Les roses du château - Bertrand Hourcade - E-Book

Les roses du château E-Book

Bertrand Hourcade

0,0
3,99 €

-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Dans ce recueil de nouvelles en partie autobiographiques, Bertrand Hourcade observe les êtres et les choses. Et comme les éclosions des roses peuvent alterner en plusieurs tons, le bon sens d'un mongolien surpasse quelquefois la prétendue sagesse humaine..." (Patrice Rossel).

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
MOBI

Seitenzahl: 240

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Du même auteur

Dictionnaire de l’anglais des métiers du tourisme, Pocket, Paris, 1995

Cours de pratique du français oral, Messeiller, Neuchâtel, 1996

Dictionnaire du Rugby: français-anglais, anglais-français, La Maison du dictionnaire, Paris, 1998

Dictionnaire explicatif des verbes français, La Maison du dictionnaire, Paris, 1998

Le Village magique, roman, Les Iles futures, Pully, 2001

Les Roses du château, nouvelles, Les Iles futures, Pully, 2004

Pratique de la conjugaison expliquée, Voxlingua, Leysin, 2006

Comment écrire une composition : 50 modèles pour apprendre à structurer un texte, Voxlingua, 2006

Explanatory Dictionary of Spanish verbs, Voxlingua, 2006

Práctica de la conjugación española, Voxlingua, 2006

Le Don du pardon, pièce de théâtre, Voxlingua, 2006

Voyage au pays des couleurs, conte, Voxlingua, 2008

Anthologie de théorie littéraire : du classicisme au surréalisme, Voxlingua, 2009

Anthologie de poésie française, Voxlingua, 2009

Marée blanche à Biarritz, roman, Voxlingua 2013

Fatwa, roman, Voxlingua 2013

Für Elise

B.H.

TABLE DES MATIERES

LES ROSES DU CHATEAU

LA CROISEE DU TRANSEPT

LE QUAI DE GARE

LE COLLECTIONNEUR

CASTOR ET POLLUX

LE HACHOIR

LE BLOCKHAUS

DECOUVERTE

LA MOUETTE

LE PASSAGE SOUTERRAIN

LA CONFESSION

LE MANIAQUE

L'AUTOROUTE

L'ADIEU

L'ORDINATEUR

PRISON

LE MENDIANT

LA VRAIE REVOLUTION

DANS LE TRAIN

EXOTISME CULINAIRE

WAGRAM

LE SATELLITE

PASSAGE

MORT DE LA METAPHORE

LES ROSES DU CHATEAU

A la belle saison, le parc du Château se transformait en petit jardin d’Éden. Aux alignements tirés au cordeau des parterres en fleurs répondaient les vignes vierges qui montaient à l'assaut des murs; lierre et glycine se complétaient pour parer la propriété de couleurs somptueuses. Madame Z., propriétaire des lieux et directrice de l’internat qu’abritait le Château, tirait une grande fierté de son jardin à la française et tout particulièrement de ses plates-bandes de roses. Chaque allée était invariablement bordée de part et d'autre de rosiers magnifiques. Ici, c'était une succession de rosiers rouges, alors que plus loin s'étalaient les tons rose pâle ou jaune vif d'autres variétés de roses. Cette féerie de couleurs faisait que l’on désignait chaque allée par la couleur dominante des roses qui la bordaient: ainsi parlait-on de "l'allée rouge," de "l'allée rose" ou encore de "l'allée jaune".

C'est Julien, jardinier d'une grande discrétion et d'une efficacité remarquable, qui s'occupait de cet ensemble floral incomparable. Il avait fait sien ce territoire où il imprimait chaque jour davantage son empreinte. Madame Z. essayait de le régenter en lui donnant des directives générales, mais jamais trop de conseils techniques, laissant astucieusement le soin de régler les détails à son subalterne qui connaissait l'âme des fleurs mieux que quiconque.

