Les quarante jours après la Résurrection - William Hanna - E-Book

Les quarante jours après la Résurrection E-Book

William Hanna

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Beschreibung

Après sa résurrection, Jésus-Christ n'est pas monté au ciel directement, mais il est resté 40 jours sur terre. C'est un temps considérable, lorsqu'on considère qu'il n'est apparu qu'une dizaine de fois à ses disciples, et chaque fois assez brièvement, sauf lors de son cheminement avec les deux pèlerins d'Emmaüs. Wiliam Hanna (1808-1882), qui était un théologien écossais, s'est penché sur cette période mystérieuse de la vie du Sauveur. Son ouvrage a été remarquablement bien traduit par Élie Castel (1829-1906), pasteur toulousain, qui y a de plus rajouté une longue introduction montrant l'inanité d'une théorie d'Ernest Renan alors en vogue, dite théorie des visions, laquelle prétendait que Jésus n'était pas ressuscité physiquement, mais que ses disciples avaient seulement cru le voir. En résumé, les Quarante jours après la Résurrection, restent toujours pour le lecteur contemporain un modèle de la meilleure apologétique qui ait été écrite, dans la défense du plus grand événement de l'histoire humaine. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1867.

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Seitenzahl: 347

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322484270

Auteur William Hanna. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
Les quarante jours
après la
Résurrection
William Hanna
1867
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2023 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Introduction du traducteur.
Préface de l'auteur.
I. La Résurrection
II. Marie-Madeleine
III. Les disciples d'Emmaüs
IV. La réunion du soir
V. L'incrédulité de Thomas
VI. La réunion sur les bords du lac de Galilée
VII. Pierre et Jean
VIII. La grande mission
IX. La grande mission (suite)
X. L'Ascension
Appendices
A. — La doctrine de la résurrection chez les Juifs.
B. — Les six apparitions mentionnées par Paul.
◊  Introduction du traducteur.

1) — Le docteur Hanna est déjà connu et apprécié de nos Églises depuis la publication de son ouvrage, intitulé: Le dernier jour de la Passion, dont la traduction, remarquable sous plus d'un rapport, est due à la plume si correcte et si exercée de M. le pasteur Horace Monod. Ce qui pouvait et devait être dit sur l'esprit et la manière de l'auteur écossais l'a été par M. Monod dans la rapide préface dont il a fait précéder sa traduction. Nous laissons aux lecteurs du présent volume le soin de vérifier, dans les nouvelles pages du docteur Hanna, la justesse de l'appréciation si sobre et si ferme tout à la fois de son premier traducteur.

Avons-nous besoin de dire maintenant quels sont, à nos yeux, l'intérêt et l'importance de la matière historique dont le volume que publie aujourd'hui la Société des livres religieux de Toulouse renferme l'étude et le développement? Les apparitions de Jésus durant les quarante jours qui précédèrent son ascension constituent la preuve matérielle et palpable de sa résurrection. Puisque nul ne fut témoin du miracle lui-même; puisque «l'heure précise où il eut lieu, comme la manière dont il s'accomplit, est restée le secret de Dieu;» puisqu'il n'a été accordé à aucun regard humain «de contempler le Christ au moment où il brisa les liens de la mort et reprit possession de la vie,» c'est dans les circonstances qui suivirent cet événement capital qu'il faut chercher la démonstration historique du fait même de la résurrection. Une fois la mort de Jésus admise (et, à la réserve de l'école de Paulus, elle n'est guère contestée par la critique moderne), la réalité de ses apparitions postérieures, dans les conditions essentielles de la vie humaine, suppose nécessairement le fait surnaturel de son retour à la vie, à moins qu'on ne préférât substituer au miracle de la résurrection celui d'une nouvelle incarnation. Mais ce ne serait que déplacer et accroître arbitrairement et sans profit la difficulté; aussi n'est-ce point par une semblable théorie que la critique négative cherche à écarter le fait de la résurrection. Elle conteste la réalité des apparitions de Christ dans la période postérieure à sa crucifixion. C'est donc à faire ressortir le caractère historique des manifestations de Jésus durant les quarante jours qui ont précédé son ascension, que la critique positive doit consacrer aujourd'hui ses pieux efforts. Or, bien que la question n'ait pas été traitée avec des procédés scientifiques par l'auteur anglais, son exposition est conduite cependant de façon à mettre en relief, d'une manière saisissante, la vérité du récit évangélique, dans l'ensemble aussi bien que dans les moindres détails. Nous lui devons la justice de reconnaître que, sans avoir un caractère théologique, son travail renferme, au point de vue des vraisemblances historiques, morales et religieuses, de précieux éléments pour la solution de la grande question dont se préoccupent en ce moment, et à si juste titre, tous les esprits qui ont quelque souci du christianisme positif.

Avouons cependant, qu'après avoir traduit les excellentes méditations de l'auteur écossais, nous avons éprouvé le besoin de présenter au public français, dans une introduction de quelque étendue, la question même de la résurrection, à un point de vue plus didactique et plus actuel que ne l'a fait le docteur Hanna. Les circonstances présentes nous paraissaient exiger impérieusement une étude critique de cette nature. La Société des livres religieux de Toulouse, persuadée que cette question capitale méritait d'être examinée sous toutes ses faces, a désiré de la voir traiter avec plus d'étendue que ne peut comporter une simple introduction. Elle a décidé, en conséquence, d'ouvrir un concours sur la réalité de la résurrection de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ et sur son importance, au double point de vue de la doctrine et de la vie chrétienne. Cette décision nous laissait libre sans doute de réaliser notre premier dessein; on comprendra toutefois que nous nous appliquions à restreindre le plus possible le champ de nos observations. Si nous n'avons pas cru devoir renoncer entièrement à compléter, sous certains rapports, l'ouvrage anglais, il est naturel que, dans l'attente du travail provoqué par la Société pour le compte de laquelle nous tenons la plume, nous éprouvions le besoin de réserver la plus grande partie du sujet. Nous nous bornerons donc à quelques observations sur l'objet même des études du docteur Hanna: les apparitions de Jésus-Christ dans la période intermédiaire entre sa mort et son ascension.

