distinguent, en effet, des façons de faire connues ailleurs.

Au-delà d’une technique et d’un système d’amenée d’eau de son lieu de captage au lieu de son utilisation, une culture et des savoirs connexes se sont développés à partir de cette activité. Ici, l’eau si précieuse est nécessairement objet de convoitises multiples. Comment réduire le conflit et créer le consensus autour d’une denrée vitale et si rare ; et qui est à la base de la différenciation sociale et de la hiérarchisation ? Un art du calcul, un droit et des techniques vont s’élaborer et se voir portés par des experts et des connaisseurs ; même si aujourd’hui, la machine de la transmission, bousculée par de nouvelles logiques qui l’enrayent chaque jour, semble être essoufflée.

Avant que l’irrémédiable n’advienne, il apparaît urgent et judicieux de tirer les leçons d’un équilibre que les hommes de ces contrées désertiques, dans leur combat pour survivre, ont su et pu créer en composant avec une nature inclémente. L’Oasien n’a pas cessé d’explorer les limites du possible pour habiter le Sahara ; fidèle en ce sens à l’aphorisme du philosophe anglais, Francis Bacon : On ne triomphe de la nature qu’en lui obéissant. Cette expérience humaine mérite, à plus d’un titre, de retenir l’attention des hommes vivant pressés dans une époque obnubilée par le progrès et bousculée par les urgences.

La rareté de l’eau a orienté le choix des lieux d’habitation et commandé les manières de s’établir et d’organiser l’espace. Elle a également présidé au choix des cultures et des plantes adaptées à un tel écosystème. C’est encore le souci d’une gestion économe de l’eau qui détermine les rythmes et les calendriers de l’activité humaine quotidienne, au jour le jour et selon les saisons de l’année.

Au-delà de l’organisation matérielle, des dispositions mentales et des conceptions culturelles vont aider ces populations à s’accommoder des aléas climatiques menaçant en permanence leurs bases de vie. Le froid proverbial des rigoureux hivers et la sécheresse extrême des longs étés sahariens peuvent, de manière inopinée et impromptue, ruiner tous les efforts déployés à longueur d’année. Est-ce pour autant que l’Oasien abdique ? Entre migrer ou se résigner, il choisit plutôt la posture de la connivence. S’inscrivant dans une continuité avec la nature au sens où le préconise Philippe Descola dont les thèses remettent en question le dualisme Nature/Culture, l’Oasien accepte, avec une certaine philosophie, que la nature tantôt cède et tantôt reprenne ses droits selon des logiques qu’il croit percevoir et auxquelles il tente de se conformer (Descola, 2005).

Ce sont ces compositions et arrangements des hommes avec leur environnement que le présent travail tente d’interroger à travers l’exemple saharien, encore insuffisamment étudié de ce point de vue-là. Comment l’homme dont la destinée demeure tributaire de la matière hydrique a-t-il pu pallier aux manques et insuffisances de l’eau ? Comment a-t-il pu satisfaire ses besoins vitaux dans des milieux aussi extrêmes ? Au cœur d’un désert où l’eau du ciel ne tombe presque jamais, il a réussi à faire remonter l’eau des profondeurs de la terre. Pour parvenir à domestiquer la nature, il a dû au préalable respecter ses exigences. Contraints par un éco-système à la fois âpre et fragile, l’homme a trouvé le moyen de boire et d’irriguer la terre pour faire pousser les fruits et légumes nécessaires à sa survie.

En irriguant une partie de son terroir, l’Oasien a pu se nourrir et produire des biens que nomades et caravaniers ont pu rechercher. Ainsi est-il entré, parfois à son corps défendant, en échange avec d’autres hommes, d’autres cultures et d’autres visions du monde. Il a dû alors redoubler d’ingéniosité pour exploiter son environnement bien au-delà de ses besoins et de ses forces. Pour y parvenir, il a affiné ses techniques, exploité son prochain sans toujours réussir à éviter la dégradation des sols nourriciers. Perturbant tout de même le rythme de la nature, il a contribué, avec le temps, à accentuer les déséquilibres. L’eau mobilisée a dû alors être recherchée de plus en plus profondément ; et pour la puiser, il a fallu traverser des sols secs au risque de déperditions de quantités énormes par évaporation et par infiltration. À la longue, ces eaux (chargées), drainées vers des terroirs nécessairement réduits, vont favoriser des dépôts de sels et accroître la salinisation des sols les rendant progressivement incultes. Désormais, pour exploiter ces sols, il faut les bonifier en les « lessivant » avant de les utiliser. Pour ce faire, il faut disposer d’un volume d’eau conséquent pour arroser plus que nécessaire et évacuer ensuite l’eau vers l’exutoire de la sebkha par des collecteurs. Ce qui, paradoxalement, augmente davantage les besoins en eau dans une région où celle-ci manque drastiquement ; et, favorise l’érosion de sols déjà pauvres et fragiles. Les surfaces cultivables du terroir s’amenuisent ; et requièrent un savoir-faire particulier. Pour continuer à tirer profit de ces petites superficies, les sols sont irrigués et drainés selon un dosage savamment étudié.

Parce que l’eau est ici un besoin à la fois pressant et jamais complétement assouvi ; les hommes la recherchent continuellement. Une fois acquise, elle nécessite autant d’art et de dextérité pour la gérer, l’économiser, la distribuer et l’utiliser. D’autres travaux menés ailleurs montrent que les sociétés oasiennes, à l’instar d’autres sociétés humaines, ont su conjuguer imagination et savoir-faire pour y parvenir (M. El Faiz, (2005) ; T. Ftaïta, (2006)). Dans le Touat-Gourara, terrain de mes observations, pour l’irrigation des champs, au lieu des eaux de crues des rivières ou des eaux de pluie comme dans les régions tempérées, ce sont les « eaux cachées » dans les entrailles de la terre qui sont draguées. C’est la nappe souterraine du continental intercalaire qui sert de château d’eau à la région.

En a-t-il toujours été ainsi ? L’histoire climatique du Sahara nous autorise à répondre par la négative. Ici, au temps du Sahara humide et avant les oscillations climatiques qui l’ont desséché, l’homme semble avoir pratiqué une agriculture lacustre comme en témoignent quelques traces écrites et vestiges archéologiques. Les habitants du Sahara semblent avoir cultivé des terrains au bord de cours d’eau par la technique d’inondation si l’on en croit les récits rapportés par Ptolémée. Le relief également atteste l’existence de fleuves asséchés et de lacs fossiles. Plusieurs périodes climatiques se sont succédé et à chacune correspond un système hydraulique. Plus tard, l’asséchement du Sahara suscite des innovations dans les systèmes d’irrigation qui vont s’adapter progressivement jusqu’à l’avènement du système des foggaras, objet central du présent travail. Précisons d’emblée que le mot foggara, devrait s’écrire au singulier faggâra et au pluriel fgâguir ou faggarât, mais par commodité ici et sauf exception, c’est la transcription usuelle (foggara au singulier et foggaras au pluriel) qui sera utilisée.

Les populations sahariennes ont connu, avions-nous dit, différents systèmes hydrauliques à diverses époques avant d’arriver à l’état actuel et au système des foggaras qui, à son tour, commence à connaître ses limites. Après plusieurs siècles de loyaux services, la foggara connaît, en effet, depuis quelques décennies déjà, un déclin inexorable. En ville et pour l’eau domestique, le château d’eau a fini par prendre la première place. Dans l’irrigation, la foggara est en train de céder devant les nouveaux modes d’acquisition et de distribution de l’eau. D’une part, le forage et le château d’eau se sont généralisés ; d’autre part, la technique du pivot et le système du « goutte à goutte » commencent à se répandre dans les nouveaux périmètres d’exploitation agricoles.

