Les Prolégomènes - Ibn Khaldoun - E-Book

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Ibn Khaldoun

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Beschreibung

« Un des ouvrages les plus substantiels et les plus intéressants qu’ait produit l’esprit humain ». G. Marçais
« L’oeuvre d’Ibn Khaldoun marque l’apparition de l’histoire en tant que science » Y. Lacoste
« (Ibn Khaldoun) est le seul grand philosophe de l'histoire et du pouvoir qui ne soit pas européen » G. Martinez-Gros
« Ibn Khaldoun a été le plus grand philosophe et historien que l'islam ait jamais produit et l'un des plus grands de tous les temps » P. Khuri Hitti

Histoire, philosophie, art militaire, science sociale, démographie, économie, politique,  théologie islamique et bien d’autres sciences encore, sont traitées dans ce texte magistral de l’historien arabe Ibn Khaldoun. Cette préface à son livre sur l’Histoire universelle écrite en 1377 fut considérée dés le début comme une oeuvre à part entière en raison notamment de la richesse de son contenu. En avance sur son temps, ce grand historien est considéré comme l’un des précurseurs de la sociologie cinq siècles avant Auguste Comte et de la démographie actuelle. Il est sans aucun doute l’un des plus grands philosophes du Moyen Âge et son apport aux sciences sociales est inestimable.

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Les Prolégomènes

Première partie

Ibn Khaldoun

Traduction parW. MAC GUCKIN DE SLANE

« Un des ouvrages les plus substantiels et les plus intéressants qu’ait produit l’esprit humain »

G. Marçais

« L’oeuvre d’Ibn Khaldoun marque l’apparition de l’histoire en tant que science »

Y. Lacoste

« (Ibn Khaldoun) est le seul grand philosophe de l'histoire et du pouvoir qui ne soit pas européen »

G. Martinez-Gros

« Ibn Khaldoun a été le plus grand philosophe et historien que l'islam ait jamais produit et l'un des plus grands de tous les temps »

P. Khuri Hitti

Table des matières

I. INTRODUCTION

I. AUTOBIOGRAPHIE D’IBN KHALDOUN.

Notice sur ma famille.

De mes aïeux en Espagne.

De mes aïeux en Ifrîkiya.

De mon éducation.

Je suis nommé écrivain de l’alama par le gouvernement de Tunis ; je passe ensuite dans le Maghreb, où je deviens secrétaire du sultan Abou Eïnan.

J’encours la disgrâce du sultan Abou Eïnan.

Le sultan Abou Salem me nomme secrétaire d’État et directeur de la chancellerie.

De mon voyage en Espagne.

De mon voyage d’Espagne à Bougie, où je deviens hadjeb avec une autorité absolue.

Je passe au service du sultan Abou Hammou, seigneur de Tlemcen.

J’embrasse le parti du sultan Abd el-Azîz, souverain du Maghreb (Maroc).

Je rentre dans le Maghreb el-Acsa.

Je fais un second voyage en Espagne, ensuite je retourne à Tlemcen, d’où je passe chez les Arabes nomades. Je fixe mon séjour parmi les Aoulad Arîf.

Je retourne à Tunis, auprès du sultan Abou ’l-Abbas, et je m’établis dans cette ville.

Je me rends en Orient et je remplis les fonctions de cadi au Caire.

Je pars pour le pèlerinage.

PRÉFACE DE L’AUTEUR

II. INTRODUCTION

Introduction

III. LIVRE PREMIER

Introduction

II. PREMIÈRE SECTION. SUR LA CIVILISATION EN GÉNÉRAL. PLUSIEURS DISCOURS PRÉLIMINAIRES.

PREMIER DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

SECOND DISCOURS PRÉLIMINAIRE, Traitant de la partie habitée de la terre, des principales mers, des grands fleuves et des climats.

SUPPLÉMENT DU SECOND DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Pourquoi le quart septentrional de la terre a-t-il une population plus nombreuse que le quart méridional ?

TROISIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Qui traite des climats soumis à une température moyenne ; de ceux qui s’écartent des limites où cette température domine, et de l’influence exercée par l’atmosphère sur le teint des hommes et sur leur état en général.

QUATRIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Qui traite de l’influence exercée par l’air sur le caractère des hommes.

CINQUIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Qui traite des influences diverses que l’abondance et la disette exercent sur la société humaine, et des impressions qu’elles laissent.

SIXIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Concernant les hommes qui, par une disposition innée ou par l’exercice de pratiques religieuses, ont la faculté d’apercevoir les choses du monde invisible. Ce chapitre commence par des observations sur la nature de la révélation et des songes.

III. SECONDE SECTION. DE LA CIVILISATION CHEZ LES NOMADES ET LES PEUPLES A DEMI SAUVAGES ET CHEZ CEUX QUI SE SONT ORGANISÉS EN TRIBUS. PHÉNOMÈNES QUI S’Y PRÉSENTENT.PRINCIPES GÉNÉRAUX. — ÉCLAIRCISSEMENTS.

La vie nomade et la vie sédentaire sont des états également conformes à la nature.

L’existence de la race arabe dans le monde est un fait parfaitement naturel.

La vie de la campagne a dû précéder celle des villes. Elle a été le berceau de la civilisation. Les villes lui doivent leur origine et leur population.

Les gens de la campagne sont moins corrompus que ceux des villes.

Les gens de la campagne sont plus braves que ceux des villes.

La soumission aux autorités constituées nuit à la bravoure des citadins et leur enlève la pensée de se protéger eux-mêmes.

La faculté de vivre dans le désert n’existe que chez les tribus animées d’un fort esprit de corps.

L’esprit de corps ne se montre que chez les gens qui tiennent ensemble par les liens du sang ou par quelque chose d’analogue.

La pureté de race ne se retrouve que chez les Arabes nomades et les autres peuples à demi sauvages qui habitent les déserts.

Comment les noms patronymiques des tribus perdent leur exactitude.

Le droit de commander ne sort jamais de la tribu ; il reste dans la famille qui s’appuie sur de nombreux partisans .

Chez les peuples animés d’un même esprit de corps, le commandement ne saurait appartenir à un étranger.

Chez les familles qui sont animées d’un fort esprit de corps, la noblesse et l’illustration ont une existence réelle et bien fondée ; chez les autres, elles ne présentent que l’apparence et le semblant de la réalité.

Si les clients et les créatures d’une famille participent à sa noblesse et à sa considération, ils ne doivent pas cet avantage à leur origine, mais à la réputation de leur patron.

La noblesse atteint son point culminant dans quatre générations.

Les tribus à demi sauvages sont plus capables d’effectuer des conquêtes que les autres peuples.

L’esprit de corps aboutit à l’acquisition de la souveraineté.

Une tribu qui se livre aux jouissances du luxe se crée des obstacles qui l’empêchent d’arriver à l’empire.

Une tribu qui a vécu dans l’avilissement et dans la servitude est incapable de fonder un empire.

Une tribu s’avilit qui consent à payer des impôts et des contributions.

Celui qui cherche à se distinguer par de nobles qualités montre qu’il est capable de régner. Sans vertus on ne parvient jamais au pouvoir.

Les peuples les moins civilisés font les conquêtes les plus étendues.

Toutes les fois que l’autorité souveraine échappe des mains d’un peuple, elle passe à un autre peuple de la même race, pourvu que celui-ci ait conservé son esprit de corps.

Le peuple vaincu tâche toujours d’imiter le vainqueur par la tenue, la manière de s’habiller, les opinions et les usages.

Un peuple vaincu et soumis dépérit rapidement.

Les Arabes ne peuvent établir leur domination que dans les pays de plaines.

Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné.

En principe général, les Arabes sont incapables de fonder un empire, à moins qu’ils n’aient reçu d’un prophète ou d’un saint une teinture religieuse plus ou moins forte.

De tous les peuples, les Arabes sont les moins capables de gouverner un empire.

Les peuplades et les tribus (agricoles) qui habitent les campagnes subissent l’autorité des habitants des villes.

IV. TROISIÈME SECTION. SUR LES DYNASTIES, LA ROYAUTÉ, LE KHALIFAT, ET L’ORDRE DES DIGNITÉS DANS LE SULTANAT (GOUVERNEMENT TEMPOREL).

On ne peut établir une domination ni fonder une dynastie sans l’appui du peuple et de l’esprit de corps qui l’anime.

Une dynastie qui parvient à s’établir d’une manière solide cesse de s’appuyer sur le parti qui l’avait portée au pouvoir.

