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Bertrand Hourcade

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Beschreibung

Mario et Eduardo, deux frères tombés dans le petit banditisme font, par le plus grand des hasards, une découverte extraordinaire : la cachette de Rachid Suleman, frappé de Fatwa pour blasphème religieux. Commence alors, dans le Londres du XXIe siècle, un incroyable chassé-croisé entre Scotland Yard, les islamises et les services secrets français.

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Du même auteur

Dictionnaire de l’anglais des métiers du tourisme, Pocket, Paris, 1995

Cours de pratique du français oral, Messeiller, Neuchâtel, 1996

Dictionnaire du Rugby, La Maison du dictionnaire, Paris, 1998

Dictionnaire des verbes français, La Maison du dictionnaire, Paris, 1998

Le Village magique, roman, Les Iles futures, Pully, 2001

Les Roses du château, nouvelles, Les Iles futures, Pully, 2004

Pratique de la conjugaison expliquée, Voxlingua, Leysin, 2006

Comment écrire une composition, Voxlingua, 2006

Explanatory Dictionary of Spanish verbs, Voxlingua, 2006

Práctica de la conjugación española, Voxlingua, 2006

Le Don du pardon, pièce de théâtre, Voxlingua, 2006

Voyage au pays des couleurs, conte, Voxlingua, 2008

Anthologie de théorie littéraire, Voxlingua, 2009

Anthologie de poésie française, Voxlingua, 2009

Marée blanche à Biarritz, roman policier, Voxlingua, 2013

Fatwa, roman policier, Bibracte, 2019

Comment étudier, BOD, Paris, 2019

A Jack Higgins

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

Chapitre XXII

Chapitre XXIII

Chapitre XXIV

Chapitre XXV

Chapitre XXVI

Chapitre XXVII

Chapitre XXVIII

Chapitre XXIX

Chapitre XXX

Chapitre XXXI

Chapitre XXXII

Chapitre XXXIII

Chapitre XXXIV

Chapitre XXXV

Chapitre XXXVI

Chapitre XXXVII

Chapitre XXXVIII

Chapitre XXXIX

Chapitre XXXX

Chapitre XXXXI

Chapitre XXXXII

Chapitre XXXXIII

Chapitre XXXXIV

Chapitre XXXXV

I

Carter déplia le journal et l’étala sur son bureau. Il n’en croyait pas ses yeux et pensa qu’il devait informer son patron sur le champ.

Il était sidéré par l’article qu’il lisait et relisait. Il voulut partager ses impressions avec quelqu’un et appela sa secrétaire qui était dans le bureau voisin, la porte ouverte. Elle avait de magnifiques jambes qu’elle mettait en valeur en les croisant avec élégance sous son bureau, mais bien en vue de Carter qui ne manquait jamais de lorgner par en-dessous avant de revenir vers le charmant visage de sa subordonnée.

Il fantasmait bien un peu sur elle mais essayait de garder vie professionnelle et vie privée séparées. Il savait que cela risquait de ne pas toujours durer mais il se faisait violence à l’entour du personnel féminin du service. Cependant, la proximité et la fréquence de contacts avec sa secrétaire minaient doucement sa détermination.

– Myriam, pourriez-vous venir un moment s’il vous plaît ? Elle apparut presque aussitôt sur le seuil de la porte.

– Heu, je voulais vous poser une question personnelle. Aimez-vous les dessins animés ?

Interloquée, elle le regarda en fronçant les sourcils. Allait-il par hasard l’inviter à sortir voir un film d’animation ? Elle n’en croyait pas ses oreilles. Cependant, il continuait :

– Mais oui, vous savez, Donald Duck, Speedy Gonzalez, Mickey Mouse, …

– Bien sûr que je les aime, mais un peu moins qu’il y a quelques années.

– Et votre petite fille ?

– Oh, elle, elle les adore.

– C’est bien dommage, soupira malicieusement Carter.

– Pourquoi dites-vous cela ?

