Les Pyrénées - Henry Spont - E-Book

Les Pyrénées E-Book

Henry Spont

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Beschreibung

Extrait : "Le versant septentrional des Pyrénées apparaît, à première vue, d'un dessin fort simple, partant noble. Ces montagnes élégantes et gracieuses, dressés comme un écran au fond des horizons méridionaux, n'offrent aucune trace, en France du moins, de la fantaisie fougueuse et massive qui caractérise les Alpes."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 302

Veröffentlichungsjahr: 2016

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À la mémoire de mon frère bien-aimé

 

MARCEL SPONT,

 

péri en montagne à l’âge de trente-quatre ans, j’offre ce livre sorti de notre terre ardente.

H.S.

Introduction

Une œuvre de pure imagination n’a pas besoin de préface. Elle se défend, elle s’impose par le seul vouloir de l’auteur, libre d’en choisir à son gré les éléments, d’en doser les péripéties, d’en conduire l’intrigue. Mais qu’un écrivain entreprenne de décrire une réalité connue, certaine, tangible, soumise comme telle à l’appréciation, au contrôle du premier venu, alors il devra expliquer dès le début l’objet de son ouvrage, justifier son opportunité, préciser son esprit.

Cette franchise limitera peut-être le nombre des lecteurs ; elle en augmentera la qualité, contribuera efficacement à créer cette atmosphère de sympathie indispensable pour retenir jusqu’au bout l’attention d’un public si souvent déçu dans ses espoirs, et devenu défiant.

Donc, ce livre ne sera pas un guide. Encore qu’une longue pratique me permette de contribuer à la connaissance des Pyrénées en rectifiant des erreurs, en mettant au point maints problèmes ardemment discutés dans les cénacles, je laisserai à d’autres, plus riches de loisirs, cette tâche d’ailleurs vaine si l’on considère le petit nombre de spécialistes susceptibles de s’y intéresser.

Ce livre ne sera pas non plus une étude scientifique ou sociale. Il ne sera question ni de géologie, ni de botanique, ni d’orographie, ni de topographie, ni de toponymie, ni de rien de ce qui touche à la constitution, la configuration, l’altitude ou l’état civil des montagnes. Je continuerai à leur donner les noms appris dans mon enfance et qui sentent bien le terroir. Ils sont sonores, éclatants, faciles à retenir, et je ne vois pas la nécessité, pour des raisons d’étymologie assez contestables, de leur substituer des vocables nouveaux dont la malsonnance et la complication ne rachètent pas le caractère prétendu véridique. Tout en respectant, en admirant l’ingénieuse érudition des réformateurs, je préférerais toujours la forme simple de Balaïtous à la forme barbare de Bat-Laëtouse, fort à la mode actuellement. Ce pic est assez rébarbatif en lui-même pour qu’on lui accorde au moins la grâce de ne pas effaroucher les oreilles. Et qu’il ait quatre mètres de plus ou de moins, qu’il ait été gravi dix-huit ou vingt-cinq fois, peu importe, du moment qu’il est là.

Quant aux appellations nouvelles données par des jeunes gens sans mandat à des pointes secondaires baptisées du nom de leurs amis et connaissances, je ne m’associerai pas à cet inconvenant procédé qui cache mal une basse flagornerie envers des parrains influents, disposés, sans doute, à la payer de la même monnaie. La science, d’ailleurs, est étrangère aux évolutions de ces messieurs qui, ayant cousu eux-mêmes les galons sur leurs manches, distribuent l’éloge et le blâme, contresignent les états de services de leurs aînés, morigènent les guides et s’instituent les gardiens de ces montagnes qu’ils s’imaginent, en quelques mois, en quelques années, avoir découvertes.

Enfin, ce livre ne sera pas une relation de voyage. Il y a belle lurette que les Pyrénées figurent honorablement sur le programme des villégiatures admises, prescrites par le bon ton, et si la mode s’est détournée, depuis nombre d’années, de ces montagnes si séduisantes pourtant, je ne sais pas si, à l’heure où paraîtront ces lignes, elle n’y sera pas revenue. En outre, quand bien même je voudrais adopter ce genre, caduc aujourd’hui, je dois avertir que je n’ai pas accompli un ou plusieurs voyages aux Pyrénées. Je n’y suis pas venu, par désœuvrement ou par intérêt, pour les explorer, les mensurer, les décrire. Je n’ai étudié ni leur flore, ni leur faune, ni leur relief, ni leur structure. Si j’ai pendant quinze ans, grâce à la collaboration du prodigieux virtuose qu’était mon bien-aimé frère, et qui paya de sa vie toutes nos belles joies, promené mes lourdes bottes sur les crêtes les plus redoutables et dressé ma tente au milieu des plus mornes solitudes, ce fut simplement pour satisfaire à la fois le besoin d’agir et le besoin de contempler, le goût de l’aventure et le goût de l’intimité, qui sont en somme les deux pôles du bonheur humain.