Des personnages appartenant à une famille royale parviennent quelquefois à fonder un empire sans avoir eu l’appui de leur propre parti.

La religion enseignée par un prophète ou par un prédicateur de la vérité est la seule base sur laquelle on puisse fonder un grand et puissant empire.

Une dynastie qui commence sa carrière en s’appuyant sur la religion double la force de l’esprit de corps qui aide à son établissement.

Une entreprise qui a pour but le triomphe d’un principe religieux ne peut réussir si elle n’a pas un fort parti pour la soutenir.

Une dynastie ne peut étendre son autorité que sur un nombre limité de royaumes et de contrées.

La grandeur d’un empire, son étendue et sa durée sont en rapport direct avec le nombre de ceux qui l’ont fondé.

Un empire s’établit difficilement dans un pays occupé par de nombreuses tribus ou peuplades.

Dans un empire, le souverain est naturellement porté à se réserver toute l’autorité ; on s’y abandonne au luxe, à l’indolence et au repos.

Lorsqu’un empire a acquis sa forme naturelle par l’établissement de l’autocratie et par l’introduction du luxe, il tend vers sa décadence.

Les empires, ainsi que les hommes, ont leur vie propre.

Dans les empires, les habitudes de la vie sédentaire remplacent graduellement celles de la vie nomade.

L’aisance du peuple ajoute d’abord à la force de l’empire.

Indication des phases par lesquelles tout empire doit passer, et des changements qu’elles produisent dans les habitudes contractées par le peuple pendant son séjour dans le désert.

La grandeur des monuments laissés par une dynastie est en rapport direct avec la puissance dont cette dynastie avait disposé lors de son établissement.

Redevances des provinces de l’Empire

Le souverain qui s’engage dans une lutte avec sa tribu ou avec les membres de sa famille se fait appuyer par ses affranchis et ses clients.

De la condition des affranchis et des clients sous l’empire.

De ce qui arrive à un empire quand le sultan est tenu en tutelle et n’exerce aucune autorité.

Le ministre qui tient un souverain en tutelle se garde bien de prendre les titre et les attributs de la royauté.

De la royauté, de sa véritable nature et de ses diverses espèces.

Trop de sévérité dans un souverain nuit ordinairement à l’empire.

Sur la dignité de khalife et celle d’imam.

De la diversité d’opinions qui existe au sujet du khalifat, et des qualités qu’un khalife doit posséder.

Des opinions des Chîïtes au sujet de l’imamat.

Comment le khalifat (gouvernement spirituel et temporel) se convertit en royauté (gouvernement temporel).

Sur le serment de foi et hommage (béiâ).

Sur le droit de succession dans l’imamat.

Sur les offices et les charges religieuses qui dépendent du khalifat.

Sur le titre d’émir el-moumenîn.

Sur la signification des noms Babba (Pape) et Batrik (Patriarche), termes employés chez les chrétiens, et sur celui de Cohen, dénomination usitée chez les Juifs.

Partie I

INTRODUCTION

Le texte arabe des Prolégomènes d’Ibn Khaldoun a paru dans les volumes XVI, XVII et XVIII des Notices et extraits, par les soins de M. Quatremère, qui devait ajouter à son édition une traduction complète et un commentaire. La mort regrettable de ce savant ayant interrompu l’exécution du projet qu’il avait entrepris, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres m’a fait l’honneur de me charger de la traduction de cet important ouvrage.

Dans ce travail j’ai suivi le texte tel que M. Quatremère l’avait donné, excepté dans certains cas, où la comparaison des manuscrits m’a fourni des variantes qui me paraissaient préférables aux leçons qu’il avait adoptées. J’indique ces variantes dans les notes mises au bas des pages. Elles sont toujours tirées des manuscrits, lors même que je n’en fais pas expressément la remarque, pendant que les rares conjectures que je me permets sont invariablement indiquées comme telles.

Un ouvrage comme celui d’Ibn Khaldoun, qui touche à toutes les branches des connaissances et de la civilisation des Arabes, entraîne un traducteur presque irrésistiblement à donner une quantité illimitée de notes et d’éclaircissements ; j’ai dû résister à cette tentation pour ne pas allonger outre mesure un ouvrage déjà fort étendu, et je me suis borné aux notes philologiques, historiques et biographiques qui m’ont paru indispensables à l’intelligence du texte. Je me suis efforcé de traduire aussi fidèlement que possible ; mais le style inégal de l’auteur m’a souvent obligé à compléter ses phrases pour les rendre plus intelligibles ; le lecteur trouvera tous les mots que j’ai ajoutés dans ce but enfermés entre des parenthèses. Quand les phrases offraient des termes abstraits dont les équivalents n’existent pas en français, j’ai tâché de rendre exactement l’idée que l’auteur a voulu exprimer, sans m’efforcer d’en donner une traduction littérale. Les phrases et les parties de chapitres qui consistent en additions faites par l’auteur lui-même, vers la fin de sa vie, sur un manuscrit qu’il avait gardé auprès de lui, sont enfermées, dans la traduction, entre des crochets.

Je fais entrer dans cette introduction l’autobiographie d’Ibn Khaldoun, écrit que l’auteur rédigea onze ans avant sa mort. A ce document j’ajoute l’histoire de ses dernières années, tirée des ouvrages de plusieurs historiens arabes qui vécurent dans le siècle d’Ibn Khaldoun ou dans le siècle suivant. Je donne ensuite une liste de ses écrits, l’exposition du plan qu’il suivit dans la rédaction de son histoire universelle, une notice des manuscrits que j’ai eus à ma disposition, quelques observations sur le but des Prolégomènes, sur l’édition imprimée qui a paru à Boulac, et sur la traduction turque de Péri-Zadé et de Djevdet Éfendi.

Je commence par l’autobiographie. La traduction que je donne ici avait été faite d’abord sur un manuscrit peu correct, celui de la bibliothèque de l’université de Leyde, et publiée en 1844 dans le Journal asiatique. Je l’ai revue plus tard sur un manuscrit appartenant à la mosquée hanéfite d’Alger et sur un autre acquis en 1841 par la Bibliothèque impériale (supplément arabe, n° 7425, tome III), mais dont je n’avais pu me servir, parce qu’il était entre les mains de M. Quatremère.

La vie très agitée d’Ibn Khaldoun, le grand nombre de personnages qui figurent dans son récit et la complication des événements politiques auxquels il prit part et dont il raconte tous les détails, empêchent le lecteur de saisir tout d’abord les faits les plus importants de sa carrière si longue et si bien remplie ; aussi, avant de donner la traduction de l’autobiographie, je crois devoir indiquer ici d’une manière succincte les principaux événements de sa vie.

Il naquit à Tunis, l’an 1332, et, à l’âge de vingt ans, il fut nommé secrétaire du sultan hafside Abou Ishac II. Quelques semaines plus tard, il quitta le service de ce prince et se rendit à Fez, capitale des États mérinides. En l’an 1356, il fut attaché au secrétariat. du sultan mérinide Abou Eïnan. Mis en prison, l’année suivante, par ordre de ce souverain, il recouvra la liberté l’an 1359, et fut nommé secrétaire d’État du sultan Abou Salem, qui venait d’occuper le trône laissé vacant par la mort d’Abou Eïnan. Dans cette position, il éprouva des désagréments ; blessé dans son amour-propre, il abandonna la cour, et, en l’an 1362, il passa en Espagne, où Ibn el-Ahmer, roi de Grenade, auquel il avait rendu des services, lui fit l’accueil le plus flatteur. L’année suivante, ce prince l’envoya en ambassade à Séville, auprès de Pierre le Cruel, roi de Castille. Rentré à Grenade, il y fit un court séjour, et, dans un des premiers mois de l’an 1365, il se rendit à Bougie, et devint premier ministre du prince hafside Abou Abd Allah. Environ une année plus tard, un autre prince hafside, le célèbre Abou ’l-Abbas, seigneur de Constantine, s’empara de Bougie, après avoir tué Abou Abd Allah sur le champ de bataille. Ibn Khaldoun quitta la ville et, dans le mois de mars 1368, il fut nommé premier ministre d’Abou Hammou, l’Abd el-Ouadite, souverain de Tlemcen. L’an 1370, il partit de Tlemcen pour remplir une mission auprès du sultan de Grenade ; mais, au moment de s’embarquer, il fut arrêté par l’ordre du sultan mérinide Abd el-Azîz. Dans le mois d’août de la même année, il entra au service du gouvernement mérinide. Quatre années plus tard, il obtint la permission de se retirer en Espagne. Renvoyé de ce pays par ordre du sultan Ibn el-Ahmer, il rentra en Afrique et alla se fixer dans la Calâ d’Ibn Selama, château appelé maintenant Taoughzout, et dont les ruines se voient sur la rive gauche de la haute Mina, à neuf lieues sud-ouest de Tîaret, dans la province d’Oran. Ibn Khaldoun y demeura quatre ans, et ce fut dans cette retraite qu’il composa ses Prolégomènes et fit le brouillon de son Histoire universelle. Voulant alors retoucher son travail et consulter plusieurs ouvrages qu’il ne possédait pas, il se rendit à Tunis, vers la fin de l’an 1378. Desservi par ses ennemis, qui voyaient avec jalousie la faveur que le sultan hafside Abou ’l-Abbas, lui témoignait, il s’embarqua pour Alexandrie au mois d’octobre 1382, et alla se fixer au Caire. Deux années plus tard, il fut nommé grand cadi malékite de cette ville. Le zèle qu’il déploya alors en supprimant des abus et en châtiant les prévarications des gens de loi lui attira beaucoup d’ennemis et entraîna sa destitution. En 1387, il fit le pèlerinage de la Mecque, d’où il revint au Caire, afin de se dévouer uniquement à l’étude et à l’enseignement. Ce fut en l’an 1394 qu’il composa son autobiographie. Il avait alors soixante-deux ans. Nommé encore grand cadi, il fut destitué de nouveau, puis, en l’an 1400, il accompagna le sultan en Syrie et tomba entre les mains de Tamerlan. Remis en liberté, il rentra en Égypte, devint encore grand cadi malékite du Caire, et y mourut le 15 mars 1406, à l’âge de soixante et quatorze ans.

