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Le lieutenant Grange ne se doutait pas que son enquête de routine allait le propulser sur les traces d'un serial killer. Tout avait commencé par le simple constat d'une serrure forcée... La première enquête du lieutenant Grange (Le Père Claude - éditée en 2017) a connu un vif succès. Le héros entraîne le lecteur à sa suite, dans cette seconde affaire tout aussi haletante, et aux nombreux rebondissements.
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Seitenzahl: 357
Veröffentlichungsjahr: 2018
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Frères et sœurs peuvent parfois se haïr, mais aucun lien du sang ne saurait être plus proche que le leur !
Robjak – 2018
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Lucie Flair tenait un site de voyance et de médium, elle prétendait recevoir des informations qui pouvaient modifier la vie de ses contacts, elle leur offrait son aide contre de petites contributions, ici pour un collier magique, là pour connaître les chiffres de la réussite, ou là encore pour faire le profil détaillé de ses cibles et pour leur prédire leurs périodes de chance. Et ce, tant dans le domaine des finances que celui de l'amour, de la réussite professionnelle ou encore politique. Son petit commerce marchait plutôt bien, même si la quasi-totalité de ses clients n'obtenait jamais satisfaction • La jeune femme savait que beaucoup de ses contacts ne réclameraient jamais le remboursement des quelques centaines d'euros qu'elle leur avait escroquées grâce à des promesses vaines. Elle connaissait bien la nature humaine et le manque de motivation de la plupart de ses clients, pour intenter un procès et pour obtenir le remboursement de sommes dérisoires au regard du coût engagé dans de telles procédures. Cependant, chaque fois qu'une personne lui réclamait le remboursement des sommes versées pour un résultat jamais atteint, elle acceptait de peur d'être critiquée dans les réseaux sociaux ; ainsi pouvait-elle continuer son petit commerce très lucratif en toute tranquillité. Mais aujourd'hui, l'homme qui parlait pour sa sœur et qui réclamait son dû, n'avait aucunement fait allusion à une quelconque utilisation du Net pour la discréditer, il voulait la totalité des sommes versées, avec un bonus de dix pour cent pour le préjudice moral subi. Après un bref calcul, Lucie avait estimé le tout à deux cent soixante-quinze euros, ce qui était loin de la mettre en difficulté financière.
La médium était cette fois-ci inquiète, car aucun de ses précédents clients ne s'était manifesté avec autant de colère et autant de haine pour exiger son remboursement, prétendant que la prestation fournie était bien loin des résultats annoncés et attendus. Elle hésita un court instant, puis elle décida de lui régler cette somme ; elle griffonna alors l'adresse du plaignant sur une enveloppe et y inséra un chèque. "Cela devrait le calmer, pensa-telle !"
Trois fois par semaine, Lucie allait retirer son courrier professionnel dans une boite postale au nom de Carmélia. Elle entendait protéger sa vie privée et ne pas dévoiler la véritable identité de la personne qui dirigeait le site de "Carmélia.com". Pour cela, elle avait aussi un compte bancaire et un chéquier dédiés à son activité professionnelle, entièrement exercée sur le Web. Elle constata sur son relevé d'opérations bancaires que son chèque de deux cent soixante-quinze euros avait été encaissé et, comme elle n'avait plus reçu de nouvelles du plaignant, elle considéra l'affaire close. D'humeur guillerette, la médium décida de flâner dans les rues d'Avignon : c'était la période du festival et le cœur de la cité battait au rythme des musiques et des diseurs de textes. Les abords du Palais des Papes étaient envahis de petites troupes théâtrales et de spectateurs, de touristes. La météo de cette journée de juillet était clémente, avec un soleil pas trop chaud et peu de vent. Les terrasses de café affichaient complet ; Lucie aimait sa ville natale qu'elle n'avait jamais quittée et vivait ses festivités comme autant de moments joyeux. Elle avait encore les yeux remplis d'images radieuses lorsqu'elle arriva chez elle, rue Rouge. Toute à sa joie, elle gravit les escaliers menant à son appartement du premier étage, sans même s'étonner de la pénombre ambiante, pourtant inhabituelle.
— Sans doute une panne d'électricité ou un fusible sauté • avait-elle pensé sans se soucier plus de cette obscurité qui rendait son ascension risquée.
Au moment où le pêne pivota dans sa serrure, elle sentit le souffle chaud d'une personne sur sa nuque et sur son visage la pression musclée d'une main munie d'un coton imbibé de chloroforme. Sa résistance fut vaine, silencieuse et de très courte durée. Lorsqu'elle se réveilla, elle crut d'abord être aveugle, mais de petits points lumineux lui révélèrent qu'elle avait un sac poubelle sur la tête. Sa mâchoire lui faisait mal mais elle ne pouvait articuler aucun mot, un bandeau la maintenait entrouverte, les dents calées dans une pomme. Elle avait l'impression d'être ligotée sur une chaise. Terrassée, elle écoutait, mais aucun bruit ne révélait la présence de son mystérieux agresseur. Elle ne ressentait aucune douleur dans son bas ventre et elle réalisa que son corps n'était pas ce qui intéressait son visiteur, du moins en ce moment. Elle était désarmée et ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Et puis, toujours ce silence et ce vide autour d'elle.
— Si au moins je pouvais voir, pensait-elle, je saurais à quoi m'attendre !
