Les perversions de Julie-Ange - Claude Lander - E-Book

Les perversions de Julie-Ange E-Book

Claude Lander

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Beschreibung

Histoire d'un amour torride...

POUR PUBLIC AVERTI. Cher Claude (ou Ulysse ?)
J’ai dévoré ton livre à pleines dents, mais je trouve que tu es gonflé d’avoir utilisé mon vrai prénom !
Heureusement que tu as fort bien brouillé les cartes en mélangeant les lieux, les histoires de nos amis, voisins ou connaissances de sorte qu’il soit impossible d’identifier ma famille ou de remonter jusqu’à moi, avec les conséquences que nous pouvons tous deux imaginer…
J’ai eu peur au début que tu me fasses passer pour une pute malfaisante, mais tu as très joliment su brosser ma soif d’amour et ma personnalité, disons… originale. Je t’en suis reconnaissante.
Nos torrides ébats sont décrits avec toute la délicatesse que je te connais. Merci pour ce rappel des meilleurs moments de ma vie.
Je trouve la fin un peu trash ! “Ulysse” est encore vivant que je sache… Suis-je vraiment aussi détraquée et dangereuse que l’affirme le docteur Lutz ?
Je me suis sentie vieille en te lisant, je crois que je t’aime encore un peu…
Je te souhaite tout le succès que notre histoire mérite.
De l’autre bout du monde,
Julie-Ange.
PS : Et si tu écrivais la vie de Dolores ?


Lettre reçue avant la sortie officielle du livre, avec le tampon de la poste des Pâquis, à deux pas de l’appartement de Thérique…

Découvrez la première partie du triptyque érotique Julie-Ange - Céleste - Dolores !

EXTRAIT

Elle est presque en haut des marches lorsqu’elle sent une main effleurer la perfection du galbe de sa fesse gauche. Elle se retourne et dans le même mouvement décoche une formidable gifle au petit plaisantin qui joue dangereusement avec sa santé. L’écho de la claque est à peine évanoui qu’elle reconnait l’inconscient téméraire : Professeur Charles Galland.
Furieuse, elle lui assène un violent coup de paume de la main, au centre du torse, un truc qu’elle a appris au karaté, qui coupe le souffle.
Déséquilibré, Galland n’arrive pas à se rattraper à la rampe et dégringole l’escalier à grand fracas, ridicule.
Il ne se relève pas tout de suite. Il ne se relève pas du tout, d’ailleurs. Sa tête fait un drôle d’angle avec son corps…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Les premières amours de Claude Lander vont à la musique. Compositeur, arrangeur, ingénieur du son, il découvre le cinéma en visitant divers festivals de film pour la promotion de ses musiques et de son studio d’enregistrement. Cela devient très vite une passion et déclenche une furieuse envie d’écrire des scénarios. Après l’écriture et la réalisation de quatre courts-métrages, l’envie d’un long le titille. Il ne lui faut que quelques scènes pour se rendre compte que c’est un métier particulier et qu’il se sent un peu à l’étroit dans les règles d’écriture pour le cinéma. Il décide donc de coucher ses idées sous forme de roman tout en gardant un style imagé en vue d’une adaptation future. Renonçant à imposer à ses lecteurs un pavé de huit cents pages, l’histoire s’entremêlera dans une trilogie où chaque héroïne aura son propre volume : Julie-Ange, Céleste, Dolores.

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Claude LANDER

Du triptyque

Julie-Ange – Céleste – Dolores :

Les perversions

de

Julie-Ange

 

ROMAN

à ne pas mettre entre toutes les mains (et yeux) !

 

Remerciements

Merci :

À mon frère Thierry pour sa précieuse et inconditionnelle collaboration.

À cette magie qui, pour chaque ligne, nourrit mon imagination.

À ma famille pour sa patience et son soutien dans la légendaire solitude de l’écrivain.

À Oriane Lander pour avoir prêté sa beauté à ma couverture.

À Simona Smiljkovic pour l’avoir sublimée par son maquillage.

À Anne Gerzat pour l’avoir photographiée avec tant de sensibilité et de talent.

À mes éditrices qui croient en moi et pour leur évident bon goût. Je leur souhaite de faire fortune avec ce roman !

À Emilienne Hutin Zumbach pour ce vin d’exception qu’elle a créé exclusivement pour accompagner mon roman : la Cuvée Julie-Ange. (Domaine Les Hutins, Dardagny – Genève).

À tous ceux qui m’ont aidé par leur soutien, leurs encouragements, leurs critiques ou leurs conseils.

Avant-propos

Certains passages de ce livre pourraient choquer les gens qui sont en général choqués par les passages choquants ou ceux qui auraient tendance à tendancer sur les passages tendancieux.

Tout est vrai, à part les noms et quelques fioritures inventées pour agrémenter le récit. Donc, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est aucunement le fruit blet du hasard.

Ayant fait fi des demandes d’autorisations, les personnes se sentant attaquées, humiliées ou diffamées sont priées de s’adresser directement à la famille de Blanc-Seing après avoir lu le dernier tome du Triptyque.

 

Le coup du (chaud) lapin

Elle est presque en haut des marches lorsqu’elle sent une main effleurer la perfection du galbe de sa fesse gauche. Elle se retourne et dans le même mouvement décoche une formidable gifle au petit plaisantin qui joue dangereusement avec sa santé. L’écho de la claque est à peine évanoui qu’elle reconnait l’inconscient téméraire : Professeur Charles Galland.

Furieuse, elle lui assène un violent coup de paume de la main, au centre du torse, un truc qu’elle a appris au karaté, qui coupe le souffle.

Déséquilibré, Galland n’arrive pas à se rattraper à la rampe et dégringole l’escalier à grand fracas, ridicule.

Il ne se relève pas tout de suite. Il ne se relève pas du tout, d’ailleurs. Sa tête fait un drôle d’angle avec son corps…

1. Le Château

Rien à gauche sur un kilomètre. Idem à droite. Grand moment de solitude devant cet énorme portail à attendre que l’interphone sorte de son hibernation. Un léger doute me prend ; je suis quelqu’un de très consciencieux dans mon travail, concentré en permanence sur une foule de choses. C’est la plupart du temps mon agenda qui en pâtit. Il n’est pas rare que je me trompe d’heure, de jour ou même de semaine.

J’allais reposer mon doigt sur le bouton doré lorsque la camera de sécurité s’incline mécaniquement, suivie d’un crachouillis et d’une voix sèche.

– C’est pourquoi ?

– Docteur Thérique, j’ai rendez-vous.

Pour toute réponse, l’immense portail en fer forgé s’ouvre lentement sans bruit sur une avenue dont je ne vois pas la fin. Je m’engage à vitesse réduite, le scooter n’étant pas très stable sur le gravier.

Tous les dix mètres, des statues style Grèce antique en plus étrange se font face, toutes plus bizarres les unes que les autres. Animaux mythologiques, démons menaçants, créatures étroitement entrelacées dans des positions suggestives, troubles, sensuelles. Les propriétaires ont soigné la mise en scène. L’électricité de l’orage imminent parfait le malaise qui me gagne. Cinq minutes que je roule sans entrevoir la moindre maison ! Cinq minutes à trente à l’heure ça fait dans les deux kilomètres et des gravillons… L’avenue, jusque-là rectiligne, commence à zigzaguer jusqu’à déboucher sur une immense place, avec en son centre une fontaine digne de Versailles fichée d’une statue de Poséidon brandissant son trident1.

À l’autre bout de la place, une « modeste » demeure genre petit Trianon, se dresse sur trois étages et une cinquantaine de mètres de large.

À droite, un long bâtiment qui pourrait bien être des écuries ou quelque chose dans le genre, parait abandonné.