Sa famille, originaire du Yémen, s’établit en Espagne lors de la conquête arabe, et devint très puissante à Séville ; aussi commence-t-il son autobiographie par l’histoire de ses ancêtres. Ensuite il parle de ses études et de ses professeurs ; il consacre même des notices biographiques à plusieurs de ces savants. Ce devoir accompli, il se met à raconter sa carrière politique, et, afin de mettre ses lecteurs au courant des événements dans lesquels il avait joué un rôle, il expose de temps en temps, et d’une manière souvent très détaillée, les divers changements qui eurent lieu en Mauritanie sous les trois dynasties dont il fut contemporain : celle des Hafsides, à Tunis, celle des Abd el-Ouadites, à Tlemcen, et celle des Mérinides, à Fez. Les révoltes, les guerres, les révolutions, les perfidies des Arabes nomades, qui, jouissant d’une entière indépendance, servaient et trahissaient chacun des trois royaumes tour à tour, les intrigues de cour, les rapports du gouvernement de Fez avec celui de Grenade, tous les événements auxquels il avait assisté, lui fournissent à chaque page l’occasion de s’écarter de son sujet afin de mieux l’éclairer. Cela ne lui suffit pas : ne voulant rien perdre des matériaux qu’il avait amassés, il insère dans son récit de longs fragments de poèmes composés, les uns par lui-même, les autres par ses amis ; il nous donne même plusieurs lettres très longues, qu’il avait reçues d’Ibn el-Khatîb, vizir du roi de Grenade, et les réponses qu’il avait adressées à ce ministre, dont il admirait outre mesure le talent comme littérateur et comme écrivain.

Pour ne pas trop allonger cette introduction, j’ai cru devoir supprimer une grande partie de ces hors-d’œuvre : d’abord les notices biographiques des professeurs sous lesquels notre auteur avait étudié ; ensuite la plupart des morceaux poétiques, parce qu’ils n’offrent en général aucun intérêt et que le texte en a été gravement altéré par l’impéritie des copistes. Je supprime aussi la correspondance épistolaire ; ces lettres, écrites en prose cadencée et rimée, ne renferment que des jeux d’esprit littéraires et des compliments outrés ; le tout exprimé dans un style très recherché, très prétentieux, mais qui paraissait aux deux illustres amis la quintessence du bon goût. Quant aux renseignements historiques fournis par l’auteur, j’ai supprimé ceux dont l’importance n’était que secondaire et qui se retrouvent dans l’Histoire des Berbers, à laquelle je renvoie toujours le lecteur, en indiquant le volume et la page de la traduction. Pour les autres, je les ai conservés intégralement, en y ajoutant même quelquefois de nouveaux éclaircissements.

Partie I

AUTOBIOGRAPHIE D’IBN KHALDOUN.

Notice sur ma famille.

La famille Khaldoun est originaire de Séville ; elle se transporta à Tunis vers le milieu du VIIe siècle (de l’hégire), lors de l’émigration qui eut lieu après la prise de Séville par Ibn Adfonch, roi des Galiciens 1. L’auteur de cette notice se nomme AbouZeïd Abd er-Rahman, filsde (Abou Bekr) Mohammed, fils de (Abou Abd Allah) Mohammed, fils de Mohammed, fils d’El-Hacen, fils de Mohammed, filsde Djaber, fils de Mohammed, filsd’Ibrahîm, fils d’Abd er-Rahman, filsde Khaldoun 2. Pour remonter à Khaldoun, je donne ici une série de dix aïeux seulement ; mais je suis très porté à croire qu’il y en avait encore dix dont on a oublié de rapporter les noms. En effet, si Khaldoun, le premier de nos aïeux qui s’établit en Espagne, y entra lors de la conquête de ce pays (par les musulmans), l’espace de temps qui nous sépare de lui serait de sept cents ans, ou d’environ vingt générations, à raison de trois générations par siècle.

Nous tirons notre origine de Hadramaout, tribu arabe du Yémen, et nous nous rattachons à ce peuple dans la personne de Ouaïl Ibn Hodjr, chef arabe qui fut un des Compagnons du Prophète. Abou Mohammed Ibn Hazm dit dans son Djemhera3 : « Ouaïl était fils de Hodjr, fils de Saad, fils de Mesrouc, fils de Ouaïl, fils d’En-Nôman, fils de Rebïah, fils d’El-Hareth, fils de Malek, fils de Chorahbîl, fils d’El-Hareth, fils de Malek, fils de Morra, fils de Homeïdi (var. Hamîri, Himyeri), fils de Rend (var.Zeïd), fils d’El-Hadremi, fils d’Omar (var. Amr), fils d’Abd Allah, filsd’Aouf, fils de Djochem (var. Djorchem), fils d’Abd Chems, fils de Zeïd, fils de Lami (var. Louï), fils de Chemît (var. Chît), fils de Codama (var. Catama), fils d’Aadjeb, fils de Malek, fils de Laï (var. Louï), fils de Cahtan. Il eut un fils nommé Alcama Ibn Ouaïl, et un petit-fils nommé Abd el-Djebbar Ibn Alcama. »

Nous lisons dans l’Istiâb d’Abou Omar Ibn Abd el-Berr 4, sous la lettre ou (ﻭ) : « Ouaïl se rendit auprès du Prophète, et celui-ci, ayant étendu son manteau par terre, le fit asseoir dessus et dit : « Grand Dieu ! répands tes bénédictions sur Ouaïl Ibn Hodjr et sur ses enfants, et sur les enfants de ses enfants, jusqu’au jour de la résurrection. » En le congédiant, il le fit accompagner par Moaouïa Ibn Abi Sofyan, qu’il avait chargé d’enseigner au peuple de Ouaïl le Coran et l’islamisme. Lors de l’avènement de Moaouïa au khalifat, Ouaïl, son ancien compagnon (de voyage), alla lui présenter ses hommages ; mais il ne voulut pas accepter le djaïza5 que ce prince lui offrit. Lors de l’échauffourée de Hodjr Ibn Adi el-Kindi 6, à Koufa, Ouaïl et les autres chefs yéménites qui étaient sous les ordres de Zîad Ibn Abi Sofyan, réunirent leurs forces contre le perturbateur. » On sait que Hodjr tomba entre leurs mains et qu’il fut mis à mort par Moaouïa, auquel ils l’avaient livré.