Toutefois, de tous les systèmes qui l’ont précédé, celui de la foggara occupe une place importante, voire centrale dans la vie économique et le vécu social. Bien entendu, d’autres méthodes ont pu être utilisées quand l’environnement et le relief le commandaient. Ainsi dans certaines régions, le puits à balancier (khattâra) sera préféré à la foggara. La description qu’en fait Bisson, en parlant de ceux qu’il avait observés dans le Gourara, peut être appliquée partout où se rencontre ce système de puisage. Il s’agit du même principe : « une perche pivotant autour d’une traverse fixée sur deux montants en bois de palmier ou sur un bâti de pierres liées par de l’argile. À l’extrémité de la partie la plus courte du balancier, est fixée par des cordelettes une grosse pierre qui fait office de contrepoids, tandis qu’à l’autre extrémité se trouve le récipient, la guenina (panier rigide en fibres de palmier tressées) pendue à une corde plus ou moins longue selon la profondeur du puits. L’eau puisée est déversée dans un demi-tronc de palmier évidé (fraoun) ou dans une grande séguia en maçonnerie grossière, pour aller s’accumuler dans un bassin réservoir (majen) avant d’être lâchée en masse vers les planches de culture ou les palmiers à irriguer » (Bisson, 1957, p. 78).

C’est notamment le cas dans les régions ensablées du nord-est du Gourara (dans le Tinerkouk) et dans les oasis de Taghouzi situées à l’autre extrémité, au sud-ouest. Toutefois, c’est indéniablement le système de la foggara qui a permis au Sahara et aux oasis de (sur)vivre des siècles durant dans un environnement aussi hostile, en mettant même à contribution ses contraintes géomorphologiques. Car, le principal atout de cette technique traditionnelle est de permettre la captation et le drainage de l’eau par simple gravité faisant ainsi du relief une force motrice adaptée.

En quoi consiste au juste ce système ? Dans son principe de base, la foggara s’apparente au qanât perse tel que décrit par Henri Goblot qui le définissait comme une « technique de caractère minier qui consiste à exploiter des nappes d’eau souterraines au moyen de galeries drainantes » (Goblot, 1979, p. 27). Cette définition technique minimaliste peut faire consensus auprès des différents observateurs et spécialistes de la foggara ; mais les avis divergent dès qu’il s’agit d’établir l’origine (autochtone ou allochtone) d’un tel procédé ou de décrire les chemins qu’il aurait empruntés pour arriver dans les oasis sahariennes.

Comme le qanât persan, la foggara des oasis a séduit voyageurs et observateurs ; en revanche, elle n’a que très peu intéressé les chercheurs et les scientifiques. Rares sont les études et travaux scientifiques ayant pour objet central ce système hydraulique. Quand ils existent, ces travaux se limitent souvent aux aspects techniques et géographiques. Les travaux d’historiographie sont restés lacunaires répétant les mêmes sources avec des variantes. Les quelques manuscrits d’érudits locaux sont vagues et allusifs ; et, ce sont surtout des documents dus à des lettrés amateurs ou à des militaires de l’époque coloniale qui nous ont légué l’essentiel des données. La production de cette époque, que l’on peut qualifier de pionnière, reste à ce jour encore inégalée, même du simple point de vie quantitatif. Officiers et chefs de mission de l’armée coloniale se sont intéressés très tôt à la région et à ses particularités. Avant même sa colonisation au début du XXe siècle, les foggaras vont prendre une place importante dans les missions des premiers explorateurs et vont faire l’objet de mentions abondantes dans leurs travaux.

Inauguré dès le milieu du XiXe siècle par les travaux du Général Daumas, cette entreprise va continuer durant plus d’un siècle sans discontinuer (Daumas, 1848). Le relais sera repris dès le début du XXe siècle par l’officier Louis Watin qui publie en 1905, dans le bulletin de la société de géographie, son étude sur les populations du Touat (Watin, 1905). L’étude des oasis du Sahara va se poursuivre avec l’officier interprète et lauréat de la société de géographie, Alfred Georges Paul Martin qui publie en 1908, Les oasis sahariennes, soit une partie de l’ouvrage qu’il éditera dans sa totalité, en 1923, sous le titre Quatre siècles d’histoire marocaine, (Martin, 1923). Cet ouvrage deviendra la principale référence où vont puiser tous ceux qui se sont intéressés aux oasis sahariennes.

La seconde époque est celle des administrateurs. Soucieux d’une maîtrise des hommes et du territoire, certains vont s’intéresser à l’organisation économique et sociale de leurs sujets. Aux travaux sur la technique de captage et de maintenance, vont s’ajouter des rapports sur le mesurage et le partage de l’eau. La foggara apparaît alors comme une véritable institution fondatrice du lien social. Toutefois, ces amateurs, malgré les précieux renseignements qu’ils ont pu recueillir et sauver de l’oubli, n’ont pas toujours été dans des démarches répondant à la rigueur exigée par la recherche scientifique.

Il faut attendre les années 1950 pour voir paraître les premiers travaux d’universitaires et de scientifiques. Les géographes français vont mener des recherches assez pointues pour comprendre le fonctionnement du système de la foggara en particulier et du système hydrogéologique du Sahara en général. Le chef de file de ces pionniers est sans conteste le géographe André Cornet qui va inaugurer ce chantier par un article de référence intitulé « Essai sur l’hydrologie du Grand Erg Occidental et des régions limitrophes. Les Foggaras » (Cornet, 1952). Mais c’est sans doute le géographe Robert Capot-Rey, professeur à l’université d’Alger et directeur de l’Institut de Recherches Sahariennes (l’IRS) qui fera du Sahara et des oasis un champ et un objet d’études, entraînant dans son sillage certains de ses élèves comme le géographe Jean Bisson.

Prenant la relève de son professeur et fondateur de l’irs, E. F. Gautier, le professeur R. Capot-Rey n’a pas épargné les efforts, luttant sur tous les fronts pour faire du Sahara un terrain et un objet de recherches à part entière dans le cursus universitaire. Après la géographie, la morphologie des ergs, il s’intéressera au système d’irrigation dans les oasis et mènera plusieurs expéditions seul (en octobre 1959 et en octobre 1961) ou en équipe (avec le lieutenant W. Damade en avril 1960).

En feuilletant les travaux de l’Institut de Recherches Sahariennes (l’irs), on retrouve l’essentiel de ce qui fut écrit et les grands noms qui ont exploré ce champ : Le professeur Jean Savornin, le capitaine Lô, le capitaine J. F. Chaintron, le commandant Deporter ; le Lieutenant W. Damade et bien d’autres encore. Tous ont été séduits par la foggara et son système de captation ; mais, ne se sont intéressés, hélas, qu’accessoirement au droit et techniques de gestion qu’elle induit. Les aspects technologiques méritent sans doute tout l’intérêt comme du reste le droit et l’hydrométrie ; cependant d’autres aspects auraient pu mériter une égale sinon plus grande attention.