Myriam ne put éviter de mettre un ton de reproche dans la voix, car elle sentait une critique voilée dans la remarque de Carter.

– Oh ! Je ne juge pas votre fille en disant cela. Je pense simplement que nous arrivons peut-être à la fin d’une ère de civilisation et que le dessin animé pourrait disparaître.

– Mais que voulez-vous dire ?

Myriam s’impatienta.

– Je ne comprends pas où vous voulez en venir et surtout sur quoi vous vous basez pour tenir de tels propos ?

– Eh bien, vous n’avez qu’à lire.

– Et Carter présenta le journal à Myriam dont les yeux s’agrandirent à mesure qu’elle lisait.

– Mais c’est une plaisanterie !

– Ah, vous croyez ? Moi, je n’en suis pas si sûr.

– Ils se regardèrent dans un silence presque embarrassé.

– Ecoutez Carter ! Lancer une fatwa contre Mickey Mouse ! Vous prenez cela au sérieux ?

– On a vu des choses plus bizarres et qui étaient très sérieuses !

– Si vous pensez ce que vous dites, soit vous êtes fou, soit notre monde ne tourne plus rond !

– Ecoutez, la folie est partout. Il y a des tas de gens qui ne pensent pas comme nous ici, en Occident. Et les différences sont si grandes qu’on arrive parfois à l’absurde.

– Voilà, c’est exactement le mot qui convient ici. Cet article est absurde.

– Je suis d’accord avec vous si vous voulez dire que le contenu est absurde, mais certainement pas le journaliste qui l’a écrit.

– Vous vous rendez compte ? Mettre à mort … une souris fictive !

– Pas n’importe laquelle, s’il vous plaît : Mickey Mouse, le symbole de l’impérialisme américain.

– Vous parlez comme un de ces terroristes !

– Mais non, j’essaie simplement de voir les choses de leur point de vue.

– Et vous trouvez donc des tendances impérialistes à Mickey Mouse ?

Carter sourit.

– Pauvre Mickey Mouse ! Quel triste sort : être condamné à disparaître, et à se cacher. On ne survit pas à une fatwa si on ne se cache pas. C’est pourquoi je vous disais que l’ère du dessin animé pourrait tourner court, si les fatwas commencent à pleuvoir sur les personnages animés.

– Trouver des relents impérialistes et capitalistes à Mickey Mouse, tout de même !

Myriam hochait la tête mi-crédule, mi-sceptique.

– Je me demande ce que va penser M. Waddams de cette histoire.

Le nom du patron fit revenir Carter sur terre.

– Ah oui, il faut que je l’informe de ce développement inattendu tout de suite. Au revoir, Myriam. Ne soyez pas trop troublée par tout ceci ; je voulais partager avec vous la primeur de cette information.

Et il quitta le bureau sans plus tarder.

***

Waddams mâchait le bout de son crayon, d’un air songeur. Il s’imaginait dans deux ans, au moment de prendre sa retraite.

Cela le fit sourire, car il se voyait déjà dans son petit cottage du Lake District, entre chasse et promenade, mener une vie enfin tranquille, loin de l’agitation de la capitale et de sa vie trépidante.

Ses rêveries se faisaient de plus en plus fréquentes et il devait s’avouer, non sans quelque surprise, que depuis quelque temps, son travail commençait à lui peser.

Cependant, il gardait le même rythme effréné et régulier à la fois, ne dérogeant jamais à la discipline qu’il s’imposait et qui impressionnait toujours autour de lui.

Ce matin-là, il attendait la visite de son délégué aux affaires terroristes. Un petit coup à la porte et un jeune homme entra, un document à la main.

– Bonjour Monsieur.

– Bonjour Carter. Asseyez-vous donc.

– Merci.

– Alors, quoi de nouveau aujourd’hui ?

– Une chose incroyable pour tout vous dire.

– Vous m’intéressez presque.

– Il s’agit d’une nouvelle fatwa.

Waddams jeta un regard morne sur Carter.

