Les poupées russes savent danser le Madison - Laura Campisano - E-Book

Les poupées russes savent danser le Madison E-Book

Laura Campisano

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Beschreibung

Dix ans dans la vie d'une "poupée russe", d'une femme qui en contient plusieurs, en somme. Dix ans entre un choix professionnel radical, et un nouveau chapitre à écrire. Entre 2013 et 2023, l'autrice a occupé dix postes et métiers totalement différents, a suivi son instinct, multiplié les expériences : preuve que rien n'est figé dans la vie, tant qu'on danse sur sa mélodie.

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Seitenzahl: 193

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Sommaire

Dans les épisodes précédents

Chapitre 1 : Apprendre à danser sous la pluie

Chapitre 2 : Un pas en avant, un pas en arrière, c’est un cha-cha

Chapitre 3 : Comme une boule de flipper

Chapitre 4 : You should be dancing

Chapitre 5 : S’offrir le temps d’un détour du côté de l’amour

Chapitre 6 : Youpi, dansons la carioca !

Chapitre 7 : Dancing Queen

Chapitre 8 : I am what I am

Chapitre 9 : You make me feel like dancing

Epilogue

Merci

Playlist du livre

«De mon village à cent à l'heure Où les docteurs greffent les cœurs Où des millions de gens Se connaissent si mal Je t'envoie comme un papillon À une étoile Quelques mots d’amour»

Michel Berger

«Blottie en boule à facettes Verser des larmes à paillettes Sur la piste de danse Toujours secouer la tête Toujours remuer les hanches»

Rose

«Il faut avoir une grande musique en soi, si l’on veut faire danser la vie»

Friedrich Nietzsche

Dans les épisodes précédents…

 

On peut aimer des tas de choses dans la vie, avoir un million d’idées, de rêves ou de projections. Tenez par exemple, les passionnés de voile rêvent sûrement de faire un jour une traversée en catamaran, ou les fans de Tango d’aller faire une virée en Argentine pour se perfectionner.

Il s’avère que moi, ce que j’aime, c’est la vie. Ah ça, on ne peut pas dire que je ne lui rende pas hommage, vivre c’est vraiment ce que je fais de mieux. Et je ne fais pas semblant. Je me cogne, je me perds, je trébuche, je m’écorche les genoux, le cœur, le cerveau, l’âme, mais je vis, de mon mieux. Vous n’avez même pas idée.

Un peu trop diront certains, mais même eux n’en n’ont pas idée. L’histoire que je vais vous raconter dure 10 ans, entre 2013 et 2023. Une décade, qui démarre à un moment bien précis, comme vous vous en doutez déjà.

En 2013, le 15 novembre précisément, j’ai chanté et dansé sur scène, j’ai même réécrit et interprété un sketch de Florence Foresti, seule sur la scène du Théâtre Sébastopol de Lille. Quand je pense que l’ensemble de la salle s’est levé pour m’applaudir, j’ai encore des frissons.

Un mois plus tard, je quittais le barreau, alors non, pas du jour au lendemain, c’était inévitable. Parce que la même année, un 27 mars, j’ai perdu quelqu’un de très très précieux. Quelqu’un qui m’a bousculée, qui m’a obligée à regarder ma vie en face. Qui m’a contrainte à me remettre en question en nous laissant tous en plan, sans pour autant disparaître de nos cœurs. Mais tout ça, vous le savez déjà si vous avez lu «Black cat’s Therapy»1.

Ensuite, il a fallu me relever, me retrousser les manches. Il a fallu remonter sur le ring, accepter de croiser mon reflet dans le miroir sans me mettre à pleurer de déception. Pour ce faire, j’ai été épaulée, et heureusement d’ailleurs, j’ai des sœurs de cœur (dont une fille en forme de fée que vous connaissez déjà, parce qu’on se ressemble beaucoup) je suis entourée de personnes exceptionnelles, et j’ai vécu 16 ans avec un chat magique. Je n’ai jamais prétendu être «normale» en même temps.