Au lieu de se limiter principalement à percer le secret d’un appareil et d’un système qui permet de survivre dans un Sahara aride, les études sur la foggara auraient gagné à l’aborder comme une œuvre de civilisation sous-tendue par des usages et des pratiques relevant à la fois de l’histoire, de la géographie, de la culture, de la technique et des croyances. Les préoccupations d’ordre hydrauliques qui ont poussé les observateurs à s’y intéresser ont infléchi l’approche vers des orientations plutôt techniques en prolongement des préoccupations hydrogéologiques. Autrement dit, la foggara a manqué d’une approche privilégiant le point de vue des sciences humaines. Si l’on excepte le travail de Nadir Marouf dont l’ouvrage, Lecture de l’espace oasien, lui consacre une part conséquente, la foggara a été insuffisamment étudiée (Marouf Nadir, 1980). Ni la technique ni l’organisation socio-économique qu’elle induit n’ont bénéficié d’un traitement anthropologique que le présent travail souhaite privilégier ici, en laissant de côté les questions, non moins intéressantes, concernant l’hydrogéologie en général et plusieurs autres aspects liés à l’hydraulique et à l’écologie. Par manque de compétences permettant de les aborder avec rigueur, de tels aspects ne seront évoqués, que pour des nécessités d’éclairage sur tel ou tel problème en s’appuyant sur les travaux les plus consensuels et les mieux informés.

Certes, quelques travaux usant d’une approche ethnographique existent, mais sans cette vision anthropologique globale de la foggara qui la replacerait d’une part, dans un cadre comparatif plus large ; et d’autre part, dans une diachronie qui restituerait les évolutions et mutations de cet espace.

Mes observations ont commencé au tout début des années 1980, quand le Sahara était encore relativement à l’écart des processus de mutation que connaissait alors le nord du pays. Elles se sont poursuivies pendant cinq années et ont été conclues par une thèse en géographie. D’autres recherches seront initiées sur ce même terrain quelques années plus tard pour le besoin d’une thèse en anthropologie soutenue au milieu des années 1990. Quand j’ai repris mes recherches dans la région une quinzaine d’années plus tard, à la fin des années 2000, beaucoup de choses avaient changé et certaines ont totalement disparu au point de s’estomper voire de s’effacer de la mémoire collective. Cependant, hormis quelques ksour devenus sièges d’organisations territoriales comme à Ouled Saïd dans le Gourara ou Bendraou dans le Bouda (Touat), la plupart des localités semblent assoupies, vivant au rythme d’un terroir de plus en plus marginalisé par l’économie de marché et l’urbanisation administrative.

Élargissant mes observations à toute la région du Touat-Gourara-Tidikelt à l’occasion du présent travail, l’essentiel de mes enquêtes a porté sur le Gourara et les différentes oasis qui le composent : Timimoun, Ouled Saïd, Semdjane, mais aussi les oasis du Deldoul de l’Aougrout et de Tiberghamine. Dans le Touat, mes observations ont concerné essentiellement les oasis de Bouda, de Tamentit et le terroir du petit ksar de Sidi Youcef (Fenoughil). Dans la région du Tidikelt, j’ai pu mener des recherches à Aoulef et à In Salah. Ce sont les résultats de ces observations qui sont ici exposés, analysés et discutés à la lumière des connaissances déjà établies et des nouvelles informations recueillies. Loin de prétendre asséner des vérités inédites, mon ambition se limitera, pour l’essentiel, à une tentative de mise en ordre des éléments désormais connus et solidement établis. Enseveli sous le nouveau, l’ordre ancien continue à informer les configurations sociales en perpétuelle métamorphose. Le présent travail tente d’en saisir la structure et la dynamique en vue d’entrevoir les logiques fondatrices d’une société en pleine mutation. En d’autres termes, il s’agit d’une modeste contribution à une archéologie sociale en vue d’une prophylaxie de la mémoire matricielle.

Chapitre I : La foggara entre histoire et géographie

Chaque auteur, avec ses mots et son style propres nous dit ce qu’est une foggara en décrivant la même réalité. La foggara désigne une galerie souterraine, drainante permettant de capter les eaux d’une nappe aquifère souterraine et de les canaliser d’amont en aval vers des terrains à irriguer situés en contrebas. Cette galerie, d’une déclivité savamment étudiée, assure principalement l’arrosage des jardins d’une palmeraie par simple gravité ; et sert également à la satisfaction des besoins domestiques.

À la surface du sol, la foggara est repérable grâce aux évents entourés de débris produits par les fouilles. Le travail du creusement de ce canal souterrain nécessite de la lumière et de l’air ; mais exige aussi l’évacuation au fur et à mesure des déblais des fouilles. Ce qui explique la présence de cette ligne de puits qui ponctuent le tracé de la foggara. (Voir photo : Évents ponctuant le tracé de la foggara).

Vus d’avion, ces puits font penser à des cratères ; en réalité, il s’agit de simples orifices qui, après avoir facilité le creusement de la galerie et l’évacuation des déblais, servent comme regards de visite. Ils permettent le nécessaire curage épisodique et l’évacuation des alluvions qui en s’accumulant obstruent le canal souterrain. Rejetés sur les côtés, ces déblais forment des espèces de cônes de déjection qui servent à protéger les ouvertures des puits. Résultant du creusement des puits, ces évents qui ont servi à l’évacuation immédiate des sables retirés lors des travaux, ne sont pas des bouches de puits au sens classique ; mais de simples regards qui permettent l’accès à la galerie souterraine en vue du nécessaire et fréquent curage de la foggara. Ces puits ne donnent pas d’eau mais servent de regards permettant l’accès à la galerie souterraine pour la maintenance de l’ouvrage. Ces ouvertures sont, elles-mêmes, souvent recouvertes par une pierre plate qui les ferme et met ainsi le puits à l’abri des éventuelles immondices provenant de l’extérieur.

La profondeur de ces puits augmente au fur et à mesure du prolongement de la galerie souterraine vers l’amont pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres. Quand ces galeries souterraines traversent les routes ou passent par les centres urbains, les évents qui les signalent sont fermés, par mesure de sécurité, par des pierres plates et surélevés de margelles maçonnées, de façon souvent assez esthétique. (Voir photo : Émergences de la foggara à Tamentit Adrar).

Alignés et distants l’un de l’autre, d’une vingtaine de mètres en moyenne, ces puits peuvent dessiner sur plusieurs kilomètres une ligne plus ou moins droite reliant les jardins en contrebas au point de captage, situé plus haut, de la nappe souterraine. C’est la galerie souterraine de la foggara (à laquelle donnent accès ces puits) qui sert au captage des eaux des nappes souterraines. Elle sert également à leur adduction pour l’irrigation des minuscules carrés plantés et entretenus dans les oasis à l’ombre des palmiers. La pente de ce drain qui relie tous les puits est aménagée de telle façon que l’eau, provenant d’une zone éloignée et nécessairement élevée, puisse circuler et atteindre le terroir se trouvant en contrebas. Nécessitant une maintenance périodique, cette galerie demeure accessible par les puits échelonnés qui ont servi à son creusement. La hauteur de cette galerie est assez importante. À la longue, le ravinement de l’eau et les curages successifs accentuent la hauteur de ces galeries souterraines au point de permettre, dans certaines parties, à un homme de circuler aisément debout.

Le conduit souterrain qui relie par le bas ces puits mène l’eau d’une nappe souterraine au terrain à irriguer grâce à une pente appropriée minutieusement étudiée. L’évaluation soigneuse de cette déclivité est essentielle : trop importante, elle risque d’entraîner une érosion prématurée et un effondrement du conduit d’écoulement ; trop faible, elle favorisera au contraire son ensablement et nécessitera des curages plus fréquents et plus coûteux. L’eau est ainsi drainée, parfois sur de longues distances, et n’apparaît à l’air libre qu’au débouché de la foggara, peu avant le point zéro de la pente, où se trouve les jardins à irriguer. L’adduction d’eau est ainsi assurée par simple gravité : d’où l’intérêt de cet ingénieux système. Voir Schéma du principe de fonctionnement de la foggara.