Le système radical, que M. Renan a emprunté à l'Allemagne incrédule, et qu'il vient d'essayer de populariser en France, peut se résumer de la manière suivante: La circonstance de la résurrection est un mythe, et toutefois c'est par la prédication de ce fait controuvé que la foi de l'Église chrétienne a été formée. Mais il n'est pas nécessaire, pour expliquer sur ce point la doctrine et l'enseignement apostoliques, de mettre en question la bonne foi des premiers prédicateurs de l'Évangile. Il est certain qu'ils n'ont pas voulu tromper l'humanité. On ne saurait soutenir avec vraisemblance qu'ils se sont entendus et, en quelque sorte, coalisés pour répandre dans le monde un solennel mensonge.

Seulement ils se sont abusés eux-mêmes. Les apparitions de Jésus-Christ, à la suite de sa mort, n'ont eu de réalité que, dans leurs imaginations exaltées. Ce ne furent que des visions intérieures ou subjectives, que naturellement et sans calcul les disciples rattachèrent à un objet sensible et extérieur. Ils ne virent pas, mais de bonne foi ils crurent voir leur maître ressuscité. Ils transformèrent ainsi leurs visions en apparitions, et, sans intentions frauduleuses de leur part, la légende prit, sous leur plume, les proportions de l'histoire. Tel est le système à examiner.

[La véritable paternité de la théorie des visions, appliquée à la résurrection, remonte jusqu'à Celse. On ne fait aujourd'hui que le copier exactement. Voici le langage qu'il adressait aux chrétiens: «Vous prétendez que Jésus est ressuscité, qu'il portait encore, après sa résurrection, des marques de son supplice, qu'il montrait les empreintes que les clous avaient laissées sur ses mains? Mais qui l'a vu? Une femme fanatique, comme vous le dites vous-même, ou d'autres qui se le sont imaginé, désireux qu'ils étaient de voir le fait se réaliser.» Il est presque superflu de faire observer que les visions dont nous parle la critique négative étant purement subjectives, c'est-à-dire ne procédant que de l'imagination, diffèrent essentiellement des visions rapportées dans nos livres saints. Celles-ci se rattachent à un élément objectif, je veux dire à une action surnaturelle, et impliquent une véritable révélation; quant aux apparitions proprement dites, elles se caractérisent par la présence matérielle et sensible du révélateur ou de l'objet révélé.]

On nous dira peut-être qu'il suffit de signaler de semblables théories; que le bon sens, associé au sens chrétien, en fait prompte justice. Nous voudrions pouvoir le penser. Malheureusement la vogue des négations est telle, de nos jours, qu'il devient nécessaire de s'arrêter devant les plus capricieuses objections et de les discuter sérieusement. Nous le ferons avec modération, sans céder aux trop faciles entraînements de la déclamation, et de manière, nous l'espérons, à communiquer au lecteur les impressions que nous cause la parfaite inanité de l'explication que nous venons de rapporter.

2) — On affirme donc, au nom de la grande critique, que pour ce qui concerne les apparitions de Jésus-Christ, et durant une période déterminée, immédiatement postérieure à sa mort, ses apôtres et leurs compagnons n'ont été que des visionnaires, livrés à tous les caprices de leurs imaginations enthousiastes. Nulle situation d'esprit toutefois, on est bien obligé de le reconnaître, n'était plus éloignée que la leur des prédispositions que suppose nécessairement l'état de vision. Cet étrange phénomène psychologique ne s'explique que par des circonstances ou des organisations tout à fait exceptionnelles. Il y faut une sensibilité maladive, beaucoup de surexcitation nerveuse, une grande exaltationa. Marie-Madeleine, dit-on, remplissait toutes ces conditions, et c'est elle aussi qui, la première, crut voir son maître ressuscité. Admettons un moment que Marie de Magdala fût telle qu'on se plaît à la représenter; un fait général n'en demeure pas moins constant: les disciples, après la crucifixion de Jésus, furent profondément abattus et découragés. M. Renan ne fait aucune difficulté d'en convenir. «Les sentiments dont ils nous font la naïve confidence, dit-il, supposent même qu'ils croyaient tout fini… L'espoir qu'ils avaient de voir Jésus réaliser le salut d'Israël est convaincu de vanité; on dirait des hommes qui ont perdu une grande et chère illusion.» Tout entiers à leurs douloureux souvenirs, ils demeurent sous le coup de si rapides et si mystérieux événements qu'ils sont dans l'impossibilité morale d'entrevoir l'avenir. Les deux disciples cheminant vers Emmaüs révèlent fidèlement l'état général de la petite communauté. Ils sont tout tristes. Ils raisonnent ensemble, et leurs pensées ne savent à quoi se fixer. Il faut une parole étrangère, et quelle parole! pour réchauffer leurs pauvres cœur brisés. Et l'on veut que de tels hommes, dans un tel état de prostration, à demi morts de déception et de chagrin, se soient tout à coup et tous ensemble, sans calcul et sans concert, exaltés au point de ressusciter celui qu'ils pleurent et duquel ils sont obligés de se dire: il a voulu mourir! Mais quoi! On oublie donc qu'à l'école de Jésus, ils avaient été jusqu'à sa mort sans initiative, accoutumés à ne marcher que par sa parole; et voilà que soudainement, au moment de leur plus grand trouble, ils deviennent les initiateurs enthousiastes de la plus sublime consolation, de la plus glorieuse espérance où ait pu s'élever l'esprit humain! Au nom de quelles vraisemblances morales et psychologiques raisonne-t-on? Les apôtres admettaient, sans doute, avec la plupart des Juifs, la doctrine de la résurrection générale; mais comment auraient-ils pu croire que celui qu'ils venaient de voir entre les mains de ses ennemis, en proie à tant d'humiliations et de douleurs, évitant de rien faire pour échapper à la mort; celui qui leur avait dit récemment: «Il vous est avantageux que je m'en aille,» se ressusciterait lui-même du fond de son tombeau? Jésus avait eu beau leur parler de résurrection (et il l'eût fait bien autrement que ne portent nos évangiles, s'il n'avait pas dû ressusciter), les auteurs sacrés ne dissimulent point que les apôtres étaient loin de compter sur le grand événement du troisième jour. Quelle difficulté n'éprouvent-ils pas, Thomas en particulier, à recevoir le témoignage de ceux qui, les premiers, viennent annoncer les apparitions de Jésus! Supprimez, comme cela devient nécessaire pour la critique radicale, les prédictions de Jésus relatives à cet éclatant miracle, et ce que vous pourrez inventer de plus incroyable et de plus merveilleux, c'est que les apôtres, dans l'état d'esprit où ils se trouvaient, aient imaginé le retour à la vie de celui dont la crucifixion avait été pour eux la plus mystérieuse et la plus poignante déception.