J’ai vécu aux Pyrénées. Et c’est précisément la douceur et la rudesse, les délices et les dangers, les plaisirs et les peines, en un mot la signification totale de cette vie délicate et dure, éperdument joyeuse et profondément triste, jamais vulgaire, toujours exaltée, excessive en ses voluptés comme en ses souffrances, c’est cela que je voudrais montrer à ceux qui – pour se distraire ou s’émouvoir, non pour s’instruire – liront jusqu’au bout ces pages.

Ainsi se précisent, se simplifient, s’amplifient les intentions de l’auteur.

*
**

On peut aimer ou ne pas aimer la montagne. On peut lui préférer la mer, plus accessible au flâneur, au paresseux, à l’impotent, la mer qui se donne vite et n’exige, de celui qui la contemple, aucun effort de conquête. On peut blâmer l’imprudence de ceux qui bravent la nature, qui s’exposent volontairement à ses colères, pour exercer leur courage ou rassasier leur vanité. On peut – on doit – estimer à plus haut prix l’effort du savant dans son laboratoire, du poète errant sous les branches, de l’écrivain acharné à sertir les phrases belles. On peut juger inutiles au bien-être, au progrès de l’humanité, ces folles tentatives.

Certes, et si ardemment qu’on prône aujourd’hui les bienfaits de l’éducation physique, en dépit de la « leçon d’énergie » donnée par les apôtres du muscle, nul ne songe à comparer des gens qui s’amusent avec des gens qui travaillent, des gens qui risquent, par jeu, leur vie, avec des gens qui s’efforcent, par amour, de prolonger, d’assurer, d’embellir la vie des autres. Et les montagnards pourraient disparaître demain, personne ne s’en apercevrait, pas même les guides, puisque les maîtres, aux Pyrénées du moins, méprisent généralement les services des porteurs de plaques.

Mais nous ne sommes pas toujours libres. Nous dépendons de notre origine, de notre milieu. Nous vivons dans un cercle étroit, traversé par peu d’idées, peu d’hommes et à de rares exceptions près, chacun de nous se borne à suivre son destin déterminé par des circonstances, des rencontres. L’individu qui se réalise n’est pas nécessairement celui qui accomplit avec succès telle ou telle fonction jugée difficile par la société qui l’honore et la récompense d’après sa noblesse ou son utilité. C’est celui qui accomplit, même obscurément, sa fonction, qui fait de son mieux, naturellement, ce qui était en lui. Et si certains trouvent dans la conquête ou la contemplation de la nature le moyen de développer leur personnalité totale, pourquoi leur reprocher l’ardeur d’un apostolat qui leur fournit l’occasion de vivre selon leur rêve, et au surplus, ne gêne personne ?

La montagne est, pour l’immense majorité, un décor, une toile de fond. On vient lui demander pendant quelques semaines un surcroît de santé, un divertissement aux préoccupations coutumières. On l’admire comme on admire le nouveau, l’exceptionnel. On en visite consciencieusement les coins aménagés, avec le regret de ne pouvoir, faute de temps, d’argent ou de capacités, aborder les solitudes qu’on aperçoit d’en bas et qu’on sait accessibles à une élite.

Mais le regret se tempère à l’évocation des périls qui guettent les plus vaillants, de la dure rançon imposée à quiconque franchit, sans s’y être longuement préparé, la zone de protection. On préfère même ne pas s’approcher trop. On se souvient du proverbe : les montagnes ne sont bleues que de loin. Ainsi le spectateur assis dans son fauteuil devant la scène éblouissante où évoluent les ballerines, laisse en sa gaine la lorgnette qu’il sait impitoyable au fard des visages contractés, à la friperie des costumes déteints.

D’ailleurs les villes d’eaux, établies d’après une formule commune adaptée au goût de la clientèle mondaine ou bourgeoise, ne prétendent pas prolonger leur rayonnement jusqu’aux déserts de neiges et de rocs où il serait impossible de tracer des sentiers et d’édifier des refuges. Enclaves urbaines complètement indépendantes de la vie locale qui les entoure sans les entamer, elles se développent suivant le rythme de Paris. C’est dire que la beauté du site leur apparaît un élément d’attrait secondaire.

*
**

Eh bien, je voudrais réagir ici, tant dans l’intérêt des touristes que dans celui des indigènes eux-mêmes contre cette fâcheuse conception.

La montagne n’est pas un décor, elle est une réalité, elle est un monde, cent fois, mille fois plus vaste, plus varié, plus émouvant que le monde où nous promenons nos vaines agitations. Les stations thermales groupées à ses pieds n’en sont, malgré leur importance et leur faste, que les points d’accès. Elles n’en offrent qu’une image réduite, déformée. La maladie, l’âge, le manque de culture ou de curiosité, contraignent certains à s’en contenter. Mais les autres, les jeunes, les bien portants, ceux qui aiment ou qui pratiquent les sports – cette religion nouvelle – où trouveraient-ils un terrain plus favorable à leurs ébats, à leurs prouesses ? Qui les empêche de monter, pour voir ? Qui les oblige à flâner en bas, à tourner constamment dans le même rond avec les mêmes gens qui disent les mêmes choses ? Ces hommes qui passent sur les allées, qui stationnent auprès des Thermes et qui portent une plaque cousue à leur veste, ce sont des guides, des guides à pied. La seule existence de ces professionnels groupés en corporations approuvées, consacrées par le Club Alpin, prouve d’abord que la montagne existe, ensuite qu’elle est accessible.