Si le principe est simple (Voir Schéma du principe de fonctionnement de la foggara), la réalisation de l’ouvrage est en revanche assez complexe requérant une grande maîtrise technique. Conception et suivi des travaux ne peuvent être menés que par des spécialistes expérimentés et hautement qualifiés. Quant à la réalisation, elle demande la mobilisation d’une importante main d’œuvre. Le creusement des évents et des galeries souterraines représente un prodigieux investissement, nécessitant un travail colossal. Celui-ci était réalisé jadis par une population servile, taillable et corvéable à merci. Sans une telle organisation et de pareils dispositifs, la foggara ne peut ni exister, ni fonctionner ; et l’eau, seule apte à rendre habitable ces espaces, restera dans le ventre de la terre. Sans la foggara, aucune histoire n’aurait pu être écrite sur un tel milieu géographique.

1. La foggara et l’empreinte écosystémique

L’homme du Sahara vit depuis les dernières périodes humides dans un climat de type aride. Avec une moyenne de quatre jours de pluie par an, nous l’avons vu, la pluviosité, donnée si essentielle dans une région à température élevée et dépourvue de toute eau de surface, est quasiment nulle. Si la température est assez élevée pendant sept mois de l’année (d’avril à octobre), en hiver elle peut descendre au-dessous de zéro, avant d’atteindre, dans la même journée, plus de 25° au-dessus de zéro. Ce qui laisse deviner l’importance de l’amplitude thermique journalière dont les premières conséquences sont perceptibles au niveau de la morphologie de la région : désagrégation des roches, dégradation des sols et érosion mécanique.

Le vent qui souffle avec une très grande fréquence durant toute l’année, avec des vitesses pouvant atteindre 100 km/h, connaît une intensité plus grande au printemps et durant quatre mois, de mars à juin. En mars et avril, ce vent est particulièrement chargé de sable ; constituant ainsi, une contrainte importante dans la mesure où il exacerbe l’évapotranspiration potentielle (ETP) et favorise le déplacement dunaire. L’importance de l’ETP est telle que les seules manifestations hydrologiques rencontrées en surface sont les oueds asséchés et les sebkhas. De son côté, l’aridité des sols accélère l’infiltration. Dans ce contexte physique et climatique, il est malaisé de concevoir une autre ressource hydrique que celle éventuellement contenue dans le sous-sol. C’est la conclusion à laquelle parviendra Jean Savornin en observant le système des foggaras : « Une seule explication est alors acceptable. Les couches aquifères perpétuellement soumises à des déperditions d’eau (tant naturelles qu’artificielles) et ne pouvant être alimentées “per descensum” par des pluies locales inexistantes, doivent être alimentées “per ascensum”, c’est à dire “piezométriquement” et non pas “phréatiquement”. Le mouvement effectif est d’ailleurs d’une lenteur extrême. ». Il ajoute plus loin « En d’autres termes, le régime des fogaguir est un régime artésien d’une forme particulière. » (Jean Savornin, 1947, p. 46).

2. Des eaux souterraines

Quand on parle d’eaux souterraines au Sahara, c’est à la nappe du continental intercalaire que l’on pense. Cette grande nappe souterraine, principal réservoir d’eau de la région, s’étend sur l’ensemble du Sahara algérien et le dépasse à l’est pour s’étendre dans le sud tunisien et le nord Libyen ; et, à l’ouest, dans le Sahara occidental.

Les eaux souterraines de l’ensemble du Sahara proviennent de cette formation géologique appelée continental intercalaire ; ainsi dénommée parce que les hydrogéologues la rapportent à cet épisode du continental compris entre les plissements hercyniens qui ont rejeté la mer hors de la plateforme saharienne, et l’invasion marine au crétacé supérieur. Il contient la nappe la plus importante du Sahara. Robert Capot-Rey, ce géographe passionné du Sahara, précise l’origine de cette appellation : « Au-dessus des couches paléozoïques repose en discordance une formation continentale qui se trouve placée entre les couches marines du carbonifère et celles également marines du crétacé moyen ; elle est désignée par cette raison sous le nom de Continental intercalaire. » (R. Capot-Rey, 1953, p. 110). Ce principal gisement aquifère a longtemps été attribué à l’albien, étage géologique de grès poreux épais de plusieurs dizaines de mètres appartenant au crétacé inférieur qui lui-même appartient au secondaire. L’appellation de nappe albienne lui fut attribuée en raison d’un forage (le premier selon les techniques modernes) opéré en 1891 à El Goléa, qui aurait permis le jaillissement d’eau en provenance de grès attribués alors à l’albien. Plus tard, les travaux du géologue Kilian Conrad ont réussi à démontrer qu’il s’agissait d’une nappe comprise dans une série compréhensive pouvant descendre, très bas dans l’échelle stratigraphique, jusqu’au carbonifère.

Le qualificatif albien qui avait un temps désigné cette immense formation aquifère fut abandonné, à juste titre, et remplacé par l’appellation Continental Intercalaire plus appropriée. Tout autant que sa désignation, son origine n’en a pas moins suscitée controverses et supputations. À la thèse d’une nappe fossile que seule l’eau de pluie, très rare du reste, contribue à alimenter, répondent d’autres hypothèses.

Selon l’hydrogéologue A. Cornet dont les travaux continuent à faire autorité en la matière, la nappe du Continental Intercalaire est alimentée par l’écoulement des eaux du versant sud de l’Atlas et qu’on est en droit de tabler sur sa pérennité. À la suite d’A. Cornet, F. Pierre estime que : « C’est certainement au Nord où la pluviométrie est plus élevée qu’il faut rechercher l’origine essentielle de cette eau abondante » (F. Pierre, 1958, p. 33). Des auteurs plus contemporains sont encore plus affirmatifs. À l’instar du géographe M. Côte, ils estiment que cette nappe est alimentée depuis le Nord par le ruissellement sur l’Atlas saharien et les hautes plaines. Ils soutiennent la thèse qu’il y aurait une continuité de circulation en profondeur entre le compartiment atlasique et le compartiment saharien (du moins à l’ouest de la fosse sud aurassienne) (M. Côte, 1988, p. 245). D’autres auteurs sont encore plus catégoriques : « De nos jours nous savons que les eaux souterraines existantes, ne peuvent pas être considérées comme la partie équilibrée du cycle d’eau actuel, mais qu’elles sont le résultat de l’approvisionnement préhistorique pendant des phases climatiques humides » (Horst Mensching, 1975).

Toutefois, l’hypothèse la plus communément admise soutient que la réalimentation de la nappe est si lente que les eaux prélevées actuellement appartiendraient aux précipitations du début du quaternaire. En fait, une telle théorie s’inspire largement des travaux de J. Savornin, dont les hypothèses, formulées il y a trois quart de siècle, semblent plausibles au regard des données scientifiques établies. La porosité du bassin aquifère de la nappe du Continental Intercalaire varie de 20 à 30 % et sa perméabilité moyenne est de 0,015 m/s ; ce qui suppose des possibilités certaines de circulation de l’eau sur toute l’étendue du bassin. En outre, le régime hydrographique indique si besoin est que la « nappe de l’erg n’est qu’un épisode particulier de l’écoulement des eaux du versant Sud de l’Atlas vers le Sahara » comme le soutient A. Cornet. Pour donner plus de poids à ces assertions, A. Cornet ajoute : « Dans le Sud-Oranais une partie des eaux météoriques emprunte un trajet plus direct offert par les grands oueds, le tertiaire continental, la dalle calcaire de la hamada, pour rejoindre finalement le Continental Intercalaire vers la sebkha de Timimoun » (A. Cornet, 1952, p. 118). L’écoulement superficiel et visible, suggère un écoulement souterrain dans le sens nord-sud, en provenance du versant méridional de l’Atlas Saharien, facilité par une porosité relativement importante.