Chaque semaine, Julien faisait une cueillette des différentes fleurs qui poussaient dans le parc car il fallait renouveler les fleurs qui ornaient les diverses pièces du Château. Julien arpentait le domaine muni d'un sécateur et façonnait des bouquets aux couleurs chatoyantes et aux senteurs exquises. Il mélangeait, selon les saisons, les narcisses et les camélias, les pensées et les œillets, parachevant le tout par un lis blanc amoureusement posé au centre du bouquet.

Mais c'était les roses qu'il affectionnait particulièrement. Dans le Château, personne n'avait le droit de toucher aux rosiers excepté Julien qui, sous l'œil vigilant de sa maîtresse, coupait seulement les roses que Madame Z. désignait pour le sacrifice. Il tirait de cette limitation un désir de se surpasser, de trouver pour chaque bouquet une présentation, un arrangement unique. Il passait de longs moments à étudier les différentes perspectives visuelles, les divers effets de couleurs. Il s'enivrait de subtils arômes qui lui montaient doucement à la tête. Et lorsqu'il posait le chef-d'œuvre achevé sur le bureau des secrétaires, il rayonnait d'une immense fierté.

– Oh! Julien, c'est magnifique!

Les compliments lui allaient droit au cœur et il quittait les bureaux empli d'une béatitude qui lui durait des heures. Sa vie était ainsi réglée par le cycle des floraisons, et rien ne lui coûtait plus que l’arrivée de l'hiver. Son jardin se mettait en hibernation. Il lui fallait émonder, ratisser et tailler, autant d'actions qui emplissaient son cœur d'une grande tristesse. Il aspirait avec impatience aux premiers jours de février lorsque, annonciateur du printemps proche, le mimosa se parait le premier de ses fleurs jaunes et devenait l'objet de tous ses soins. Bientôt les roses refleuriraient! Et en pensant à tout cela, il commençait à reprendre vie.

Julien vivait ainsi dans une innocente béatitude jusqu'au jour où il fut troublé par un événement anodin en apparence. Il remarqua, dans l'allée rouge, une tige de rosier dont la fleur avait été coupée. Il était sûr de n’avoir pas moissonné dans cette allée-là récemment. Or la brisure était fraîche. Comment se faisait-il? Quelqu'un aurait-il volontairement cueilli une rose? Il alla en parler immédiatement à M. Laurent, le Doyen des Études. Sans doute quelque élève avait-il encore une fois traversé en courant les plates-bandes! Ah! quand ces gamins apprendraient-ils les bonnes manières et le respect?

Il avait presque oublié l'incident lorsqu'il remarqua un peu plus tard un pétale rouge qui traînait sur une marche du perron. Le pétale était encore frais! Tout excité par cette découverte, il poussa la porte du Château et tomba sur un deuxième pétale qui se trouvait à égale distance du bureau de M. Laurent et de Gabriella! Indécis et troublé, Julien le ramassa et poussa la porte de la secrétaire. Il entra et vit le magnifique bouquet qu'il avait cueilli et porté lui-même à Gabriella la veille. Tout semblait normal mais en plein centre, contre le lis blanc habituel, trônait une rose rouge. Or il savait pertinemment qu'il n'avait pas cueilli de roses rouges pour ce bouquet-là!

– Bonjour Julien! Votre bouquet est toujours aussi magnifique!

La voix de Gabriella le tira de sa songerie.

– Euh, oui, c'est vrai. Et surtout, avec cette rose en son centre. C'est d'un effet tout à fait réussi.

Gabriella fut frappée par la réponse de Julien. Ce n'était pas son genre de se jeter des fleurs.

– Oh, oui! Ce rouge et ce blanc, la pureté et la passion si intimement liées, c'est d'un charme fou!

« Elle se moque de moi, » pensa Julien.

– Aimez-vous les roses rouges?

– Je les adore, Julien, vous le savez bien. Tout ce que vous m'apportez a tant de goût!

– Mais je ne vous ai pas apporté cette rose rouge!

– C'est exact. C'est Monsieur Z. qui me l'a donnée ce matin.