Dans quelles conditions ? Voilà ce que j’essayerai de vous montrer, en toute simplicité, sans phrases.

Entre les vallées et les cimes, il y a une infinité de gradins qu’on peut successivement visiter, conquérir. Chacun d’eux possède son caractère propre. Une forêt vaut une cascade, un lac vaut un glacier. Les paysages d’en haut impressionnent plus vivement parce qu’ils sont plus exceptionnels, plus difficiles à atteindre, composés d’éléments plus rares. Ils ne sont pas plus beaux en soi. L’essentiel est d’adopter une méthode, de procéder lentement, par ordre. Le montagnard, c’est un touriste qui a progressivement élargi son cercle d’activité, et qui a fini par englober les sommets dans ledit cercle. Qu’il préfère les sommets où il est assuré d’être seul et d’exercer librement sa maîtrise, cela n’empêche pas les autres de demander à la montagne des impressions en rapport avec leurs goûts, leurs moyens.

Ces impressions, je tâcherai de vous en donner un reflet. Pour ma part, je les ai toutes éprouvées, depuis les plus douces jusqu’aux plus tragiques. Les premières datent de l’enfance, les dernières se forment au moment où j’écris. À vrai dire elles ne cessent de vivre, de s’agiter dans les ténèbres de l’inconscient. D’où la difficulté de les tirer, de coller au papier, de les habiller, de leur donner une forme perceptible à la conscience du lecteur. Depuis que j’ai perdu, là-haut, mon compagnon, – mon maître – c’est là-haut que je dois remonter pour le retrouver, pour me retrouver. Là est la vraie, la seule lumière.

Enfin, vous sentirez peut-être palpiter entre ces lignes un peu de l’immense amour voué par un homme à la montagne pyrénéenne et vous la jugerez sans doute profondément séduisante puisque celui qu’elle a si cruellement meurtri persiste, quand même, à l’aimer.

CHAPITRE PREMIERPyrénées d’Occident

Ce sont les plus fréquentées, les plus riches en stations célèbres, en paysages classiques. – Biarritz, gloire du pays basque. – Pau, capitale du Béarn. – Eaux-Bonnes et Eaux-Chaudes. – Lourdes et la vallée d’Argelès. – Saint-Sauveur et Barèges. – Cauterets, station de famille. – Le Cirque de Gavarnie. – Le Mont-Perdu. – Bigorre et le Pic-du-Midi. – Luchon, reine des Pyrénées. – Les Monts-Maudits, et le pic d’Aneto-de-la-Maladetta, point culminant de la chaîne.

Le versant septentrional des Pyrénées apparaît, à première vue, d’un dessin fort simple, partant noble. Ces montagnes élégantes et gracieuses, dressées comme un écran au fond des horizons méridionaux, n’offrent aucune trace, en France du moins, de la fantaisie fougueuse et massive qui caractérise les Alpes. La chaîne régulière surgie de l’Océan se poursuit jusqu’à la Méditerranée sans interruption, se maintenant à une altitude presque constante et présentant en son milieu les plus hautes cimes. C’est un mur véritable, qui semble avoir été placé à dessein pour séparer deux peuples, deux races. Et le voyageur qui circule dans les plaines de notre Midi ne peut s’empêcher d’admirer avec quelle obstination les Pyrénées offrent à son regard leur étincelant et hautain profil. Elles marquent en effet la fin d’un monde, et c’est de là que vient, en grande partie, leur prestige.

À la simplicité de la maîtresse chaîne s’ajoute encore la régularité des chaînons secondaires qui, après y avoir noué leurs solides attaches, descendent majestueusement, avec une hâte tranquille marquée de loin en loin par un sursaut vite calmé, vers les grasses prairies du Languedoc, où ils s’arrêtent en même temps, épuisés par un même effort. Entre leurs murailles à peu près parallèles, abruptes et dénudées d’abord, molles et verdoyantes ensuite, des torrents issus des nappes glaciaires roulent dans un tumulte de plus en plus ralenti, empressés à s’épanouir en larges nappes paisibles au sortir de la prison maternelle. Des granges, des hameaux, des villages, des villes s’accrochent ou s’étalent au bord des rives sonores ou calmes, y végètent ou y vivent selon les conditions imposées par l’état du sol et la nature du climat.

Et il suffirait de remonter une de ces vallées pour rencontrer successivement, dans l’ordre du plaisant au sévère, toutes les merveilles que la montagne pyrénéenne réserve à ses visiteurs.

Nous verrons plus tard si la réalité justifie un tel espoir. En attendant, situons les principaux paysages et posons sur ces décors des noms familiers.

*
**

Du côté de l’Océan, les Pyrénées semblent mettre à se lever une certaine lenteur. Le pays basque, tant vanté, vaut surtout par la grâce de ses coteaux arrondis qui annoncent discrètement la sauvagerie des hauts sommets. Pourtant, un pic impressionnant, la Rhune, dresse au bord même de la mer chantante sa pyramide noire. De cela n’ont cure les baigneurs de Biarritz et de Saint-Jean-de-Luz, trop occupés à se regarder sans indulgence sous les lustres. La promesse d’un panorama montagnard et marin amène toutefois sur les rochers du Jaizquibel (584 m), de la Haya (839 m) et du Choldocogagna (489 m) quelques fanatiques tentés au surplus par la perspective d’une chasse à la palombe ou d’un affût aux vautours.