– Il n’y a là rien de bien surprenant. Il existe de nouvelles fatwas presque tous les jours.

– Oui, mais celle-ci est … différente.

Carter fit une pause pour mobiliser l’attention de son chef qu’il sentait peu attentif.

– Moui ? articula ce dernier.

– Et bien il s’agit d’une fatwa contre … Waddams rêvassait toujours. – Contre ?

– Contre… Mickey Mouse.

Waddams eut comme une décharge électrique. Son regard se fixa avec une dureté incroyable sur son subordonné.

– Qu’avez-vous dit ?

Carter déglutit péniblement et articula lentement :

– Contre Mickey Mouse.

Le regard de Waddams se fit pénétrant et il lâcha :

– Excusez-moi, mais nous travaillons sur un sujet qui exclut ce genre de plaisanterie grossière. C’est un humour que je ne qualifierai même pas de britannique.

Et pour appuyer sa phrase, Waddams fit une moue condescendante tout en pointant son menton vers le haut.

– Mais Monsieur, je ne me permettrai pas. Je vous assure. C’est une chose on ne peut plus officielle.

– Expliquez-vous !

Carter se leva, en brandissant le journal qu’il avait à la main.

– Cette fatwa a été décrétée devant des milliers de téléspectateurs sur la chaîne saoudienne Al-Majd. C’est un ouléma qui l’a lancée. Le Cheikh Mohammed Al-Mounajid a rappelé que la souris est une créature impure et vicieuse et dont la charia préconise l’extermination. En faisant cela, les enfants musulmans seront protégés moralement. Il faut donc tuer Mickey !

Et ce disant, Carter lâcha son document sur le bureau du patron.

Ce dernier n’en revenait pas de la fougue avec laquelle le jeune homme avait parlé.

– On dirait presque que vous approuvez ce que vous venez de raconter !

Surpris, Carter bafouilla :

– Mais … pas du tout.

– Pourtant, la verve avec laquelle vous avez parlé … Waddams se leva et fit quelques pas autour de son bureau, passant dans le dos de Carter et jetant un regard sur le titre du journal.

Après un moment, Waddams reprit :

– D’après vous, quel est l’enseignement à tirer de cette nouvelle extraordinaire ?

– Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

– C’est très simple. Qu’allons-nous faire de ce cas de fatwa ?

– Mais Monsieur, c’est à vous de décider.

– C’est exact. Je voulais simplement voir si vous avez une vision des choses qui dépasse le bout de votre nez.

– Heu, je ne sais pas Monsieur.

– Je vais donc vous dire le fond de ma pensée. Cette fatwa, Monsieur Carter, on va l’oublier. C’est une fatwa à valeur idéologique certes, mais qui n’a rien à voir avec notre souci principal qui est de protéger des individus, et non des souris, de surcroît américaines !

Carter serra les dents et laissa la tempête s’éloigner. Waddams qui s’était laissé aller un peu se reprit, s’éclaircit la gorge et dit :

– N’est pas important tout ce qui est vrai. Et maintenant, vous pouvez aller travailler sur les cas qui nous concernent.

Alors que Carter quittait son bureau, Waddams se tourna vers la baie vitrée d’où il voyait une partie de Londres. Il avait l’esprit préoccupé, moins par le sort de Mickey Mouse que par la personnalité de son équipier. Peut–être est-il encore un peu jeune tout de même pensa-t-il en bourrant une pipe.

II

Les deux femmes entrèrent dans le bar.

– Ouf ! Il fait trop chaud dehors.

A l’intérieur, la fraîcheur les apaisa tout de suite. Elles choisirent une table dans un recoin d’où elles pouvaient voir la rangée de palmiers en bordure de la mer qui scintillait au soleil.

L’une dit, avec un grand sourire :

– C’est fait !

– Vraiment ? Je n’en reviens pas. Et c’était difficile ?

A l’autre bout de la salle, derrière son comptoir, le propriétaire Mario ne quittait pas des yeux la table 18 où étaient assises les femmes, dans un renfoncement naturel du mur. Cet endroit isolé était un petit havre de tranquillité au milieu de la grande salle animée.