Elle ne pouvait pas appeler au secours et sa chaise semblait ne pas vouloir bouger d'un centimètre, elle était entièrement à la merci de celui qui l'avait ainsi harnachée. De grosses larmes de désespoir sillonnaient ses joues et se perdaient dans l'encolure de son chemisier, Lucie n'avait pas la force de tourner sa tête de droite à gauche pour tenter de capter un son, une présence, un rai de lumière à travers le sac poubelle. Elle restait là, immobile, résignée à subir son destin. Un bruit de sac arraché et la clarté aveuglante du soleil pénétrant dans son salon la firent sursauter. Elle distingua alors une silhouette massive, dans un contrejour savamment calculé qui rendait ses traits indéfinissables. L'homme restait planté face à elle, silencieux. De longues minutes passèrent, interminables… Lucie essaya de se débarrasser de sa pomme mais le bâillon était serré très fort et résistait. L'agresseur s'approcha et elle put enfin détailler le visage de ce dernier, croiser son regard féroce. La médium comprit à cet instant qu'elle ne survivrait pas à cette entrevue forcée. Le solide gaillard s'adressa à elle d'une voix calme, lui proposant de lui retirer son bâillon :
— Pas de cris, ordonna-t-il, sinon je vous fourre la pomme dans le gosier et je vous sectionne les nerfs un par un. Je veux juste comprendre !
Terrorisée, Lucie acquiesça, elle n'avait pas d'autre alternative.
— Pourquoi, reprit le visiteur, et comment pouvez-vous prétendre détenir des informations capitales sur des gens qui ne vous connaissent même pas ? Comment pouvez-vous leur assurer un futur meilleur contre quelques centaines d'euros ?
— Je vends du rêve, articula Lucie, les gens me paient pour cela. D'autres préfèrent les horoscopes ou les jeux de hasard…
— Du rêve… du rêve ? s'écria l'homme soudain pris d'une colère aveugle.
Alors qu'il enserrait le cou de la médium d'une main et qu'il la giflait de l'autre, il poursuivit :
— Le rêve, c'est fait pour adoucir le sort des gens. Vous, vous créez le malheur. Par votre faute, de jeunes femmes en désarroi sentimental se jettent par les fenêtres, parce que vos prédictions n'arrivent jamais • Ma sœur venait d'avoir vingt ans et vous l'avez embobinée avec votre prétendue aide, vous lui avez prédit le grand amour le 18 juin dernier, et que s'est-il passé ce jour-là ? L'homme qu'elle aimait, et que vous disiez être son futur époux, lui a demandé d'être la témoin de son mariage avec sa meilleure amie…
— Désolée, balbutia Lucie.
— Votre lavage de cerveau avait tellement opéré sur ma sœur, qu'elle n'a pas supporté cette nouvelle et elle s'est jetée par la fenêtre. Elle est maintenant clouée dans son fauteuil et fortement diminuée niveau mental. Il est où le rêve que vous prétendez vendre ?
— Votre sœur, ce n'est peut-être pas moi qui l'ai renseignée…
— Vous étiez sur son portable, dans ses favoris, et elle recevait tous les jours un mail de "Carmélia.com". J'ai même retrouvé la médaille du bonheur qu'elle vous a achetée peu de temps avant son geste suicidaire !
— Vous savez, se hasarda la médium, je ne réponds que très rarement à mes clients : un jeu de questions et de réponses est programmé sur mon site et j'interviens surtout comme une boite aux lettres, pour récupérer et encaisser des règlements bancaires, pour expédier mes amulettes. Tout le reste est l'œuvre de mon fournisseur, un webmaster spécialisé dans ce genre de sites marchands. Il en a créé des centaines avec le même contenu, qu'il loue ensuite à des personnes comme moi, qui essaient de gagner leur vie…
— Vous n'êtes donc qu'une usurpatrice, une godiche à la solde d'un gros bonnet, un maillon d'une chaîne peut-être mondiale dédiée à l'arnaque aux sentiments • Et maintenant, pourriez-vous vivre en sachant le malheur que vous avez engendré avec de fausses prédictions ? Je suis persuadé que ma sœur n'est pas la seule jeune femme victime de votre arnaque. Tout ça pour quelques centaines d'euros. Vous ne savez pas ce que c'est de voir sa petite sœur, jadis débordante de vitalité et vive d'esprit, réduite à cet état de légume !
Lucie était effondrée, elle comprenait la colère et le désarroi de son visiteur. Jamais elle n'avait soupçonné que son activité pouvait entraîner de tels drames. Maintenant, elle sentait que la colère de l'homme était momentanément retombée, ses confidences et ses accusations semblaient l'avoir apaisé.
— Je veux le nom et les coordonnées du salaud qui vous a vendu son produit diabolique • s'écria soudainement l'agresseur.
— Ses coordonnées sont dans mon PC…
Le visiteur sortit alors un couteau de sa veste, l'enfonça jusqu'à la garde en plein cœur et le tourna sur lui-même, pour faire plus de ravages encore. Le visage de la médium se figea dans une expression de surprise, les yeux exorbités et la bouche ouverte, prête à pousser un cri qui ne sortit jamais de sa gorge. L'homme s'installa derrière le PC, craqua le code d'entrée et fit une copie du disque dur sur une clé USB. Il pianota ensuite sur le clavier un message qu'il imprima et qu'il agrafa au chemisier de sa victime. Il regarda ses gants de latex rougis par le sang de Lucie, il fit un rapide tour de l'appartement puis il disparut, une fois certain de n'avoir laissé aucune trace compromettante derrière lui. Il voulait alerter l'Opinion Publique, dévoiler les tricheries des pseudo-voyantes, mais il refusait en même temps d'être le martyre de cette quête, sa sœur avait tant besoin de lui.