Ils sont rares, cette aimable région, si heureusement située sur la route de Paris à Madrid, étant la terre élective d’une clientèle éminemment cosmopolite, plus sensible aux délices de la vie mondaine qu’au charme du paysage. Nul coin en France ne peut actuellement disputer à Biarritz le privilège de grouper pendant la saison un lot aussi compact, aussi brillant de désœuvrés riches ou soi-disant tels. Nul ne fournit à l’observateur une idée plus complète de la mentalité particulière à une société que sa fortune réelle ou apparente, ses origines avouables ou non, ses préjugés certains, son amour du plaisir, son manque de culture intellectuelle et de curiosité vraie maintiennent loin des simples, des banales, des belles réalités. Vous n’attendez pas de moi un croquis de Biarritz. Encore que de fréquents séjours d’hiver et d’été, au milieu d’amis, me permettent de rendre à son prestige un hommage mérité, je m’abstiendrai, crainte d’être inférieur à une tâche, pourtant agréable. Que dire sur Biarritz ? Chacun connaît Biarritz.

Aussi bien les Pyrénées, à peine surgies de l’Océan, sont à peu près invisibles d’ici, et le rayonnement de Biarritz, essentiellement maritime, ne dépasse pas les premiers coteaux. En revanche, il règne le long de la côte, gagne Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, franchit la Bidassoa – n’oublions pas l’île des Faisans, les souvenirs, François Ier, Louis XIII, Mazarin, Louis XIV, un peu d’érudition facile ne messied point – pénètre en Espagne, effleure la vieille cité romantique de Fontarabie et ne s’arrête qu’à Saint-Sébastien, plage élégante, sans caractère local.

Le pays basque est la région pyrénéenne la plus ouverte aux voyageurs de tout âge, de toutes conditions. C’est un petit monde que la nature a comblé de ses grâces et qui, en certaines parties, a conservé son caractère. Il appartient à l’histoire, à la légende, à la littérature. Il appartient au tourisme, qui aménagea sans peine ses beautés accessibles au curieux. Il occupe une place éminente parmi les coins privilégiés où se porte la foule avide de voir, de connaître. Mi-français, mi-espagnol, à cheval en quelque sorte sur ces Pyrénées timides encore et qui se laissent franchir, il est formé – rappelons-le pour mémoire – de sept provinces : le Labourd, capitale Bayonne ; la Basse-Navarre, capitale Saint-Jean-Pied-de-Port ; la Soule, capitale Mauléon ; le Guiposcoa, capitale Saint-Sébastien ; la Biscaye, capitale Bilbao ; l’Alava, capitale Vitoria ; la Navarre, capitale Pampelune. Les savants disputent encore sur les origines de son langage âpre, impénétrable à quiconque ne l’apprit pas dès l’enfance et sans attaches avec aucun autre parler européen. Les écrivains ont célébré les mœurs patriarcales, le je ne sais quoi de sauvage et de fin, de mélancolique et de gai qui caractérise cette race fière, sobre en ses propos et son geste, infiniment distinguée, et dont la présence, dans ce Midi enthousiaste et flâneur, étonne et charme comme le plus savoureux des anachronismes. Quant aux sportsmen, ils ont été conquis, dès le premier jour, par le passionnant spectacle de la pelote qui est plus qu’un jeu : une tradition.

Cette singulière enclave est le paradis des touristes. En quelques jours on peut parcourir les vallées de la Nive, de la Bidouze, du Saison, visiter Ustaritz, Cambo, Saint-Étienne-de-Baïgorry, Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Palai, Mauléon, Tardets ; faire un pèlerinage au Pas-de-Roland, au défilé de Valcarlos, au col de Roncevaux, pousser jusqu’à l’espagnole Pampelune et même gravir quelques montagnes comme le Behorleguy (1 263 m), l’Occabé (1 463 m), le pic d’Orhy (2 017 m).

Il semble que Tardets demeure le coin le plus curieux du pays pour l’observateur pourvu de loisirs. On y assiste encore aux pastorales du bon vieux temps et aux danses si étranges dont l’amour est si fortement ancré dans le cœur des Basques. Mais il faut être du pays pour comprendre le symbolisme de ces pièces démesurément longues. Conservées par une tradition orale renouvelée au cours des siècles, et où voisinent, à côté de Satan, Mercure et Jupiter, Roland et Nabuchodonosor, sans compter les Anges, cependant qu’un mannequin grotesque, mû par une ficelle – Mahomet – est chargé de distraire le public pendant les entractes.

Il y a donc ici deux éléments d’attrait distincts : le paysage et l’habitant. Le premier charme, le second déconcerte. Seule en France la Corse donne une impression aussi complexe. Encore la Corse est-elle une île, abandonnée de la métropole, oubliée, perdue, et si pauvre, et si royalement belle.