– Ah, vraiment? Et qu'a-t-il dit?

– Il était d'excellente humeur. Il m'a dit que cette fleur rouge allait très bien près du lis blanc qui me ressemblait tant. Quel charmeur ce Monsieur Z.!

Julien prit le parti de sourire et sortit de la pièce quelque peu décontenancé. Gabriella parlait de tout cela avec une telle candeur qu'il semblait impensable qu'elle mentît. Monsieur Z.! Ainsi, c'était lui qui massacrait les plates-bandes du Château!

Il fallait éclaircir tout cela au plus vite. L'occasion lui en fut bientôt donnée. Il était en train de biner le sol d'une plate-bande dans l'allée jaune lorsqu'il vit M. et Mme Z. qui venaient dans sa direction.

– Bonjour Julien. Tout va bien ce matin?

– Bonjour Monsieur, bonjour Madame. Oui, tout va bien. Il fait beau et c'est un plaisir de travailler le sol. Il est meuble à souhait.

– Vous passerez me voir tout à l'heure. Il faut couper une basse branche qui gêne le passage là-bas, derrière cette haie.

– Très bien madame. Heu, à propos, quand voulez-vous que nous fassions la cueillette hebdomadaire des roses?

– Quelle question, Julien! Mercredi, comme toujours!

– Bien madame. Mais, voyez-vous, je n'étais pas entièrement sûr, vu que Monsieur a déjà commencé la cueillette des roses hier.

– Que dites-vous? Louis, que veut dire ceci?

– Je ne comprends absolument rien à cette histoire, ma chère. Julien, expliquez-vous donc!

– Eh bien, je fais allusion à la rose rouge que vous avez offerte à Gabriella hier et qui orne le bouquet de son bureau.

– Louis, qu’est-ce que j’entends? Vous offrez des fleurs à Gabriella?

– Non, pas du tout. J’ai trouvé une rose rouge qui gisait par terre, dans le couloir du château. Et je l’ai portée à Gabriella dont le bureau était juste à côté pour l’ajouter à son bouquet. C’est tout ce qu’il y a à dire. De plus, la pauvre fleur perdait ses pétales.

– J'ai moi-même ramassé une pétale rouge sur le perron et une autre dans le Château.

– Un pétale, Julien. On dit un pétale. Combien de fois devrais-je vous le répéter?

– Oui, c'est vrai. Excusez-moi, Madame. Mais ceci signifie que quelqu'un vient butiner les fleurs dans les jardins de la propriété. J'ai prévenu M. Laurent qui n'a rien remarqué d'anormal chez les pensionnaires du Château. Mais il va garder l'œil ouvert.

– Tout ceci est vraiment incroyable. Julien, je vous charge de découvrir ce malotru. Et le plus vite possible!

– Bien madame. Comptez sur moi.

A partir de ce jour-là, M. Laurent et Julien furent sur le qui-vive. Ils se concertaient pour échanger leurs impressions. Ils cherchaient sur les visages, dans les comportements, dans les inflexions de voix quelque indice qui les mettraient sur une piste. M. Laurent faisait même des raids diurnes dans les chambres des élèves pendant que ces derniers étaient en classe pour trouver quelque indice. Pourtant, c'est Julien qui, le premier, relança toute l'affaire. Dans l'allée jaune, il trouva 2 jours plus tard une tige brisée. Il aurait pu imputer cela à un accident, à un enfant qui aurait marché par hasard au mauvais endroit, sans un morceau de papier soigneusement plié et attaché au pied de la plante par un morceau de scotch.

Fort

Belle,

Elle

Dort;

Sort

Frêle!

Quelle

Mort!

Rose

Close,

La

Brise

L’a

Prise.

Un frisson d'inquiétude parcourut Julien. Il se sentit soudain mal à l'aise. Quel rebondissement! Non seulement on était sûr maintenant que ces roses brisées étaient l'ouvrage de quelque vandale, mais de plus, ce dernier se permettait de laisser des traces et de narguer le monde! Et en vers de poésie qui plus est!