Parmi les descendants de Ouaïl, dit Ibn Hazm, on compte les Beni Khaldoun de Séville, famille dont l’aïeul Khaled, dit Khaldoun, quitta l’Orient pour l’Espagne. Il était fils d’Othman, fils de Hani, fils d’El-Khattab, fils de Koreïb, fils de Madi-Kerib, fils d’El-Harith, fils de Ouaïl, fils de Hodjr. » Le même auteur dit : Koreïb Ibn Othman et son frère Khaled, petits-fils de Khaldoun, comptaient au nombre des chefs les plus insubordonnés de l’Espagne. Mohammed, dit-il, le frère (d’Othman), laissa des enfants, et un de ses descendants fut Abou ’l-Aci (ﻰﺼﺎﻌﻠﺍ) Amr, fils de Mohammed, fils de Khaled, fils de Mohammed, fils de Khaldoun. Abou ’l-Aci eut trois fils, Mohammed, Ahmed et Abd Allah. Parmi les descendants d’Othman, frère (de Mohammed), on remarque Abou Moslem Omar Ibn Khaldoun, philosophe (hakîm) 7 espagnol et disciple de Maslema el-Madjrîti. Il était (petit-) fils de Mohammed, fils d’Abd Allah, fils de Bekr, fils de Khaled, fils d’Othman 8, fils de Khaldoun. Son cousin paternel, Ahmed, était fils de Mohammed, fils d’Ahmed, fils de Mohammed, fils d’Abd Allah 9. Le dernier de la postérité de Koreïb, chef déjà nommé, fut Abou ’l-Fadl Mohammed, fils de Khalef, fils d’Ahmed, fils d’Abd Allah, fils de Koreïb. »

1Ferdinand III, fils d’Alphonse IX et souverain des royaumes de Léon et de Castille, acheva la conquête de Séville en novembre 1248. A la suite de cet événement, un grand nombre de musulmans espagnols émigrèrent en Afrique.

2En Mauritanie et en Espagne, les grandes familles d’origine arabe se distinguaient par des noms particuliers choisis dans leurs listes généalogiques. On adoptait le nom le moins usité, et par conséquent le plus remarquable. Si la liste des ancêtres se composait de noms d’un emploi général, on y prenait un composé de trois consonnes et on y ajoutait la syllabe oun. Ainsi se formèrent les noms de Hafsoun, Bedroun, Abdoun, Zeïdoun, Khaldoun, Azzoun. Selon M. Dozy (Baiyan, t. II, p. 48), cette terminaison est bien réellement l’augmentatif espagnol qui se trouve dans hombron « gros homme », perron »  gros chien », grandon »  très gros », mugerona »  grande femme », formes augmentatives de hombre, perro, grande, muger.

3Abou Mohammed Ali Ibn Hazm ed-Dhaheri, traditionniste et historien, naquit à Cordoue l’an 384 (994 de J. C.), et mourut près de Niebla en 456 (1064). Son ouvrage, le Djemhera-t-el-ansab, est, comme son titre le donne à entendre, un grand recueil de notices généalogiques.

4Abou Omar Youçof Ibn Abd el-Berr, savant versé dans les traditions et dans l’histoire, était natif de Cordoue : Il mourut l’an 463(1070-1071 de J. C.). Son Istiâb « le compréhensif », est une biographie générale des Compagnons de Mohammed.

5C’est-à-dire, la gratification, l’indemnité de mise en campagne.

6Hodjr Ibn Adi, l’un des Compagnons de Mohammed, se distingua, après la mort de celui-ci, par son dévouement à la famille d’Ali. Se trouvant à Koufa pendant que Zîad Ibn Abi Sofyan était gouverneur de cette ville et de Basra, il trama une révolte contre l’autorité de Moaouïa ; mais, se voyant mal soutenu, il prit la fuite et se cacha chez un ami. Ayant ensuite obtenu un sauf-conduit, il se laissa amener auprès de Moaouïa, qui le fit mettre à mort. Cela eut lieu l’an 53de l’hégire.

7Abou Moslem Omar Ibn Ahmed Ibn Khaldoun, géomètre, astronome et médecin, était natif de Séville. Il mourut dans cette ville l’an 449 (1057de J. C.).

8Le manuscrit de la Bibliothèque impériale répète ici les mots : « fils de Khaled, fils d’Othman ».

9Il est impossible de concilier cette généalogie avec la précédente.

De mes aïeux en Espagne.

Notre ancêtre, étant arrivé en Espagne, s’établit à Carmouna avec une fraction de sa tribu, les Hadramaout. Sa lignée se propagea dans cette ville ; puis elle se transporta à Séville. Cette famille appartenait au djond du Yémen 1. Koreïb et son frère Khaled, descendants de Khaldoun, se firent remarquer dans la révolte qui éclata à Séville sous le règne de l’émir Abd Allah el-Merouani 2. Omeïa Ibn Abi Abda, s’étant emparé du gouvernement de Séville, le garda pendant quelques années, et fut tué par Ibrahîm Ibn Haddjadj, qui s’insurgea contre lui à l’instigation de l’émir Abd Allah el-Merouani. Cela eut lieu dans la dernière moitié du IIIe siècle (de l’hégire). Je vais donner une notice sommaire de cette révolte d’après les renseignements tirés par Ibn Saîd 3 (des écrits) d’El-Hidjari 4, d’Ibn Haiyan et d’autres historiens. Ceux-ci appuient leurs récits sur l’autorité d’Ibn el-Achâth 5, historiographe de Séville.

Pendant les troubles qui agitèrent l’Espagne sous le règne de l’émir Abd Allah, les personnages les plus influents de la ville de Séville aspirèrent à l’indépendance, et se jetèrent dans la révolte. Ce furent trois chefs de grandes familles qui provoquèrent le soulèvement : 1° Omeïa, fils d’Abd el-Ghafer et petit-fils d’Abou Abda, du même qui fut nommé gouverneur de la ville et de la province de Séville par Abd er-Rahman, le premier des Omeïades qui entra en Espagne. Omeïa tenait un haut rang à la cour de Cordoue, et avait gouverné les provinces les plus importantes de l’empire. 2° Koreïb, chef de la famille Khaldoun. Il avait pour lieutenant son frère Khaled. « La famille Khaldoun, dit Ibn Haiyan, est encore aujourd’hui une des plus illustres de Séville. Elle a toujours brillé par le haut rang qu’occupaient ses membres dans les commandements militaires et dans les sciences. » 3° Abd Allah Ibn Haddjadj, chef de la famille des Haddjadj. « Cette maison, dit Ibn Haiyan, fait partie de la tribu de Lakhm, et reste encore à Séville. C’est une souche bien enracinée dont les branches continuent à fleurir. Elle s’est toujours distinguée en produisant des chefs et des savants d’un talent supérieur. » Entre les années 280 (893 de J. C.) et 290, pendant qu’un esprit général d’insubordination agitait l’Espagne, l’émir Abd Allah confia son jeune fils Mohammed aux soins d’Omeïa, fils d’Abd el-Ghafer, qu’il venait de nommer gouverneur de Séville. Arrivé à son poste, Omeïa trama un complot contre son souverain, et poussa secrètement les chefs dont nous avons parlé à se révolter contre son pupille et contre lui-même. S’étant enfermé dans la citadelle avec le jeune prince, il s’y laissa assiéger par les insurgés. Mohammed ayant obtenu d’eux la permission d’aller joindre son père, Omeïa profita de son départ pour s’attribuer le commandement suprême. Il fit alors assassiner Abd Allah Ibn Haddjadj, et le remplaça par Ibrahîm, frère de sa victime. Voulant affermir son autorité et s’assurer l’obéissance des familles Khaldoun et Haddjadj, il retint leurs enfants auprès de lui, et, voyant qu’elles étaient peu disposées à lui obéir, il les ramena à la soumission par la menace de faire mourir ses otages. Pour obtenir la remise de leurs enfants, elles s’engagèrent, par serment, à lui être fidèles ; mais ensuite elles se révoltèrent de nouveau, et attaquèrent Omeïa avec tant d’acharnement, qu’il prit la résolution de mourir les armes à la main. Ayant fait égorger ses femmes, couper les jarrets à ses chevaux et brûler tout ce qu’il possédait de précieux, il s’élança au milieu des assaillants et combattit jusqu’à la mort. Les vainqueurs livrèrent sa tête aux insultes de la populace, et mandèrent à l’émir Abd Allah qu’ils avaient tué leur gouverneur parce qu’il s’était soustrait à l’autorité de son souverain. Sentant la nécessité de les ménager, l’émir agréa cette excuse et leur envoya, en qualité de gouverneur, un de ses parents nommé Hicham Ibn Abd er-Rahman. A l’instigation de Koreïb Ibn Khaldoun, ils emprisonnèrent cet officier et tuèrent son fils. Koreïb s’empara alors du gouvernement de Séville. Ibn Saîd rapporte ce qui suit sur l’autorité d’El-Hidjari : « Après la mort d’Abd Allah Ibn Haddjadj, son frère Ibrahîm voulut s’emparer du pouvoir, et, pour mieux y réussir, il s’allia par un mariage à la famille d’Ibn Hafsoun 6, un des insoumis les plus redoutables de l’Espagne, et qui s’était rendu maître de la ville de Malaga et de toute cette province jusqu’à Ronda. Ayant ensuite abandonné ses nouveaux alliés, il se tourna vers Koreïb Ibn Khaldoun, gagna son amitié et devint son lieutenant dans le gouvernement de Séville. Koreïb opprimait les habitants et leur témoignait un mépris excessif, tandis qu’Ibrahîm les traitait avec douceur et intercédait toujours en leur faveur auprès de son chef. S’étant concilié de cette manière l’affection du peuple à mesure que Koreib la perdait, il fit demander secrètement à l’émir Abd Allah des lettres de nomination au gouvernement de Séville afin de s’assurer, au moyen de cette pièce, toute la confiance de ses administrés. Ayant obtenu ce diplôme, il en donna connaissance aux notables (ﺀﺎﻔﺭﻋ) de la ville, et ceux-ci, lui étant tout dévoués, se déclarèrent contre Koreïb, dont la conduite les avait indignés. Le peuple se souleva, tua Koreïb et envoya sa tête à l’émir Abd Allah. Ibrahîm devint ainsi maître de Séville. » — « Il résidait, dit Ibn Haiyan, tantôt à Séville et tantôt au château de Carmona, une des places les plus fortes de l’Espagne 7. C’est là qu’il tenait sa cavalerie. Il enrôla des troupes, les organisa et, pour cultiver la faveur de l’émir Abd Allah, il lui envoya de l’argent, de riches présents et des secours d’hommes à chaque bruit de guerre. Sa cour fut un centre d’attraction ; ses louanges étaient dans toutes les bouches ; les hommes de naissance qui se rendaient auprès de lui recevaient de riches présents ; les poètes célébraient ses nobles qualités et obtenaient de belles récompenses ; Abou Omar Ibn Abd Rabbou, l’auteur de l’Icd, recherchait son patronage et négligeait pour lui tous les autres chefs qui s’étaient insurgés (contre le gouvernement des Omeïades 8. Reconnaissant le haut mérite de cet auteur, (Ibrahîm) le comblait de dons.