Quelques jours plus tard, un homme se présenta au commissariat de Police d'Avignon. Il se disait inquiet des odeurs qui flottaient dans son immeuble, rue Rouge. Dépêchés sur place, le brigadier-chef Claude Imbert et le policier stagiaire Yannick Mantini découvrirent le corps de Lucie et le message suivant : "médium de mes c…, ta mort, tu l'as vu arriver ?" Ce meurtre ne fit pas la Une des journaux, le moment était mal choisi, en pleine période du festival. Il ne fallait surtout pas affoler les touristes…
Le capitaine Sandrin reprit l'affaire et fit une enquête discrète, interrogeant le voisinage. Toutes les informations qu'il reçut confirmaient que la victime était une jeune femme apparemment sans histoire, qu'elle vivait seule et recevait très peu de visites, qu'elle devait apparemment travailler à son domicile car elle était très souvent chez elle. La dernière personne à l'avoir croisée semblait être une vieille dame du rez-de-chaussée de son immeuble, que l'officier interrogeait maintenant, en présence de son policier stagiaire :
— Le médecin légiste nous confirmera le jour et l'heure de sa mort, confia-t-il à l'octogénaire, mais d'après nos premiers renseignements, vous seriez à priori la dernière personne à l'avoir vue vivante. Pouvez-vous nous dire si vous aviez remarqué quelque chose d'anormal en elle, vous avait-t-elle paru inquiète ?
— Non, non, rien. La pauvre petite… elle m'avait même demandé si j'avais quelques courses à faire, car à mon âge les jambes ne veulent pas toujours marcher !
— Pouvez-vous nous confirmer le jour, l'heure de sa venue ?
— Bien sûr, répondit la vieille dame, je suis peut-être âgée et pas très valide, mais j'ai toute ma raison. En douteriez-vous ?
— Non, bien sûr, répondit l'officier. Alors ?
— C'était en fin de matinée, le 6 juillet, mais je vous l'ai déjà dit !
— Oui, répondit Sandrin, mais nous devons officialiser votre déposition. Me permettez-vous d'enregistrer notre conversation, cela vous évitera de vous déplacer jusqu'au commissariat…
— Vous me considérez suspecte ? s'indigna l'aïeule.
— Pas du tout, sinon vous seriez déjà en direction de mon bureau, avec la menace d'une garde à vue • Nous voulons seulement obtenir le maximum de renseignements sur qui était cette jeune femme et sur qui pouvait lui en vouloir au point de l'exécuter, pieds et poings liés sur sa chaise. Je veux coincer l'auteur de ce crime abominable. On reprend donc du début, quand l'avez-vous vue pour la dernière fois ?
— Le 6 juillet en fin de matinée…
— Dix heures, onze, plus tard ?
— Dix heures trente, onze heures. Elle savait que j'ai parfois du mal à marcher et que la foule, ce n'est pas pour moi. Elle m'a proposé de faire mes courses : ne sortez pas aujourd'hui avec tout ce monde que le festival attire, m'avait-elle dit !
— Vous a-t-elle ramené vos commissions ?
— Je n'avais besoin de rien ce jour-là, alors je l'ai remerciée et elle est partie. Comment aurais-je pu me douter que c'était la dernière fois que je la voyais ? Une si gentille fille, si gracieuse et si serviable. On vit dans un monde de fous !
Sandrin connaissait maintenant le jour et l'heure approximative du crime, le légiste avait été formel : le 6 juillet entre quinze heures et seize heures. Le capitaine tenta alors de reconstituer la journée de la victime. Il savait que Lucie était partie de son immeuble vers dix-heures trente et qu'elle devait faire des courses. C'était pour cette raison qu'elle avait proposé à sa vieille voisine d'en faire aussi pour elle. Lorsqu'il relut le rapport établi par l'équipe qui avait découvert son corps, plusieurs choses l'interpelaient : il n'y avait pas eu de trace d'entrée par effraction, pas plus de signes d'une lutte violente, pas de suspicion de viol ou de vol. Le capitaine était convaincu qu'il s'agissait d'un agresseur, le mot retrouvé sur Flair était pour lui sans équivoque, pourquoi une femme écrirait-elle "médium de mes c…" ?
— Imbert, parlez-moi de votre découverte du corps de Lucie Flair. J'ai lu votre rapport mais je voudrais en savoir plus !
— Tout est consigné dans mon rapport, s'étonna le brigadier-chef.
— Vous n'avez mentionné aucune trace de lutte, d'effraction, de désordre particulier. Pensez-vous que la victime ait laissé volontairement entrer son agresseur, qu'elle le connaissait peut-être ?
— Ce n'est pas exclu !
— Avez-vous trouvé un sac de provisions encore plein, de la nourriture qui aurait dû se trouver au frigo et qui trainait sur une table, son sac à main vidé de tout son contenu ?
— Non, rien de tout ça !
— Ça sent pas bon, nous avons toutes les raisons d'exclure le crime crapuleux, soupira le capitaine. En cette période du festival, c'était pourtant des plus plausibles • Que pensez-vous du message retrouvé sur la victime ?
— Son auteur fait preuve de vulgarité et de cynisme. Les quelques mots utilisés laissent deviner une haine profonde, mais uniquement pour la victime ou pour les médiums en général, ça…
— C'est la question que je me pose aussi. J'ai fait examiner le PC de Flair par l'équipe, mais chou blanc, le disque a été reformaté…
— Par le tueur ?
— Très certainement…
— Cela prend du temps, l'homme en question ne semblait pas avoir peur d'être dérangé.