Une magnifique Lamborghini Diablo bleu turquoise, la porte côté conducteur ouverte comme une aile d’un morpho, semble attendre quelqu’un au pied de l’escalier monumental qui conduit à l’entrée principale du château.

Une femme apparait, très belle. Elle descend l’escalier, l’aile du papillon claque rageusement avec un son mat. Puis, l’air agacé elle remonte et reste là à m’attendre.

Timide de nature, ainsi que râleur, insomniaque, vaniteux, alcoolique et hyperactif pour ne citer que mes défauts mineurs, j’ai pallié cette première tare par une analyse intuitive instantanée des personnes et des événements afin d’éviter les situations d’inconfort. Je me plante tout le temps, mais ça me rassure. Pour cette femme hautaine, sans doute la maitresse des lieux, je suis quantité négligeable. En deux profondes inspirations, j’élimine mes complexes plébéiens et gare bien sagement mon minable escargot à côté du bolide clinquant. Avant même de me saluer, d’ailleurs elle ne me saluera pas, elle grogne :

– Cette gamine ! Même fermer une porte c’est trop fatigant.

Je suis invité à la suivre d’un simple geste de la main, elle effleure la poignée de l’imposante porte automatique. Je reste scotché.

2. Premier contact

L’intérieur est l’opposé de la sage et vénérable façade. Les pierres de taille on fait place à l’acier poli, au verre et aux bois précieux. Dans ce hall immense à l’agencement ultramoderne se côtoient œuvres contemporaines et toiles de maîtres dans un patchwork saisissant. La femme se retourne et d’un petit air mi-amusé mi-condescendant me dit :

– Surprenant non ?

Elle pousse une porte noyée dans le décor et s’efface pour me laisser entrer.

Ce qui doit être le séjour est encore plus fou que l’entrée. La pièce n’est pas grande, elle est gigantesque. Le plafond a été supprimé. Seule une mezzanine de trois mètres entourant ce salon à mi-hauteur subsiste. Au fond, un pan entier de la maison, côté jardin, a été sacrifié au profit d’une époustouflante baie vitrée, laissant deviner dans la nuit tombante un parc immense. L’impression d’espace est écrasante. Je me sens petit, tout petit. Souvenirs du gamin que j’étais, tenant la main de mon père lors de nos visites à la cathédrale Saint Pierre, le luxe en prime. Pour accentuer ce sentiment de volume, la pièce est meublée sobrement, chaque élément a été choisi avec soin. J’aimerais rencontrer leur décorateur et plus encore, avoir ses honoraires. Deux grosses bûches se consument dans une cheminée suspendue. Aérienne, irréelle. Un homme dans la cinquantaine se lève du canapé de cuir blanc et se dirige vers moi en souriant, la main tendue.

– Content de vous rencontrer Docteur Thérique. Jean-Edmée de Blanc-Seing. On m’a beaucoup parlé de vous.

Puis se tournant vers la femme :

– Charlotte-Audrey, ma femme.

– Vous prendrez bien quelque chose ? Un café, un whisky… ?

Je me dis qu’un café n’est pas une bonne idée, je suis déjà assez nerveux comme ça, et j’opte pour un verre d’eau minérale. Lui se sert un grand verre d’un whisky dont je n’ai jamais vu le nom (je suis pourtant un amateur averti) alors que sa femme sortant de je ne sais où m’apporte mon verre d’eau. Elle se sert également un whisky bien tassé. Aussi bien l’un que l’autre n’a la suffisance à laquelle je m’attendais, au contraire, ils ne semblent pas très à l’aise en ma présence.

Encouragé d’un signe de sa femme, il commence :

– Merci d’avoir répondu à ma requête malgré le flou artistique de mes explications. Nous avons un problème, vous vous en doutez bien. Ce que nous attendons de vous nécessite une totale discrétion. J’occupe une fonction publique et je ne peux pas ou plus me permettre de scandale. Nous avons besoin de savoir que rien de ce qui se passe dans cette maison ne filtrera à l’extérieur. Je n’aime ni n’ai l’habitude de faire des menaces, mais si cela s’avérait nécessaire, je n’hésiterais pas à détruire votre carrière. Vous êtes bien évidemment libre d’accepter ou non.

Un défaut à rajouter à ma liste : La curiosité.

D’une voix hésitante, sa femme reprend :

– Pour faire court, la seule ombre à notre vie provient de notre fille. Elle a fait de grosses bêtises. Son comportement dépendant moins de la délinquance que de la psychiatrie, nous avons obtenu du juge qu’elle soit assignée à demeure en lieu et place de la prison ou d’un internement clinique. Deux conditions sont tombées dans le jugement : le port d’un bracelet électronique de surveillance et le suivi d’un psychologue et d’un psychiatre. Vous êtes les deux n’est-ce pas ?

Nous y voilà. Deux pour le prix d’un. Ils n’ont pourtant pas l’air d’avoir de problèmes financiers…

– Nous ne vous cacherons pas, reprend le père, que vous n’êtes pas le premier spécialiste contacté. Plusieurs de vos confrères se sont déjà penchés sur le cas de Julie-Ange. Tous s’y sont cassé les dents !

Nous nous sommes renseignés sur vous et vos méthodes et, pour être franc, c’est un peu en désespoir de cause que nous faisons appel à vous.

C’est beau d’être apprécié à sa juste valeur !

Il continue :

– Comme je vous l’ai déjà dit, vos prédécesseurs ne sont arrivés à rien, l’état de notre fille a même empiré et elle est toujours aussi malheureuse et… dangereuse.

Je sens le piège à plein nez. Ces mots sonnent comme « agression de petites vieilles » pour un loubard. Le Graal.

Malheureuse et dangereuse.

Mon impression de gêne ressentie à leur égard n’est ni de l’arrogance ni de la suffisance, mais un grand désarroi. Voir son enfant malheureux, constater que l’être le plus précieux s’échappe dans un monde noir, privé d’espoir, est une torture. J’avais en face de moi un couple démuni face aux comportements irrationnels de leur fille. Le fonds de commerce des psys n’est pas près de se tarir !

Je les rassure quant au secret professionnel, et l’importance que je lui prête. C’est de la déontologie de base.

« Malheureuse, dangereuse… » hum… ma curiosité est sérieusement piquée, le challenge me chatouille agréablement,

Tout ce qu’il faut pour motiver un psy !

Un éclair aveuglant suivi d’un formidable coup de tonnerre fait trembler la demeure. Ça n’a pas dû tomber loin. Il pourrait bien y avoir des traces de foudre sur le toit. Une pluie drue frappe la baie vitrée à l’horizontale. Dans un coin de mon cerveau, l’image de mon retour en scooter sous-marin prend place.

– C’est assez compliqué, reprend Charlotte-Audrey. Adorable la plupart du temps, elle peut virer sans préavis dans une violence extrême. Quand je dis extrême, c’est un euphémisme ! Vos collègues ont parlé de bipolarité. Julie-Ange serait bipolaire ou maniaco-dépressive.

Silence.

Je connais ma réponse, mais je ne veux pas donner l’impression d’accepter trop facilement. Ma crédibilité en dépend. Ma rémunération également.

– Sur le principe, j’aimerais vous aider, avançais-je. Vous m’avez demandé une parfaite discrétion. De mon côté, l’assurance d’une bonne collaboration de votre part est indispensable. Une thérapie touche indéniablement l’entourage du sujet. Sa sphère privée au sens large. Vous faites partie de ses comportements, de ses réactions, inconsciemment ou pas. Je n’y mets aucun jugement de valeur. C’est un fait. Vous devez être prêts à vous remettre en question si besoin est. Ceci étant dit, j’accepterais maintenant avec plaisir un verre de votre intrigant whisky.