Il est vrai que pour rendre compte de la révolution radicale par laquelle il faut bien reconnaître que passèrent les disciples de Jésus, on n'épargne pas les explications.

On dit en premier lieu: Le matin du troisième jour, le sépulcre où Jésus avait été enfermé fut trouvé vide. Cette circonstance, ajoute-t-on, dut suggérer à ses disciples l'idée, l'espérance d'une résurrection.

[C'est le premier argument de M. Renan: «Qu'un fait matériel insignifiant,» dit-il d'abord, «permette de croire que son corps n'est plus ici-bas, et le dogme de la résurrection sera fondé pour l'éternité.» Et plus loin il ajoute: «Pierre et Jean se retirèrent chez eux (en revenant du sépulcre) dans un trouble extrême. S'ils ne prononcèrent pas encore le mot décisif: «Il est ressuscité,» on peut dire qu'une telle conséquence était irrévocablement tirée.» Tout à l'heure cependant les disciples «croyaient tout fini;» maintenant il ne leur faut qu'un fait insignifiant pour qu'ils s'imaginent d'eux-mêmes que tout va recommencer. Comment expliquer ces sentiments contradictoires? C'est ce que M. Renan ne nous a pas dit.]

Peut-on bien, en vérité, recourir à de pareils arguments? En présence du tombeau vide, la première pensée qui s'empara de Marie-Madeleine et dut nécessairement saisir l'esprit de tous les autres disciples fut celle d'un enlèvement. Quoi de plus naturel que cette appréhension au cœur de ces disciples, qui savaient avec quel acharnement les principaux d'entre les Juifs avaient demandé à Pilate la mort de leur maître bien-aimé? Un déplacement du cadavre de Jésus par ses meurtriers était l'hypothèse la plus simple et la plus probable. Sous l'empire de cette préoccupation, l'idée d'une résurrection n'aurait pu venir à l'esprit d'aucun des disciples. Hé quoi! si leur saint ami était ressuscité ne serait-il pas allé avec empressement au-devant d'eux, dans leurs demeures, ou ne les aurait-il pas attendus sur le chemin qu'ils devaient parcourir? S'il était ressuscité, eux, ses compagnons de tous les jours, les confidents de ses douleurs et de ses espérances, ne l'auraient-ils pas déjà vu? A peine le mot de résurrection a-t-il été prononcé, que les disciples doivent nécessairement raisonner de la sorte. Il est vrai, le sépulcre est vide; mais ils n'ont point vu Jésus; comment donc pouvoir croire qu'il soit ressuscité? Ainsi pensent Thomas et les disciples d'Emmaüs. Rien n'est moins conforme au récit sacré ni aux lois de la nature que la précipitation supposée des disciples à imaginer la résurrection de Jésus.

[Il est vrai que Jean nous apprend qu'après être entré dans le sépulcre et l'avoir examiné, il crut (Jean.20.8). Mais tout, dans le récit évangélique, porte à croire que ce fut là, au matin de la résurrection et antérieurement aux apparitions de Jésus-Christ, un cas unique de foi. Le caractère du disciple bien-aimé explique suffisamment cette exception.]