Il courut chez Monsieur et Madame Z. à qui il bégaya cette histoire hallucinante. La maîtresse des lieux faillit s'évanouir en apprenant la nouvelle. Elle s'administra une petite rasade d'Armagnac pour se donner du courage. Cependant, Monsieur Z. jugea la situation plutôt excitante, avec cette aura de mystère qui y ajoutait beaucoup de charme. Julien ne put s'empêcher de cristalliser ses soupçons sur lui. M. Laurent fut convoqué aussitôt ainsi que Gabriella qui, en son for intérieur, trouvait l'histoire fort drôle. Il fut demandé à chacun une surveillance de tous les instants. M. Laurent suggéra de mettre dans la confidence M. Gauthier, le professeur de littérature.

– Son expertise pourrait nous être utile.

Ainsi fut-il fait. M. Gauthier, tout surpris par l'aspect vaudevillesque de la situation et en même temps flatté par le rôle soudain revalorisé de sa discipline académique jugée généralement démodée et rétrograde, se fit fort de débusquer l'individu.

– Ce poème est le fameux sonnet monosyllabique de Jules de Rességuier. Un modèle en son genre. Très intéressant vraiment, très intéressant.

Quelques jours plus tard, un deuxième billet trempé de rosée fut découvert par Julien au pied d'un rosier jaune. Julien fut dès lors convaincu que ces forfaits se commettaient la nuit. Il ouvrait la bouche pour en informer Madame Z. quand celle-ci lui arracha le billet des mains et se mit à le lire en tremblant.

Rose sang

Tachée d'un peu d'or,

Talisman

Pour vaincre la mort.

Rose rouge

De pourpre sublime,

Mon cœur bouge

Au bord d'un abîme.

Rose rose,

Fragile beauté,

Grandiose

De fragilité.

Rose jaune,

Soyeux oriflamme,

Teinte fauve,

Émoi de mon âme.

Rose pâle,

marque de tendresse,

Virginale

Petite princesse.

Qui se penche

Un peu sur ta tige,

Rose blanche,

Est pris de vertige.

Frêle rose,

Objet de désir,

Vite éclose

Avant de mourir,

Tu parfumes,

Troublante et fragile,

L'amertume

De tout cœur sensible.

B. Frontenac

– Mon Dieu! Que c'est beau!

Madame Z. n'avait pu s'empêcher de murmurer son admiration devant Julien ahuri, avant de se reprendre aussitôt:

– Vite, allez me chercher Monsieur Gauthier!

Ce dernier fut fort embarrassé devant ce texte qu'il découvrait pour la première fois et qu'il essayait en vain de rattacher à quelque poète connu. Il plissa les sourcils, serra les dents, se gratta le menton et enfin déclara que l'inconnu cherchait à cacher son jeu en jouant de l'hermétisme. Mais, qu'on ne s'inquiète pas, lui M. Gauthier nécessitait un peu de recul pour analyser ce nouvel élément. Et très vite on verrait ce qu'on verrait.

Madame Z. se mit à rêvasser à ce poème qu'elle trouvait magnifique et dont chaque vers lui parlait si intimement. Elle brûlait du feu de savoir tout sur ce B. Frontenac dont le nom s'était magiquement gravé dans son inconscient et la travaillait sans cesse. Deux longs jours s'écoulèrent pendant lesquels madame Z. harcela le pauvre Monsieur Gauthier qui s'était remis à faire le rat de bibliothèque comme dans ses plus beaux jours de vie estudiantine. Il était lui-même surexcité par ce mystère poétique. Avait-il affaire à un imposteur, à un pseudonyme? Qui se cachait derrière ce nom et ces vers? En connaisseur, M. Gauthier appréciait la rythmique de ces strophes et savait la difficulté qui se trouvait derrière l'apparente facilité de lecture.

Julien buta sur un nouveau billet qui avait été placé dans l'allée rouge. Il le porta aussitôt à Madame Z. qui le lut en sentant monter dans son dos le picotement du désir.