Bayonne est la capitale de la région. On y pratique la montagne avec une ferveur rare, encouragée par la propagande inlassable de la section basque, une des plus importantes et des plus prospères du club alpin-français. Il y a là un groupe de vaillants qui ne s’attarde pas aux vaines paroles, qui agit, pour le plus grand bien de ces Pyrénées si tendrement aimées aux rives de l’Adour.

Honneur à Bayonne !

*
**

Le Béarn est proche. Il faut descendre dans la plaine, saluer Pau, la capitale du Sud-Ouest.

Pau apparaît dès l’abord comme la ville de l’artifice et du luxe. Vue d’en bas, la terrasse avec ses maisons blanches, ses balustres de fer, son château, surprend par sa noblesse et sa froideur. Ce décor, posé en façade sur cette colline, n’est ni méridional, ni pyrénéen. Il semble avoir été apporté là, de loin.

En effet, Pau ne ressemble à aucune autre station d’hiver. C’est une colonie anglaise qui se développe librement, à sa guise, sans souci des voisins, selon son code personnel, rigoureux et souple. Il y a ici deux clientèles. La première, la plus nombreuse, fréquemment renouvelée, se compose de gens de demi-fortune, curieux ou convalescents, qui viennent se reposer, se soigner, se divertir à bon compte. Colonels en retraite retour des Indes ou de l’Afrique centrale, veuves vraiment inconsolables promenant leur deuil à travers le monde, célibataires las des hivernages de Palerme ou d’Alger, jeunes époux en voyage de noces, c’est une petite société calme, peu exigeante, strictement « comme il faut », d’où le rastaquouère, la demi-mondaine de haut vol sont exclus, – et qui s’amuse franchement, sans bruit.

La seconde, très fermée en apparence, mais largement ouverte à qui montre une main gantée, c’est la clientèle des résidents installés à demeure dans leurs villas, à seule fin de passer le temps en utilisant les ressources d’un pays particulièrement propre aux combinaisons sportives les plus variées. Ils y réussissent parfaitement, grâce à la douceur du climat qui rend les jeux de plein air accessibles en toutes saisons, grâce surtout à la discrétion parfaite que l’Anglo-Saxon, peu soucieux de parader, apporte à l’organisation savante et raisonnée de ses plaisirs.

Les deux modes de vivre se complètent, ils ne se superposent pas. On peut jouir de l’un et négliger l’autre. Chacun reste libre, et c’est là peut-être que réside le charme de cette belle ville solennelle et accueillante, sérieuse et distinguée.

À l’inverse des stations consacrées par une mode éphémère qui peut changer d’objet du jour au lendemain, Pau ne cherche pas à éblouir, à tromper. D’avance, on sait ce qu’on y trouvera, et si d’aventure on s’y ennuie, ce sera en connaissance de cause et en bonne compagnie. On ne s’y ennuie pas d’ailleurs dès qu’on a pris contact. La renommée de Pau est ancienne, solide. Elle ne doit rien au mensonge, au caprice. Elle est la fleur même de la terre béarnaise. Cette situation lui confère la sécurité qui seule permet les longs espoirs et les vastes desseins.

Mais, en cette revue d’ensemble, la patrie d’Henri IV ne doit nous intéresser que par son côté strictement pyrénéen. D’année en année, son rôle se singularise et s’agrandit. La capitale du Béan rayonne sur la partie des Pyrénées qu’on aperçoit de son fameux boulevard et qui dresse sa haute muraille neigeuse depuis les monts de la Bigorre jusqu’aux verdoyants coteaux du pays basque. Ville d’hiver et ville d’été, ville de plaine et ville de montagne, elle peut, grâce à la continuité de sa vie locale, grâce au prestige qui s’attache à son nom, être tenue pour la métropole de la région qu’elle commande, qu’elle illustre.

Les autres stations, situées dans des vallées profondes qui les isolent de leurs voisines – de leurs rivales – ne constituent que des groupements animés d’un esprit personnel assez étroit, et manquant de ressources. La saison est si courte, si incertaine. Il faut se hâter. Le lien nécessaire entre tant de forces qui se neutralisent, c’est Pau.

C’est en effet à Pau que se publie le Bulletin Pyrénéen, organe de la Fédération des sociétés pyrénéistes, une fort jolie revue abondamment illustrée, rédigée par des hommes compétents et présentée avec beaucoup de goût.

*
**

Ceci dit, revenons aux Pyrénées.

Elles prennent, avec les 2 504 mètres du pic d’Anie, l’allure et la dignité de véritables montagnes. L’éclatante vallée d’Aspe, considérée avec raison comme une des plus pittoresques de la chaîne, mérite une renommée consacrée par une longue tradition. Oloron-Sainte-Marie, heureusement située au confluent des gaves d’Aspe et d’Ossau, est la clé de cette région qui sut, au cours des siècles, lutter si vaillamment pour conserver son indépendance, mais que la fièvre d’émigration dépeuple de plus en plus. Saint-Christau, Bedous, Accous, Urdos en sont les points principaux. Au-delà de ce dernier village, dominé par un fort perché sur un rocher, la route atteint le Somport (1 640 m), frontière d’Espagne, d’où elle redescend, après avoir traversé le bourg de Canfranc, à la vieille et curieuse ville de Jaca.