L’alcool aidant, la discussion prenant le tour qu’ils espéraient, je les sens plus détendus.

La femme demande :

– Avez-vous déjà mangé ?

Sans attendre ma réponse, elle me propose de rester dîner.

Je suis trop pressé d’en savoir plus et j’accepte avec reconnaissance vu le temps qui ne s’arrange pas…

– Racontez-nous vos méthodes si vous le voulez bien Docteur Thérique. J’ai cru comprendre que vos thérapies dixverges2 parfois des modèles conventionnels.

3. Léo

Comment leur expliquer le petit être recroquevillé dans un coin de la cellule capitonnée.

À dix-sept ans, Léonore doit faire trente kilos toute mouillée. Toutes les données de son parcours ne sont pas annotées dans le rapport succinct que j’étudie. En filigrane se retrouvent les abus d’un oncle à six ans, des parents aimants mais peu présents, un physique ingrat. Les chainons d’une jeune existence banale somme toute.

Pourquoi une première tentative de suicide à huit ans ? Les causes ne manquent pas. Puis vient la succession d’actes violents, la délinquance, un soupçon de drogue, les automutilations. C’est après avoir agressé au compas un collégien de sa classe qu’elle se retrouve en isolement sensoriel. C’était ça ou la tôle. Le gamin y a perdu un œil et plusieurs points de suture vont le défigurer à vie.

Je rentre dans sa cellule à pied nu, vêtu d’un training informe. Pas d’objet coupant. Rien ne pouvant servir d’arme. Les gardiens sont intransigeants.

– Elle est vraiment imprévisible me préviennent-ils.

Comment cette pauvre chose pourrait représenter un danger. La pharmacopée des hôpitaux est dix fois plus abrutissante que les drogues illicites et ils ont forcé la dose.

J’aurais pourtant dû me méfier.

On l’avait avertie de la venue d’un nouveau psychothérapeute et lorsqu’ils ont ouvert, elle s’est jetée sur moi en me frappant hystériquement de toutes ses forces. Avec son poids plume et l’abrutissement des médicaments, c’était supportable. Je l’ai laissé faire jusqu’à ce qu’elle se fatigue puis on s’est assis chacun dans un coin de la pièce.

On est restés comme ça plusieurs heures sans parler, observés par les caméras de surveillance.

M’adressant aux parents :

– Vous savez, celles avec la petite LED rouge pour qu’on n’oublie pas qu’on est épié en permanence. Bonjour l’intimité !

Je comprendrai seulement plus tard le regard furtif et gêné qu’ils se sont envoyé.

Je lui ai demandé :

– Ça va mieux ?

– Tu veux quoi ? marmonne-t-elle.

– Moi, rien, mais toi, tu voudrais peut-être sortir d’ici ?

Ma voix n’a pas de profondeur, absorbée par le matelassage des parois. Je commence à me sentir mal. J’ai des hallucinations. Envie de vomir. Ça sent la mort. J’ai chaud.

– On en reparle demain.

Je ressors KO. Sonné comme un boxeur. Fiasco total, Léonore n’a pas eu un frémissement. J’ai remarqué juste une petite lueur dans ses yeux quand j’ai parlé de la sortir mais je sais qu’à sa place, je ferais l’impossible pour ne pas rester dans cet enfer.

– Suppression des antidépresseurs, des anxiolytiques et tout ce qui la lobotomise. Je repasse dans deux jours !

Le gardien note avec un haussement d’épaules et me fait signer le traitement.

– Faites gaffe !

Me dit le cerbère avant de me laisser pénétrer dans la cellule capitonnée. Sur la console de surveillance, un fauve tourne en rond. Le regard est encore vitreux mais il y a quelque chose de sauvage, de sournois, de vicieux dans les mouvements. Son comportement a radicalement changé pendant ces deux jours de sevrage.

Quand je rentre, elle saute d’un bond le plus loin possible de la porte. Un chat maigre, écorché, teigneux.

Je prends ça pour un progrès : je ne me fais pas attaquer ! Je m’assieds et recommence à parler, parler. Parler du dehors. Du trajet pour venir. Des embouteillages. Des cons qui ne savent pas conduire sous la pluie. De la météo pourrie. D’une fille qui riait dans la rue. De la femme que j’aime…

Elle écoute, ou plutôt entend, ailleurs, absente.

– Re… redo… donne-moi mes médocs !

Elle doit s’y reprendre à trois fois pour parler. Sa gorge est sèche. Sa propre voix la surprend.

– Re… redonne-moi mes médocs, j’ai mal. Voix rauque, elle oscille entre agressivité et soumission.

Et là c’est nul, très nul mais je me mets à pleurer. Les larmes coulent, jaillissent sans discontinuer. Je ne me contrôle plus. C’est sa souffrance qui s’insinue dans ma tête. Je sens la migraine s’installer. Enserrer mon crâne.

– T’as des mouchoirs ?

Elle sourit ! Cette boule de nerfs sourit !

– Tu t’crois à l’hôtel ?

Quel idiot je fais. Je renifle, ravalant ma morve. C’est salé. Beurk. Mon règne pour un Kleenex.

Elle m’avouera bien des années plus tard que c’est cet épisode, la tête d’abruti que j’avais eu en demandant de me moucher, qui lui avait donné envie de me faire confiance ! Heureusement que j’avais fait neuf ans d’études pour obtenir mes diplômes… On a fini par s’apprivoiser, à parler de notre enfance, se dire des petits secrets de nos vies, etc. Dans toutes nos histoires je mettais l’accent sur ce qui était positif, sur tout ce qu’il y avait de bon et de beau dans la vie. La noirceur de son univers ne laissait que peu de place à l’optimisme. Visite après visite, à force d’insister, elle a entrevu la possibilité d’être heureuse. Mais il fallait la faire sortir de sa prison. Déjà pour lui éviter la folie et pour qu’elle puisse ressentir concrètement la beauté de la vie.

La direction et les médecins de l’établissement avaient suivi les progrès de ma thérapie et de tels résultats en si peu de temps les dérangeaient un peu. Mais après bien des hésitations et une dizaine de papiers de décharge à signer, ils la laissèrent sortir.

À ce moment-là, je vivais avec une chouette fille qui avait fait les mêmes études que moi et qui avait accepté qu’on héberge Léo quelque temps.

La responsabilité était énorme.

Mais Léo savait que c’était son ultime chance de ne pas finir lobotomisée dans cette clinique. Restait l’instinct morbide, autodestructeur…

Étais-je suffisamment conscient que si elle attentait à ses jours, non seulement ma carrière serait détruite mais que j’aurais toutes les chances d’être accusé d’homicide par imprudence ? J’avais assez confiance en la réussite de ma thérapie mais rien n’est jamais sûr à cent pour cent. Je comptais aussi sur sa reconnaissance de l’avoir sortie de sa « prison ».

Je l’ai donc installée chez nous afin de lui redonner confiance en la vie en passant quand même, malgré mon aversion, par les euphorisants puis les régulateurs d’humeur pour qu’elle ait une chance de voir du positif dans son existence. Savante chimie palliative.

Mais le vrai déclic a été l’amour. Elle rencontra un jeune Martiniquais, véritable réservoir de douceur et d’optimisme. C’est lui qui la sauva vraiment. Il lui fit deux beaux enfants. Deux boules d’amour.

– Sa guérison tenait plus d’une succession de circonstances qu’à mon génie thérapeutique mais j’étais à la base du processus et la communauté psy m’avait porté aux nues pour avoir résolu ce cas jugé désespéré. Je n’allais pas les contredire…

Bon, ça m’a coûté mon amour, mon amie n’a pas tellement apprécié notre complicité et s’est imaginé des choses. La situation a tourné au vinaigre… Sabine m’a quitté, persuadée que j’entretenais des rapports dépassant le cadre docteur-patiente avec Léonore.