— Dans ces vieux immeubles avec peu d'appartements, les visiteurs étrangers ne passent pas inaperçus, le notre devait soit être connu d'autres occupants, soit en faire partie, commenta Sandrin. Sauf, poursuivit-il, si notre homme a eu la chance inouïe de n'être vu de personne. Nous ne devons exclure aucune piste, retournez sur place avec votre coéquipier et réinterrogez tous les habitants, n'oubliez pas que maintenant nous connaissons le jour et l'heure du crime !
Le capitaine, quant à lui, décida d'inspecter l'appartement de Lucie Flair : il avait attendu que la Scientifique lui permit l'accès à la scène de crime. Il se fit accompagner d'un jeune stagiaire et ils pénétrèrent tous les deux dans le studio du premier étage. Munis de gants en latex, ils déplaçaient méticuleusement tous les objets qui pouvaient fournir une cache pour un mystérieux butin. Un espace libre sur un petit bureau indiquait où se trouvait le PC emporté précédemment par les policiers. Tout était en ordre et l'appartement semblait ne pas avoir été fouillé par l'agresseur. Un morceau de coton de grande taille gisait au fond de la poubelle de la salle de bains :
— Plutôt grand… pour se démaquiller, s'étonna l'officier qui observait les traces de rouge à lèvres. Plus attentif, il poursuivit : la bouche semblait ouverte, n'est-ce pas plutôt la pose contraire que prennent les femmes pour ôter leur artifice ?
— Peut-être, s'excusa le stagiaire, mais je n'ai jamais assisté au démaquillage de ma femme, les frais de cosmétique ne sont pas pour elle…
— Allez me chercher Imbert, il ne doit pas être bien loin et dites-lui de rappliquer de toute urgence !
Une fois seul, Sandrin fouilla le petit bureau et il découvrit plusieurs prospectus de "Carmélia.com" avec la photo de Flair en médaillon, insérée en haut et à gauche des documents. Le capitaine glissa ces feuillets dans un sac plastique, ainsi que des relevés bancaires en son nom et en celui du site commerçant. Il espérait que ses hommes trouveraient un indice, une piste dans ces documents qu'il ramènerait à son bureau. Le brigadier-chef arriva sur ces entrefaites, visiblement contrarié :
— Dites-moi, lui lança son supérieur, lorsque vous êtes entré la première fois dans cet appartement, une odeur particulière ne vous a-t-elle pas interpelé ?
— En dehors de cette odeur bien caractéristique de la Mort, de la viande morte laissée à l'air libre plusieurs jours, une véritable puanteur qui vous prend à la gorge ? Non • C'était intenable, assura Imbert, nous avons dû ouvrir les fenêtres pour pouvoir ensuite faire nos premiers relevés et notre rapport.
— Là… vous y êtes bien venu, rien ne vous a surpris ?
Sandrin avait entraîné le brigadier-chef à sa suite dans la salle de bains.
— L'odeur, elle était la même, ici ?
— Oui, enfin je pense. Cela a mis tellement longtemps pour disparaître…
Le capitaine désigna la poubelle de l'index et poursuivit :
— Vous ne remarquez rien de spécial ?
— Quoi ? La poubelle… le coton…
— Oui, le coton. Vous ne le trouvez pas un peu trop grand pour se démaquiller ? Je suis prêt à parier que si votre odorat était plus fin ou plus exercé, vous auriez décelé une odeur de chloroforme dans cette pièce !
— Dix jours après son utilisation ?
— Pourquoi pas ? Je crois que nous savons maintenant comment notre agresseur a surpris sa victime. Le labo nous confirmera ça très rapidement. Reste encore à savoir si cet homme a surpris Flair à son arrivée ou si elle lui a ouvert sa porte. La première possibilité me semble plus hasardeuse, le tueur aurait pu être vu dans les escaliers, ou encore par Flair qui se serait enfuie…
— Je retourne à mes interrogatoires. Les habitants de l'immeuble semblent agacés que nous les entendions une nouvelle fois. Ils comprennent, mais ils trouvent aussi que nous ne cherchons pas dans la bonne direction. Ils se connaissent tous et ils excluent la moindre possibilité que l'un d'eux ait fait le coup !
— Interrogez-les tous, même si nous avons de bonnes raisons de croire que c'est l'œuvre d'un gaillard assez fort pour immobiliser une femme avec un tampon de chloroforme, pour transporter le corps inerte et pour l'immobiliser sur une chaise, puis pour planter un couteau en pleine poitrine, en cassant au passage deux côtes, si on en croit le légiste. Nous ne devons pas révéler les indices que nous avons. Traitez tous les habitants de l'immeuble de la même manière afin de n'amener aucune suspicion entre eux !
Imbert entendait maintenant le dernier habitant, Kévin Personne, un jeune homme un peu paumé, un intermittent du spectacle, logé gratuitement par le propriétaire de l'immeuble qui lui demandait en échange de menus services d'entretien.
— Alors c'est le 6 juillet que Lucie s'est faite dégommer, et vous croyez que l'un de nous est l'auteur de cet acte abject. Commissaire…
— Brigadier-chef !
— Brigadier-chef, c'est ridicule, nous l'aimions tous !
— Mais aimez-vous tous les médiums, les voyantes ? Elle vous a caché qu'elle en était une !
— Je ne sais pas pourquoi elle l'a fait, mais moi, je m'en fiche. Je l'aimais bien !
— Revenons à la journée du 6 juillet, que faisiez-vous ?