Cette formation aquifère couvre un territoire d’environ 600000 km2 entre la bordure sud de l’Atlas au nord et les escarpements du plateau Tademaït. Compte tenu de l’étendue, de la profondeur de cette couche aquifère (800 à 1500 m selon les secteurs) et de sa porosité (20 à 30 %), la capacité de ce bassin aquifère a été évaluée à 60000 milliards de m3, soit une capacité quasi inépuisable. C’est en effet le « plus grand appareil hydraulique du Sahara » (selon l’expression de Jean Savornin) qui recouvre une aire géographique dessinant un trapèze dont la grande base (de Reggan au sud de Ghadamès) mesure 1000 km, la petite base (de l’ouest d’Aïn-Sefra à l’est de Messaoud) 600 km, avec une hauteur géométrique de 750 km. Compte tenu de ces données, l’hypothèse d’une réalimentation très lente est aisément concevable. Les eaux prélevées actuellement pourraient appartenir effectivement au début du quaternaire. Autrement dit, elles seraient plurimillénaires !

Ces suppositions et ces déductions, restées longtemps de simples affirmations conjecturales, peuvent aujourd’hui mieux être connues par une description scientifique du système hydraulique de ce réservoir. C’est entre autres tâches, un des objectifs de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (Oss) et de son projet relatif au Système Aquifère du Sahara Septentrional (sAss)1.

Les études que mène l’Agence Nationale de la Recherche en Hydraulique (ANRH), membre de cet observatoire, pourront bientôt nous fixer sur la nature du rabattement progressif de la nappe alimentant les foggaras. Les usagers de ce système traditionnel considèrent que la diminution de l’eau dans leurs foggaras est due essentiellement aux forages qu’ils estiment trop proches de la couche aquifère alimentant les foggaras. S’agit-il véritablement d’un pompage excessif par rapport à la réalimentation de la nappe ? En effet, la nappe du Continental intercalaire pourrait communiquer avec les autres systèmes qui lui sont limitrophes. Il est probable que les foggaras puisent dans une nappe phréatique qui elle-même s’alimenterait (par un phénomène semblable à l’artésianisme) à la nappe du continental intercalaire située plus bas en profondeur.

Ceci dit, les coupes que l’on peut dresser de cette nappe sont assez variables. Paraissant homogène dans son ensemble, elle l’est moins dans le détail qui révèle des grès quartzites parfois très calcaires, des grès tendres à ciment calcaire, du grès fin homogène et friable, des grès à concrétion sphéroïde ou à petits galets de quartz, des argiles sableuses, etc.

Quoi qu’il en soit, cette nappe du Continental intercalaire est un réservoir aquifère contenu dans les grès et sables du secondaire. Affleurant dans la région du Tademaït, cet aquifère s’enfonce au fur et à mesure que l’on remonte vers le nord. Si le principe d’une circulation par inféroflux est admis, les eaux utilisées aujourd’hui par les populations de la région du Touat Gourara Tidikelt, proviendraient des pluies tombées au cours des périodes pluviales du Quaternaire (Holocène). Elles auraient voyagé du nord vers le sud pendant des siècles à travers les couches perméables du sous-sol, alimentant ainsi continûment cette nappe du Continental intercalaire.

Pendant longtemps, aucune étude sérieuse n’est venue infirmer ou confirmer les deux théories en opposition sur la régénération de cette nappe. L’importance de ses ressources, quasiment illimitées, avait relégué au second plan le débat entre les partisans de la régénération et ceux qui plaident pour la thèse de la nappe fossile.

Des conclusions prenant comme base de calcul les quantités pluviométriques étaient assez hypothétiques. Elles étaient fondées sur l’immensité théorique du réservoir, et des approximations dans les calculs de sa réalimentation d’une part et sur un pourcentage supposé de porosité de l’ensemble du bassin d’autre part. Ce manque de précisions n’ est plus à l’ordre du jour. Les spécialistes sont fixés sur la question des réserves de la nappe aboutissant à la même conclusion qu’A. Cornet : « On est en droit de tabler sur sa pérennité ».

Grâce aux travaux académiques et aux études de plusieurs organismes, notamment le projet SASS évoqué plus haut, la nappe du Continental intercalaire semble aujourd’hui mieux connue sur tous les aspects. Il est désormais admis qu’il s’agit d’une nappe captive quasiment fossile, très faiblement alimentée par des infiltrations d’eau de ruissellement en périphérie. Le niveau statique de cet aquifère varie de 15 à 30 mètres par rapport au sol ; mais peut atteindre une centaine de mètres dans les reliefs (exemple plateau du Tademaït). L’écoulement général de la nappe est orienté nord-sud / nord-est.

3. Évolution d’un système hydraulique

Les données écosystémiques actuelles qui viennent d’être rappelées, n’ont pas toujours été celles du Sahara. Celui-ci n’a pas toujours été désertique ; et ses espaces arides ont été habités, depuis la haute antiquité. Les traces de fleuves asséchés et de lacs fossiles ponctuent encore l’espace saharien et témoignent d’un passé où l’eau s’écoulait en surface.

C’est l’exutoire occidental du Continental intercalaire qui affleure dans les régions qui nous occupent. Grâce à cette eau, des populations ont pu vivre en pratiquant une agriculture vivrière qui évoluera plus tard vers une agriculture de services. Quand les ksour du Touat Gourara sont devenus des étapes relais incontournables sur les routes des caravanes, l’exploitation des terroirs s’est intensifiée pour répondre aux besoins d’une population allogène de plus en plus importante. Une agriculture au service de ce commerce transsaharien mobilisera alors de plus en plus de bras pour servir les nomades qui empruntaient deux des principales routes qui traversaient la région en passant par le Touat Gourara. Ainsi, disséminés dans ces immensités, ces établissements humains ont pu constituer des sortes de comptoirs florissants dans les échanges entre le nord et le sud.

Le spectacle de désolation qu’offre à voir aujourd’hui les lits d’oueds asséchés rendent difficilement croyables les passages où Général Didier rappelait que les steppes d’alfa et de hamadas caillouteuses ont remplacé des lacs autrefois couverts de roseaux. Les eaux torrentielles qui coulaient vers le sud auraient laissé place à un Sahara desséché (Gl Didier, 1928). Nombreux sont les auteurs qui relatent cet évènement en expliquant comment, au quaternaire, le Sahara a subi une série d’oscillations climatiques qui a fait reculer la flore et la faune non adaptées à la rudesse du climat. On se base, entre autres, sur ces grands réseaux hydrographiques superficiels aujourd’hui secs pour attester l’existence de périodes humides au quaternaire. D’autres éléments plaident en faveur de ces théories, telle que la présence de squelettes d’animaux (sur)vivant aujourd’hui encore en Afrique subsaharienne (girafes, éléphants, rhinocéros). On peut y ajouter les traces d’activités humaines (silex, poteries, gravures et peintures rupestres) qui suggèrent la présence de bovidés et autres animaux, grands consommateurs de végétaux et ne pouvant survivre sans une grande humidité. Homère et Hérodote mentionnent l’existence de lacs et de rivières et décrivent des ustensiles en pierre dessinés sur des rochers et parmi lesquels figurent des hameçons doubles (Gl Didier, op. cit.). Au regard de ces hypothèses, les lits d’oueds asséchés seraient les buttes témoins d’un passé humide où le ruissellement superficiel était la règle.