Bilan mitigé : une inconnue de sauvée, un amour de perdu.

– Désolé pour votre couple mais c’est une jolie histoire, dit le père, j’espère que vous serez aussi efficace pour notre fille !

J’entends un léger buzz. Ça doit être un signal de la cuisine car la femme nous invite à passer à table.

4. Julie-Ange

– Vous me présenterez votre fille ? Elle mangera avec nous ?

– ça m’étonnerait qu’elle se montre ce soir, dit Madame.

– Pourtant ça fait un bon moment qu’elle joue à cache-cache et qu’elle nous observe depuis la galerie…

Ils lèvent les yeux mais elle a disparu.

Je ne sais pas si sans le whisky j’aurais osé : je demande d’une voix douce mais assez fort pour qu’elle entende :

– Mademoiselle, nous sommes probablement aussi curieux l’un que l’autre de nous connaître, ne voulez-vous pas nous rejoindre ?

Au grand étonnement des parents, elle apparaît au haut de l’escalier.

Au premier regard, je me dis que je suis mal barré.

Une grande jeune fille hirsute, les cheveux plus sales que brun, enroulée dans une couverture, l’air hagard commence à descendre en se laissant tomber d’une marche à l’autre, tenant sa couverture d’une main, cramponnée de l’autre à la rampe. Elle est peut-être jolie mais dans son état, ça ne saute pas aux yeux.

Je me tourne vers les parents et dis à voix basse :

– Mais, elle est complètement shootée !

Ils répondent que c’est le traitement prescrit par le dernier psy et qu’ils n’avaient pas osé l’interrompre avant de me consulter.

Elle est arrivée presque au bas de l’escalier et je me lève pour l’accueillir. Je lui tends la main pour la saluer mais tenant à peine debout, lorsqu’elle lâche la rampe, elle me tombe dans les bras. Je l’aide à marcher vers le sofa où sont installés ses parents. Elle s’affale entre les deux.

– Vous allez aussi me baiser ? murmure-t-elle.

– Pardon ?

Elle répète un peu plus fort sous le regard affolé de ses parents :

– Vous allez aussi me baiser ?

Complètement décontenancé, je balbutie

– Je ne pense pas. Ce… n’est pas ma priorité.

– Bon, dit-elle, puis elle s’endort.

– Dis-lui, toi, murmure la mère, les yeux baissés, à son mari.

Gêné, Jean-Edmée me raconte qu’ils avaient eu quelques problèmes avec mon prédécesseur.

– Il avait commencé par abrutir Julie-Ange de médicaments, « un traitement de choc » avait-il dit. On s’est rendu compte au bout d’un certain temps qu’il abusait d’elle à chaque visite. Notre fille ne se rappelait de rien et ne se plaignait pas.

L’interrompant, la fille sort de son demi-coma et balbutie :

– J’crois q’j’ai joui une ou deux fois… puis se rendort.

– Vous devez en avoir entendu parler, ce fait divers a défrayé la chronique la semaine passée.

– C’était vous ! m’écriais-je, nous étions à l’Uni ensemble avec François. François Helderth. Il sautait sur tout ce qui bougeait, on disait même qu’il avait bien fait de ne pas choisir vétérinaire, l’intégrité des toutous en aurait souffert… Je ne sais pas comment on a pu lui donner son droit d’exercer. Il avait un réel problème. Sincèrement désolé pour votre fille. Pourrais-je consulter son traitement je vous prie ?

Un second buzz, nous rappelle que le dîner nous attend.

5. Master class du Professeur Rufus Lutz

Nous sommes réunis dans le grand oratoire de l’université. Seule ma copine Sabine manque à l’appel.

Aujourd’hui, master classe du professeur Rufus Lutz, un polonais émigré à Bâle. Il parle parfaitement le français pour un Pollack de Bâle, ré-émigré à Genève depuis deux ans.

Il nous a fait parvenir un mois auparavant un travail à effectuer sur le cas d’un psychopathe, un cas fictif que nous avions à analyser.

Nous étions notés sur le rapport que nous devions lui remettre. Un rapport sérieux, comme si nous étions produits en tant qu’expert par un tribunal.

Le professeur Lutz est d’une intelligence remarquable, d’une justesse dans l’analyse rarement prise en défaut. De fait, personne ne remet en question ses conclusions, ce qui engendre jalousies et frictions avec ses collègues.

Derrière ses airs de modestie, il nous fait bien comprendre qu’il a toujours raison.

– Bonjour !

Commence-t-il de sa voix tonitruante. Il n’utilise jamais le micro.

– Selon les principes manichéens, merci à ceux qui m’ont rendu leur travail à temps. Les insondables abîmes barémique de la géhenne lutzoise attendent les retardataires.

Le ton est donné.

Un écran s’allume avec un titre en caractère gras.

« L’IMPORTANCE DE LA FORME, DU FOND ET CE QU’ILS DÉVOILENT DE VOTRE PERSONNALITÉ »

– Avez-vous seulement pensé à vos futurs patients ? Croyez-vous qu’ils soient apeurés, reconnaissants, admiratifs pour votre savoir de thérapeute ? Savoir tout puissant s’il en est ? Baliverne ! Chaque être humain, du plus humble au plus égotique, capte instantanément l’autre. Décortique, trie, étiquète, dissèque les comportements. Votre gestuelle, votre attitude, votre positionnement. Vieux réflexe de survie profondément ancré dans le cerveau reptilien. Utile en cas de défense mais également pour l’attaque. Pour déchiqueter son ennemi, appuyer là où ça fait mal. Vos écrits, jeunes gens, ne dérogent pas à cette règle. Combien d’indices de votre personnalité laissez-vous dans un rapport qui semble froid, scientifique ? Soyer factuel ! N’interprétez pas ! Vous ne faites pas votre auto psychanalyse ! Vos patients n’ont pas à subir vos propres traumatismes ! J’ai choisi le travail de quatre d’entre vous, non pour leurs qualités ou leur bien-fondé, mais pour la personnalité dévoilée au travers de cette étude de cas.

Légère gêne dans l’auditoire.

– Les inepties amphigouriques ou trop succinctes de Gertrude, Heldert, Bénédicte et Thérique vont nous éclairer, je l’espère, sur la personnalité de leurs auteurs.

Certains sont soulagés, d’autres moins…

– Commençons par le travail de Gertrude qui n’est pas loin d’être mon élève préférée.

« Fayotte, lèche-cul », sont les moindres des petits mots gentils perçus dans le brouhaha qui s’élève de l’assemblée.

– Silence ! Gertrude est l’archétype de l’élève modèle. Ses recherches sont impeccables, elle a fouillé dans l’enfance de X, a trouvé des excuses à son comportement, a développé une théorie plausible sur le caractère fondamental de notre égorgeur, pour finalement dégager une responsabilité limitée des actes commis. Gertrude suppute qu’un traitement adéquat permettra à cet assassin compulsif multirécidiviste de réintégrer la société sans encombre, bref, parfait selon le schéma idoine prôné dans cet établissement.

Gertrude ne se sent plus de joie. Elle se voit déjà trônant au tribunal en experte réputée, dans une magnifique robe noire, dont elle aura fait doubler le col de satin pour faire plus classe, le jury pendu à ses lèvres, buvant ses paroles si parfaites.

Le professeur reprend :

– Parfait Mademoiselle ! Parfait mais sans une once d’imagination ! Un bivalve précambrien ayant parcouru Lacan serait fatalement tombé sur une expertise équivalente.

Et pan, dans les dents. Gertrude laisse tomber son fromage, redescend en vol plané de son estrade perchée et se recroqueville sur son banc au troisième rang.