Les doigts de la grande rousse se crispèrent sur son sac.

– Un peu, mais moins que je ne craignais..

Mario affectionnait particulièrement cette niche et la réservait à ses clients préférés. De plus, chaque fois que possible, il y menait ceux qu’il ne connaissait pas mais qui présentaient bien au premier abord.

Il lui semblait normal que les personnes qui le désiraient puissent avoir un endroit tranquille bien à elles. Il en était venu à affectionner particulièrement la table 18 et n’hésitait pas non plus, lorsqu’il invitait lui-même des amis dans son bar, à s’accaparer d’office cet endroit pour être plus à l’aise avec eux.

– Peut-être que j’étais un peu nerveuse, mais c’était avant. Regarde.

Elle sortit un sachet en cuir de son sac à main. Délicatement, elle ouvrit le cordon de la bourse et versa une partie du contenu dans la paume de sa main.

Rachel, se pencha aussitôt, l’index en avant pour toucher ce qu’on lui montrait.

– En fait, je m’inquiétais pour bien peu quand je pense à la facilité avec laquelle …

Mario n’avait jamais vu ces deux femmes auparavant. Il avait un faible pour le beau sexe et se mettait toujours en quatre pour satisfaire aux désirs de sa clientèle féminine.

Il se sentait excité par la présence de ces femmes et désirait fortement s’immiscer dans leur intimité. Aussi s’avança-t-il dans leur direction, la serviette blanche sur le bras, en tanguant de la manière la plus professionnelle possible et, arrivé à un mètre de la table, saisit au bond la dernière phrase de la conversation comme un tennisman qui smashe dans la balle.

– La facilité ? Il n’y a rien de facile aujourd’hui dans la vie. Bonjour Mesdemoiselles.

La main se referma aussitôt sur son mystérieux contenu.

Elles se retournèrent surprises, et laissèrent percer un sourire quand elles virent que c’était le garçon qui les interrompait ainsi.

– Bonjour Monsieur. Oui, vous avez raison, mais parfois, on peut avoir de la chance.

– Parfois peut-être, mais moins que plus souvent.

La petite, aux cheveux châtain lui plaisait bien, avec sa frimousse pleine de taches de rousseur.

– Vous êtes en vacances par ici ? Elles échangèrent un regard complice.

– Si l’on veut. On aime beaucoup la région et on vient de temps en temps se promener sur la Croisette.

– Oui, je comprends. D’autant qu’on peut y faire des rencontres très intéressantes, n’est-ce pas ? Par hasard, vous ne seriez pas des starlettes du festival de cinéma ?

Elles gloussèrent comme des gamines.

– On aimerait bien, mais on va vous décevoir. Juste des touristes, et rien de plus. Vous recevez ici des stars du festival ?

– Chaque année. C’est forcé, vu que nous sommes si près du palais des Festivals et des Congrès.

Elles commandèrent deux panachés.

Mario retourna vers le bar où il appuya sur un bouton placé sous le comptoir. Il voulait savoir ce qui était dans cette main.

***

A peine le garçon était-il reparti que Josy reprit son histoire.

Rachel était suspendue à ses lèvres.

– Il voulait coucher avec moi, mais comme il avait beaucoup bu, il était en fait complètement saoul lorsque nous sommes arrivés chez lui.

Josy se pencha en arrière dans sa chaise, un sourire aux lèvres.

– Tu connais les hommes, leurs meilleures résolutions ne tiennent pas devant une bonne bouteille. Et il a précisément ouvert une nouvelle bouteille qu’il a entrepris de boire avec moi. Il nous servait souvent mais je finissais mes verres à demi, ce qui fait qu’il buvait deux fois plus que moi.