— Je déclamais des nouvelles au pied du Palais, comme tous les ans. C'est durant ce festival que j'obtiens parfois de petits rôles pour les semaines ou les mois à venir • En début d'après-midi, je l'ai aperçue dans la foule des badauds, elle m'écoutait et me souriait en même temps…
— Lucie ?
— Oui, elle était radieuse. C'est la dernière image que je conserverai d'elle !
— Était-elle seule ?
— Oui, sinon ça n'aurait eu aucun sens qu'elle m'écoute et qu'elle me sourit !
— Vous ne voyez rien d'autre à me dire de cette journée. Que sais-je, des éclats de voix dans votre immeuble, des bruits sourds…
— Non, rien de tout ça, mais… J'avais rendez-vous avec un producteur pour un petit rôle à dix-huit heures.
Je suis passé un peu plus tôt à mon appart pour mettre des vêtements propres. Il fait toujours sombre dans les escaliers de notre immeuble, et ce jour-là, les lumières ne fonctionnaient pas. Faut vous dire qu'il faut toujours éclairer les escaliers, si on ne veut pas se tordre les pieds sur les marches tellement usées. Je suis passé par le local technique et j'ai réarmé un disjoncteur…
— Cela arrive souvent qu'un disjoncteur saute ?
— Parfois, et comme je ne peux pas être en permanence sur place pour remettre le jus, j'ai montré à plusieurs occupants de l'immeuble où se trouvent le tableau électrique et la clé du local…
— Et la clé, elle est cachée où… sous le paillasson ?
— Non, accrochée seulement à hauteur d'homme à côté du cadre de la porte. Faut pas que des enfants puissent s'en servir et pénétrer dans le local, ça pourrait leur être fatal !
— Pouvez-vous être plus précis sur l'heure de votre retour chez vous ?
— Je dirais dix-sept heures, environ !
— Vous n'avez croisé aucune personne, connue ou inconnue ?
— Non. Vous pensiez que j'aurais peut-être croisé son agresseur ?
— Si tel était le cas, je crois que vous ne seriez plus là. Mais si vous aviez pu seulement le voir…
De retour au commissariat, Imbert rapporta à son supérieur la déclaration de Personne.
— À la lumière de ces nouveaux éléments, nous ne pouvons envisager qu'une seule hypothèse : tout étranger un peu observateur pouvait accéder au local technique et disjoncter l'éclairage des escaliers. Ensuite il pouvait suivre sa victime sans être vu et l'endormir sur le pas de sa porte, c'est rapide et peu bruyant. Ce seul scénario explique la coupure de l'éclairage…
— Capitaine, interrompit le stagiaire qui avait effectué la fouille le matin avec son supérieur, le labo vous fait savoir qu'il ne peut pas retrouver de traces d'éventuelles correspondances par SMS ou autres, entre Lucie Flair et ses clients, qu'il ne peut pas plus identifier les bénéficiaires des petites sommes versées par la victime sur des comptes bancaires référencés une seule fois. Cela exigerait une enquête de grande envergure avec d'autres administrations que la nôtre, ce qui est exclu quant aux moyens coûteux à mettre en œuvre en cette période de restriction des budgets !
Sandrin pesta, l'affaire lui échappait, faute de moyens. Il était de ces hommes qui refusaient de baisser les bras, mais les expériences de sa carrière déjà longue lui avaient enseigné qu'il ne pouvait pas lutter contre une hiérarchie sclérosée, victime des limites de son financement et des directives gouvernementales.
— Imbert, nous avons encore quelques miettes à grignoter. Le meurtrier de Flair semble être révolté contre elle ou contre les médiums, en général. Cherchez si ces derniers temps il y a eu des suicides dans notre région, qui pourraient avoir un lien avec ceux que l'assassin considère être des incapables !
Une bonne partie des Lyonnais avait déserté la capitale des Gaules en ce début du mois d'août. Ici comme ailleurs, la prudence était de mise et la Police avait fort à faire avec des rondes supplémentaires en vue d'éviter des cambriolages.
Paul Jardos, comme bon nombre de ses concitoyens avait abandonné son appartement de Villeurbanne pour passer quelques jours de repos bien mérités au bord de la Grande Bleue. Il avait un pied à terre à la Grande Motte et il profitait de cette période estivale pour renouer le contact avec ses amis. Il était serein, ses clients prenaient aussi des vacances à la même période. Lorsqu'il venait dans le Midi, il estimait devoir couper les ponts avec tout ce qui avait un rapport avec son boulot, aussi voyageait-il avec pour seul équipement un téléphone portable, certes raccordé sur Internet…
Tandis qu'il profitait du soleil et de la mer, qu'il fantasmait parfois sur des créatures de rêve qui déambulaient sur le sable dans des bikinis réduits à l'extrême, ou encore pendant qu'il faisait les cent coups avec des amis retrouvés, un homme s'introduisit discrètement dans son appartement du Tonkin, proche du parc de la Tête d'Or. Jardos avait décoré son domicile avec goût, il n'avait lésiné ni sur les moyens, ni sur le coût : son aisance financière s'étalait aux yeux de l'intrus. Cependant ce dernier ne semblait pas s'intéresser aux objets précieux qui représentaient chacun plus d'une année de salaire pour un smicard, l'homme recherchait quelque chose de précis. Il s'arrêta devant le PC du propriétaire : là encore ce dernier avait mis les moyens et son matériel informatique était conséquent et sophistiqué. Cela n'étonna nullement le visiteur qui concevait qu'un homme, qui passait la plupart de son temps derrière son clavier et son écran, à créer des sites de toutes natures, ait choisi du matériel performant. L'inconnu actionna l'ordinateur et craqua plusieurs codes avant d'accéder au répertoire des fichiers. Il copia ensuite la totalité des documents sur une clé USB, puis il coupa l'alimentation du PC. Il examina avec soin l'appartement, semblant vouloir mémoriser le moindre recoin, en vue d'un éventuel retour. Il avait sondé les murs, à la recherche d'un coffre pouvant abriter des copies de données informatiques, en vain. Il repartit ensuite aussi discrètement qu'il était venu. Ne restaient de son passage que la serrure forcée et la porte d'entrée entrebâillée.