– Vous êtes en audience. De vous va dépendre l’incarcération à vie ou un suivi psychiatrique d’Hannibal Lecter et vous allez déballer des poncifs aussi éculés ! N’importe quel psychologue de la partie adverse démonterait ces arguments en deux coups de cul hier à Pau3. Il verrait au travers de ce dossier un psychologue procédurier, attaché maladivement à des références dépassées, ayant uniquement cherché dans les cas d’école avérés, sans intuition, traitant superficiellement le sujet en un diagnostic restrictif pour un verdict quelque peu hâtif. Il décélérait un cruel manque d’expérience et profiterait de cette naïveté pour vous discréditer aux yeux d’un jury.

Réalisant que Gertrude était à deux doigts de se hara kiriser, il corrige :

– Ce n’est aucunement personnel. J’ai choisi ce travail pour ce qu’il a de révélateur. Pour les « trahisons » involontaires de son auteur. Il est votre reflet psychologique. Voyez-vous la subtilité de cet art ? Ne faites pas l’ingérence de votre propre besoin de justice dans l’analyse factuelle d’un parfait étranger dont vous ne connaissez que fragmentairement le parcours. Et puis, vous n’êtes qu’en deuxième. N’oubliez pas que vous ne pouvez pas tout savoir ; sinon, comment justifierais-je mon salaire… ?

Gertrude est abattue, les trois autres attendent l’exécution.

– Bénédicte ! Bénédicte, je vais être bref. Êtes-vous sûre d’être à votre place dans cette classe ?

Bénédicte vient de rétrécir de soixante centimètres.

– Je sens en vous un intérêt particulier pour l’essai de la compréhension… comment dire… de l’âme, plus que du psychisme. Votre analyse est pour le moins ésotérique. Non, Thérique je ne vous ai pas encore cité…

Il attend un instant que la classe réagisse à son jeu de mots douteux.

– Le côté abstrait de vos conclusions me fait dire que la parapsychologie ou le paramédical vous irait mieux ; l’hypnose, peut-être ? Avancer que c’est la méditation qui amènera Monsieur X au Bouddhisme, religion non-violente par excellence, me semble un peu optimiste. Quant aux bienfaits des bains de siège au bromure que vous préconisez pour calmer ses pulsions, je n’ai trouvé aucune référence scientifique les justifiant, si ce n’est par une certaine chanteuse israélienne.

Les magnifiques grands yeux de Bénédicte luttent désespérément contre la noyade, submergés par une marée de larmes salées. Elle hait Lutz d’autant plus qu’il a raison. Il lui a suffi de quelques lignes pour la percer à jour et corroborer ce doute qu’elle avait depuis quelques mois sur son choix d’orientation.

Le professeur remet un peu d’ordre dans ses papiers et reprend :

– Heldert !… Cessez donc de citer, que dis-je, de vous cacher derrière les brillantissimes Freud et Jung ! Tout n’est pas sexe dans la vie ! Pour la majorité des humains j’entends. Dans votre cas, par contre, il semble remplir une part prépondérante. À la moitié de votre dissertation, n’importe quelle nonne du Couvent des Oiseaux aurait décelé votre propension frénétique aux joies de la copulation compulsive.

La classe part d’un rire collectif, y compris Heldert dont la réputation n’est plus à faire.

– Votre vie privée ne me regarde pas mais il serait de bon aloi que cela ne transparaisse pas dans les documents portant votre signature ! Un traitement basé sur le défoulement physique et émotionnel, le recadrage de la notion plaisir-souffrance dans un retour sur soi et la castration chimique sont, d’autre part, bien trouvés.

Il attend un instant que le sérieux réintègre les rangs.

– Chers futurs brillants psychologues, il ne vous est pas interdit d’avoir un style, une marque de fabrique mais n’oubliez pas que vous serez sans cesse jugés, contredits ou mis en doute. Vous aurez à défendre vos convictions, vous serez parfois attaqués par des confrères sans état d’âme, ne partageant pas votre point de vue. Dévoiler ainsi votre personnalité ou vos points faibles sera inévitablement utilisé contre vous. Bien plus encore, il y va de votre crédibilité envers vos patients.

La sonnerie de la pause met court à plus de bonnes raisons de nous sentir tout petits.

Je savoure dans le couloir ce quart d’heure de sursis que m’offre le vénéré psychologue qui a découvert que l’attention humaine ne dépasse pas les quarante-cinq minutes.

Re-driiiiiing et nous regagnons nos places.

Je n’en mène pas large.

– Thérique ! Ah Thérique, la révolte vous anime. Il est facile de vous imaginer dans un bouge d’une obscure dictature Sud-américaine, préparant un coup d’État. De vous voir plonger dans un primordial bouillon de culture intellectuel, bousculant les dogmes, renversant les acquis, doutant des concepts qui ont pourtant fait leurs preuves et fomenter une révolution, Expliquez-moi : pourquoi vous échinez-vous à suivre un cursus, à assimiler avec attention les cours, à apprendre procédures et préceptes pour n’en tenir aucun compte dans votre analyse ? Vous avancez vos propres théories, vos propres méthodes, dont personne n’a jamais entendu parler, avec l’assurance d’un vieux maître de kung-fu ! Vous prônez qu’une seule séance par semaine est un non-sens. Que nous devrions quasiment vivre avec nos patients pour être efficaces ! Il me semble avoir insisté sur l’importance bénéfique du temps de latence, de décantation entre les consultations ?

Ça ricane dur dans les gradins occupés par mes soi-disant amis. Me sentant attaqué et sérieusement mis en doute, je me permets d’intervenir :

– Monsieur ! Sauf votre respect, ce « bénéfique temps de latence » l’avez-vous appris au cours de vos études, dans les livres ou c’est du domaine de l’empirique ? Quel patient n’est pas frustré des milliers de choses qu’il aimerait encore déverser sur votre bienveillance lorsque vous prononcez la phrase fatidique : « c’est tout pour aujourd’hui, nous reprendrons la semaine prochaine » ?

Le professeur est visiblement décontenancé, surtout que les étudiants ne se gênent pas de rire sous cape. Qui est ce freluquet qui se permet de lui donner des leçons ?

Il se reprend très vite et s’adressant personnellement à moi, d’un ton moqueur :

– L’avez-vous, cette expérience, Monsieur Thérique ?

– Je m’y emploie ; ça marche très bien avec mes parents.

Mensonge éhonté. Je suis orphelin. Mais ça me permet de ne pas perdre la face et de déclencher un chahut général qui me laisse le temps de respirer. Lutz reprend la parole s’adressant cette fois à tout l’auditoire :

– La copie de Thérique a cependant des fulgurances jouissives. Hormis qu’elle nous dit que ce Monsieur est volontaire, indiscipliné, rebelle et fourmillant d’idées iconoclastes voire répréhensibles d’un point de vue judiciaire, – pour les personnes non informées, je rappelle ici que l’utilisation d’opiacés ou d’amphétamines récréatifs n’est pas encore entrée dans la constitution – elle soulève des questions pertinentes. Je me dois de dire que son travail de pure provocation a cependant énuméré pratiquement toutes les interprétations psychiques de notre ami schizophrène, y compris celle qui s’est avérée. En effet, le cas que je vous ai soumis est une affaire réelle. L’homme qui a commis plusieurs viols et crimes, a existé. D’éminents confrères se sont penchés sur sa personnalité. Il a « bluffé » tout le monde. Après trois ans de thérapies diverses, il a eu une première permission pour bonne conduite avec la bénédiction de ces mêmes confrères. Il s’est empressé d’égorger son accompagnante après l’avoir violée et a disparu dans la nature !