Nous étions déshabillés, allongés sur le lit. Je l’ai fatigué à l’extrême, tu comprends ? Cela a duré un peu de temps mais comme il était ivre, ses réalisations n’ont pas été à la hauteur des ses ambitions, d’autant que j’ai réussi à dissoudre une poudre dans son verre à son insu. Et là, plus de problème. Il s’est endormi tout de suite.

– Et alors ?

– J’ai fouillé longtemps et partout sa chambre. Je savais qu’ils étaient quelque part, car il me l’avait fait comprendre. J’étais si nerveuse ! Lorsque je les ai enfin trouvés, je suis allée dans la salle de bains où l’éclairage est meilleur. Je les ai étalés sur la tablette du lavabo. Ils brillaient, c’était magnifique !

Elle fit une pause quelques instants pour manifester sa joie et la partager avec son amie.

– J’étais tellement excitée que je n’ai même pas réalisé qu’il s’était réveillé. Il a tout de suite compris, malgré son état, ce qui se passait car il s’est avancé en titubant jusqu’à la porte de la salle de bains. Il était menaçant et a hurlé :

– Qu’est-ce que tu fous ? Tu crois me baiser hein ?

Il s’appuyait contre le chambranle de la porte. Je n’étais pas rassurée par son attitude, même si je le savais affaibli par l’alcool. C’était … Oh ! C’était effrayant !

Il m’a alors saisi la tête par les cheveux et m’a précipitée contre le lavabo. Il était comme fou. Il a fait couler de l’eau dans le lavabo et m’a poussé la tête dedans, m’empêchant de respirer.

Il hurlait toujours et j’ai vraiment pris peur. J’ai compris … oui, c’est alors que j’ai compris qu’il voulait me tuer !

Mais cela m’a donné une force nouvelle. Je me suis agrippée aux deux bords du lavabo et je me suis brusquement propulsée en arrière, ce qui l’a surpris et déséquilibré. Il m’a alors lâchée en reculant, et s’est écroulé d’une masse sur le côté. Sa tête a heurté le rebord de la baignoire en faisant un bruit mat et il s’est immobilisé raide sur le sol. Il … il était … il ne bougeait plus. Je l’ai tué !

Je ne savais que faire. J’étais totalement perdue. J’en avais oublié complètement les diamants jusqu’au moment où mon regard est tombé sur la tablette du lavabo. Le scintillement de leurs mille feux m’a fait revenir sur terre. Je les ai rapidement fourrés dans le sachet. Juste le temps de m’assurer que je ne laissais aucun objet derrière moi, puis j’ai filé. Et regarde : ils sont ici, dans ma main.

Elle présentait sa paume ouverte vers le haut et Rachel passait ses doigts sur les petites pierres.

– Tu as réussi ! C’est extraordinaire ! Oublie le reste. Ce type ne valait pas la peine, il aurait eu ta peau, s’il en avait eu la chance.

– Peut-être, mais il est quand même mort à cause de moi.

– C’était de la légitime défense et …

***

Mario arrêta l’enregistrement. Il sentait qu’il était sur un gros coup.

III

Depuis quelques années déjà, Mario avait, tout à fait par accident d’ailleurs, développé une activité parallèle à son bar. Mais cette activité-là, totalement illégale, il la cachait à tous.

C’est dans l’exercice de son métier de serveur que l’idée lui était venue, confuse tout d’abord, puis de plus en plus évidente à mesure qu’il ruminait la chose.

Il avait remarqué que les gens arrêtaient souvent leur conversation à son approche lorsqu’il venait les servir. Des bribes de conversation qu’il percevait, il savait que les clients abordaient parfois des sujets sensibles que personne d’autre qu’eux ne devait entendre. Il avait développé une sorte de sixième sens pour flairer ce genre de situation. Il était capable de deviner le degré de confidentialité que souhaiterait le client d’après son physique, son attitude ou son allure.

C’est lorsqu’il se rendit compte que ce genre de personnes un peu spéciales s’asseyait dans le même type d’endroits que l’idée lui vint d’empiéter sur la vie privée de ces gens-là.