Ce fut justement ce second détail qui incita le voisin de palier de Jardos à contacter la Police. Celle-ci était débordée et manquait d'effectifs pour assurer la tranquillité de chacun ; son commandant, Paul Neyret, demanda alors l'aide de son ami Deloin, à la tête du commissariat du 1er arrondissement de Lyon.
— Cela n'aurait pas pu mieux tomber, répondit ce dernier, j'ai justement un jeune lieutenant désœuvré, temporairement écarté des affaires trop sérieuses…
— Tu ne m'envoies pas un ripou, s'inquiéta Neyret.
— Non, bien au contraire, un jeune officier incorruptible qui a mis son nez là où il ne fallait pas, et qui a envoyé un capitaine de Gendarmerie derrière les barreaux. Aussi il est actuellement en état de disgrâce en haut lieu pour avoir mené à bien une mission des plus périlleuses…
— Ça me rappelle nos débuts, nous étions trop entêtés pour écouter les conseils des anciens et nous avons eu, nous aussi, nos déboires…
— Officiellement, mon homme est une tête brûlée, qui refuse la légitimité à nos responsables en haut lieu, d'interférer sur ses enquêtes et de lui ordonner de fermer les yeux sur les exactions et sur les abus de pouvoir d'hommes au dessus de tout soupçon !
— Comme le fameux capitaine de Gendarmerie à qui tu faisais allusion…
— Très apprécié de ses supérieurs et du ministère des Armées pour les nombreuses affaires qu'il a résolues !
— Au moins, là il ne pourra pas faire de vague. Il s'agit simplement d'une affaire d'effraction, je ne suis même pas sûr qu'il y ait eu cambriolage. Envoie-moi ton lieutenant dès que possible, je te revaudrais ça !
Depuis son retour à Lyon, le lieutenant Davy Grange avait été écarté de toutes les affaires importantes. Cette décision ne venait pas de son supérieur direct qui avait su l'épauler et le défendre lors de sa première enquête, mais des ministères des Armées et de l'Intérieur. Le capitaine Deloin devait l'informer de sa mise à disposition du commissaire de Villeurbanne :
— Lieutenant, lui dit-il, vous savez combien je suis contrarié des mesures qui vous sont infligées, et vous ne pouvez pas ignorer que je suis moi aussi sur la sellette, l'arrestation du capitaine Albert ne nous a pas fait aimer de nos collègues gendarmes. Vous êtes pour certains d'entre eux ignoble, vous avez envoyé derrière les barreaux un capitaine reconnu de tous pour sa loyauté et pour ses états de service des plus honorables. Peu leur importe qu'il ait été mêlé de près ou de loin à un crime vieux de vingt ans, vous avez déclaré une guerre des Polices qu'ils ne sont pas décidés à terminer. Et moi, votre supérieur, j'en reçois encore aujourd'hui les effets pervers.
— Je sais tout cela, répondit Davy, et vous savez combien je vous suis reconnaissant de m'avoir permis d'innocenter le Père Claude, jeté en pâture par le capitaine Albert. C'était un bon moyen pour que le capitaine ferme une fois pour toutes le dossier Martinet, il avait un coupable tout désigné. Mais je devais intervenir, j'ignorais alors que cela conduirait à l'arrestation d'Albert, mais j'ai fait mon travail, et plutôt bien…
— C'est vrai, mais cette mission ne relevait pas de vous, de nous, et plutôt que de faire cavalier seul, vous auriez dû demander une enquête interne…
— Qui m'aurait cru, moi, jeune officier sortant de l'École, novice ?
— Vous avez outrepassé vos droits et vous avez, d'une certaine manière, abusé de vos pouvoirs…
— Tout comme Albert qui terrorisait les habitants de Trivia et de ses environs, qui a même refusé la présence d'un avocat auprès du Père Claude durant ses gardes à vue !
— Nous avons dû faire pression sur les gendarmes que vous avez agressés pour qu'ils retirent leur plainte. Ils ont ainsi bénéficié d'abandon de poursuites quant à leur rôle tenu aux côtés du capitaine Albert !
— Vous savez très bien que je n'ai fait que répondre aux coups qu'ils m'avaient portés précédemment !
— Eux étaient en mission officielle, ils vous ont attaqué dans l'exercice de leur fonction ; tandis que vous, vous n'étiez pas en mission, seulement en vacances… Venons-en maintenant à la raison de cet entretien : mon ami le capitaine de Villeurbanne manque d'effectif et il a fait appel à moi pour le soulager. Prenez vos cliques et vos claques et rejoignez-le sans plus tarder !
— Pour quel genre d'affaire ?
— Une entrée par effraction dans un appartement vide. Son propriétaire est en vacances dans le sud de la France !
— Ça ne va pas m'occuper très longtemps, mais c'est toujours mieux que de bailler aux corneilles, dans mon bureau de six mètres carrés !