Mais je dois dire que parallèlement à tous ceux-là, j’ai pu puiser de la force, de la lumière d’une étoile (une légende vivante à ce qu’il paraît), qui n’a jamais, même de loin et même en silence, cessé de briller sur moi. Un cadeau de la vie, dont je vous parlerai quelquefois dans ces lignes.

Bref, dix ans sont passés. Dix ans bien remplis, je ne sais pas si vous êtes prêts. Ce que je sais c’est qu’il n’y a rien de romancé dans ce livre, et que même si d’aucuns diront (je vous entends déjà) que quand on me lit on entend ma voix, que «le format journal intime très peu pour [eux]», qu’ils se rassurent, c’est fait exprès. Je me rends compte que le temps file à une allure incroyable et je ne pouvais pas louper cet «anniversaire». L’anniversaire de ma décade de poupée russe : avocat, journaliste, vendeuse, écrivain, enseignante, diseuse de bonne aventure, animatrice de radio, rédactrice, correctrice et même chef d’entreprise.

Tout ça entre 2013 et 2023. Parfois, j’ai l’impression d’être Leonardo Di Caprio dans «Attrape-moi si tu peux.» Toutefois, j’ai vérifié, je n’ai toujours pas enfreint de loi et mon casier judiciaire est toujours blanc comme neuf. Et je suis beaucoup plus petite que Léo. Certes, les différences ne s’arrêtent pas là, mais cessez donc de me distraire. J’ai quelque chose à vous raconter.

En dix ans, je n’ai pas perdu de temps pour vivre, je ne regrette rien, même ce qui a été insupportable et douloureux. Parce que ces dix années, bien qu’elles ne m’aient pas permis de m’enrichir financièrement, m’ont enrichie humainement, d’expériences, de rencontres, d’idées, de projets, de nouveaux horizons. Ces dix années m’ont portée. Et c’est parce que des tas de gens se cherchent, s’interrogent, se demandent comment s’en sortir dans ce monde, se demandent quelle trajectoire emprunter, que j’ai décidé d’écrire ce livre. Pas pour m’auto-congratuler, c’est déjà fait. Je me suis offert un rab de 10 ans, complètement dingues, que je n’aurais jamais vécus si j’avais suivi la voie toute tracée que j’avais empruntée par peur de «sortir du cadre». Certains ont jugé ma vie, certains ont critiqué mes choix. Certains ont dit que j’étais instable. Je dirais qu’ils ont mal prononcé «insatiable».

La vie est un sacré cadeau, et comme on en n’a qu’une terrestre, j’ai décidé d’en faire une œuvre d’art, un patchwork, une symphonie. C’est la mienne après tout non?

Et puis, il y a parfois des rencontres, des moments-clés, qui changent le cours d’une vie. Certaines pour le meilleur, d’autres pour l’apprentissage. Je ne compte pas tout vous raconter dans le détail, parce que même un scénariste pour Netflix n’arriverait pas à l’adapter en série. En revanche, je vais quand même vous raconter comment j’ai réussi à danser le Madison pendant 10 ans. Parce que ça, c’est la vraie prouesse. Ne jamais s’arrêter de danser. Jamais.

1 Livre précédent du même auteur

Chapitre 1 Apprendre à danser sous la pluie

 

Quand on s’est quitté vous et moi (sur la pointe de mon stylo mais pas de mon cœur, comme on disait dans les années 90), Bianca avait arrêté de «parler» et moi j’étais à une soirée Jazz at home avec Annie et ses amis. J’avais déjà, dans l’intervalle, quitté la robe d’avocat et vendu des confitures, et il est fort probable qu’à ce moment-là de ma vie, j’aie déjà attaqué la préparation du CAPES de lettres et d’italien, parce que je suis comme ça moi vous savez, je tente des trucs.

Je me souviens parfaitement du premier mois de préparation du CAPES de lettres. Parce que c’est pour ce projet que j’avais initialement quitté ma robe d’avocat : pour devenir prof. J’ai commencé les travaux dirigés de droit pénal en 2011, grâce à mon ami Nico, avec qui j’avais fait mes études. J’ai A-DO-RE enseigner, adoré le rapport avec les étudiants, la transmission, voir les résultats apparaître. Non mais sérieusement en 2011, enseigner, c’était génial. Enfin, je trouvais ça génial, j’aimais beaucoup mes étudiants, ils étaient bosseurs, intéressés, pertinents, motivés.