C'est ici cependant le point capital, et l'on a fait des efforts inouïs pour l'établir: «La mort, a-t-on dit, est chose si absurde quand elle frappe l'homme de génie ou l'homme d'un grand cœur, que le peuple ne croit pas à la possibilité d'une telle erreur de la nature. Les héros ne meurent pasb.» Et M. Renan s'amuse à amplifier, aussi bien qu'eussent pu le faire les meilleurs écoliers de la Rome impériale, ce thème paradoxal mais brillant de l'immortalité réaliste des héros; puis, appliquant à Jésus le bénéfice de son aphorisme, il en tire sans cérémonie le dogme de la résurrection, bien que l'idée de résurrection implique assez clairement que Jésus avait subi la loi de la mort. Mais il n'y faut pas regarder de si près; la théorie n'est-elle pas esthétiquement irréprochable et l'aphorisme délicieux? Interrogez le peuple, et vous verrez si M. Renan n'a pas cent fois raison: les héros, les grands hommes, les citoyens de cœur ou de génie ont-ils jamais subi «la loi injuste, révoltante, inique, du trépas commun?» Ils sont encore de ce monde, invisibles, comme Agrippine dans le Sénat, mais présents; soyez certains que le peuple le croit. Hé quoi! le supposeriez-vous donc assez égalitaire pour admettre que la nature puisse commettre l'énorme erreur de confondre, dans la même impuissance, dans les mêmes ténèbres et la même froidure du trépas, le vulgaire habitant de la fosse commune et l'hôte illustre de quelque superbe mausolée élevé, après sa mort imaginaire, pour honorer son cadavre supposé? Non, non, «les héros ne meurent pas!» Je crois bien cependant qu'en prêtant au sentiment populaire une si belle maxime, M. Renan a commis quelques oublis. L'antiquité profane ignorait bien certainement la clémence du trépas envers les grandes illustrations de l'humanité. Pour elle, la faux glacée de la mort se promenait indistinctement sur toutes les têtes; et le poète ne faisait que traduire le mélancolique sentiment de tous, en s'écriant:

Pallida mors æquo pulsat pedePauperum tabernas Regumque turresc…

Quant au monde moderne, vide de tant de généreuses illusions, croit-il davantage, pour les grands hommes, à l'heureuse exemption de la mort? Hélas! qui n'a cent fois répété, depuis Malherbe:

Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvreEst sujet à ses lois, Et la garde qui veille aux barrières du LouvreN'en défend pas nos rois.

Mais, après tout, il s'agit des Juifs et de Jésus-Christ, et M. Renan n'est pas tenu d'avoir raison hors de là. Or, il nous apprend qu'il a découvert quelque part, dans le Talmud de Babylone, que du temps de Jésus-Christ «on commençait à croire que les patriarches et les hommes de premier ordre, dans l'ancienne loi, n'étaient pas réellement morts.» On commençait est vraiment précieux; on avait donc cru tout le contraire pendant vingt siècles, et ils le croyaient encore, ces Juifs qui disaient à Jésus-Christ: «Abraham est mort et les prophètes aussi. Qui prétends-tu être?» Je crains bien qu'il ne reste à M. Renan d'autre ressource qu'Omar sortant de la tente au moment où Mahomet expira, «et déclarant qu'il abattrait la tête de quiconque oserait dire que le prophète n'était plus;» ce qui démontre précisément, ou nous nous trompons beaucoup, qu'Omar regardait tous les sectateurs du prophète comme très capables de croire que le héros était mort. Au demeurant, M. Renan a établi lui-même que les apôtres «avaient pleuré et enterré leur ami, sinon comme un mort vulgaire, du moins comme une personne dont la perte est irréparable.» L'argument tiré de l'immortalité des héros a donc pu fournir à l'écrivain la matière d'une belle page de rhéteur; mais voilà tout. Or, M. Renan est artiste et ose en artiste, il convient de ne l'oublier jamais.

                Pictoribus atque poetisd Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.

3) — Passons à une autre explication. Il s'agit de Marie-Madeleine; c'est à elle que M. Renan attribue principalement le secret de la grande révolution qui s'accomplit le jour de la résurrection. Si le corps de Jésus a disparu, qui sait? dit-il, une main de femme ne s'est-elle point glissée là? «La conscience féminine, dominée par la passion, est capable des illusions les plus bizarres. Souvent elle est complice de ses propres rêves.» On devine la pensée de l'auteur: Marie-Madeleine aurait commencé par se rendre coupable d'une odieuse supercherie. Elle aurait trempé dans l'enlèvement du corps de Jésus.

Mais puis, qu'arrive-t-il? Une fois le tour joué, Madeleine prend aussitôt les grandes et sérieuses proportions d'une hallucinée. C'est elle qui, la première, a la vision de son maître ressuscité. Son imagination s'exalte, et celui dont ses yeux viennent de contempler le corps inanimé lui apparaît dans la réalité de la vie. C'est trop de contradictions morales, en vérité. Faisons donc grâce à M. Renan de la supercherie qu'il insinue doucement au compte de Marie-Madeleine, et bornons-nous à nous demander si elle a pu éprouver une vision.

Quoi qu'en dise notre auteur, qui ne veut jamais voir en Marie (et l'on comprend pourquoi) que «la possédée de Magdala,» cette humble femme que Jésus avait délivrée de ses infirmités, partageait, au matin de la résurrection, les sentiments de tous. Son âme était remplie de tristesse et d'ennui; son imagination se voilait dans sa douleur; rien n'égale, au bord du tombeau, l'abattement de son cœur et la torpeur de ses sens. Sa première pensée avait été celle d'un enlèvement. Elle avait couru vers les apôtres et leur avait dit: «On a enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où on l'a mis.» Cette pénible idée s'arrête et se fixe dans son esprit. Interrogée par les deux anges sur la cause de ses pleurs, elle ne sait que répéter sa plainte: «On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis.» Puis elle voit Jésus et ne le reconnaît pas; elle l'entend une première fois, et l'accent de sa voix ne la réveille pas de son douloureux abattement. Il faut qu'elle soit directement appelée par son nom, et de quel ton sans doute! pour qu'elle ouvre enfin les yeux et exprime toute la soudaineté et toute la joie de sa surprise, en s'écriant: «Rabboni!» — Et c'est de cette femme, transformée, régénérée à l'école de Jésus, et dont tous les sentiments révèlent tant d'appréhension et de tristesse, que que l'on se plaît à faire une femme exaltée, une visionnaire, une hallucinée, après avoir essayé de voir en elle la complice de quelques ravisseurs intéressés du cadavre de Jésus, sans réfléchir, nous le répétons, qu'il fallait choisir, et que si elle avait trempé, en quelque mesure, dans un enlèvement du corps de son maître, il serait impossible qu'elle éprouvât ensuite aucune illusion!