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère;

un amour éternel en un moment conçu:

Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,

Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

En femme sensible, Madame Z. comprit qu'il s'agissait d'une histoire d'amour hors du commun. Elle en fut très affectée et en même temps flattée en imaginant sur le champ qu'il était probablement question d'elle dans ces vers. Un inconnu amoureux d'elle et qui, pour mieux attirer son attention massacrait avec art ses parterres de fleur! Il s'agissait sans nul doute d'une profonde passion qui ravageait le cœur d'un homme bien malheureux et bien amoureux! Un homme était là, qui l'adorait dans l’ombre, un subalterne dont le rang était difficile à concilier avec son amour et qui préférait souffrir en silence plutôt que de se déclarer. C'était la seule explication qui lui vint à l'esprit pour expliquer cette délicatesse dans les sentiments. Elle était rassurée par la retenue de cet homme qui montrait de grandes marques de déférence.

On fit venir le professeur de littérature qui identifia fort vite l'origine de cette dernière citation poétique. L'amoureux transi puisait dans les plus riches trésors de la poésie lyrique française! Il s'assimilait même à Félix Arvers, célèbre poète et amoureux qui n'avoua jamais sa flamme à la femme qu'il côtoyait constamment et qui apparemment ne se rendit jamais compte qu'elle était l'objet de la plus belle et de la plus pure des passions.

Confortée par ces nouvelles, Madame Z. se promit de ne pas tomber dans l'indifférence amoureuse. Rongée par le démon de la curiosité et du désir, elle se laissa glisser dans un état langoureux où elle végétait toute la journée. Personne ne la reconnaissait et le jardinier ne comprenait rien à ce changement subit. Elle dut composer un personnage devant Julien et jouer encore une fois la femme outragée. Mais elle y mit moins de véhémence que la première fois. Il ne fallait pas décourager le prétendant mystérieux. Pour la première fois, Madame laissa son jardinier décider lui-même de quelles roses il fallait couper pour les bouquets du mercredi! Elle avait soudain perdu son intérêt pour ce qui lui plaisait le plus auparavant.

Monsieur Gauthier se faisait fort de traquer la personnalité du mystérieux correspondant à force d'analyser les échantillons des poèmes qu'il livrait. Déjà il avait diagnostiqué un personnage "refoulé, vaguement inquiet et complexé devant le sexe faible, avec une légère tendance à la morbidité".

– Nous le dénicherons où qu'il se trouve. Imaginez! Prendre pour modèle Félix Arvers, qui a écrit un seul grand poème mais qui n'a pas su concrétiser auprès de celle qu'il aimait! Notre inconnu s'est révélé d'un coup.

– Ceci est très bien mais parlez-nous donc de B. Frontenac, cher Monsieur Gauthier. Que savez-vous de lui et que pensez-vous de ses vers?

– Chère madame Z., voyez-vous, B. Frontenac, eh bien, il doit appartenir à l'époque contemporaine. Il y a tant de poètes aujourd'hui!

– Oui, mais parlez-moi de son œuvre! Ces vers sur les roses, toute cette fraîcheur, n'est-ce pas troublant, grisant, enivrant?

– Certes, certes, voilà de la bien bonne poésie. Écoutez, je vous propose de faire quelques recherches sur notre mystérieux poète et je vous informerai dès que possible.

– Merci infiniment, cher ami.

A chacune de leurs discussions, avec une insistance pathologique, Madame Z. revenait systématiquement sur le sujet du mystérieux B. Frontenac au désespoir de M. Gauthier.

– Monsieur Gauthier, laissez Arvers de côté. Parlez-moi de B. Frontenac.

Parfois le professeur, exaspéré, se laissait aller à sa frustration:

– Frontenac? Un illustre inconnu, un imposteur, un rimailleur, un plagiat!

– Un plagiat? Et de qui donc, Monsieur le Professeur?