La famille Khaldoun conserva toujours à Séville la haute position dont Ibn Haiyan, Ibn Hazm et d’autres écrivains ont parlé. Sa prospérité dura, sans interruption, tant que régnèrent les Omeïades, et ne disparut qu’à l’époque où l’Espagne se trouva partagée en plusieurs royaumes indépendants. Cette maison, n’ayant plus alors la foule de clients qui faisaient sa puissance, avait perdu le commandement. Lorsque Ibn Abbad eut consolidé son autorité dans Séville, il ouvrit à la famille Khaldoun la carrière du vizirat et des emplois administratifs. Les membres de cette famille assistèrent avec Ibn Abbad et Youçef Ibn Tachefîn à la bataille de Zellaca, et plusieurs d’entre eux y trouvèrent le martyre. Dans cette journée, le roi des Galiciens (Alphonse VI, roi de Léon et de Castille) essuya une défaite entière. Pendant la mêlée, les Khaldoun se tinrent inébranlables auprès d’Ibn Abbad, et se laissèrent tailler en pièces. Ce fut avec l’aide de Dieu seul que les musulmans purent remporter la victoire. A la suite de ces événements et de l’occupation de l’Espagne par Youçef Ibn Tachefîn et ses Almoravides, la domination des Arabes fut renversée, et leurs tribus se désorganisèrent.

1C’est-à-dire, la colonie militaire formée de troupes yéménites. Après la conquête de la Syrie et de l’Irac, les khalifes envoyèrent dans ces pays plusieurs tribus arabes, tant modérites que yéménites, et les y établirent comme colonies militaires (djond). En Syrie, il y avait cinq djonds ; celui de Kinnisrîn, près d’Alep ; celui de Hems (Émesse), celui de Damas, celui d’El-Ordonn (le territoire du Jourdain) et celui de Filistin (Palestine). L’Irac en avait au moins deux : celui de Koufa et celui de Basra. Une grande partie des troupes dont se composaient les armées des khalifes était tirée des djonds. En l’an 51de l’hégire, les deux djonds réunis de Koufa et de Basra fournirent cinquante mille soldats à Rebïâ Ibn Zîad, qui allait s’installer dans le gouvernement du Khoraçan. Les djonds de la Syrie avaient expédié des détachements en Espagne ; celui de Kinnisrîn fut établi à Jaën, celui d’Émesse à Séville, celui de Damas dans la province d’Elvira, celui du Jourdain à Reiya (province de Malaga) et celui de Palestine dans la province de Sidonia. (Voy. aussi l’Hist.des Musulmans d’Espagne de M. Dozy, t. I, p. 268.)

2Le septième souverain de la dynastie omeïade espagnole. On appelait cette branche de la famille les Merouanides, parce qu’Abd er-Rahman, le fondateur de la dynastie, était arrière-petit-fils du khalife Abd el-Melek Ibn Merouan.

3Abou ’l-Hacen Ali Ibn Mouça Ibn Saîd, historien et géographe, naquit à Grenade l’an 610 (1214 de J. C). Il passa plusieurs années en Orient et mourut à Tunis en 685 (1286-1287 de J. C.).

4Les trois manuscrits portent, par erreur, El-Hidjazi. Abou Mohammed Abd Allah el-Hidjari, natif de Guadalaxara, traditionniste, légiste et historien, mourut à Ceuta, l’an 591 (1195 de J. C.).

5Cet historien m’est inconnu.

6M. Dozy a raconté les aventures de cet homme remarquable dans le second volume de son Histoire des musulmans d’Espagne.

7Comme le nom du chef dont Ibn Haiyan parle dans le passage suivant n’y est pas mentionné, j’avais cru, en rédigeant la note 3 de la page 201 du second volume de l’Histoire des Berbers, qu’ils’agissait de Koreïb Ibn Khaldoun. J’ai reconnu depuis que l’historien pensait à Ibrahîm Ibn el-Haddjadj.

8On trouvera la liste nominative de ces chefs dans le Baiyan, t.II et dans le Maccari de M. de Gayangos, vol. II, p. 439 et suiv. Dans le second volume de l’Histoire d’Espagne de M. Dozy, on trouvera des détails très curieux et parfaitement authentiques au sujet de Koreïb Ibn Khaldoun.

De mes aïeux en Ifrîkiya.

Les Almohades, peuple qui eut pour souverains Abd el-Moumen et ses enfants, enlevèrent l’Espagne aux Almoravides et confièrent, à diverses reprises, le gouvernement de Séville et de l’Andalousie occidentale 1 au dignitaire le plus éminent (ﻢﻳﻋﺯ zaîm) de leur empire, le cheïkh Abou Hafs, chef de la tribu des Hintata. Plus tard, ils élevèrent son fils, Abd el-Ouahed, à ce poste ; puis ils nommèrent Abou Zékérïa, fils de celui-ci. A cette époque, nos ancêtres de Séville s’étaient ralliés aux Almohades, et un de nos aïeux maternels, nommé Ibn el-Mohteceb, donna au nouveau régent une jeune captive galicienne. Abou Zékérïa en fit sa concubine et eut d’elle plusieurs enfants : savoir, Abou Yahya Zékérïa, Omar et Abou Bekr. Le premier fut son successeur désigné ; mais il mourut avant son père. Cette femme porta le titre de Omm el-Kholefâ « mère des khalifes 2. » Postérieurement à l’an 620, Abou Zékérïa passa au gouvernement de l’Ifrîkiya ; puis, en l’an 625 (1228 de J. C.), il répudia la souveraineté des descendants d’Abd el-Moumen, se déclara indépendant, et resta maître de ce pays. Vers la même époque, l’empire des Almohades en Espagne se désorganisa, et Ibn Houd se révolta contre eux 3. A la mort de ce prince, toute l’Espagne (musulmane) fut bouleversée, et le roi chrétien l’attaqua avec acharnement, faisant de fréquentes incursions dans la Forontîra 4, formée par la plaine qui s’étend depuis Cordoue et Séville jusqu’à Jaën. Ibn el-Ahmar se mit en révolte à Arjona, forteresse située dans l’Andalousie occidentale 5, espérant s’approprier les derniers restes de l’Espagne (musulmane). S’étant adressé au conseil municipal de Séville 6, corps dont les membres appartenaient aux familles d’El-Badji, d’El-Djedd, d’El-Ouézir Seïyid en-Nas et de Khaldoun, il l’invita à se déclarer contre Ibn Houd, et à laisser la Forontîra au roi chrétien, afin de se borner à la possession des montagnes du littoral et des villes fortes, de cette région, depuis Malaga jusqu’à Grenade et de là jusqu’à Almeria. Comme ces chefs ne virent pas la nécessité d’abandonner leur pays, Ibn el-Ahmer rompit toute relation avec eux et avec leur président Abou Merouan el-Badji. Dès lors il reconnut tantôt la souveraineté d’Ibn Houd, tantôt celle du prince de la famille d’Abd el-Moumen qui régnait à Maroc, et tantôt celle de l’émir Abou Zékérïa, souverain, de l’Ifrîkiya. S’étant établi à Grenade, il en fit la capitale de son royaume, et laissa sans défense la Forontîra et les villes qu’elle renfermait. La famille Khaldoun, s’apercevant alors du danger auquel les entreprises du roi chrétien l’exposeraient par la suite, abandonna Séville, et s’étant. rendue à Ceuta, sur la côte opposée de la Méditerranée, elle s’établit dans cette ville. Le roi chrétien ne tarda pas à se jeter sur les places fortes de la Forontîra, et, dans l’espace de vingt ans, il s’empara de Cordoue, de Séville, de Carmona et de Jaën, ainsi que des dépendances de ces villes.