Dans le bar, les mêmes tables étaient toujours occupées par des gens qui parlaient à voix basse, jetaient des regards autour d’eux et avaient manifestement des choses à cacher. Les tables 5 et 18 notamment, de par leur emplacement un peu en retrait et leur situation peu exposée aux oreilles indiscrètes, étaient les plus recherchées.

A force de mûrir l’idée dans son cerveau, Mario eut l’idée de poser des micros dans ces tables afin de pouvoir entendre les conversations. Il se rendait compte que cela pouvait lui coûter cher s’il était découvert. Aussi décida-t-il d’agir absolument seul.

Lorsqu’il décida de commencer ses activités clandestines, Mario était encore bien naïf par certains côtés. Pourtant, il se mit à l’ouvrage tout de suite et, pour que la chose se fasse sans éveiller de soupçons, il décida de changer toutes les tables du bar. Il choisit de belles tables qui avaient, en leur centre, un petit espace rond recouvert d’une petite grille amovible et par lequel on pouvait enfiler, en sortant la grille, un mât de parasol.

Ce fut sous cette grille qu’il installa lui–même le micro. La grille fut ensuite scellée, pour éviter qu’un curieux un jour ne découvre le pot aux roses. Sous la table, il fixa une boîte en fer de dimension modeste et qui contenait l’appareillage d’enregistrement. Cette boîte avait aussi été fermée à l’aide d’une combinaison de chiffres qu’il était le seul à connaître. Le pavé numérique était caché à la vue par une surface coulissante. Au simple coup d’œil, on ne remarquait rien que de très normal.

Une fois équipé, il fit des expériences pendant quelque temps, apportant tous les ajustements et réglages nécessaires jusqu’à ce qu’enfin il puisse écouter facilement les discussions des deux seules tables retenues dans ce projet : les tables 5 et 18.

Au début, ce fut très amusant. Il commença à découvrir la vie privée des clients réguliers. Il se rendit vite compte que ce faisant, il prenait le risque de se faire sinon repérer, du moins soupçonner, car il pouvait facilement par inadvertance donner des renseignements qu’il n’était pas supposé savoir. Aussi, finit-il par moins s’intéresser aux petites brouilles de famille, aux histoires d’adultère, d’héritage, de vengeance ou de haine personnelle.

Bien vite aussi, il se lassa de la routine monotone étalée sur les bandes. Il lui fallait écouter de longues conversations insipides avant de trouver un semblant d’intérêt dans la vie de ces clients.

Ce qui l’intéressait beaucoup plus était les clients qu’il ne connaissait pas. La nouveauté, le fait d’être dans un endroit différent, pour la première et probablement pour la dernière fois, semblait créer chez ceux-là un besoin de confidence beaucoup plus profond que chez les clients réguliers.

Un jour, une conversation de deux inconnus attira particulièrement son attention. Il était question de chargement, de passeur, de rendez–vous secrets. Les inconnus se sentaient si bien dans leur coin de bar qu’ils parlaient sans coder leur conversation. Ce qui fit comprendre à Mario qu’il tenait là des renseignements très sensibles. Mais qu’en faire ?

De plus, les inconnus avaient déplié sur la table 18 des documents qu’ils étudiaient avec la plus grande attention. Mario aurait bien aimé les voir et les étudier aussi, histoire d’avoir une image complète de la situation.

Aussi résolut-il d’aller plus loin dans son plan d’espionnage. Il fallait qu’il puisse voir en même temps qu’entendre. Il décida donc d’installer des micro-caméras qu’il fixa lui–même : certaines dans le centre des ventilateurs qui brassaient l’air au-dessus des tables 5 et 18 afin d’avoir une vue plongeante, d’autres dans des structures latérales sur les murs afin de prendre les visages des clients.

Et une nouvelle période d’observation commença, réglant les angles des caméras, l’intensité du volume ou de l’éclairage. Il travailla surtout sur les effets sonores et considéra bientôt son travail achevé.