M. Gauthier s'enferrait alors dans de nébuleuses explications. B. Frontenac lui causait un tort considérable. Comment lui, le spécialiste, ne connaissait-il pas un poète de cette trempe?

En dépit des nuits et des jours qu’il passa à essayer de percer ce mystère, M. Gauthier dut finalement avouer son impuissance mais en offrant une explication qui blanchissait complètement son ignorance et qui relançait de plus belle la spéculation sur l'identité du mystérieux amoureux.

– Écoutez, j'ai beaucoup réfléchi et j'en suis arrivé à la conclusion que B. Frontenac est le pseudonyme d'un inconnu qui connaît le Château, qui peut-être même vit et travaille ici. Dans cette poésie, il y a trop d'allusions indirectes à notre roseraie. J'en suis convaincu, il y a un poète parmi nous!

Madame Z. s'était dressée d'un bond! Un poète au Château! Ceci serait l'œuvre de quelqu'un qui vivait ici, qui la voyait, l'observait, la connaissait, l'aimait en silence! Mais oui, bien sûr, un autre Arvers était là, dans l'ombre, qui trouvait son inspiration à la côtoyer, à la voir, à l'aimer! Cette fois-ci, son admiration passa toutes les bornes. Un poète l'aimait!

La rumeur courait que Madame avait le mal d'amour. Elle se mouvait dans un monde plein de poésie et de mystère, à la lisière de l'incohérence parfois. Monsieur Z. prenait maintenant la chose moins gracieusement qu'au début. Sans encore aller jusqu'à envisager le spectre du cocuage, il se rendait compte que sa femme était la risée de beaucoup de gens qui se gaussaient de cette lubie de femme amoureuse... d'un poète. Aussi imagina-t-il, pour couper court à cette histoire, de placer lui-même un billet au pied d'un rosier. Il fallait frapper très fort pour éradiquer le mal une fois pour toutes. Ce fut dans Arvers qu'il trouva la solution.

Le soir même, alors que Madame Z. était rivée devant sa télévision où passait un film d’amour, Monsieur Z. descendit du premier étage où se trouvait leur appartement et sortit du Château. Il avait opté pour l'allée blanche, car elle était un peu en retrait et il courait moins le risque d'être aperçu. Il sélectionna un rosier et, à tâtons dans le noir, avec son bout de scotch collé au papier pour mieux imiter le poète inconnu, il chercha l'endroit propice où placer son billet. Ce faisant, il s'égratigna plusieurs phalanges des deux mains aux épines qu'il ne pouvait voir. Il étouffa un juron et finalement colla le papier un peu n'importe comment, soulagé de pouvoir enfin se relever et de s'éloigner à grands pas vers le Château.

Le lendemain, Julien amena le billet en le brandissant comme un trophée de guerre.

– Madame Z.! Je viens de trouver un autre message. le voici! L'auteur a laissé sa marque dessus!

Monsieur Z. qui était dans le salon dressa l'oreille. Une marque sur le billet? Il s'approcha de l'entrée où Madame Z. dépliait un billet maculé de taches sombres.

– C'est du sang!

Monsieur Z. avait instinctivement plongé ses deux mains dans ses poches. La veille, il avait arrêté l'écoulement de sang avec son mouchoir de toile qu'il avait ensuite dû jeter dans une poubelle.

– Madame, nous devrions faire analyser ce sang!

Julien était tout excité par sa trouvaille. Cette fois-ci Monsieur Z. se devait d'intervenir avant que la situation ne dérape et ne lui échappe complètement.

– Voyez, Julien, vous n'y pen...

Mais au même moment, madame Z. venait de se laisser choir dans une bergère en poussant un cri. Le billet venait de lui échapper des mains. Julien le ramassa et, médusé, se mit à lire à haute voix:

J'ai donc bien réussi, je t'ai donc bien frappée;

Par un adolescent ta vanité trompée

A pu croire aux serments que ma voix te jurait!

C'est bien. Je suis content: j'ai passé mon envie;

D'un souvenir amer j'empoisonne ta vie.