J’ai poursuivi la manœuvre en 2012, en 2013 j’ai même fini par les secouer après les vacances de Pâques qui ont suivi le départ précipité de mon amie Jeanne. Je leur ai fait un cours type «Cercle des poètes disparus» et leur ai proposé de me rejoindre à la mer. Et pas n’importe où, non…à Malo-les-Bains. Je me souviens y être allée et avoir été émue aux larmes de voir une petite troupe m’attendre devant le casino. A cette époque, en effet, enseigner c’était chouette. On était payé deux fois par an, mais ça valait le coup de se lever à 7h le samedi matin.

J’ai continué à donner des cours après mon dernier procès d’Assises2, que le bâtonnier m’avait autorisée à co-plaider avec mon ami Charles à Saint-Omer. J’étais déjà moins en forme à ce moment-là, mais l’intérêt des étudiants était toujours manifeste alors je me suis accrochée. J’ai poursuivi à la Catho, une université lilloise dont le bâtiment ressemble à Poudlard. C’est à peu près dans ces eaux-là que j’ai fait une rencontre extraordinaire : Caterina. Pétillante palermitaine, elle avait suivi son copain de l’époque en France et préparait aussi le Capes d’italien. On a préparé les épreuves, ensemble. On a dévoré des sandwichs longs comme le bras et ingurgité autant de poésie de Dante que de chapitres des Vicéré. On a pleuré, on a tenté, on a échoué, mais on ne pourrait vraiment rien renier de cette période : on s’est trouvée.

Qu’à cela ne tienne, l’échec ce n’est rien du tout. En 2015, Caterina a repris ses études pour faire un Master et moi j’ai repris le chemin des révisions pour passer le Capes de lettres. Ouais, bon. J’ai tenu un mois. Un mois, enfermée chez moi à réviser, sachant qu’en 2013/2014, j’avais fait une validation des acquis de l’expérience pour obtenir un Master 2, sésame pour présenter le Capes, à l’époque. Et donc, un mémoire.

Donc si on récapitule : en 2013, alors que j’étais encore avocat en exercice, je préparais un mémoire que j’ai présenté l’année suivante pour avoir un Master 2 et me présenter au CAPES, en même temps que je préparais la Revue (et le fameux sketch de Florence Foresti au Sébasto) et que je finissais de préparer mes dernières Assises tout en donnant des TD le samedi matin.

Vous voyez, le surplus, ça ne date pas d’hier.

Fin janvier 2015 : je craque. Je sors de chez moi, j’ai besoin d’air. Et me voilà remontant la rue Sainte Catherine dans le vieux Lille. Et hop l’Univers prend le relais. Je me demande même si ce n’est pas lui qui m’a poussée dehors tiens. Une annonce sur une porte rose, et me voilà propulsée dans un univers So British qui va durer un an et demi. C’est là que je rencontre mes amies Eva et Perrine, là qu’une vie à peu près stable me comble, enfin. Un job de vendeuse qui me fait du bien, des amies qui vivent et travaillent dans le même quartier, donc une vie sociale digne de ce nom, forcément tout va mieux. J’ai le temps, vu mes horaires light (35 heures par semaine, pour moi qui étais habituée à en faire 70, c’est hyper light) alors je me mets à écrire. Je réécris tout le manuscrit de ce qui deviendra Black Cat’s Therapy. Quand notre gérante nous annonce qu’elle compte vendre d’ici mi-2016, la question lancinante revient : et maintenant Campi, tu vas faire quoi? Comme si je ne pouvais pas rester calme plus de 5 minutes. Comme si ma vie ne pouvait pas être paisible plus d’un an.

Comme vous l’imaginez,j’ai rebondi.