Arrivée à Ceuta, la famille Khaldoun s’unit par des mariages à celle d’El-Azefi 7, et cette alliance eut du retentissement. Parmi ses membres qui avaient émigré en Afrique, se trouvait notre aïeul, El-Hacen Ibn Mohammed, fils d’une fille d’Ibn el-Mohteceb. Voulant faire valoir les services que ses aïeux avaient rendus à la famille d’Abou Zékérïa, il vint à la cour de cet émir, qui le reçut avec une haute distinction. Ensuite il passa en Orient, et, après avoir accompli le pèlerinage, il retourna en Afrique et trouva, auprès de l’émir Abou Zékérïa, qui était alors sous les murs de Bône, l’accueil le plus gracieux. Depuis. ce moment, jusqu’à sa mort, il vécut à l’ombre tutélaire de l’empire hafside, jouissant des faveurs du prince, qui lui avait assigné un traitement et des ictâ8. Il mourut à Bône et y fut enterré. La jeunesse de son fils Abou Bekr Mohammed fut entourée de la même protection et comblée des mêmes bontés. La mort de l’émir Abou Zékérïa, événement qui eut lieu à Bône en l’an 647 (1249 de J. C.), ne diminua en rien la prospérité dont il jouissait : El-Mostancer Mohammed, fils et successeur Abou Zékérïa, le maintint dans la belle position qu’on lui avait faite. Le cours du temps amena ensuite les changements qui lui sont ordinaires ; El-Mostancer mourut en 675 (1277 de J. C.), et son fils Yahya (El-Ouathec) lui succéda ; mais l’émir Abou Ishac arriva d’Espagne, où il s’était réfugié du vivant de son frère El-Mostancer 9, et se rendit maître de l’Ifrîkiya, après avoir déposé son neveu. Ce nouveau souverain confia à notre aïeul les fonctions d’émîr el-achghal (ministre des finances), avec les mêmes attributions que celles des grands officiers almohades chargés précédemment de remplir cette charge. Ainsi il avait le droit de nommer les percepteurs, de les destituer et de leur faire rendre leurs comptes (par l’emploi de la torture). Abou Bekr s’acquitta de ces devoirs d’une manière distinguée. Plus tard, quand le sultan Abou Ishac envoya à Bougie son fils et successeur désigné, Abou Farès, il lui assigna comme premier ministre (hadjeb)notre grand-père Mohammed (fils d’Abou Bekr 10), qui ensuite donna sa démission et retourna à la capitale. L’imposteur Ibn Abi Omara s’étant emparé de (Tunis), siège de l’empire hafside, emprisonna Abou Bekr, et, lui ayant arraché toutes ses richesses par l’emploi des tortures, le fit étrangler dans le lieu où on l’avait enfermé 11. Le sultan Abou Ishac, accompagné de ses fils et de notre grand-père Mohammed, fils d’Abou Bekr, se rendit à Bougie, où il espérait trouver un refuge ; mais, arrivé dans cette ville, il fut mis aux arrêts par son propre fils, Abou Farès. Celui-ci sortit ensuite à la tête des troupes, emmenant ses frères avec lui, et marcha contre le prétendant, qui se faisait passer pour El-Fadl, fils d’(El-Ouathec) El-Makhlouê 12. Après la bataille de Mermadjenna, si funeste pour les Hafsides, notre grand-père Mohammed, qui y avait assisté, parvint à s’échapper avec Abou Hafs, fils de l’émir Abou Zékérïa ; accompagnés d’El-Fazazi et d’Abou ’l-Hoceïn Ibn Seïd en-Nas, ils se réfugièrent dans Calât-Sinan 13. El-Fazazi était client d’Abou Hafs, et celui-ci le traitait avec une prédilection marquée. Ibn Seïd en-Nas, qui avait tenu un rang plus élevé qu’El-Fazazi dans Séville, leur ville natale, en éprouva un si vif mécontentement, qu’il alla joindre le prince Abou Zékérïa (fils d’Abou Ishac) à Tlemcen, où il lui arriva ce que nous avons raconté (dans l’histoire des Berbers 14). Quant à Mohammed Ibn Khaldoun, il resta auprès de l’émir Abou Hafs, qui, s’étant rendu maître de l’empire, concéda des ictâ à ce fidèle serviteur, l’inscrivit sur la liste des chefs militaires et, l’ayant reconnu plus habile que la plupart des officiers de sa cour, le choisit pour succéder à El-Fazazi dans la charge de premier ministre. Abou Hafs eut pour successeur Abou Acîda el-Mostancer, le petit-fils de son frère. Ce prince prit pour ministre Mohammed Ibn Ibrahîm ed-Debbagh, l’ancien secrétaire d’El-Fazazi, et Mohammed Ibn Khaldoun, à qui il donna la place de vice-hadjeb, conserva cet emploi jusqu’à la mort du souverain. L’émir (Abou ’l-Baca) Khaled, étant monté sur le trône, laissa à Ibn Khaldoun les honneurs dont il jouissait, mais ne l’employa pas. Abou Yahya Ibn el-Lihyani, qui lui succéda, prit Ibn Khaldoun en faveur, et eut à se louer de son habileté dans un moment où les Arabes nomades allaient s’emparer de l’empire. Il l’envoya défendre la presqu’île  15 contre les Delladj, tribu soleïmide qui s’était établie dans cette région, et là encore Ibn Khaldoun se distingua. Après la chute d’Ibn el-Lihyani, il se rendit en Orient et s’acquitta du pèlerinage, l’an 718 (1319 de J. C.). Ayant ensuite manifesté son intention de renoncer au monde pour se tourner vers Dieu, il fit un pèlerinage surérogatoire, l’an 723, et séjourna quelque temps dans le temple de la Mecque. Il conserva cependant, par la faveur du sultan Abou Yahya (Abou Bekr 16), tous les honneurs dont il avait déjà joui, ainsi qu’une grande partie des concessions et des pensions qu’il avait obtenues de l’État. Ce prince l’invita même plusieurs fois, mais inutilement, à prendre la place de premier ministre. A ce sujet, Mohammed Ibn Mansour Ibn Mozni 17 me fit un récit que je rapporte ici : « Le hadjeb Mohammed Ibn Abd el-Azîz el-Kordi, surnommé El-Mizouar18, mourut en l’an 727 (1327), et le sultan appela ton grand-père auprès de lui, afin de le prendre pour hadjeb et conseiller intime. Ne pouvant le décider à accepter ces places, il demanda son avis pour le choix d’une personne capable de bien remplir l’office de hadjeb. Mohammed Ibn Khaldoun lui désigna le gouverneur de Bougie, Mohammed, fils d’Abou ’l-Hoceïn Ibn Seïd en-Nas, comme pouvant le remplir parfaitement, tant par ses talents que par son habileté. Il lui rappela aussi que, depuis longtemps, la famille de cet officier avait servi celle du souverain à Séville et à Tunis. C’est un homme, dit-il, très capable de remplir ce poste par son savoir-faire et par l’influence que lui donne le nombre de ses clients. Le prince, ayant agréé ce conseil, fit venir Ibn Seïd en-Nas, et l’établit dans la place de hadjeb. » Toutes les fois que le sultan Abou Yahya (Abou Bekr) sortait de Tunis, il en confiait le commandement à mon grand-père, dont l’intelligence et le dévouement lui inspiraient une confiance sans bornes.