Mais poursuivons. Marie se voit en face de Jésus; elle tombe à ses genoux et les veut embrasser. Jésus ne le permet pas: «Ne me touche point, lui dit-il, car je ne suis pas encore monté vers mon Père; mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. (Jean.20.17)» Mystérieuses à plus d'un point de vue dans la bouche de Jésus, ces paroles ne seraient pas seulement invraisemblables, elles seraient moralement impossibles dans celle d'un fantôme évoqué par l'imagination de Marie. Quoi! Tandis que les autres femmes peuvent s'abattre aux pieds de Jésus et les embrasser (Matt.28.9), Marie se ferait dire à elle-même: «Ne me touche point!» Bien plus encore: «Je monte vers mon Père et votre Père,» dit l'apparition. Voilà donc Marie qui suggérerait à l'être enfanté par son imagination une déclaration de laquelle il faudrait conclure que, dans sa vision, elle aurait deviné qu'elle devait avoir plus tard, et de concert avec tous les disciples, celle de l'ascension! Les impossibilités s'accumulent à mesure que l'on avance et que l'on réfléchit. Marie devait sans doute se rappeler assez bien les traits de son maître et le son de sa voix pour ne le point confondre avec le premier venu. Or, elle se trouve dans le jardin, M. Renan en convient, en présence d'un être réel: «Un homme est debout;» elle le prend d'abord pour le jardinier; et c'est cet étranger, quel qu'il soit d'ailleurs, qu'elle transformerait soudainement en celui qu'elle a si bien connu! Et tout à coup aussi, toute son affection, toute sa confiance, toute sa vénération reconnaissante se reporteraient sur ce personnage étrange dont la voix l'aurait abusée! Et lui, le voyez-vous, acceptant les hommages de Marie sans la tirer de son illusion! Est-ce assez d'impossibilités? Au moins auriez-vous dû supprimer l'être réel. Il n'y aurait point d'homme; ce ne serait qu'une ombre légère; l'imagination aurait tout créé. Mais alors encore, pourquoi cette double vision: ce jardinier d'abord, et puis cette soudaine transformation? C'est du premier coup, sur le bord de la tombe vide, que les sens exaltés de Madeleine auraient dû lui montrer le Christ victorieux de la mort.

Comprendrait-on, d'ailleurs, après l'erreur qui lui fit prendre d'abord pour le jardinier celui-là même qu'elle pleurait, qu'elle eût couru vers les disciples pour leur annoncer qu'elle avait vu le Seigneur, si elle n'avait eu cette impression de certitude absolue que laisse victorieusement, même après une première illusion, la présence et le contact de la réalité? Supposez une simple vision; quelles inévitables hésitations dans l'esprit de Marie! Elle avait cru d'abord à la présence du jardinier; puis elle a reconnu la voix de Jésus; mais ne s'est-elle point trompée? A-t-elle bien vu celui dont elle a cru le corps emporté par des mains profanes (à supposer qu'elle n'ait pas elle-même coopéré à un enlèvement)? L'homme est si lent à croire à son bonheur! Il lui en faut des preuves si palpables et si solides! Et Marie-Madeleine se fût contentée d'une ombre légère et fugitive pour remplir tout son cœur de joie! En vérité, je ne sache pas, pour le chrétien sincère et sensé, de plus forte confirmation de la vérité des faits évangéliques, que toutes ces hypothèses impossibles auxquelles la critique négative est obligée d'avoir recours, sans même parvenir à nous offrir une construction psychologique dont les divers éléments présentent la moindre cohésion.

4) — Une fois Marie-Madeleine transformée en visionnaire, tous les autres disciples le deviennent bientôt comme elle et sous son influence. «Reine et patronne des idéalistes, dit M. Renan, Madeleine a su mieux que personne affirmer son rêve, imposer à tous la vision sainte de son âme passionnée.» Son hallucination se propage rapidement. Les visions arrivent par voie de contagion; tel est le système: «C'est, dit l'auteur, le propre des états d'âme où naissent l'extase et les apparitions d'être contagieux.» Et M. Renan cherche partout, et fort ingénieusement, des illustrations à l'appui de cette théorie de la contagion. Il s'agit de voir dans quelle mesure elle est applicable aux disciples de Jésus, et si cette partie nouvelle du système radical est semée de moins d'invraisemblances et d'impossibilités que la précédente.

Un premier fait, dont tout lecteur attentif des évangiles a dû être frappé, s'élève contre ce système et le renverse: le matin du premier jour de la semaine, Marie ne se rendit pas seule au sépulcre. Les autres femmes galiléennes, Marie, mère de Jacques, Salomé, Jeanne, d'autres encore, y vinrent aussi, et l'ange leur annonça directement la résurrection de Jésus (Matt.28.6; Marc.16.1; Luc.24.6). Les synoptiques sont parfaitement d'accord sur cette déclaration de l'ange, et si le quatrième évangile a omis de la rapporter, la mention qu'il fait de deux messagers célestes, «assis l'un à la tête et l'autre aux pieds, là où le corps de Jésus avait été» couché (Jean.20.12),» vient manifestement à l'appui du récit des trois premiers. Ce n'est pas tout: Matthieu nous apprend que pendant que les femmes s'en retournaient pour faire part aux disciples de ce qu'elles venaient de voir et d'entendre, Jésus lui-même se présenta devant elles, et leur dit: «Je vous salue;» et il ajoute qu'elles s'approchèrent, embrassèrent ses pieds, et l'adorèrent (Matth.28.9).» Voilà donc une apparition, ou, selon la critique négative, une vision parfaitement indépendante et contemporaine de celle de Marie-Madeleine. Ce fait suffirait à lui seul pour faire éclater la théorie de M. Renan. Aussi, fidèle aux habitudes qu'on lui connaît, ce qui le gêne trop, il prend le parti de le nier: «Les femmes, dit-il, n'avaient pas vu Jésus; «Matthieu dit le contraire. Mais cela détonne dans le système synoptique, où les femmes ne voient qu'un ange.» Mieux vaudrait dire, à coup sûr: «Cela n'est pas, parce que cela ne nous plaît pas.» Ainsi de par M. Renan, défense à saint Matthieu d'avoir raison contre sa théorie. Ces hautes frivolités ne prouvent qu'une chose: la gravité, l'évidence des faits qui se dressent à chaque pas contre l'insoutenable système du radicalisme contemporain.