Puis sans transition :

– Vous pouvez passer pour récupérer vos copies avec vos misérables notes. Des questions ?

Je lance :

– Pourquoi appelez-vous les filles par leur prénom et les garçons par leur nom ? Du machisme peut-être ?

– Thérique, ne renversez pas les rôles, j’ai dit que vous étiez quelqu’un d’intéressant, ne me faites pas mentir !

Mais c’est qu’il serait susceptible, le bougre, n’étais-je peut-être pas le seul à penser…

6. Le dîner

Nous nous levons. Un pan de la paroi s’ouvre en coulissant sur la salle à manger.

Je m’attendais à quelque chose d’étonnant, mais là, ça dépasse mon imagination. Une table démesurée est dressée dans une serre renfermant un véritable jardin botanique doublé d’un zoo.

De petits singes se baladent en liberté, des papillons virevoltent, des oiseaux exotiques nous frôlent en nous gratifiant de leurs cris stridents. Il doit y avoir aussi un étang car on entend des coassements et le bruit de l’eau qui coule en cascade tranquille.

Nous nous avançons en soutenant Julie-Ange. La maman nous place.

Je suis seul d’un côté de la table, la famille de Blanc-Seing me faisant face.

J’ai l’impression de passer un examen devant un jury.

Une jeune asiatique d’une beauté renversante, surgit de nulle part, sans un mot, pose délicatement sur la table l’ordonnance que j’avais demandée et disparait tout aussi discrètement.

Je jette un coup d’œil à la feuille alors qu’un jeune homme, également asiatique, tiré à quatre épingles, nous sert une coupe de champagne.

Le « jury » me fixe, impatient, dans l’attente de mon verdict.

Je lance :

– C’est incroyable, il lui a donné du GHB4. Et il le prescrit froidement comme thérapie !

La liste continue : sédatifs, somnifères et pour les psychotropes, antidépresseurs, psychostimulant, etc. ! L’abrutissement puis la stimulation. Du Valium puis de la Ritaline ! Sans, bien sûr, tenir compte des interactions chimiques ou comportementales. Mais surtout, il n’y a aucun apport de Lithium, indispensable aux maniaco-dépressifs, ce dont souffre visiblement Mademoiselle de Blanc-Seing.

– Vous pouvez tout arrêter sans risque. Vous pouvez peut-être continuer les gouttes bleues, c’est normalement pour les épileptiques, mais seulement le soir, ça fait bien dormir et c’est moins mauvais que les somnifères.

Soulagés, ils proposent un toast à la guérison de Julie-Ange. Cette dernière boit sa coupe cul sec et étonnement semble se réveiller d’un coup, sortir de sa léthargie.

Elle me demande :

– C’est quoi votre prénom ?

Aïe ! C’est la question que je redoute chaque fois.

En effet, mes parents, dotés d’un humour débordant, m’avaient appelé « Ulysse ».

Bon, rien de spécial en soi, quoiqu’un peu vieillot. Quand on lit M. Thérique Ulysse, ça va, quand on lit M. Ulysse Thérique, ça va aussi mais quand on le dit à haute voix… il y a de quoi traumatiser un enfant dès la maternelle !

Elle éclate de rire, les parents, eux, n’ont pas capté.

Elle se le répète plusieurs fois en riant :

– Ulysse Thérique, Ulysse Thérique !

Là les parents comprennent.

Au lieu de rire le père avoue :

– Comme je vous comprends ! Je m’appelle Jean-Edmée de Blanc-Seing, j’ai eu droit aussi lors de mes études à toutes les orthographes, plus les « blanc nichon, blanc téton, et autre sein blanc ».

Julie-Ange répète en boucle en se poilant.

– Ulysse Thérique, Ulysse Thérique, Ulysse Thérique psychiatre !

Elle en pleure de rire, n’arrivant plus à s’arrêter. Le fou rire finit par se propager à ses parents et me gagner également. La glace est définitivement rompue. Cet intermède amenuise nos différences sociales, pourtant abyssales. Les deux Asiatiques apparaissent et disparaissent dans un ballet parfaitement rodé, nous servant des plats sublimes dans une présentation raffinée. Julie-Ange, me jette des regards furtifs, touchant à peine sa nourriture. La discussion dévie sur leur magnifique demeure.

– J’imagine que ce bâtiment est classé ? Comment avez-vous fait pour le « customiser » de cette manière ? demandé-je.

– La rénovation ne s’est pas faite sans peine, me répond le maître des lieux. L’argent, comme vous vous en doutez, n’est pas étranger au « deal » passé avec les plus hautes autorités du canton. En contrepartie d’un don substantiel au ministère du patrimoine, j’ai obtenu l’autorisation de modifier à ma convenance cette magnifique propriété sans toutefois toucher à la façade. Mais ils ont numéroté, répertorié, inventorié, dessiné, photographié chaque pierre, chaque moulure. On devenait fou. Aux rendez-vous de chantiers, de nouvelles exigences étaient inventées : expertises, contre-expertises, autorisations, respect de l’environnement, etc. Pas la peine de se moquer des bakchichs nord-africains. C’est exactement la même chose ici, l’hypocrisie en plus. Ils n’en avaient rien à braire du patrimoine, c’est de l’argent qu’ils voulaient. Encore et encore. De guerre lasse, j’ai menacé de tout arrêter. Comme par magie, les tracasseries administratives ont disparu. J’ai même reçu une caisse de vin de l’État de Genève. Un bon moment qu’ils essayaient de se débarrasser de cette encombrante propriété. Propriété léguée à la république, m’a honteusement menti le Maire, mais assujettie à son entretien. Entretien mon cul, c’était une ruine !

Jean-Edmée s’échauffe au souvenir de ces tractations.

7. Monsieur le Maire

Monsieur le maire de Genève s’est déplacé personnellement avec l’architecte officiel et le responsable du patrimoine.

Il est venu une bonne demi-heure en avance de sorte à accueillir dignement son rendez-vous.

Ce n’est pas tous les jours qu’un milliardaire projette de s’installer dans son fief.

Il est déjà tout fou des pieds à la perspective du chiffre avec plein de zéros qu’il va déposer de bon cœur dans les caisses publiques.

Monsieur et Madame de Blanc-Seing avaient jeté leur dévolu sur cette splendide demeure, vestige de la folie des grandeurs d’un homme d’affaires russe, qui avait dû quitter précipitamment la Suisse pour ne pas profiter du service des geôles de l’état en guise de retraite. Chef d’accusation : tout ce qui existe d’illégal répertorié à ce jour !

En même temps que Monsieur le Maire se réjouissait de débarrasser la ville de ce monument classé pour lequel des frais d’entretien indécents étaient prévus, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un petit pincement au cœur. Lorsque le château était tombé dans l’escarcelle de l’état, il avait nourri le doux rêve d’en faire son quartier général, ce qui avait été refusé par le conseil.

Du coup ce domaine était resté à l’abandon avec l’espoir de le vendre à quelque fortuné mégalo, ce qui était en train de se réaliser.

La magnifique Rolls blanche tire son frein à main avec une bonne heure de retard.

Madame de Blanc-Seing en descend, splendide, même avec l’énorme bosse sur le devant qui déforme son manteau, pourtant fait sur mesure pour l’occasion.

Les trois officiels se précipitent.

– Mâdâme, soyez la bienvenue dans votre future nouvelle propriété !

Charlotte-Audrey de Blanc-Seing a l’habitude de la condescendance des politiciens à l’égard de sa fortune. Elle rend le salut poliment, sans plus.

– On se prépare à un heureux événement ? demande le Maire niaisement.

La jeune femme joue le jeu et répond d’un ton enjoué :

– Quel observateur !