Et songe bien au moins que c'est moi qui te laisse

Et que c'est moi qui ne veux plus!

M. Gauthier fut convoqué immédiatement pour trouver l'origine de ces vers.

– Est-ce du Frontenac ou du Arvers? Je veux le savoir!

Le professeur qui n'avait jamais eu de recherche aussi excitante à faire de toute sa carrière mit une demi-journée avant d'identifier l'origine de ces vers.

– C'est d'Arvers, encore une fois. Il n'en décolle pas! C'est un mordu, un obsédé! Nous le tenons!

Madame Z. était allongée sur un sofa d'où elle ne bougeait plus. Seuls ses yeux brillaient d'un vif éclat.

En même temps que Monsieur Z. s'inquiétait de l'évolution de sa femme, M. Laurent se tourmentait de la même chose pour une toute autre raison. Il avait profité de l'incident de la rose rouge portée par Monsieur Z. à Gabriella pour imaginer tout un stratagème amoureux qui lui permettrait enfin d'approcher de celle qu'il aimait et de lui dire, d'une manière indirecte son amour, sa flamme, sa passion. Il avait planté ces billets amoureux dans la roseraie dans l'espoir que Gabriella verrait et comprendrait que l'homme qui occupait le bureau en face du sien n'avait de pensées que pour elle. Mais pour cela, il voulait aller doucement, l'approcher de loin, tendrement, l'entourer de fleurs, de douces pensées, de belles poésies, et graduellement resserrer la perspective en se rapprochant d'elle et en dirigeant ses regards et ses pensées de plus en plus vers lui, mais toujours d'une manière souple et détournée. Il voulait la rendre amoureuse à mourir de lui sans qu'elle sache – au début du moins – qui il était, tant il avait peur d'être rejeté.

Mais voilà que Madame Z. avait complètement dérouté ses projets. En accaparant sur elle l'attention, elle changeait complètement l'objectif de son plan et Monsieur Laurent était au comble du désespoir. Gabriella était à mille lieux de se douter de la passion qui couvait en face de son bureau, de l'autre côté du couloir. Et tout cela, à cause de Madame Z.! Il commençait franchement à détester cette dernière. Qu'elle se couvre de ridicule lui importait peu, mais qu'elle ruine ses plans, non, il ne pouvait pas accepter cela!

Il fallait donc passer à l'action et agir d'une manière directe et claire. Ainsi, au moment où Monsieur Z. œuvrait pour faire revenir sa femme à la raison, Monsieur Laurent décida-t-il de son côté de faire un pas décisif en direction de Gabriella.

Un soir qu'il était resté particulièrement tard dans son bureau, il cisela avec force patience un pétale rouge en forme de cœur. Ensuite il entra dans le bureau de Gabriella et colla le pétale sur l'écran de l'ordinateur. Ceci attirerait son attention mais ne suffirait pas. Il alluma l'ordinateur de Gabriella, ouvrit un dossier qu'il nomma ROSE, et le plaça en évidence au milieu de l’écran. Dans ce dossier, il écrivit le message suivant:

Il n'y a qu'une rose

Qui mérite un poème.

Et lorsque je compose,

C'est parce que je t'aime.

B. Frontenac

C'était l'époque où les soirées d'automne projetaient de nostalgiques reflets sur les rangées de rosiers. Alors que Madame Z. mourait lentement de maladie d'amour pour avoir bien inconsidérément joué avec ses sentiments, Gabriella se mit à son tour à fantasmer sur le mystérieux inconnu. Elle se mit du parfum de rose, acheta du chewing-gum à la rose, s'habilla uniquement de couleurs de roses et graduellement commença à croire qu'elle était vraiment une rose qui attendait le Dieu Soleil pour satisfaire son irrépressible besoin d'amour.