Mais le fait que nous venons de relever n'est pas le seul qui s'oppose à la théorie que nous discutons. Il en est un général qui ne mérite pas moins de fixer notre attention. Le récit de Marie-Madeleine et celui des autres femmes ne rencontrèrent de la part des disciples qu'incrédulité. Plutôt que d'oser admettre la résurrection de leur maître, ils préférèrent croire que ces femmes, et en particulier Marie-Madeleine, rêvaient, qu'elles étaient hallucinées, en un mot qu'elles avaient eu quelque vision trompeuse (Marc.16.11; Luc.24.11). Comment retrouver dans cette impression l'influence de cette femme qui, selon M. Renan, aurait «imposé à tous la vision sainte de son âme passionnée?» Au surplus, quelle préparation à l'état d'extase et de vision, que cette incrédulité des disciples commençant par suspecter leurs pieuses compagnes d'être précisément en état d'hallucination! M. Renan attribue cette incrédulité à l'exaltation de Marie de Magdala, au peu d'autorité qu'avaient les femmes, à l'incohérence de leurs récits; que nous importe? c'est vraiment se donner bien de la peine pour ne pas réussir à atténuer un fait capital: la disposition bien marquée des disciples à se défier de tout ce qui pouvait ressembler à l'extase et prêter matière de leur part à des visions d'imagination.

Deux cas particuliers font ressortir d'une façon bien frappante ce fait général: nous voulons parler des disciples d'Emmaüs et de Thomas. Les premiers quittèrent Jérusalem vers la fin du jour. Ils connaissaient les récits des femmes et ils les rappellent avec vivacité. Ils savaient que plusieurs apôtres s'étaient rendus au sépulcre et l'avaient trouvé vide. Ils n'ignoraient pas ce qu'on disait des anges qui avaient annoncé la résurrection de Jésus. Toutefois, la contagion de la grande visionnaire était loin de les avoir gagnés. Ils cheminent tout tristes, se lamentant de leur déception. Un étranger les joint, leur parle de Jésus, leur explique les Écritures, leur reproche leur incrédulité, répand dans leurs cours des espérances qui les réchauffent jusqu'à les faire brûler. Mais ils sont si peu sous l'influence des affirmations de Marie, si peu prédisposés à l'extase et aux visions, qu'ils ne reconnaissent pas Jésus. Il faut qu'à table il se place en face d'eux et rompe solennellement le pain en rendant grâces, comme seul il savait le faire, pour que l'impression soit décisive, et qu'ils saisissent les traits glorifiés du ressuscité. Supposez, ainsi que le fait M. Renan, un étranger quelconque les abordant par le chemin. S'ils sont capables d'hallucination, c'est pendant son discours, c'est tandis que sa parole enflammera leur cœur, que Jésus apparaîtra glorieusement à leur imagination; et plus tard, à table, quand l'étranger se trouvera plus directement en leur présence, nous comprendrons qu'ils reviennent de leur première impression et reconnaissent leur erreur. Le caractère d'une vision doit être nécessairement la soudaineté, surtout quand elle est provoquée par le contact d'une réalité; plus ce contact se prolonge, plus la réalité prend d'empire sur les sens et tend à se faire reconnaître pour ce qu'elle est. Tout est donc invraisemblable dans la scène d'Emmaüs, quand on veut supposer une vision; tout, disons-nous, et surtout le rôle de l'étranger. Quel est donc ce mystérieux personnage (et remarquez que pour M. Renan ce n'est pas un être imaginaire) qui gourmande les disciples, commente sans difficulté toutes les Écritures, en sait sur le Messie autant que le Messie lui-même, et beaucoup plus que tous ses apôtres, rompt le pain avec la même dignité divine que le maître incomparable, et disparaît ensuite tout à coup sans révéler sa mission et de manière à se faire recevoir, autant que possible, pour le grand ressuscité? On dirait vraiment un coup monté; la vision des deux disciples n'eût été qu'une duperie. Mais encore, quel pouvait donc être et d'où venait un si habile dupeur? Tant que M. Renan et ses amis n'auront pas éclairci ce mystère, qu'ils nous permettent de nous ranger du côté des écrivains sacrés, et d'admettre, avec saint Luc, que le docteur si consommé qui éclaira les disciples d'Emmaüs d'une si vive lumière n'était pas autre que celui qui avait dit à ses apôtres: «Je suis la lumière du monde.» Il est vrai que nous ne contestons pas systématiquement sa résurrection.