Pendant l’année où je suis arrivée chez Poppy Milton – à l’angle de la rue esquermoise et de la rue basse pour les lillois – nous avions rencontré à la boutique deux personnes qui démarchaient des commerçants pour faire des articles dans un nouveau magazine papier «Lemon le mag». En papier glacé, le mag était vraiment qualitatif, et il avait la particularité d’être gratuit. Alors j’ai lancé comme ça, pour rire ou presque «vous ne cherchez pas quelqu’un pour écrire des chroniques? Des billets d’humeur par exemple?»

Elles m’ont ri au nez. Pourtant leur directeur de la publication, lui, m’a rappelée le lendemain. Depuis 2010, et mon voyage au Canada pour retrouver mon amie Lison, j’écris un blog qui s’appelle Y a d’la Joie. Le blog qui plus tard (en 2022) aura sa propre émission de radio. En 2013 (encore !!!) mon premier recueil de textes issus de ce blog est sorti, sous le titre «Confessions d’une accro du stylo», donc je me disais que j’avais une petite, même minime, légitimité pour proposer une chronique.

Et c’est ce que nous avons décidé. J’allais écrire chaque trimestre, un texte dans Lemon le Mag, dans une rubrique «zest Yourself». Alors forcément, quand j’ai appris que la boutique allait fermer, j’ai commencé à rêver que je pourrais peut-être chercher dans les journaux ou magazines. J’ai imprimé des articles du blog et j’ai envoyé des dizaines d’enveloppes à des rédactions de magazines féminins (évidemment sans réponse) j’ai collectionné les Lemon pour avoir des choses à ajouter à mon press book. Et un jour que Lison était revenue en France, nous étions allées boire un verre et j’ai lancé «je me demande si je ne vais pas tenter le concours de journalisme». Pourquoi pas hein Campi, t’es plus à ça près ! Elle a trouvé l’idée plutôt bonne et m’a suggéré d’en parler à son amie Marie, qui elle-même m’a proposé d’aller voir Laurie aux portes ouvertes de la très cotée Ecole supérieure de journalisme de Lille.

Ce que j’ai fait, bien sûr. Le concours était deux mois après. Pour Laurie, c’était jouable. Alors vu que je commençais mes journées à 10h, heure d’ouverture de la boutique, j’ai commencé à me lever à 6h pour réviser les épreuves, avec le soutien de Marie, qui m’a beaucoup épaulée. Il y a aussi des âmes bienveillantes qui m’ont encouragée, soutenue, et qui m’ont convaincue qu’il fallait y aller, comme ma légende vivante, pour ne citer que lui.

Alors j’y suis allée. J’ai révisé, j’ai bûché, j’ai surligné. J’y ai cru surtout. Pour la première fois de ma vie, j’ai décidé que je n’y allais pas pour participer mais pour gagner. Pour réussir. Pourquoi je n’y arriverais pas moi aussi? Pourquoi je devrais toujours partir «défaitiste»? Oui, je peux le faire, elle ferait quoi Madonna à ma place? Elle irait pour gagner. Point. Elle ne ferait pas genre «je suis humble, je ne peux pas réussir, je vais juste faire avec ce que je sais blabla»

Donc j’ai endossé mon plus beau t-shirt et je suis allée conquérir le concours de journalisme… et comme l’Univers aime se moquer de moi (vous allez voir qu’il le fait quand même très souvent) cette conquête s’est faite Amphi C, à l’Université de droit de Lille 2. Là où j’ai été étudiante, où j’ai enseigné, bref, petite piqûre de rappel «n’oublie pas d’où tu viens Campi !»

Pour la première fois de ma vie, j’y suis allée pour gagner et j’ai gagné ! Preuve que cet état d’esprit est le bon : mes notes ! J’ai eu les meilleures notes de ma scolarité à ces écrits ! A 35 ans passés, c’était visiblement là qu’était ma place à ce moment-là de ma vie. Il faut croire que j’avais réussi à viser juste pour une fois. Euphorique, je me suis présentée à l’oral devant le jury quelques jours plus tard. Bon c’était moins évident, on ne va pas se cacher derrière son petit doigt. Les questions avaient surtout pour but de me déstabiliser et de voir «ce que j’avais dans le ventre».