LA CROISEE DU TRANSEPT

Chaque fois qu’il franchissait le portail de la cathédrale, Julien ressentait un frisson lui parcourir le corps. Était-ce dû à la présence des gargouilles aux figures effrayantes qui le regardaient entrer et dont il n’osait soutenir le regard ou bien à la peur que lui causait l’obscurité qui régnait dans le sanctuaire? Lui-même n’aurait su le dire avec certitude, mais la combinaison de ces deux éléments faisait qu’il se raccrochait à la main de son père qui l’entraînait dans les entrailles de la nef, jusqu’à l’endroit plus rassurant de la croisée du transept.

Il insistait toujours auprès de son père pour s’installer au premier rang des chaises. Ce désir de se placer ainsi au plus près du chœur dont ils n’étaient séparés que par la largeur du transept, son père l’avait attribué à un excès de piété de son fils. Mais la réalité était moins glorieuse. Julien se sentait tout simplement bien lorsqu’il pouvait s’asseoir à cet endroit, sur le côté droit de la nef et si possible au milieu de la rangée. Là, il pouvait à la fois calmer ses angoisses et satisfaire ses petits désirs innocents.

En entrant dans la cathédrale, la longue perspective qui court du narthex jusqu’au chœur et, au-delà même du maître-autel jusqu’à l’abside, donnait au jeune garçon l’impression de s’engager dans un couloir sans issue, une avenue sombre et peu attirante. Mais la croisée du transept, par la rupture qu’elle opérait dans le double alignement des piliers des nefs latérales, l’affranchissait soudain de la sensation d’étouffement qui l’assaillait à l’intérieur de l’édifice. L’esprit du jeune garçon se libérait d’un seul coup en apercevant les ouvertures majestueuses des deux magnifiques rosaces latérales qui insufflaient la vie sur les murs du sanctuaire en les éclaboussant de taches de lumière.

De sa chaise, Julien pouvait observer l’intérieur de la cathédrale dans toute son étendue. Dans l’esprit de l’enfant, l’endroit où se croisaient le transept et la nef évoquait l’image de l’Étoile qui irradiait de l’Arc de Triomphe et dont la perspective des avenues qui s’étiraient dans toutes les directions avait frappé son imagination d’une empreinte indélébile. Tout comme au sommet de l’Arc de Triomphe, il se sentait ici dans un endroit stratégique, à la convergence de nombreuses synergies. Lorsqu’il avait mentionné cette comparaison à son père, ce dernier l’avait qualifiée d’intéressante et, n’en retenant que l’aspect religieux, avait réussi à y déceler un indice de la profondeur spirituelle de son fils:

– C’est bien d’un rêveur comme toi de voir des étoiles dans une église. Tu as la graine d’un mystique.

Julien n’avait jamais entendu parlé des mystiques auparavant. Après une investigation sommaire, il avait décidé qu’il n’appartenait certainement pas à cette confrérie-là. Il sentait bien que son père se méprenait à son sujet. Qu’en aurait-il été s’il avait connu l’autre motif pour lequel Julien aimait s’asseoir à cet endroit? Le seul fait d’y penser le rendait confus et il se sentait mal à l’aise à la simple idée d’en parler à autrui.

Sur un vitrail du porche sud, la scène de l’Annonciation montrait la Vierge Marie en présence de l’Archange Gabriel. Dès le premier regard, Julien s’était senti irrémédiablement attiré vers la pureté de ligne et la perfection du visage de Gabriel. Ce dernier, vêtu d’une longue robe rouge, était représenté dans une position déférente envers la Vierge de bleu vêtue. Julien avait à peine remarqué cette dernière. Il était hypnotisé par l’Annonciateur et buvait, dans la contemplation de cette scène, le poison encore innocent chez lui de l’attirance charnelle.

Il passait les offices entiers perdu dans la contemplation de cette scène. Lorsque le soleil illuminait directement le vitrail, ébloui par de tant de beauté conjuguée, il tombait dans une rêverie qui lui donnait l’impression d’être enlevé au ciel et qui ne s’achevait que lorsque son père, impressionné par une manifestation aussi intense de vie intérieure, lui touchait respectueusement la main pour lui indiquer que l’office religieux était terminé.