5) — Passons maintenant à Thomas. Il savait, on n'en peut douter, tout ce qui s'était dit et tout ce qui s'était fait dans la grande journée qui venait de s'écouler; mais il n'avait pas assisté à la réunion du soir, dans laquelle la petite communauté chrétienne avait pu voir et entendre celui qui, le matin même, avait brisé les liens du tombeau. Thomas résista au témoignage de tous; nul autre n'offrit moins de prise à la contagion des sentiments nouveaux dont les disciples de Jésus commençaient à être remplis. Avant de croire, il veut voir; et, à coup sûr, prévenu comme il l'est déjà, il prendra toutes ses précautions pour n'être pas la dupe d'une illusion. Huit jours s'écoulent, et Thomas n'a rien vu. Il s'obstine dans ses doutes et ses difficultés. S'il doit avoir sa vision, soyez assurés qu'elle sera solitaire, originale, un peu fière peut-être, comme toutes les convictions fortement personnelles succédant, après une lutte opiniâtre, à un long scepticisme. Les circonstances mêmes dans lesquelles il verra le Seigneur devront avoir leur caractère particulier. Il lui faudra, pour le convaincre, des manifestations différentes de celles qui ont suffi pour déterminer la foi de ses compagnons dans l'apostolat, et surtout plus prolongées; car enfin, ce n'est pas de la sincérité de leur témoignage qu'il se défie, mais de la maturité de leur examen. Aussi veut-il, pour ce qui le concerne, voir la marque des clous dans les mains de Jésus et la blessure à son côté, puis avancer son doigt et constater la réalité de ces profondes déchirures encore imparfaitement cicatrisées. Convenons que si Thomas doit avoir une vision, les circonstances en sont bien minutieusement marquées d'avance et qu'elle aura difficilement le caractère, si nécessaire pourtant, de la spontanéité et de l'irréflexion.

On sait ce qui arriva. Ce ne fut point dans un lieu solitaire, en un moment d'exaltation et d'intimes élans de l'imagination; ce fut dans la seconde réunion du soir, pendant les récits divers de ceux qui la composaient, que Thomas, avec les autres et comme les autres, malgré sa défiance particulière, aperçut et entendit clairement le maître divin, aux manifestations duquel il avait jusqu'à ce jour refusé de croire. Supposez une vision; dans l'ardeur de son extase, l'imagination une fois impressionnée, l'apôtre, tout entier à ses nouveaux sentiments, oubliera ses premières et froides exigences; elles ne lui reviendront pas à la mémoire. «L'idéal ne veut pas être touché, dit M. Renan, et il n'a nul besoin de subir le contrôle de l'expérience… Noli me tangere est le mot de toutes les grandes amours. Le toucher ne laisse rien à la foi.» En présence du fantôme bien-aimé, le disciple, convaincu et transporté à sa vue, n'aura pas la témérité profane d'avancer la main vers lui, et l'ombre insaisissable, flottant aux regards de son esprit, ne se jouera pas de sa tardive crédulité, en l'invitant, d'un ton solennel ou ironique, à étendre son doigt pour constater dans le vide la réalité de l'idéal. Eh bien! les choses vont se passer encore tout autrement que ne le voudrait la théorie des visions, «Mets ici ton doigt,» dit l'apparition, «et regarde mes mains; avance aussi ta main, et la mets dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais crois (Jean.20.27).» Quelle autorité! quel tendre reproche! Est-ce bien là le langage que le disciple s'adresserait à lui-même dans son imagination? Et de plus, en cet heureux moment, où la vue vient de le remettre, après tous les autres, en possession du Messie victorieux de la tombe, serait-il bienvenu à inventer et à prononcer la déclaration du Maître des esprits: «Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru?» Tous les autres n'avaient-ils donc pas vu? Que signifierait, dans sa bouche, cette parole? Et serait-ce d'ailleurs devant un fantôme, image navrante de l'homme de douleur, (comment se le serait-il autrement représenté?) qu'il aurait sans hésiter fléchi les genoux en s'écriant: «Mon Seigneur et mon Dieu?» Ah! dans cette exclamation brûlante, toute pénétrée d'humiliation et d'adoration, comme on sent bien l'influence triomphante de l'être réel et divin qui, par sa présence et par un mot de sa bouche, en un instant, a vaincu toutes les résistances et tous les scrupules de son difficultueux mais sincère disciple! «Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru,» Oui, Thomas avait vu, et d'un regard exempt de toute illusion, celui que le tombeau venait de rendre à la vie; et quand le maître ajoute: «Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru,» il ne fait que fortifier la confiance de son disciple, en reportant sa mémoire à toutes les déclarations par lesquelles il avait si souvent prophétisé sa résurrection. Moins oublieux et moins inintelligent de la parole et de l'œuvre du Messie, Thomas aurait dû croire à son retour du sépulcre, sans éprouver un si impérieux besoin de le voir et de le toucher. Quant à M. Renan, quelle trop bonne fortune pour lui que la rencontre de cette déclaration: «Heureux ceux qui n'ont pas vu!» Avec quel empressement il en fera le mot d'ordre du plus plat ignorantisme, de la plus stupide crédulité qui furent jamais! Quelle aversion profonde et concentrée pour le christianisme apostolique respire dans un passage comme celui-ci:

«On trouva quelque chose de plus généreux à croire sans preuve. Les vrais amis de cœur ne voulurent pas avoir eu de vision; de même que plus tard saint Louis refusait d'être témoin d'un miracle eucharistique pour ne pas s'enlever le mérite de la foi. Ce fut dès lors, en fait de crédulité, une émulation effrayante et comme une sorte de surenchère. Le mérite consistant à croire sans avoir vu, la foi à tout prix, la foi gratuite, la foi allant jusqu'à la folie fut exaltée comme le premier des dons de l'âme. Le credo quia absurdum est fondé; la loi des dogmes chrétiens sera une étrange progression qui ne s'arrêtera devant aucune impossibilité.» (Les Apôtres, p. 25.)