Enfin tout fut prêt et chaque soir, à la fermeture du bar, Mario rentrait dans son bureau écouter les conversations qu’il avait choisi d’enregistrer durant la journée en appuyant sur le bouton sous son bar.

Il n’eut pas longtemps à attendre avant que des conversations sur des affaires louches surgissent. Mais il était pétrifié d’inaction car il ne savait comment utiliser les données reçues.

***

Mario avait des idées, mais seul, il sentait qu’il n’arriverait pas à agir. Aussi fallait-il qu’il change de méthode s’il voulait que sa lumineuse idée puisse produire des fruits. Et pour cela, il devait impliquer d’autres personnes dans cette histoire : il lui fallait une équipe sur qui compter, des complices avec qui agir.

Il fit rapidement le tour des connaissances en qui il pouvait avoir une confiance absolue. Il ne trouva qu’un seul nom : Eduardo, son frère, installé à Londres et qui était propriétaire d’un pub et d’un salon de thé dans le centre de la capitale anglaise.

Même si Eduardo ne l’épaulait pas dans son projet, il savait qu’il pouvait lui en parler sans craindre de fuites. Les deux frères étaient très proches : ils avaient vécu la même enfance difficile, traversé ensemble des années d’exclusion sociale dans les écoles françaises où ils étaient arrivés d’Italie à une époque où les Italiens n’étaient pas mieux reçus que les Africains aujourd’hui.

Tout cela les avait unis et ils avaient lutté ensemble. Un lien très fort les reliait, qui était à toute épreuve. Mais Mario ne savait pas comment Eduardo réagirait à l’annonce de ce projet auquel il voulait l’associer.

Il attendit donc sa prochaine visite à Cannes et un soir, dans le silence du bar, ils s’assirent à la table 18 et Mario expliqua tout à son frère qui ne dit mot tout le temps de l’exposé.

Quand il eut fini, il monta dans son bureau et fit entendre la conversation qu’ils venaient d’avoir à la table 18. La caméra leur montrait une vue plongeante sur leurs cranes et sur la table qui était restée vide de documents.

Devant le mutisme de son frère, il ajouta :

– Et tu vois donc, cher Eduardo, où j’en suis. J’ai fait le premier pas, l’installation est en place, je reçois des données que j’efface à mesure que je les écoute pour ne pas laisser de traces, mais, pour passer à l’action, j’ai besoin d’être épaulé. Et pas par n’importe qui.

Eduardo regarda longuement son frère dans les yeux. Ce fut un moment intense et fort, où la communion des deux frères fut à son comble. Enfin Eduardo lâcha :

– Je viens de m’apercevoir de l’étendue de ma calvitie grâce à ta caméra microscopique.

Mario le regardait, perplexe. Puis Eduardo se leva.

– Frérot, tu m’en bouches un coin !

Mario ne savait si cette phrase était une condamnation ou un encouragement.

– Ah oui ? Alors, heu, … que penses-tu ?

– Je pense que tu es un génie !

Ce faisant, Eduardo envoya une grosse claque dans le dos de son frère, et partit d’un rire irrépressible.

Mario se détendit. Ainsi, Eduardo approuvait ce projet.

– Tu as trouvé un moyen pour que nous puissions prendre notre revanche sur la vie. Et je suis prêt à collaborer avec toi.

– Vraiment ? Tu veux rentrer dans la combine ?

– Oui, cela m’intéresse. Mais pas n’importe comment. Il va nous falloir agir avec beaucoup de minutie. Par la suite, on pourrait installer dans mon bar le même équipement.

– Tu veux aussi te lancer là–dedans ? Tu veux dire, exactement le même équipement ?

– Je trouve l’idée géniale, et si nous unissons nos forces, on pourra aller plus loin. On aura des affaires en Angleterre et d’autres en France. On ratissera plus large ainsi.

Ils mirent au point un système de partage d’informations et d’alertes entre les deux. Ils créèrent une charte qu’ils ne devaient jamais transgresser et dont le maître mot était planification.