La période humide, décrite par plusieurs auteurs, où le Sahara regorgeait d’eau, peut avoir été, en partie, à l’origine de ces ressources colossales que renferme aujourd’hui le sous-sol, comme le pensent certains spécialistes. « Les ressources en eau souterraine sont souvent limitées dans les ensembles arides les plus vastes (Sahara, Australie), elles correspondent à des nappes phréatiques profondes et souvent artésiennes, alimentées à des périodes pluviales anciennes » (Dézert et Frécaut, 1978). Plusieurs auteurs, à l’instar de M.G.B. Flamand, ont soutenu que le Sahara d’autrefois était sillonnée par des fleuves et ponctué de zones de marécages. C’est la période dite lacustre à laquelle semble avoir succédé le système de ruissellement superficiel qui consiste en un drainage à ciel ouvert. C’est un système rencontré généralement dans les zones à climat tempéré ; où l’agriculture se fait sur les berges des fleuves. Avec la diminution des ressources hydrauliques suite au dessèchement du climat saharien, l’ère des puits artésiens fera son apparition. Elle sera suivie par le système des foggaras dont la date de son avènement au Sahara algérien fut longtemps l’objet d’un débat encore non tranché. Sont-ce les Zénètes, premiers habitants du Touat qui sont les inventeurs de cette technique ? Sont-ce les Juifs chassés d’Irak puis de la Cyrénaïque qui sont les promoteurs de cette technique bien connue en Orient ?

Certaines opinions font remonter l’origine de ce système de drainage aux temps les plus reculés, d’autres situent son avènement aux premiers siècles de notre ère. Les hypothèses les plus vraisemblables situent la date de sa naissance au Sahara, aux alentours du Xie siècle. Ce mode d’adduction d’eau quoique menacé de toutes parts, perdure jusqu’à nos jours.

4. Le Sahara ou la géographie de la foggara

La majeure partie de la superficie de l’Algérie appartient au Sahara ce plus grand désert du monde. Le Sahara en réalité dépasse en largeur les frontières de l’Algérie et du continent africain pour s’étaler sur plus de 6000 kilomètres de l’Atlantique à la mer Rouge et au-delà encore couvrant ainsi 12 millions de kilomètres carrés. Cette immensité territoriale s’étale sur les territoires de dix États : l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Libye, l’Égypte, le Soudan, le Tchad, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Sahara.

Les immensités sahariennes partagent l’Afrique en deux parties : le Maghreb actuel ou l’Afrique du Nord de jadis et l’Afrique subsaharienne, dite Afrique noire. Vus du Maghreb, ces territoires sahariens constituent des arrières-pays et se caractérisent par un climat chaud avec des amplitudes thermiques (annuels et journaliers) assez importantes, une hygrométrie quasi nulle, une extrême rareté des pluies. Outre une pluviosité très irrégulière et exagérément faible, les très fortes chaleurs et les vents sont un autre trait caractéristique de l’écosystème saharien. Souvent ravageurs, ces vents chauds et chargés de sable accentuent l’inclémence de l’écosystème. Ils dessèchent encore plus l’atmosphère, recouvrant de sable les terrains cultivés.

Par ailleurs, cette immensité connaît une morphologie singulière et un relief contrasté. Les sols d’ablation appelés hamadas et regs qui s’étalent à perte de vue, tranchent avec les massifs dunaires qui couvrent un cinquième de la superficie du Sahara. Dans la région étudiée, le Grand Erg Occidental constitue une des principales caractéristiques morphologiques. Pour autant, malgré ces barrières naturelles, le Sahara n’a jamais été une frontière infranchissable ; mais, plutôt un espace charnière que l’homme dont la présence est attestée depuis des millénaires, n’a jamais cessé d’arpenter.

Les peintures rupestres témoignent de cette présence humaine, contemporaine des périodes humides du Sahara. D’autres traces attestent qu’après les oscillations climatiques qui l’ont asséché, ce désert n’a pas cessé d’être habité. Les caravanes ont continué à le sillonner, reliant pendant des centaines d’années les oasis entre elles et avec les zones de pâturage ; entretenant ainsi, une relation sans discontinuer entre ces espaces sahariens et les zones qui les délimitent : le Maghreb au nord et le Sahel au sud.

Autrement dit, le désert est demeuré vivant ; grâce notamment à l’eau que l’homme a pu, à chaque fois, trouver les moyens de se la procurer. Quand il a cessé de compter sur l’eau du ciel, l’homme a redoublé d’intelligence pour capter les eaux de surface. Lorsqu’il désespéra de pouvoir en trouver suffisamment pour faire pousser les produits nécessaires à sa survie, il s’est tourné vers le sous-sol. Ainsi, après plusieurs systèmes de captation d’eau, l’Oasien recourt enfin à cette technique qui perdure depuis plusieurs siècles, dans une bonne partie des oasis sahariennes. Ce mode d’amenée d’eau, appelé localement faggâra, s’apparente dans son principe à celui plus universellement connu par le désignatif qanât.

Même si des foggaras peuvent se rencontrer, ici et là, à travers tout le Sahara, c’est dans les oasis du sud-ouest algérien que la foggara demeure encore le principal moyen d’adduction de l’eau pour l’irrigation des palmeraies et le besoin domestique des habitants. Dans certains cas, elle est même la principale ressource pour la consommation domestique des habitants des ksour, dans ces années 2010.

Ces établissements humains irrigués par la foggara sont répartis sur un triangle enserrant le plateau Tademaït ; et dont chacune des pointes représente une des trois sous-régions de cet ensemble saharien : le Touat, le Gourara et le Tidikelt. Depuis le dernier découpage administratif de 1974, ces trois sous régions sont incluses dans le territoire administratif d’un seul et même département, la wilaya d’Adrar. Ce dernier découpage administratif a remembré en quelque sorte, le même grand ensemble connu jadis par les historiens sous un seul et même vocable : le Touat. Il s’étend sur tout un territoire comprenant une myriade d’oasis allant de Tabelkoza au nord du Gourara à Foggarat Zoua, près d’In Salah dans le Tidikelt.

Le nouveau territoire de la wilaya d’Adrar inclut cependant une quatrième région, le Tanezrouft, et couvre une superficie globale de 427968 km² soit presque le sixième du territoire national. Avec une population, estimée à 399714 Habitants, en 2008 ; cette wilaya connait une densité de moins d’un habitant/km². Si le Tanezrouft est un désert presque vide, l’ensemble dénommé communément le Touat-Gourara-Tidikelt est un pays habité. C’est le pays des oasis, appelé également « pays des foggaras » ; car aujourd’hui encore, il est abreuvé et cultivé, en bonne partie, grâce à cet ingénieux système.

Malgré un climat désertique et des précipitations atmosphériques ne dépassant pas, en moyenne, 14 mm par an, c’est dans ce territoire que se rencontrent les plus belles palmeraies de la région du sud-ouest algérien. Un chapelet d’oasis serpente à travers le Sahara, sur plus de 800 kilomètres, le long d’une dépression large de quelques centaines de mètres. Ce chapelet va des vallées de la Saoura et de la Zousfana au nord jusqu’au Tidikelt au sud, formant ainsi un long couloir de végétation. C’est, en grande partie, l’affleurement de l’eau du continental intercalaire qui permet l’existence de cette longue « rue des palmiers », selon le mot d’E. F. Gautier.

Hors de ce couloir fertile, le désert reprend ses droits dans le reste du territoire de la wilaya d’Adrar. Des massifs dunaires (le Grand Erg Occidental, l’Erg Er Raoui et une partie de l’Erg Chech), contrastent avec les reliefs tabulaires du plateau du Tademaït et les vastes étendues caillouteuses (du Tanezrouft notamment) que représentent les regs.