[Cette diatribe sans mesure contre l'esprit dogmatique du christianisme primitif est aussi absurde que malveillante. Où l'auteur a-t-il donc vu que les amis de cœur (Pierre, Jean, Marie-Madeleine probablement) ne voulurent pas avoir été témoins de la résurrection? Où a-t-il découvert, et en quoi, cette émulation de crédulité, cette foi gratuite et à tout prix qui le transporte d'indignation? Ignore-t-il donc que les Apôtres étaient avant tout des témoins, et se présentaient comme tels? Croire sans preuve! Jésus ne leur avait donc fourni aucune preuve de sa puissance, qu'il lui fût interdit de réclamer leur confiance en la prédiction qu'il avait faite si souvent de sa résurrection? Il est vrai que M. Renan a supprimé les miracles et la prophétie.]

L'incrédulité, il faut en convenir, a sa loi de progression aussi, et les impossibilités ni les contradictions ne l'effraient guère. Il est plaisant, en vérité, d'entendre les organes de la grande critique, avec leurs prétentions à refaire toute l'histoire, se scandaliser du dicton: «Heureux ceux qui n'ont pas vu.» Penseraient-ils nous persuader peut-être qu'ils ont, eux du moins, vu et entendu ce dont ils parlent avec tant d'assurance, et surtout quand il s'agit de démentir ceux qui ont dû précisément voir et entendre en réalité? A coup sûr, les disciples de M. Renan, s'ils s'en rapportent aux assertions du maître, font singulièrement honneur au credo quia absurdume; car, en présence d'une foule de jugements de l'illustre critique, en présence de ses théories de fantaisie et de toutes ses hypothèses languissamment étalées au lieu et place de la vérité historique la plus solidement établie qui fut jamais, le nego quia absurdum est cent fois fondé.

6) — Quelques mots maintenant sur les diverses réunions au sein desquelles Jésus apparut après sa résurrectionf. Ces réunions sont au nombre de cinq: deux à Jérusalem, à une semaine d'intervalle, dans la chambre haute, le dimanche soir; une au bord du lac de Génézareth; une sur la montagne de Galilée, où Jésus se fit voir à plus de cinq cents personnes; et celle qui eut lieu près de Béthanie et pendant laquelle il fut élevé au ciel.

Apparaissant au milieu de ses disciples réunis le soir, Jésus leur dit: «La paix soit avec vous» (schalom lachem). Ecoutons sur ce fait le commentaire du grand théologien de l'école radicale:

«Pendant un instant de silence, quelque léger souffle passa sur la face des assistants. A ces heures décisives, un courant d'air, une fenêtre qui crie, un murmure fortuit arrêtent la croyance des peuples pour des siècles. En même temps que le souffle se fit sentir, on crut entendre des sons. Quelques-uns dirent qu'ils avaient entendu le mot schalom, bonheur ou paix. C'était le salut ordinaire de Jésus et le mot par lequel il signalait sa présence. Nul doute possible: Jésus est présent; il est là dans l'assemblée.»

Evidemment, pour en parler comme il en parle, il faut que M. Renan y fût aussi. Toutefois le lecteur jugera s'il doit s'en rapporter aveuglément à son témoignage, avec ses fenêtres qui crient et ses courants d'air qui arrêtent la croyance des peuples pour des siècles. Pauvre humanité! Servum et turpe pecus, vil troupeau, toujours esclave de l'illusion!

Arrivé en Galilée, Jésus se tient un matin sur le rivage, au moment où quelques-uns de ses apôtres pêchent dans le lac de Génézareth. Illusion, pure illusion! «Une fois, dit M. Renan, ils avaient ramé toute la nuit sans prendre un seul poisson; tout à coup les filets se remplissent; ce fut un miracle. Il leur sembla que quelqu'un leur avait dit de terre: Jetez vos filets à droite. Pierre et Jean se regardèrent: C'est le Seigneur, dit Jean. Pierre, qui était nu, se couvrit à la hâte de sa tunique, et se jeta à la mer pour rejoindre l'invisible conseiller.» Le sagace commentateur ne nous dit pas comment il se peut faire qu'une fois sur le rivage, face à face avec lui-même, l'apôtre ne fut pas guéri de la maladie des visions, et n'en guérit pas radicalement ses compagnons. Bien au contraire, dès lors, les visions se multiplièrent. On se rappelle le repas de Jésus avec ses disciples: «Ils furent persuadés, après le repas, dit M. Renan, a que Jésus s'était assis à côté d'eux et leur avait présenté des mets.» Ils furent persuadés est admirable. Croyez-vous que la suite ait embarrassé davantage notre auteur? Pas le moins du monde. Il est vrai que tant de visions successives, avec les mécomptes nécessaires, en une seule matinée: miracle de la pêche, repas sur le rivage, réhabilitation de Pierre dans l'apostolat, prédictions relatives à sa fin, ont quelque chose de particulièrement surprenant. Mais M. Renan a le secret de rendre les difficultés légères: parvæ molis erat. Pourquoi ne pas multiplier les jours et les circonstances dans la proportion des apparitions? Donc, c'est à des jours divers que toutes ces choses se passent. Au demeurant, écoutons notre auteur; il vaut la peine de le citer encore:

«Un jour, Pierre, en songe peut-être (mais que dis-je! leur vie sur ces bords n'était-elle pas un songe perpétuel?), crut entendre Jésus lui demander: «M'aimes-tu?» La question se renouvela trois fois. Pierre, tout possédé d'un sentiment triste et tendre, s'imaginait répondre: «Oh! oui, Seigneur, tu sais que je t'aime»; et, à chaque fois, l'apparition disait: Pais mes brebis, etc., etc.» Une autre historiette encore, avec le début connu: «