Cité « héroïque », illustrée par sa résistance aux Sarrasins, Jaca, siège d’un évêché, abrite dans ses maisons à miradores et à balcons ouvragés plus de 5 000 habitants et s’enorgueillit d’une cathédrale gothique finement sculptée, construite en l’an 1040. C’est assez dire l’intérêt que présente ce coin si ardemment espagnol qui possède en ses environs immédiats maints sommets dignes d’une visite, comme le Bisauri (2 669 m), la Pala de Yp (2 781 m), la Peña Collarada (2 883 m).

La vallée d’Ossau est un monde très particulier, resté fidèle à ses vieilles traditions. Elle intéresse les touristes, les curieux, les savants. Aux grâces multiples d’un paysage riche en contrastes, elle joint l’attrait de ses coutumes locales dont la persistance s’affirme – pour combien de temps encore ? – dans l’habit, lequel est un des plus originaux de nos provinces françaises.

Les deux stations voisines des Eaux-Bonnes et des Eaux-Chaudes sont, du côté de l’Océan, les premiers centres de tourisme importants.

Ce qui frappe d’abord, à Eaux-Bonnes, c’est la propreté, l’air joyeux et pimpant des demeures. Nous sommes très hauts pourtant, à 748 mètres d’altitude, et cependant on n’éprouve pas cette sensation de manque d’air, d’étouffement qui accable d’abord les voyageurs nouveaux venus à la montagne. Le lieu est d’ailleurs gentiment aménagé. La promenade horizontale, réservée aux piétons, circule aux flancs du pic de Gourzy (1 839 m), d’où il est facile d’atteindre le pic de Ger (2 612 m), un des observatoires les plus justement célèbres des Pyrénées. Il convient de signaler encore le lac d’Artouste, le Pas-de-l’Ours, et surtout le Gabizos (2 684 m).

Les Eaux-Chaudes complètent de la plus heureuse façon les Eaux-Bonnes. Cette station thermale, qui fut un des séjours préférés d’Henri IV, est située à 675 mètres d’altitude, sur le gave d’Ossau, dans une gorge sauvage que surplombent des rochers hérissés de sapins. Si elle n’offre guère de ressource au promeneur désabusé que ne retiennent point les nécessités de la cure, elle est en revanche un des centres d’excursions les plus importants des Pyrénées. Le Pic du Midi d’Ossau (2 885 m) suffirait à lui seul pour attirer les amateurs. C’est un personnage considérable et qu’il faut considérer avec respect. Sa forme élancée, la hardiesse très personnelle de sa double fourche, son isolement, le désignent dès l’abord à l’attention et son périlleux renom ajoute encore à sa gloire.

C’est de Gabas qu’on entreprend généralement l’escalade, de Gabas qui, situé à la jonction des vallons de Bious et de Broussette, à 1 125 mètres d’altitude, est le point de départ classique pour toutes les incursions en haute montagne. L’ascension du Pic du Midi présente certaines difficultés qui séduisent les grimpeurs. Il est nécessaire d’user des pieds et des mains dans le premier couloir, incliné à 80° de la face nord-est. Deux autres cheminées, dont la dernière est inclinée à 70°, seraient infranchissables à ceux qui redoutent le vertige. De la cime, la vue frappe surtout par sa désolation, sa tristesse. Les péripéties de l’ascension, bien plus que le panorama, ont de tout temps signalé ce pic, qui fut gravi pour la première fois, en 1796, par Delfau, pour la seconde fois par le marquis d’Angosse et Augerot, en 1802, l’année même ou Ramond atteignait enfin le sommet du Mont-Perdu.

Bien qu’il appartienne également à Cauterets, si riche par ailleurs, on peut rattacher aux Eaux-Chaudes un massif fameux entre tous, le premier du côté de l’Océan qui dépasse 3 000 mètres, et dont l’ascension est possible, sinon facile, par le lac d’Artouste et le col d’Arrémoulit (2 455 m) ouvert entre le Palas (2 976 m) et l’Ariel (2 825 m) : le Balaïtous.

Surnommé autrefois le « Cervin des Pyrénées », le Balaïtous (3 146 m) jouit d’une grande réputation dans les milieux pyrénéistes, empressés à l’explorer, à le décrire. Le vallon fermé, la crête de Cristail, la Frondella, la Brêche-Latour, la cabane Darré-Spumous ont inspiré aux grimpeurs, aux érudits, des articles, des brochures, des livres. On en discute dans les cénacles, et ce zèle est fort louable. Il prouve que les Pyrénées, injustement dédaignées des « alpinistes », inspirent encore à une élite des passions fortes dont le rayonnement, souhaitons-le, grandira, finira par tuer ce vieux préjugé, qui refuse à nos montagnes la grandeur, sous prétexte qu’elles possèdent déjà le charme.

Le Balaïtous a d’ailleurs une histoire glorieuse. La première ascension date de 1825. Elle a été effectuée par les lieutenants géodésiens Peytier et Hossard, chargés de la triangulation du premier ordre, qui ont laissé de leurs pénibles campagnes un récit émouvant dans sa simplicité. La seconde ascension fut accomplie longtemps après, en 1864, par le célèbre touriste anglais Charles Packe, suivi à quelques jours d’intervalle par son ami le comte Henry Russell, dont nous allons désormais retrouver le nom partout, en ces Pyrénées qu’il révéla au public et qui conservent si pieusement sa mémoire.