En elle-même elle pense :

– Non, non, gros naze, je suis toujours comme ça, mon père était un éléphant !

Son mari daigne enfin sortir de la voiture. C’est un truc à lui de laisser les gens qui l’attendent poireauter un peu pour mieux faire son entrée. Ses premiers mots sont :

– Pas mal… mais bien pourri ! Comment avez-vous pu laisser une telle merveille se dégrader de la sorte ?

Le Maire un peu décontenancé s’approche et après maintes courbettes lui avoue :

– Manque de moyens, divergences politiques…

– Bon, reprend de Blanc-Seing, je n’ai que peu de temps. Je n’irai pas par quatre chemins : ce domaine m’intéresse. Mais pas dans cet état. Ça veut dire quoi pour vous « classé » ? Ça va jusqu’où ?

Le chef du patrimoine lui explique de long en large que s’il l’acquiert, il est tenu de l’entretenir et qu’aucune modification visible n’est autorisée.

Le milliardaire le coupe :

– Vous rigolez ou quoi ? Dans ces conditions, le château va s’écrouler avant que vous ne trouviez acheteur. Parlons sérieusement ! Je ne le prends que si je peux le transformer à ma guise. Je ne veux pas vivre au dix-huitième siècle. Proposez-moi un prix.

Le protecteur de vieilles pierres s’insurge :

– Ce n’est pas une question d’argent ! C’est une question d’étique !

– Et vous l’estimez à combien de millionsss, votre éthique ?

Il avait sciemment prononcé le « s ».

Au mot « millions » au pluriel, le Maire jette un coup d’œil sévère au pauvre chef de département qui compare à toute vitesse ses principes et le désir de conserver sa place.

– Mais bon, ça devrait être possible… il faut que nous en discutions…

Monsieur de Blanc-Seing est un homme d’action. Affable, sympathique de premier abord mais rodé aux tractations difficiles. Cerveau brillant, il a accompli ses études de marketing en un temps record et a repris très jeune la direction de la fabrique de tissus familiale. En quelques années, il en a fait une des plus grosses entreprises de la branche sous le nom « Blanc-Seing », signé au bas de chaque pièce sortant de ses usines. La particule « de » a été achetée par la suite lors du premier milliard. Il a revendu son empire en pleine gloire, alimentant des quelques milliards suivants ses comptes répartis dans divers paradis fiscaux et s’était lancé dans la politique.

La suite logique de la fortune : le pouvoir.

Son caractère est assez complexe. Macho et autoritaire, il répugne à attendre mais il est d’une galanterie exemplaire avec les femmes qu’il respecte, cède à tous leurs caprices et peut montrer des trésors de patience envers les êtres qui lui sont chers. Il peut être sans pitié et écraser un concurrent comme un vulgaire moucheron, mettant deux mille ouvriers au chômage sans sourciller et éprouver une empathie démesurée pour un oisillon tombé du nid. Ce qu’il déteste par-dessus tout, ce sont les petits besogneux qui s’octroient de l’importance, flirtant allègrement avec leur Principe de Peter, surtout s’ils lui mettent des bâtons dans les roues. Là, il peut être féroce et perdre une partie du contrôle de l’éducation qui sied à sa condition ce qui est sans conséquence. Il est pratiquement toujours en position de force.

– Faites-nous visiter !

Les officiels s’empressent. Les deux amoureux passent de pièce en pièce, distraitement et, alors qu’ils traversent l’immense salon, l’homme lâche :

– Je vais exploser toute la façade côté jardin ; je remplace tous ces vieux cailloux par des baies vitrées !

Le gardien de ces mêmes vieux cailloux manque de s’étrangler :

– Vous n’y pensez pas !

Un coup de pied appuyé dans le mollet coupe court aux arguments qu’il s’apprêtait à débiter.

Mielleusement, le Maire demande :

– Je suis sûr que nous allons trouver un terrain d’entente, cher Monsieur. Pouvez-vous nous faire une proposition, nous expliquer vos projets ?

– C’est pas compliqué, répond de Blanc-Seing, qui commence à s’impatienter, vingt millions pour la propriété, plus dix pour que vous nous fichiez la paix !

Le Maire et le conservateur manquent de défaillir, chacun pour des raisons différentes alors que l’architecte, flairant la bonne affaire, réfléchit au moyen de se placer pour les travaux.

Trois jours plus tard, le notaire, qui réalisait la moitié de son chiffre d’affaires annuel, présentait les papiers officiels faisant de la famille de Blanc-Seing les propriétaires d’un terrain de 50 hectares flanqué d’un château versaillesque.

Ils n’étaient cependant pas au bout de leurs peines…

8. Plan d’attaque

– Excusez l’emportement de mon mari, mais nous avons vécu une période assez agaçante pour nous. Le château était abandonné depuis plus de soixante ans, les frais de rénovation auraient été énormes pour un confort moyen. Il était donc plus adéquat de le modifier à notre convenance. Lorsque nous l’avons racheté, connaissant notre fortune, chacun voulait sa part du gâteau. Nous avons été harcelés de petites tracasseries uniquement destinées à nous soutirer de l’argent. On a vite compris que tout le monde se fichait du patrimoine.

Au dessert, une délicieuse île flottante avec un sabayon du meilleur goût, le père aborde le sujet de mes honoraires. Sujet toujours délicat. Je me lance :

– Bon, tout d’abord je vous propose, avant d’entamer la thérapie proprement dite, d’avoir un point de départ. Je pense à une réévaluation de l’état de votre fille par les psychiatres présents à son procès. À partir de cette expertise votre assurance devra être contactée. Je le ferai et leur proposerai mon modus operandi. Vu que je vais passer la plupart de mon temps avec elle, ils vont probablement refuser. Je leur proposerai un tarif conventionnel avec une clause stipulant qu’en cas de réussite dans un temps donné, ils payeront les heures réelles. J’estime à six mois au mieux le temps qu’il nous faudra. Ça dépendra beaucoup de la volonté de chacun.

En ce disant, je regarde Julie-Ange droit dans les yeux. Elle soutient mon regard en hochant imperceptiblement la tête. Je crois même déceler un vague sourire. Elle a les yeux de sa mère.

– J’ai bon espoir de vous redonner votre liberté, Mademoiselle et mon seul but sera de vous sortir de la tête tout ce qui vous empêche d’être heureuse.

Son visage s’éclaire un instant et elle sourit franchement. À mieux y regarder, elle est plutôt jolie, mais les cernes sous les yeux, son air hagard et sa coiffure désordonnée ne jouent pas en sa faveur.

La couverture glisse légèrement dévoilant à moitié un sein ; elle se réajuste d’un geste en rougissant. C’est moi qui devrais être gêné. Je sais très bien qu’elle a remarqué mon coup d’œil sur ce sein affolant, au galbe presque trop généreux pour ce gabarit de sauterelle anorexique.

Elle se promène nue, camée, dans cette maison de rêve. Où ai-je mis les pieds. Reprenant mes esprits, je continue :

– Nous demanderons régulièrement des évaluations et…

Jean-Edmée me coupe abruptement

– Je me fiche des évaluations d’experts, nous sommes assez grands pour savoir si notre fille va bien ou non. L’important est le résultat. Depuis plus de quatre ans Julie-Ange passe d’un thérapeute à un autre sans une once d’amélioration à mes yeux. Guérissez-la et je vous payerai moi-même vos heures. Même si vous faites du plein-temps. Échouez et vous devrez vous débrouiller avec l’assurance, ça ne me regarde pas.