En l’an 737 (1336-1337 de J. C.), lors de la mort de mon grand-père, mon père, Abou Bekr Mohammed, quitta la carrière militaire et administrative pour suivre celle de la science (la loi) et de la dévotion. Il était d’autant plus porté à ce genre de vie, qu’il avait été élevé sous les yeux du célèbre légiste Abou Abd Allah ez-Zobeïdi (var. er-Rondi), l’homme de Tunis le plus distingué par son profond savoir et par son talent comme mufti (légiste consultant), et qui s’était adonné aux pratiques de la vie dévote, à l’exemple de son père, Hoceïn, et de son oncle, Hacen, deux célèbres ascètes (ouéli). Du jour où mon grand-père renonça aux affaires, il resta auprès d’Abou Abd Allah, et mon père, qu’il avait mis entre les mains de ce docteur, s’appliqua à l’étude du Coran et de la loi. Il cultivait avec passion la langue arabe et se montrait versé dans toutes les branches de l’art poétique. Des philologues de profession avaient même recours à son jugement, fait dont j’ai été témoin, et ils soumettaient leurs écrits à son examen. Il mourut de la grande peste de l’an 749 19.

1L’Andalousie occidentale se composait des provinces dont les fleuves versent leurs eaux dans l’océan Atlantique ; L’Andalousie orientale renfermait les pays dont les fleuves se jettent dans la Méditerranée.

2Voyez Histoire des Berbers, t. II, p. 379.

3Mohammed Ibn Youçof el-Djodami, descendant des Houdites qui avaient régné à Saragosse, s’insurgea contre les Almohades en 625 (1227), s’empara d’une grande partie de l’Espagne musulmane et y fit reconnaître la suprématie des khalifes de Baghdad. Il fut assassiné dix ans plus tard.

4Ce mot est la transcription du mot espagnol frontera « frontière ».

5Entre Cordoue et Jaën.

6On sait qu’à cette époque Séville s’était constituée en république. (Voyez l’Histoire d’Espagne, de M. Dozy, t. IV, p. 7 et suiv.)

7Pour l’histoire de cette famille distinguée, voyez Histoiredes Berbers, t. IV, p. 64, 160, 198 et suiv.

8Le souverain pouvait concéder à ses protégés la jouissance d’un immeuble, ou bien le droit de s’approprier les impôts d’un village, d’un territoire ou d’une tribu. Ces espèces de gratifications se nommaient ictâ « découpure ». Les ictâ en terres devenaient quelquefois héréditaires.

9Voyez l’Histoire des Berbers, t. II, p. 341 et suiv., 376 et suiv.

10Ibid. t. I, p. 379.

11Ibid. p. 384, 392.

12Histoire des Berbers, t. II, p. 393.

13Calât-Sinan, château de la province de Tunis, est situé à neuf lieues nord-est de Tebessa. Quatre lieues plus loin et dans la direction de l’orient, se trouve le village de Mermajenna, le Berremadjena de nos dernières cartes.

14Histoire des Berbers, t. II, p. 399.

15Il s’agit de la grande péninsule qui s’étend au sud et à l’est du golfe de Tunis ; elle s’appelait alors Cherîk, maintenant on la nomme Dakhol.

16Par une anomalie dont on connaît quelques exemples, ce prince avait reçu, comme nom propre, le surnom d’AbouBekr. (Voy.son règne dans l’Histoire des Berbers, t. II et III.)

17Célèbre émir de Biskara et du Zab. (Voy. l’Histoire des Berbers, t. III, p. 124 et suiv.)

18Le chambellan introducteur. (Voy. Histoire des Berbers, t. II, p. 466, 467.)

19La peste noire de l’an 1349 de J. C.

De mon éducation.

Je naquis à Tunis, le premier jour du mois de ramadan 732 (27 mai 1332 de J.-C.), et je fus élevé sous les yeux de mon père jusqu’à l’époque de mon adolescence. J’appris à lire le saint Coran sous un maître d’école nommé Abou Abd Allah Mohammed Ibn Saad Ibn Boral el-Ansari, originaire de Djaïala 1, lieu de la province de Valence (en Espagne). Il avait étudié sous les premiers maîtres de cette ville et des environs, et surpassait tous ses contemporains dans la connaissance des leçons coraniques2. Un de ses précepteurs dans les sept leçons fut le célèbre Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn Mohammed el-Betrani, savant lecteur, qui avait étudié sous des maîtres d’une autorité reconnue. Après avoir appris par cœur le texte du Coran, je le lus selon les sept leçons, sous Ibn Boral, en prenant d’abord chaque leçon séparément et ensuite les réunissant toutes. Pendant ce travail, je repassai le Coran vingt et une fois ; puis je le relus encore une fois en rapportant toutes les leçons. Je le lus une autre fois selon les deux leçons enseignées par Yacoub 3. Deux ouvrages que j’étudiai aussi sous mon maître, en profitant de ses observations, furent le poème d’Es-Chatebi sur les leçons coraniques, intitulé Lamiya, et un autre poème du même auteur sur l’orthographe du Coran, et intitulé Raiya4. Il me donna, à ce sujet, les mêmes renseignements didactiques qu’il avait lui-même reçus d’El-Betrani et d’autres maîtres. Je lus aussi sous sa direction le Tefassi (ﻰﺼﻔﺘﻠﺍ), ouvrage qu’Ibn Abd el-Berr composa sur les traditions rapportées dans le Mowatta5, et dans lequel il suivit le plan de son autre ouvrage sur le même sujet, le Temhîd, mais en se bornant uniquement aux traditions 6. J’étudiai encore sous lui un grand nombre de livres, entre autres le Teshîl d’Ibn Malek 7, et le Mokhtacer, ou abrégé de jurisprudence, d’Ibn el-Hadjeb 8 ; je n’ai cependant appris par cœur le texte entier ni de l’un ni de l’autre. Pendant le même temps, je cultivai l’art de la grammaire sous la direction de mon père, et avec l’aide de plusieurs éminents maîtres de la ville de Tunis, savoir :

1° Le cheikh Abou Abd Allah Mohammed Ibn el-Arebi el-Hasaïri 9, savant grammairien et auteur d’un commentaire sur le Teshîl.

2° Abou Abd Allah Mohammed Ibn es-Chouach ez-Zerzali.

3° Abou ’l-Abbas, Ahmed Ibn el-Cassar, grammairien d’un grand savoir, et auteur d’un commentaire sur le Borda, poème célèbre renfermant les louanges du Prophète. Il vit encore et habite Tunis.

4° Abou Abd Allah Mohammed Ibn Bahr, le premier grammairien et philologue de Tunis. J’assistai assidûment à son cours de leçons, et je reconnus qu’en effet cet homme était un véritable bahr (océan) 10 de science pour tout ce qui avait rapport à la langue (arabe). D’après ses conseils, j’appris par cœur les six poètes11, le Hamaça, les poésies (d’Abou Temmam) Habîb, une partie des poèmes d’El-Motenebbi et plusieurs pièces de vers rapportées dans le Kitab el-Aghani12.

5° Chems ed-Dîn Abou Abd Allah Mohammed Ibn Djaber Ibn Soltan el-Caïci (var. El-Anci), natif de Guadix et auteur de deux récits de voyage. Il était chef traditionniste de Tunis. Je suivis son cours avec assiduité et je l’entendis expliquer le Mowatta en entier, et l’ouvrage de Moslem Ibn Haddjadj 13, à l’exception d’une petite portion du chapitre relatif à la chasse. Il m’enseigna aussi une partie des cinq traités élémentaires14, me communiqua un grand nombre d’ouvrages sur la grammaire et le droit, et me donna un idjaza général 15. Pour les renseignements qu’il me communiquait, il citait l’autorité des divers maîtres sous lesquels il avait étudié et dont il avait inscrit les noms sur un registre. Un des mieux connus parmi eux était Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn el-Ghammaz el-Khazradji, cadi de la communauté 16, à Tunis.