Ici s’arrête le territoire de Pau. Deux vallées pittoresques : Aspe et Ossau, deux stations thermales : Eaux-Bonnes et Eaux-Chaudes, un coin d’Espagne romantique, Jaca, deux pics de premier ordre, le Pic du Midi et le Balaïtous. Il y a là de quoi séduire les amateurs de pittoresque

*
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Le col d’Aubisque (1 710 m) permet de passer de la vallée d’Ossau à la vallée d’Argelès sans quitter la haute montagne. Ici le décor change, il s’élargit, s’agrandit, atteint vraiment au sublime. Il commence à Lourdes et s’arrête à Gavarnie. Entre la grotte miraculeuse et le Cirque éblouissant, que d’étapes !

Lourdes appartient plutôt à l’écrivain, au philosophe, qu’au montagnard. Cette ville extraordinaire, bâtie sur l’idée, n’est pyrénéenne que par sa situation à l’entrée de ce Lavedan prometteur de merveilles. Sa vie personnelle, dont l’intensité s’accroît sans cesse, est complètement étrangère à la vie locale. D’autres préoccupations, étrangères à la grâce du site, ont édifié cette basilique hardie, ces monastères, ces vastes hôtels, répandus dans les avenues poudreuses cette foule bruyante et recueillie empressée aux éventaires où se débitent les croix, les médailles, les chapelets.

Mais Lourdes, dont la situation est, par elle-même, fort belle, commande la région la plus importante, la plus fréquentée des Pyrénées. À ce titre – et à bien d’autres encore – elle mérite d’être saluée avec respect par le touriste que le funiculaire, collé aux flancs du grand Jer satisfait médiocrement.

Argelès nous rend à la montagne. C’est surtout une station hivernale fréquentée par les Anglais, qui s’y sont installés à cause de son climat exceptionnellement doux, de ses environs charmants. On y coule des jours heureux partagés entre des promenades dans le parc et des parties de golf. La vie est plus facile ici qu’à Pau, où les distractions sont prodiguées avec une libéralité peut-être excessive.

Argelès n’offre guère d’ascensions véritables en dehors du fameux Balaïtous qu’on peut atteindre par la vallée d’Arrens. Mais après Pierrefitte-Nestalas, nous allons retrouver les grands pics, ceux qui se dressent là-bas, à la frontière d’Espagne, le Vignemale, le Mont-Perdu, le cirque de Gavarnie…

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Ici nous pénétrons dans le coin le plus vivant des Pyrénées. Luz, Saint-Sauveur, Cauterets, Barèges, Gavarnie sont des stations sérieuses, admirablement aménagées en vue du public fidèle qui les fréquente.

Forcées de compter leur fortune modique menacée par les rigueurs de l’hiver, des inondations, des avalanches, elles la gèrent avec une prudence ingénieuse, attentive aux détails négligés par des rivales plus riches, moins économes.

Serrées les uns contre les autres, comme des petits soldats qui se sentent les coudes, les maisons se tiennent bien droites, adossées aux rocs, les pieds baignant dans le gave dont la fureur les éclabousse et les ébranle. Pas un pouce du sol n’est perdu ; le moindre plateau supporte une grange, une baraque, un banc rustique. Des poteaux fichés en terre proclament à tout moment l’altitude qui renseigne les promeneurs inquiets sur la progression de la cure dite « de terrain ». Mille sentiers ombreux, tracés avec un art habile à ménager la pente, s’insinuent au flanc de la montagne roide, qu’ils enserrent de leurs lacets croisés. Aux points essentiels, désignés par la splendeur ou l’intérêt du spectacle, s’élèvent des auberges propres, abondamment pourvues de vivres, pour l’affamé confiant que dévore, en outre, une soif ardente. On trouve partout des chevaux au pas allègre et ferme, des voitures décentes, des guides qui connaissent leur métier.

Barèges n’est pas gai. Barèges n’a pas la prétention d’amuser mais de guérir. Et il y réussit, comme chacun le sait. D’ailleurs Barèges est un excellent centre d’ascensions.

C’est de là que Ramond s’élança, en 1802, à la conquête du Mont-Perdu. C’est de là qu’on part généralement pour gravir le Néouvielle (3 092 m), à qui sa situation en avant de la chaîne confère une vue prestigieuse sur les gradins neigeux du cirque de Gavarnie. Le Néouvielle est un des rares pics pyrénéens qui possèdent une histoire, grâce à M. de Chausenque, qui en fit l’ascension en 1847. Les lacs innombrables qui scintillent à sa base, au milieu des sapins grêles, donnent une grâce bien caractéristique à ces paysages qu’on peut contempler également du pic Long (3 194 m), du Cambieil (3 175 m), ou du Badet (3 040 m). De toutes ces nappes d’eau la plus importante et la plus connue est le lac d’Orrédon (1 878 m), pourvu d’une cantine où se débitent des vivres. Les lacs d’Aumar, d’Aubert, d’Escoubous, de la Glaire, de Tracens, d’Aygues-Cluses complètent, sans l’épuiser, la riche série dont les sierras de Catalogne, situées au sud du val d’Aran, offrent seules l’équivalent.