Il veut ma peau cet homme. En tout cas il connait le sens du mot motivation. Riche et probablement recommandé au gratin de la place en cas de réussite, il me faudra chercher un autre job, au Nicaragua pour le moins en cas d’échec. Puis, le père se radoucissant et demandant du regard l’accord de sa femme, me dit :

– Vous m’êtes sympathique, j’ai envie de croire en vous. Nous allons vous avancer vos honoraires. Mais réfléchissez bien, vous devez être sûr de vous pour accepter. Pour nous, l’enjeu est trop important pour que vous preniez une décision à la légère, juste pour essayer ou par intérêt… financier, je veux dire. Prenez votre temps avant de nous donner votre réponse. Je vais vous fournir les rapports des autres psy, et une copie du procès, reprit le père, que vous puissiez avoir toutes les données en vos mains.

– Mais… dis-je étonné, n’est-ce pas confidentiel, sous le sceau secret professionnel ?

– Mais, mon cher Ulysse, vous permettez que je vous appelle Ulysse ?

Sans attendre ma réponse il continue :

– Tout s’achète ! Et vu les résultats, ils n’étaient pas vraiment en position de force !

Je comprends qu’avec lui, il y a intérêt à ce que tout se passe comme il le désire et que, malgré sa gentillesse, il vaut mieux être son ami que son ennemi. Julie-Ange marmonne quelque chose et disparait avec un petit signe de la main. On me propose un pousse-café. J’opte pour un whisky en lui demandant de m’étonner. Tout content que je sois un peu connaisseur il va personnellement choisir quatre bouteilles dans une sorte d’armoire-vitrine qui doit bien en contenir une centaine. Il est un peu contrarié lorsque je lui dis que j’en connais deux et en même temps, je crois qu’à ce moment-là j’ai pris du galon. Les deux autres qu’il me fait goûter sont exceptionnels, et, fier de son succès, il va en chercher d’autres, de sorte que nous sommes vite de fort bonne humeur. Arrive le moment où il me semble que ce serait une bonne idée de prendre congé histoire de ne pas me perdre dans le jardin… L’orage ne s’est pas calmé, Charlotte-Audrey, consciente de notre état me propose de passer la nuit au château. Je refuse pour la forme mais suis incapable de me lever sans aide. Le père me prend par le bras, je ne sais pas lequel soutient l’autre. Nous suivons la mère dans un ascenseur caché derrière un bananier pour monter à l’étage. La porte s’ouvre sur la galerie qui surplombe le living d’où Julie-Ange nous avait observés. Nous prenons à gauche un large couloir dont les fenêtres donnent sur la fontaine devant la maison. Il pleut toujours aussi fort. Elle ouvre la première des six portes en face des fenêtres et me dit :

– Voilà ! Sentez-vous chez vous. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, sonnez, à n’importe quelle heure, c’est le bouton avec la petite lumière. Vous trouverez tout ce qu’il vous faut dans la salle de bains. Passez une bonne nuit.

Elle dénoue avec un sourire amusé nos bras et entraine vers le fond du couloir son mari qui chante à tue-tête « bonne nuit lalala, bonne nuit ».

Dans leur chambre, les parents se déshabillent ; le papa plus difficilement que la maman… il doit s’assoir sur le lit pour avoir une chance d’enlever son pantalon sans s’affaler lamentablement sur l’épaisse moquette.

Charlotte-Audrey demande à son mari, légèrement inquiète :

– Tu crois qu’il va y arriver celui-là ?

Le père marmonne :

– Tout ce que je sais c’est que rien de tout ça ne serait arrivé avec Dolores !

La maman saute de « légèrement inquiète » à « hors d’elle » sans passer par le start :

– Tais-toi ! Ne prononce plus jamais ce nom !

Puis, tout bas :

– D’ailleurs ça n’a jamais existé !

Elle éteint sa lampe de chevet signée Émile Gallé et tourne le dos à son mari qui évite du coup le devoir conjugal dont il aurait été bien incapable.

9. Première nuit

J’entre dans la chambre. En fait c’est plutôt un appartement avec salle de bains, toilettes, living et chambre à coucher, genre suite d’hôtel de luxe. Les deux pièces, entièrement vitrées, donnent sur les jardins. Je suis trop fatigué ou trop saoul pour faire une exploration plus détaillée. Après une toilette sommaire je me déshabille, m’effondre sur la surface moelleuse, entends encore le rire de Jean-Edmée et les premières strophes de « la petite Huguette5 » qui s’éloignent.

On aurait pu dormir à quatre dans ce lit. Je choisis de me mettre côté baie vitrée pour profiter de la vue et être réveillé en douceur par le jour. Ça me fait penser que nous n’avions pas parlé de l’heure du réveil et je m’endors comme une masse.

J’ouvre un œil avec une sensation bizarre. Il fait encore nuit et je ne sais pas combien de temps j’ai dormi. Je me retourne… Julie-Ange est couchée à côté de moi, à l’autre bout du lit profondément endormie !

Là, je panique. Je me demande si toute cette soirée n’est pas une sorte de guet-apens dont le but m’échappe. J’hésite à la secouer et la renvoyer dans sa chambre mais pour finir, la fatigue aidant et des fois que ce serait un quelconque test, je décide de l’ignorer et de continuer ma nuit. Tout ça tourne dans ma tête et je mets une bonne demi-heure à me rendormir sur mon bateau bercé d’une houle nauséeuse. Un forgeron s’acharne sauvagement sur son enclume tout près de ma tête. Je me réveille en sursaut, on frappe discrètement à ma porte depuis un moment j’imagine. La mémoire revient lentement. Un deuxième sursaut. Je regarde paniqué du côté de Julie-Ange, mais elle a disparu. Aurais-je rêvé ? Il me semble que les draps sont froissés.

Je m’assieds dans le lit, histoire de remettre de l’ordre dans mes idées. Je me trouve dans une chambre plus grande que mon appartement. Elle doit se situer au premier étage. J’ai une vue plongeante sur une pelouse ou un golf, agrémenté d’une piscine semi-olympique de catelles bleues. La salle d’eau, séparée par une vitre dépolie est prévue pour une colonie de vacances.

Je laisse vagabonder mon regard dans la pièce quand un détail attire mon attention. Dissimulée dans une moulure du plafond, il me semble reconnaître la brillance d’un objectif de caméra miniaturisée.

Je reste naturel, me lève, nu, et retrouve figure humaine sous le jet de la douche. Je termine avec un petit coup d’eau froide pour me réveiller complètement. Alors que je me coiffe devant le miroir embué, je vois briller, derrière moi, l’objectif d’une autre caméra, cachée dans la ventilation. Si ça se trouve, il y en a partout.

Je sors de ma chambre et me trouve nez à nez avec la belle asiatique qui m’attendait. Sans un mot, elle me fait signe de la suivre. Nous empruntons un ascenseur escamoté par une gigantesque plante verte pour descendre dans le living-room. Voilà comment je me trouvais au 1er étage ! Je n’avais que peu de souvenirs du trajet Talisker-plumard de la veille. La baie vitrée est ouverte sur la terrasse d’où proviennent des effluves de café. Le « petit » déjeuner, ne porte pas bien son nom dans cette famille ! Disposés harmonieusement sur une grande table en teck il y a de tout : jus de fruits frais, lait, thés, café pour les boissons sans oublier champagne et vin rouge. Les conventionnelles viennoiseries côtoient divers petits pains et leur accompagnement : miels, confitures, charcuterie, saumons, et j’en passe…

– Bien dormi, la tête, ça va ? demande le père d’un air entendu.

– Magnifique, répondis-je, merci pour l’hospitalité, il n’aurait pas été raisonnable de conduire. Le taux de sang dans mon alcool ne devait pas être très élevé.

Le père éclate de rire.

– Je n’aurais pas non plus retrouvé mon lit sans Charlotte-Audrey ! Je n’ai pas souvent l’occasion de partager cette petite passion avec un fin connaisseur.