Mais finalement, ça l’a fait. Un matin, à la boutique, j’ai osé ouvrir le mail de l’ESJ. Et j’étais reçue ! Après l’euphorie toutefois, est arrivé le moment où les doutes ont pris le dessus. J’avais fait le plus dur, réussir le concours. Il fallait à présent s’inscrire à l’école et en régler les frais mais j’ai eu peur. J’ai eu peur parce que je me connais, j’avais déjà arrêté une carrière au bout de six ans. J’ai surtout eu peur car les frais de scolarité étaient importants, et si mon père m’avait aidée à payer l’acompte, je ne comptais pas lui faire régler le tout pour finalement me rendre compte quelques années plus tard que j’avais envie de changer de voie.

Bref, me connaissant, j’ai préféré jouer la carte de la sécurité. Un bon coup de stress. J’ai écrit à l’école, et j’ai dit que l’acompte pourrait servir à un autre étudiant, que je ne ferais pas la rentrée de septembre. Mais la direction de l’école m’a proposé une autre option, celle de différer mon entrée d’un an, pour me permettre de réfléchir et surtout de réunir les fonds nécessaires, parce que quitte à avoir une vie en dents de scie, autant que j’assume. J’ai accepté cette proposition.

La boutique a fermé ses portes en juillet 2016, et j’ai passé l’été au chevet de mon grand-père, dont je parlerai plus tard parce qu’il a vraiment compté pour moi. A la fin de l’été, il a tiré sa révérence, Ce même jour, je démarrais les premiers entretiens avec les grands témoins d’un livre de commande de Maisons et Cités. Tout était calé depuis des semaines, les gens m’attendaient, je passais tous les jours au salon funéraire mais en même temps je démarrais un projet passionnant, certainement pas dû au hasard.

Le jour où mon grand-père est parti est une date très importante pour moi, à plus d’un titre. Partir ce jourlà, c’est de la part de mon grand-père un geste classe, pour me dire «ne t’inquiète pas, tu n’es pas seule et tu ne le seras jamais. Regarde la date» J’ai entendu, j’ai appliqué. Même si parfois je m’inquiète quand même, on ne se refait pas, je sais que je ne serai jamais seule en effet.

C’est grâce à ma superbe amie Amandine que je suis entrée dans ce projet, avec Emmanuel Goulliart, l’éditeur porteur du «chantier» Maisons et Cités. C’est lui qui m’a choisie comme rédactrice, et au fil du temps nous avons fait un sacré travail ensemble. C’est comme ça que, la petite-fille de mineur que je suis s’est mise à marcher dans les pas de mon grand-père. Le jour de son décès, j’étais à Eleu-dit-Leuwette, près d’Avion dans le Pas-de-Calais. Je démarrais le premier rendez-vous chez un ancien journaliste qui avait suivi et couvert tous les conflits et batailles des mineurs de fond, les fermetures de puits etc. Quand notre entretien s’est terminé, quelqu’un a sonné à la porte.

Un homme encore en pleine forme, d’environ 70 ans, s’est présenté comme s’appelant Louis Benbenek Il était sur ma liste de grands témoins. Je le lui ai dit, et me suis présentée. A peine avais-je prononcé mon nom de famille qu’il a sursauté : «Campisano ! Comme mon camarade !» Mon grand-père et Louis avaient fait équipe à Lewarde pendant quelques années. Une photo en témoigne, même si le règlement des Houillères interdisait, pour des raisons évidentes de sécurité, de descendre quelque appareil que ce soit dans le fond du puits de mine. Francescantonio, ce rebelle.

Il m’a demandé des nouvelles de mon grand-père, et j’ai malheureusement dû lui annoncer qu’il venait de partir. Alors Louis est venu aux obsèques de son «camarade», et ça m’a beaucoup touchée.

La messe d’enterrement de mon grand-père m’a ouvert les yeux sur un truc que je ne maîtrisais pas vraiment. En fait, souvent les messes d’enterrement sont pour ceux qui restent, c’est-à-dire à leur image, pas du tout à l’image de ceux qui nous ont quittés. Les gens qui restent pensent que telle ou telle chanson correspond aux gens qui les quittent mais pour ma part, j’estime qu’on devrait pouvoir décider de la tronche de notre enterrement avant de trépasser.