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Cauterets réalise le type accompli de la station « comme il faut ». La vie qu’on y mène est beaucoup plus familiale et sportive que mondaine. Ce n’est pas l’étoile du casino qui tient la vedette, c’est la montagne toute proche, qu’on voit, qu’on sent, du matin au soir, du soir au matin. On l’aime pour elle-même, sans faste, sans fausse honte. On n’hésite pas à lui sacrifier quelques heures de sommeil, à risquer la courbature, le coup de soleil. L’air plus vif, plus frais, n’est pas un conseilleur de paresse. Il est un stimulant, il invite à l’action.

Malaisément on résiste à la tentation figurée par les cavalcades de petits chevaux nerveux agrippés aux sentiers qui montent au lac de Gaube, au col de Riou, vers les vallées de Lutour ou du Marcadau. Sur la place animée d’un joyeux tumulte, les guides en veste bleu de ciel, devisent avec des messieurs résolus à l’ascension du Cabaliros ou du Monné. Des ânes, chargés de victuailles et de couvertures, passent, fouaillés par un gamin en espadrilles, empressé à rejoindre la caravane engagée dans les lacets du Péguère. Des amateurs photographes, qui s’apercevront demain que leurs clichés ont « trop de pose », s’exercent à croquer discrètement la silhouette d’une bande d’Anglais combinant une traque à l’isard dans les parages de l’Ardiden ou de la Cèbe. Des buveurs circulent portant en sautoir le petit verre enfermé dans un étui d’osier. En voici qui partent, en voici qui reviennent. Et ils paraissent contents, car ils ont tous trouvé, en ce coin charmant, des distractions saines, conformes à leurs aptitudes et à leurs goûts.

Les grands marcheurs ont ici le Vignemale (3 298 m) le plus haut pic des Pyrénées françaises, géant notoire encore que débonnaire, dont je tenterai d’esquisser la noble figure. Ils jouiront, du sommet de la Grande-Fache (3 020 m) d’un panorama fort étendu sur les montagnes des Basses-Pyrénées dominées par le Balaïtous, lequel est également accessible de Cauterets. Les pics d’Enfer (3 082 m), d’Arualas (3 061 m) et d’Algas (3 047 m) sont, dans les environs, les plus intéressants à gravir pour le touriste désireux de visiter, en passant, les bains espagnols de Panticosa.

Cauterets honore la montagne. Le piolet qui, à Luchon, fait rougir de pudeur les ombrelles claires, est le compagnon des jeunes gens qui rentrent à la tombée de la nuit, s’asseoir, affamés et joyeux, devant la nappe étincelante. Et les dames elles-mêmes ne dédaignent pas, quand le guide affirme, en patois, que le temps sera beau, d’arborer la jupe courte et de poser sur leurs cheveux, strictement noués, le béret basque.

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Cauterets est une station thermale, Gavarnie est un petit village dont l’existence tient uniquement au Cirque qui a répandu son nom à travers le monde. Ceci passe, à bon droit, pour être la merveille la plus complète, la plus émouvante, la plus caractéristique des Pyrénées, pourtant riches.

Vous n’attendez pas ici, dans cette revue d’ensemble, une description détaillée d’un lieu vanté par les manuels, exploré en ses moindres recoins. Signalons seulement son importance capitale due à sa beauté, son prestige traditionnel, sa facilité d’accès. Grâce à son altitude (1 350 m) Gavarnie est le seul centre de tourisme d’où il soit possible d’accomplir une ascension de 3 000 mètres en une journée, sans coucher là-haut. Et cet avantage n’est pas à dédaigner dans un pays où l’insuffisance et l’incommodité des gîtes effraient les plus valeureux. Aussi la foule se presse-t-elle à Gavarnie.

L’exploration du cirque ne demande en réalité que quelques jours. La première visite devra être, semble-t-il, pour la Brèche de Roland (2 804 m). C’est une promenade de quatre petites heures sur des névés faciles. La coupure nette, verticale, a toutes les apparences d’une œuvre humaine. Quant à la vue, elle est complète : sur la France, des montagnes rondes, couvertes de sapins noirs, des vallées verdoyantes ; sur l’Espagne, des pics décharnés, jaunes et rouges, qui fument sous l’ardent soleil. Le Casque du Marboré (3 018 m) tout proche, étonne par sa masse légère et contournée qui semble posée sur la crête. On peut atteindre, en passant par la Fausse-Brèche (2 948 m), le Taillon (3 146 m) qui offre un beau panorama, et le Gabiétou (3 033 m) dont les aiguilles de glace sont justement célèbres. Enfin, le Marboré (3 253 m) ferme le cirque à l’Est. Imaginez une muraille droite et lisse, striée d’arabesques folles et dominant Gavarnie d’un formidable à pic. De cette terrasse, on aperçoit au sud-ouest, un pic plus élevé encore, le Cylindre du Marboré (3 327 m