Cette partie du Sahara, située dans le sud-ouest, est en réalité un espace sédentaire longtemps enclavé dans un espace nomade dont l’économie est restée, de ce fait, basée sur l’agriculture malgré le caractère aride de la région. Appartenant à un pays côtier, cette région est située en plein désert avec une véritable barrière représentée par les chaines de l’Atlas tellien et de l’Atlas saharien. Le fameux Grand Erg Occidental vient souligner davantage cette coupure en privant les oasis de toute influence maritime.

Cette région du Touat-Gourara-Tidikelt est un espace physique se différenciant naturellement du reste de l’Algérie du nord. Sa première caractéristique est son inscription géographique dans un ensemble plus vaste appelé Sahara dont il convient ici d’en rappeler les limites.

« Le Sahara actuel est limité : à l’ouest par l’Atlantique ; au nord par les chaînes sud-atlasiques depuis le Haut-Atlas marocain jusqu’aux monts de Gafsa en Tunisie ; puis par la Méditerranée, depuis la Libye – hormis quelques aires plus arrosées en Tripolitaine et en Cyrénaïque – jusqu’en Égypte ; au sud par le Sāḥil [q.v.] et ses prolongements au Soudan ; à l’est, certains auteurs le limitent à la vallée du Nil, tandis que d’autres le prolongent jusqu’à la mer Rouge et le rattachent ainsi aux déserts arabiques qui font effectivement partie de la même diagonale aride allant de la Mauritanie aux déserts de Chine dans laquelle la mer Rouge est la seule discontinuité topographique mais pas climatique. » (Callot, entrée Sahara, E.I.) Occupant pratiquement la totalité du nord de l’Afrique, le Sahara est considéré comme le plus grand désert du monde avec une superficie évaluée entre 8,5 millions et demi à 9,5 millions de kilomètres carrés.

Précisons tout de suite que le mot Sahara, communément admis comme synonyme de désert, terme géographique d’origine arabe, consacré par l’utilisation française, ne veut pas dire désert. Ce dernier se dit en arabe khlâ’ et non çahrâ’, mot qui signifie terre inculte par opposition à celle cultivée. Dans son magistral lisân al`arab, le lexicographe Ibn Mandhûr (1232-1311) donne au mot çahrâ’ le sens d’une vaste étendue, une terre aplanie, sans relief et sans végétation. L’étymologie arabe, quant à elle, renvoie au qualificatif açhar qui signifie fauve. C’est bien la caractéristique chromatique de cet espace géographique, où l’ocre est la règle en l’absence d’une végétation conséquente et pérenne, qui semble être à l’origine de son nom. Cette couleur qui a fini par devenir emblématique est la conséquence d’une combinaison des données physiques et climatiques se caractérisant par la faiblesse des précipitations, une très forte évapotranspiration, un tapis végétal sporadique et clairsemé, enfin, rappelons-le, l’existence de grandes formations dunaires. Occupant une étendue de plus de 80000 km2 de superficie, ces massifs dunaires, avec les sols d’ablation (hamadas et regs), laissent peu de place à de très rares sols alluvionnaires.

Le texte arabe qui aurait pour la première fois usé du terme çahrâ’ (orthographié selon la prononciation arabe) comme nom propre pour désigner une partie du grand désert nord-africain est, selon R. Capot-Rey, l’œuvre de l’Égyptien Ibn `Abd al-Hâkam (803-871), La conquête de l’Afrique du Nord. Des écrivains voyageurs comme al-Bakrî, al-Idrîssi et Ibn Khaldoun, ont bien utilisé le mot çahrâ’, mais sans l’associer à une zone géographique précise ; alors qu’ ibn `Abd al-Hâkam désignait par l’expression ardhaç-çahrâ’ (la terre du Sahara) l’intérieur de la tripolitaine (Capot-Rey, 1953).

Au lieu du mot Sahara, associé à l’idée d’une immensité déserte (en réalité habitée), cet espace peut porter différents noms qui sont autant de qualificatifs : fyâfi, qifâr, khlâ, ou encore falât. Ces termes à priori synonymes décrivent les caractéristiques précises du Sahara. Le mot fyâfi, désigne les terres totalement désertées par l’homme. Ces contrées sont plutôt le fief d’animaux sauvages, s’abreuvant dans les rares affleurements et se nourrissant d’une végétation xérophile que le géographe E. F. Gautier avait qualifié de « plantes héroïques ». Le vocable qifâr, renvoie plutôt à l’idée de l’absence, de la rareté et du vide absolu. Ainsi sont qualifiées les terres inhabitées que le nomade ne traverse jamais sans se munir de réserves d’eau suffisantes. Quant au terme falât, les exemples donnés par le dictionnaire encyclopédique, Lisân al `arab, suggèrent des terres dépourvues de tout repère. Autrement dit, la falât est la terre où l’homme n’a pas réussi à laisser d’empreinte ; et où le danger et la désorientation le guettent continûment.

Le Touat-Gourara-Tidikelt appartient donc au Sahara ; et, à ce titre, se caractérise par les mêmes données biogéographiques. C’est bel et bien un désert dans le sens où l’entendent les climatologues, tant la disproportion est grande entre les précipitations et l’évapotranspiration. Tandis que les premières sont quasi inexistantes, la seconde est intense. La moyenne annuelle pluviométrique est très faible dépassant rarement 15,4 mm par an. Il peut se passer plusieurs mois sans qu’une seule goutte de pluie ne tombe ; comme il arrive que des pluies violentes s’abattent en quelques heures (21 mm en cinq heures en octobre 1950 à Timimoun) provoquant crues et inondations. Les habitants les craignent et les considèrent comme néfastes. Les croyances populaires y voient même les signes manifestes de la malédiction des mânes et des saints. Durant l’année 2009, exceptionnellement, la wilaya d’Adrar a reçu 37,2 mm de pluie dont la quasi-totalité durant les trois premiers mois de l’année, notamment en janvier (17,5 mm). Cela a suffi pour occasionner des dégâts notables et durables. Les années suivantes, la région ne connaîtra que d’insignifiantes pluies sporadiques. On ne comptabilisera durant l’année 2010 que 10,5 mm de pluie (dont 7,1 mm en février). L’année 2011 quant à elle sera pratiquement une année sans pluie si l’on n’excepte les 3,8 mm de précipitations tombées essentiellement en janvier (3,5 mm) (Annuaire statistique de l’Algérie, ONS 2014). Selon les statistiques des relevés météo, consignées dans un rapport de la wilaya, la totalité du volume annuel d’eau des pluies recueillie en 1974 sur un nombre de jours moyen est égal à cinq. Exceptionnelles, les pluies sahariennes sont dues le plus souvent à des orages. Au regard de ces données pluviométriques, il est aisé d’expliquer en grande partie le déficit hydrique de la région, son tissu végétal inexistant et la rudesse de son climat, en un mot son caractère désertique.

Au-delà de la chaîne de l’Atlas saharien (qui enjambe la frontière algéro-marocaine) en quittant le djebel Amour, un plateau rocailleux annonce la texture de la topographie de la région du sud-ouest. Après la structure complexe et surélevée constituée par le djebel Béchar, véritable muraille séparant la steppe du Sahara, commence la hamada. Ce terme désigne un immense plateau de calcaires lacustres ou marins assez compacts et silicifiés, rompus de temps à autre par de singulières manifestations hydrographiques. Comme l’observait Robert Capot-Rey il y a plus d’un demi-siècle : Une de ces manifestations est spécifique à ces espaces : l’oued, au point d’être désignée par un terme difficile à traduire dans une autre langue. R. Capot-Rey laissera cependant une des définitions des plus pertinentes quant à cette singulière manifestation hydrogéologique : « Le Sahara ne possède pas de rivière écoulant l’eau de façon continue de la source à l’embouchure ; il ne connaît que des oueds, un mot arabe qui est passéen français précisément parce qu’il désignait quelque chose d’original : un chenal normalement à sec, sans pente continue et sans limites précises. » (Capot-Rey, 1953).