Le contact entre Neyret et Grange fut bref. Le commandant du poste connaissait les qualités de son renfort mais aussi ses défauts, Deloin l'avait averti. Le responsable de la Police de Villeurbanne avait conscience que l'homme envoyé par son ami était un bon officier, mais qu'il était aussi prêt à enfreindre des règlements pour parvenir à ses fins, au risque de compromettre des arrestations pour vice de procédure. Neyret avait été comme lui, dans son jeune temps, mais le métier avait bien changé et les entorses qu'il avait faites lui auraient valu à ce jour plus de blâmes que de reconnaissance. L'époque aussi avait changé : la Justice, la Police et toutes les institutions nationales étaient maintenant prisonnières d'un système de défense des coupables, créé au nom d'un prétendu droit à la liberté et à l'innocence. Les médias et le Web contribuaient largement à cet affaiblissement de la Justice et des Forces de l'Ordre, dont la majorité des écarts était aussitôt divulguée au monde entier.
Grange se rendit seul à l'appartement du Tonkin, ce qui pouvait paraître illégal. Mais là, il ne s'agissait que d'une effraction et Neyret s'était assuré qu'un locataire voisin de Jardos pourrait accompagner le lieutenant durant son inspection des lieux, qui était plus réglementaire que nécessaire, et qui ne devait pas durer très longtemps. Le vigile en faction devant la porte de l'appartement s'écarta pour laisser entrer les deux hommes, le policier commença la visite. Il n'avait aucune idée de ce qu'il devait chercher :
— Mettez ces gants, insista-t-il, vous et moi ne devons pas rajouter de nouvelles empreintes. Êtes-vous déjà venu ici, connaissez-vous bien les lieux ?
— Non, et je crois pouvoir vous assurer qu'aucun habitant de la résidence n'est entré chez monsieur Jardos. Il n'est pas de notre monde, même pas de la région. C'est un solitaire qui a l'argent facile et qui nous toise tous de sa supériorité. Il suffit de voir tout ce qui nous entoure pour comprendre qu'il a une vie facile. J'ignore ce qu'il fait et d'où lui vient sa richesse, mais sûrement pas d'un travail honnête !
— Holà, ne tirez pas de conclusion trop hâtive et calmez votre ressentiment. Sinon, je pourrais croire que vous ou un autre habitant de cet immeuble avait une bonne raison de forcer la porte de cet appartement !
L'homme se tut et suivit docilement le lieutenant à travers les différentes pièces, le luxe qu'il découvrait attisait son dégoût pour celui qui partageait le même étage que lui, et qui ne l'avait jamais jugé digne du moindre intérêt.
— Qui a prévenu la Police, demanda Davy.
— Moi, vu que je suis sur le même palier…
— Quand avez-vous découvert la porte entrebâillée ?
— Ce matin, mais cela ne veut pas dire que cela ne s'est pas fait avant. Je suis rentré hier vers dix-huit heures et je ne suis ressorti que ce matin pour descendre des ordures à la benne…
— Et vous êtes là à me servir de témoin. Vous ne travaillez donc pas ?
— Je suis inscrit à l'agence pour l'emploi et je fais de petits boulots, là j'attends ma prochaine mission !
— Vous travaillez dans quoi ?
— Je suis un manuel, je fais de l'électricité, de la plomberie…
— De la serrurerie ?
— Parfois, mais eh, je vous vois venir, ce n'est pas moi qui ai forcé cette porte. Sinon, pourquoi je vous aurais appelé ?
— Pour vous disculper !
— Ce n'est pas moi…
— Probablement, mais vous devez rester à notre disposition. Je vous donnerai les consignes une fois ma visite terminée !
Grange poursuivait son inspection des lieux et constatait qu'aucun objet n'avait été déplacé. La poussière, légère et pratiquement invisible, entourait fidèlement chaque bibelot ; les papiers peints décolorés affichaient leur couleur d'origine derrière chaque cadre… Le policier allait achever sa visite et conclure à une effraction sans vol apparent lorsqu'il observa l'ordinateur de Jardos : il était fasciné par la taille imposante de ce dernier, plus particulièrement par celles des deux écrans juxtaposés et de l'unité centrale.
— Du matériel de pro, mais…
Davy se pencha de plus près et distingua une trace plus sombre sur un côté du clavier. Il sortit un kit de sa trousse et balaya méthodiquement cette zone. Il expliqua au voisin :
— Rien ne semblait avoir été touché dans cet appartement, mais ce clavier a été légèrement déplacé, la poussière manque dans cet endroit que je suis en train d'examiner. Quelqu'un a touché et s'est peut-être même servi de ce clavier, je dois avertir le poste pour que d'autres relevés soient faits sur le PC et sur tout ce qui l'entoure. Je vous prie de vous rappeler ce que je viens de faire en cas d'enquête plus poussée ou contradictoire !
L'homme restait silencieux, Grange insista :
— Vous prétendez être étranger à cette visite chez monsieur Jardos, alors ne faites pas d'entrave à cette enquête !
— OK, maugréa le voisin.
Neyret avait contacté Jardos, ce dernier était en croisière et ne pourrait revenir, au mieux que dans un délai de quarante-huit heures. Il promit de contacter son agence immobilière pour mandater un artisan digne de confiance pour remplacer la serrure de sa porte d'entrée. Il accepta aussi de faire un état des lieux dès son retour et de préciser toutes les valeurs qui auraient pu lui être volées.