A titre personnel, quelle que soit ma date de péremption, j’aimerais qu’il y ait «A nos actes manqués» de Jean-Jacques Goldman, Michael Jones et Carole Fredericks, et «Don’t worry baby» aussi, des Beach Boys. J’ai toujours fait marrer tout le monde, et même si ça va paraître bizarre sur le moment, il s’avère que mes moments bas n’ont jamais dépassé mes moments hauts. Donc les gens souriront à travers leurs larmes, voilà c’est écrit.

Je dis ça parce que si la cérémonie avait été décidée par mon grand-père que j’ai toujours connu joyeux, facétieux, drôle, intense par moments, danseur hors pair et joueur d’harmonica amateur, on aurait eu une tarentelle et des chansons qu’il aimait bien. On aurait souri, on aurait chialé ça c’est certain, mais on aurait souri en se disant «jusqu’au bout, il rit». Parce qu’en dehors des cinq derniers jours où la morphine l’avait ramené à son enfance, en vrai, Nonno (c’est comme ça qu’on appelle les grands-parents en Italie) gagnait régulièrement aux cartes et riait encore de petites choses anodines, comme les gens qui ont Alzheimer quoi.

Son histoire n’est pas marrante, mais il ne m’a jamais renvoyé l’image d’un homme grave, dont le passé faisait courber l’échine. Il a quand même été boiseur au fond de la Mine pendant minimum 20 ans, il a quand même perdu sa mère très jeune dans des circonstances terribles, il a quand même quitté sa Calabre natale pour se retrouver comme un bestiau dans un baraquement à même le sol dans le Nord de la France. Alors oui, il avait trop d’orgueil pour retourner en Calabre dire «j’ai tenté ma chance et bon, pas top je reviens du coup». Oui, il avait le sang chaud, et entre les bagarres dans les bals parce qu’il draguait les femmes des autres mineurs et les coups de sang avec ma grand-mère, il n’a sûrement pas été un ange toute sa vie. On est bien d’accord.

Mais enfin quand même, avec moi, et mes cousins et cousines, il a toujours été cet homme drôle, disponible, présent, prêt à faire des conneries et à nous faire rire pour un oui ou pour un non. Un instructeur, quelqu’un qui nous a appris des tas de choses et de valeurs. Quelqu’un qui nous aimait tels qu’on était et qui parfois même, nous admirait pour ce que nous faisions de plus que lui. Oui, il était né sous le signe du Taureau et il incarnait son signe à la perfection. Mais bon sang, qu’est-ce que je l’aime. Qu’est-ce qu’il me manque encore aujourd’hui, qu’est-ce que j’ai besoin de lui parfois, de lui parler et de le laisser me faire rire avec des trucs à la con, de le laisser me battre à plate couture à la briscola et sourire en le regardant lever son verre pour bénir son vin.

Donc en plein milieu de cette navigation à vue qu’est ma vie en 2016, je perds un de mes piliers. Il faut faire avec. Accepter de se relever sans rien dire et de poursuivre comme on peut. Apprendre à danser sous la pluie. Alors je me suis jetée dans le travail, puisque je ne sais faire que ça quand je vais bof. Je me suis mise à fond dans cette enquête au long cours, interrogeant les anciens, mineurs, représentants des Houillères, chefs d’équipe, directeurs… J’ai pris des notes, relu, raturé, j’ai crié toute seule chez moi, pesté quand je devais réécrire pour la dixième fois le même paragraphe.

Mais j’ai ressenti tant de fierté quand j’ai reçu l’exemplaire que m’a envoyé Emmanuel, deux ans plus tard. Quand il a accepté d’en livrer un chez mon père qui l’a découvert pour Noël en 2018. Tant de fierté pour mon grand-père, pour Louis, pour les mineurs qui ont donné leur santé, leur force, leur moral aussi, au fond de ces puits aujourd’hui reconvertis en parcs, plans d’eau, ou en musées, comme à Lewarde ou Lens.