6° J’étudiai le droit à Tunis sous plusieurs maîtres, savoir : Abou Abd Allah Mohammed Ibn Abd Allah el-Djeïyani (natif de Jaën) et Abou ’l-Cacem Mohammed Ibn el-Casîr, qui m’enseigna aussi l’abrégé du Modaouena17, composé par Abou Saîd el-Berdaï (ﻰﻋﺍﺩﺭﺒﻠﺍ) et intitulé El-Temhîd, ainsi que le Modaouena (ou digeste) des doctrines particulières de la jurisprudence malékite. Je fis aussi un cours de droit sous sa direction, et je fréquentai, en même temps, les séances de notre cheïkh Abou Abd Allah Mohammed Ibn Abd es-Selam, cadi de la communauté. Mon frère Mohammed, maintenant décédé 18, assistait avec moi à ces réunions. Je profitai beaucoup des lumières d’Ibn Abd es-Selam, à qui j’entendis aussi lire et expliquer le Mowatta de l’imam Malek. Il avait appris, par la voie de la tradition orale, le texte de ce livre ; s’étant adressé à un docteur d’une grande autorité, Abou Mohammed Ibn Haroun et-Taï, le même qui plus tard tomba en démence.

Je pourrais citer encore les noms de divers cheïkhs tunisiens sous lesquels je fis des études, et desquels je tiens de bons certificats et des idjaza. Ils moururent tous à l’époque de la grande peste.

En l’an 748 (1347 de J. C.), Abou ’l-Hacen, souverain du Maroc, s’empara du royaume d’Ifrîkiya 19. Il arriva dans notre ville, accompagné d’un grand nombre de savants, qu’il avait obligés à le suivre, et qui formaient le plus bel ornement de sa cour. On y remarquait :

1° Le grand mufti et chef du rite malékite dans le Maghreb, Abou Abd Allah Mohammed Ibn Soleiman es-Sitti 20, docteur que je me mis alors à fréquenter et dont les enseignements me furent très utiles.

2° Abou Mohammed Abd el-Moheïmen el-Hadremi, chef traditionniste et grammairien du Maghreb, secrétaire du sultan Abou ’l-Hacen, et chargé d’écrire l’alama (parafe impérial) au bas de toutes les pièces émanant du prince. M’étant attaché à lui, je profitai de ses leçons et reçus de lui la licence d’enseigner les six principales collections de traditions 21, et de plus le Mowatta, le Sïer d’Ibn Ishac 22, le traité d’Ibn es-Salâh sur les traditions, ainsi que plusieurs autres ouvrages dont j’oublie les titres. Dans la science des traditions il possédait des connaissances qui remontaient aux meilleurs sources, et l’on voyait que, pour les apprendre correctement et les retenir, il avait mis tous les soins possibles. Il possédait une bibliothèque de plus de trois mille volumes, composée d’ouvrages sur les traditions, le droit, la grammaire, la philologie, les sciences fondées sur la raison et autres sujets ; le texte de tous ces livres était d’une grand correction, à cause du soin qu’on avait mis à les bien collationner. Il n’y avait pas de divan (recueil de poésies) dans lequel on ne lût une inscription de la main de chacun des cheïkhs qui, à partir du temps de l’auteur, avaient successivement enseigné le contenu de l’ouvrage ; les traités de droit et de grammaire, ainsi que les recueils d’anecdotes philologiques, portaient aussi des inscriptions pour en garantir l’authenticité.

3° Le cheïkh Abou ’l-Abbas Ahmed ez-Zouaoui, premier mocri23 du Maghreb. Je lus le Coran sous lui, à la grande mosquée, selon les sept leçons telles qu’Abou Amr ed-Dani (natif de Dénia) et Ibn Choreïh 24 nous les ont transmises ; mais je n’ai pas pu terminer cette lecture. Je l’entendis aussi expliquer plusieurs ouvrages et je reçus de lui une licence générale (idjaza).

4° Abou Abd Allah Mohammed Ibn Ibrahîm el-Abbeli 25, legrand maître pour les sciences fondées sur la raison. Sa famille était de Tlemcen, ville on il passa sa jeunesse. Ayant étudié les livres qui traitent des mathématiques (ﻡﻴﻠﺎﻌﺘﻟﺍ ﺐﺗﮐ), il se rendit maître de cette branche des connaissances humaines. Lors du grand siège de Tlemcen 26, il quitta cette ville et fit le pèlerinage de la Mecque. En Orient il rencontra les docteurs les plus illustres ; mais il se trouva dans l’impossibilité de profiter de leurs lumières, à cause d’une indisposition temporaire qui lui avait dérangé l’esprit. Rentré dans son pays, il étudia la logique, les principes fondamentaux de la théologie dogmatique et ceux de la jurisprudence canonique sous le cheïkh Abou Mouça Eïça Ibn el-Imam 27. A Tunis il étudia, avec son frère, Abou Zeïd Abd er-Rahman, sous le célèbre Telmîd Ibn Zeïdoun (c’est-à-dire, élève d’Ibn Zeïdoun). Revenu à Tlemcen, il se trouva en possession de connaissances très étendues dans les sciences qui sont fondées sur la raison et dans celles qui ont pour base la tradition 28. Il reprit ses études dans cette ville sous la direction d’Abou Mouça, celui que nous venons de nommer. Quelque temps après, il passa en Maghreb, ayant été forcé de s’enfuir de Tlemcen, parce qu’Abou Hammou Mouça Ibn Yaghmoracen, souverain de cette ville, avait voulu le contraindre à prendre la direction générale des finances et le contrôle des revenus fournis par les impôts. Arrivé à Maroc, il suivit avec assiduité les leçons du célèbre Abou ’l-Abbas Ibn el-Benna, et, s’étant rendu maître de toutes les sciences fondées sur la raison, il hérita de la place que ce savant tenait dans l’opinion publique et même d’une réputation encore plus étendue. Après la mort de ce professeur, il se rendit dans les montagnes des Heskoura 29, sur l’invitation d’Ali Ibn Mohammed Ibn Teroumît 30, qui désirait faire quelques études sous la direction d’un homme aussi habile. Les enseignements d’un tel maître ne pouvaient. manquer d’être profitables, et quelques années plus tard, lorsque Abou Saîd, sultan du Maghreb, obligea Ibn Teroumît de quitter les montagnes des Heskoura et de se fixer dans la Ville-Neuve (El-Beled el-Djedîd31), El-Abbeli l’accompagna. Dans la suite, celui-ci fut admis par le sultan Abou ’l-Hacen au nombre des savants qu’il recevait dans sa société intime. Dès lors il se dévoua à propager dans le Maghreb les sciences fondées sur la raison, et ses efforts eurent beaucoup de succès. Un grand nombre de personnes l’eurent pour professeur, de sorte qu’il devint le lien qui unissait les anciens savants avec ceux de son époque. Quand il vint à Tunis avec le sultan Abou ’l-Hacen, je me mis à le fréquenter assidûment, afin d’étudier sous sa direction la logique, les principes fondamentaux de la théologie dogmatique, ceux de la jurisprudence, toutes les sciences philosophiques et les mathématiques. Je fis tant de progrès sous lui qu’il m’en témoigna souvent sa haute satisfaction.

5° Un autre savant que le sultan Abou ’l-Hacen amena à Tunis fut notre ami Abou ’l-Cacem Abd Allah Ibn Youçof Ibn Ridouan, docteur en jurisprudence malékite. Il était un des secrétaires du souverain et se trouvait alors sous les ordres d’Abou Mohammed Abd el-Moheïmen. Celui-ci remplissait les fonctions de secrétaire d’État et d’écrivain de l’alama, c’est-à-dire, de la formule inscrite au bas de toutes les ordonnances, manifestes et autres documents qui émanaient du sultan. Ibn Ridouan fut un des ornements du Maghreb par la variété de ses connaissances, la beauté de son écriture, la régularité de sa conduite, l’habileté qu’il montrait en dressant des contrats, l’élégance de son style dans les lettres écrites au nom du sultan, la facilité avec laquelle il composait des vers et son talent pour la prédication. En effet, il remplissait très souvent l’office d’imam quand le sultan assistait à la prière. Je fis connaissance avec lui lors de son arrivée à Tunis, et j’eus beaucoup à me louer de notre intimité. Je ne le pris cependant pas pour maître, puisque nous étions à peu près du même âge ; mais, malgré cela, je profitai autant de ses lumières que de celles de mes précepteurs ordinaires.

A l’époque où notre auteur allait entrer dans la vie publique, les Hafsides, dynastie berbère almohade, régnaient sur les pays dont se composent aujourd’hui les régences de Tunis et de Tripoli. La province de Constantine et celle de Bougie formaient des vice-royautés gouvernées par des princes de cette famille.

La province du Zab, appelée aussi les Ziban