Les autres manifestations hydrogéologiques du Sahara sont une sorte de résultante entre la capillarité et l’évaporation. L’eau présente en sous-sol arrive par capillarité à la surface et s’évapore aussitôt du fait de la chaleur. Ce qui se traduit par des couches de sel, souvent épaisses, que l’eau a amené à la surface de la terre. Trois vocables vernaculaires, passés dans la langue française, désignent les trois formes connues de ces manifestations : daya, chott et sebkha.

La daya, cette sorte de cuvette d’alluvions, est une doline assez caractéristique du Sahara. Vaguement circulaire, tapissée de limon et de traces de sel comme la sebkha ; elle s’en différencie cependant, parce qu’elle ne constitue pas le débouché terminal d’un flux. La daya reste traversée par un courant souterrain qui vient épisodiquement l’inonder et abreuver le tapis de verdure qui la recouvre quelquefois.

En dehors de ces manifestations, le sol devient totalement stérile et caillouteux. C’est alors le domaine du reg qui commence, ces vastes plaines de graviers, mêlés de limons ou d’argile qui s’étendent à perte de vue. C’est ce paysage qui occupe la majorité du Sahara et justifie en grande partie le qualificatif d’espace désertique qui lui est souvent accolé. La seule végétation susceptible d’être rencontrée est constituée d’une flore adaptée à la rudesse du climat. Un document traduit de l’arabe par l’abbé Bargès donne un inventaire de la variété de ce type de végétation, il y a plus d’un siècle et demi. « L’ouden, le talh (lancium aniplexante), le talh (acacia-grumifera) le themat, le tley (tamaricus orientalis), le retem, la coloquinte et le drinn qui viennent dans les rivières et les lieux humides… dans les endroits couverts de sable et les sebkhas, les plantes les plus connues sont : la zeïta, l’alender, l’azel (éphédra), le retem, le dhouran, le belbal, le tley et le tarfa. Lorsqu’il pleut le sol produit du kolokan (sésame) et du bétym qui enivre » (l’abbé Bargès, 1853). Une partie de cette végétation spontanée et xérophile se rencontre toujours au Sahara. Adaptées à la sécheresse, ces plantes ont souvent une structure ligneuse et dure avec, d’une part, des feuilles très coriaces, épineuses et réduites et d’autre part, des racines prodigieusement longues se ramifiant très loin sous terre à la recherche du précieux liquide. Ce sont de telles caractéristiques qui vont inspirer le lyrisme d’E. F. Gautier quand il qualifie ces végétaux de « plantes héroïques ».

Cependant, parmi les traits géomorphologiques les plus spécifiques de l’espace saharien, c’est sans doute cette immense formation sableuse qui demeure la plus remarquable ; et, dont les dictionnaires géographiques ont fini par adopter le toponyme local : l’Erg. Désormais, sur toutes les cartes de géomorphologie saharienne, notre formation dunaire est signalée par l’expression Erg Occidental, par opposition à l’Erg oriental, une autre formation dunaire se situant plus à l’est. C’est cet Erg occidental (85000 km2) qui sépare le Sahara nord occidental de la partie orientale. Il délimite à l’est la vallée de la Saoura et s’allonge jusqu’au plateau du Tademaït. Son socle est situé à une altitude moyenne de cinq cents mètres. Sa hauteur est d’environ soixante-dix mètres.

Le Sahara nord occidental commence au pied de l’Atlas saharien et c’est ici également que l’Erg occidental prend naissance. Constitué d’une succession de chaînes et de dunes assez régulièrement orientées nord-est sud-ouest, l’Erg occidental possède une morphologie assez différenciée dont les vents ne cessent d’en modifier l’aspect. En raison, précisément, de cette dynamique morphologique impulsée par l’effet éolien, les géographes considèrent les formations dunaires de l’Erg occidental comme des sables vifs.

Le voyageur qui empruntait jadis la principale route menant du piémont de l’Atlas saharien aux oasis du Touat Gourara, longeait nécessairement cette « rue des palmiers » qui tantôt frôle l’Erg à sa base, tantôt s’insinue entre ses dunes. Il avait loisir de contempler cette mer de sable à la morphologie si variée. Des pics (garn-s) succèdent à des mamelons (zamla). Des massifs (damka) s’allongent en pentes raides et s’incurvent légèrement en forme de sabre (d’où l’appellation syûf) ou se suivent parfois en chaînes que les autochtones appellent bras (drâ`). Ces drâ`-s sont séparés par des couloirs à fond rocheux qualifiés en arabe, assez justement, par le mot gâssi (durs). Ce sont ces couloirs ou gâssi-s qui ont constitué les fameuses pistes caravanières. La présence de l’Erg est donc aussi importante pour le chamelier voyageur que pour le ksourien sédentaire. Au loin, l’Erg présente parfois un profil crénelé, « en crête de coq » appelé `arrûj (coq). On peut y rencontrer des cavités circulaires appelées « ghurrâf » alternant avec des dunes imposantes appelées ghrûd-s convergeant et formant des sortes de pyramides à arêtes courbes et ramifiées.

La barrière dunaire, les précipitations et les températures ne suffisent pas à rendre compte du déficit hydrique au Sahara ; il faudrait y ajouter l’action des vents et sa propriété desséchante. La fréquence et l’intensité des vents exaspèrent le déficit hydrique en augmentant le taux d’évapotranspiration (E.T.P). Les vents participent également au développement de la contrainte arénacée en favorisant le déplacement des sables et les formations dunaires aux abords des terroirs ; ensevelissant au passage une végétation bien dérisoire.

Servi par l’ablation des sols, le vent exprime entièrement son action. La nudité des sols caillouteux des hamadas et des regs, accélère l’échauffement du vent qui entraîne une élévation de la température de l’air. Cet air ainsi chauffé tend à gagner les hautes régions de l’atmosphère ; et le vide, ainsi créé, attire de nouvelles couches d’air froid engendrant en conséquence un phénomène de turbulences atmosphériques constantes qui, en modifiant le modelé des dunes, voire en les déplaçant, finissent par élargir leurs bases. Cet élargissement de la base, résultat de l’augmentation du volume de la dune, se produit cependant avec une excessive lenteur en raison de la variabilité du régime des vents. Le phénomène éolien est donc extrêmement déterminant au Sahara en général et dans la région étudiée en particulier. L’action desséchante des vents (assez fréquents) accentue le déficit hydrique dans cette région où l’eau est déjà extrêmement rare.

En 1952, Jean Dubief rend compte de sa tentative d’analyse de ce phénomène en liaison avec le déplacement des sables du Sahara (J. Dubief, 1952). Dans le même numéro spécial, Maurice Lelubre s’était également intéressé au phénomène des vents et des formations dunaires dans le cadre de ses travaux sur le relief saharien (M. Lelubre, 1952). Des ébauches d’hypothèses de travail, assez intéressantes ressortent de ces deux publications. Il est regrettable que, depuis, aucune étude sérieuse, à notre connaissance, n’est venue enrichir ces points de vue sur une question pourtant intimement liée au problème de l’eau, élément vital et clé de voûte de toute entreprise au niveau saharien.