Ils étaient fort conscients d’empiéter sur la sphère privée du citoyen lambda et de fouler aux pieds les droits les plus élémentaires de la liberté d’autrui en se lançant dans cette entreprise. Mais la perspective d’une vie différente, où l’argent coulerait à flot l’emporta vite sur leurs hésitations.

Et c’est ainsi que démarra l’association des deux frères qui résolurent d’user d’une prudence et d’une patience extrêmes pour mener à bien leur entreprise.

***

Dès qu’il eut écouté l’enregistrement des deux femmes, Mario prit son portable et se mit à composer un numéro.

IV

Comme tous les lundis, Carter poussa la porte de son chef pour la réunion hebdomadaire de la cellule anti-fatwa.

Lors de cette réunion établie officiellement pour faire le point, il se sentait généralement mal à l’aise. Il préférait les réunions inopinées, suite à une urgence à résoudre. Il lui semblait plus facile d’agir à chaud que de réagir après réflexion.

– Alors Carter, du nouveau dans le monde du dessin animé ?

Carter saisit tout de suite l’allusion et décida de l’ignorer. Waddams le regarda un moment puis lui posa la question qu’il redoutait :

– Avez-vous une vision globale de la situation actuelle en Europe ?

Carter n’aimait pas quand son chef utilisait le mot vision. Il sentait le poids de l’expérience lui manquer étrangement dès qu’il fallait faire des synthèses.

– Eh bien, il se passe des choses effectivement. La situation a tendance à se durcir un peu partout avec la montée de la crise et la pression terroriste.

– Oublions la crise, voulez-vous ? Nous devons pouvoir traiter de nos problèmes sans embrouiller la vision générale par des paramètres externes.

Après un moment, il poursuivit :

– Il serait du plus grand intérêt de voir comment certains autres pays font face aux mêmes défis que nous avons ici. Et en particulier la France, qui est le lieu de passage le plus utilisé par les clandestins pour se rendre en Grande-Bretagne.

– En France, le mouvement intégriste se renforce. Le cas de ce professeur de philosophie, Robert Redeker, n’a fait que mettre de l’huile sur le feu. Vous vous rappelez de cet article virulent qu’il a écrit dans le Figaro.

– Oui, j’ai lu cet article. Ce monsieur a beaucoup de courage ou beaucoup d’inconscience, c’est selon. Mais il y a de cela presque deux ans !

– Oui, mais comme il a été menacé de mort sur internet, il est maintenant obligé de vivre caché. Il est donc dans le même cas que certains de nos protégés. C’est l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, qui s’occupe de sa protection, tout comme Scotland Yard de ce côté de la Manche le fait pour nos propres cas.

– Nous sommes donc dans le même bateau.

– Les Français sont aussi préoccupés par l’agitation dans les cités. Récemment le mouvement des caillasses dans les banlieues a agité toute la classe politique et …

– Ceci n’a qu’un rapport très distant avec ce qui nous concerne.

– Oui, sauf que ces populations démunies sont des viviers de terroristes potentiels.

– C’est très possible, mais nous devons nous concentrer sur le réel et non le virtuel.

– Eh bien, il y a d’autres choses qui se passent. En Hollande, la situation est très mouvante.

– Mouvante ?

– Oui. Il semble que le poids de l’opinion pèse de plus en plus dans la vie politique du pays. On évoque dès à présent l’émergence possible de pogromes antimusulmans tellement les esprits sont agités.

– Mon cher, j’aimerais vous rappeler que le mot pogrome ne s’applique, d’après sa définition stricte, qu’à des agressions ou des manifestations anti–juives.

– Excusez-moi. Mais je pensais que vous comprendriez le sens général de ma remarque.

– Eh bien, je la comprends d’autant moins que le pogrome est habituellement toléré ou soutenu par le pouvoir en place. Vous ne voulez tout de même pas insinuer que le gouvernement hollandais est derrière cela, n’est-ce pas ?

Carter serra les dents.

– Bien sûr que non.