Grange écoutait son visiteur déverser son fiel envers une société décadente, juste bonne à engendrer des paresseux, des envieux et des incultes. Ce discours n'était pas des plus plaisants et le lieutenant ne pouvait plus canaliser son antipathie croissante pour l'homme qui lui faisait face :
— Monsieur Jardos, lui lança-t-il, nous ne sommes pas là, vous et moi, pour refaire le monde, mais bien pour revenir sur l'entrée par effraction perpétrée chez vous il y a soixante-douze heures environ. Avez-vous constaté, oui ou non, la perte d'objet, forcément de valeur puisqu'il semble n'y avoir que de ça chez vous !
— Jeune homme, répondit l'homme d'un ton cassant, ne jouez pas à ça avec moi. Vos sarcasmes…
— Alors répondez simplement et seulement aux questions que je me dois de vous poser dans l'enquête qui nous réunit !
Après un bref répit, le policier enchaîna :
— La serrure de votre appartement sis au Tonkin a été forcée entre le 5 août dix-huit heures et le 6 août huit heures trente, d'après la déposition de votre voisin, monsieur Bellikian…
— Qui ? J'entends ce nom pour la première fois !
— Quoi, vous ignorez le nom de votre seul voisin de palier ?
— C'est ce gars-là qui s'appelle comme ça, je l'aurais mieux vu s'appeler Ben quelque chose…
Davy savait qu'il ne devait pas s'emporter, il n'était pas au mieux avec l'Autorité en très haut lieu et il devait prouver qu'il était un officier compétent. Il traînait l'arrestation du capitaine Albert comme un pesant boulet et il savait qu'à la moindre erreur de sa part, il serait sanctionné sans pitié.
— Monsieur Jardos, reprit Grange, vous ne semblez pas beaucoup estimer votre voisin, avez-vous une bonne raison pour cela ?
— Un homme qui se satisfait de petits boulots, qui vous interpelle pour que vous offriez ses services à vos connaissances… mais c'est un moins que rien !
— C'est pourtant lui qui s'est inquiété lorsqu'il a découvert votre porte entrouverte et qui nous a prévenus !
— C'est peut-être lui qui a fait le coup, y avez-vous pensé ?
— Nous n'excluons aucune piste dans cette enquête, mais j'ignore toujours si votre visiteur vous a dérobé quelque chose ?
— Non, rien…
— Ne trouvez-vous pas cela étrange. Et pourquoi voudriez-vous que ce soit votre voisin ?
— Dans l'immeuble, tous les occupants savent combien j'aime les belles choses et Pélikan se prétend artisan, alors rien de plus facile pour lui de pénétrer chez moi !
— Pourquoi monsieur Bellikian, B.E.L.L.I.K.I.A.N ou tout autre visiteur se serait-il donné du mal pour entrer chez vous, pour repartir ensuite les mains vides. Êtes-vous sûr de ne rien me cacher ?
— Comment, s'offusqua Jardos, je suis la victime et vous mettez ma parole en doute !
— Vous semblez travailler dans votre appartement, avec du matériel informatique très performant. En quoi consiste votre métier ?
— Quel rapport avec mon intrusion ?
— Répondez, je vous le dirai ensuite !
— Je développe des sites sur l'Internet…
— Dans quels domaines ?
Jardos semblait ne pas vouloir répondre.
— Alors ? s'impatienta Davy.
— Je crée des sites marchands pour des particuliers qui veulent travailler sous forme d'auto-entreprises, cela va des sites d'artisans de votre zone géographique aux sites de diététiciens qui proposent des régimes amincissants, en passant par les voyantes, les entreprises funéraires…
— Nous y voilà, et l'espionnage industriel, y avez-vous pensé ?
— J'ai ma propre clientèle qui me verse un loyer pour utiliser mes sites, un étranger qui voudrait me remplacer auprès d'elle n'aurait aucune chance…
— Pourtant votre visiteur s'est intéressé à votre PC. Certes il a été très précautionneux mais il a laissé une infime trace de son passage…
Jardos avait blêmi, il avait abandonné son comportement hautain et il attendait la suite de l'explication du lieutenant, pendu à ses lèvres. Le policier observait son vis-à-vis avec une certaine joie, conscient de son anxiété.
— Mais cela me parait difficilement être l'œuvre de votre voisin de palier, ironisa Grange.
— Au diable ce type, qu'avez-vous trouvé ?
— Votre visiteur ne vous a dérobé aucun objet de valeur, parce que ce qu'il cherchait se trouvait dans votre ordinateur !
— Impossible, j'ai plusieurs niveaux de sécurité, mon site est presqu'aussi protégé que ceux de la NASA et des banques fédérales…
— Je suis impressionné, reconnut Davy, votre activité est-elle donc aussi pointue que ça ?
— Non, mais j'aime pouvoir dormir sur mes deux oreilles ou m'absenter durant plusieurs jours en toute tranquillité, sans craindre une attaque quelconque de mon site !
— Vous êtes-vous reconnecté sur votre site depuis votre retour ?
— Oui !
— Avez-vous remarqué quelque chose d'anormal ?
— Non. Aussi j'ai du mal à croire que quelqu'un se soit connecté sur mon poste : j'aurais dû trouver une alerte pour tentative de connexion avec de mauvais identifiants…
— On entend parfois des infos comme quoi le Pentagone, la CIA ou encore d'autres organismes tout aussi importants ont été la cible de cyber espions, alors pourquoi pas vous ? Il doit bien exister des personnes capables de cracker vos codes !
— Sûrement, mais qu'est-ce qu'elles en retireraient ?
— À vous de le dire…
— Des modèles de sites marchands déclinés ensuite au nom choisi par mes clients, mes opérations bancaires, mes listes de diffusion, mon fichier clientèle, quelques projets de nouveaux sites non finalisés à ce jour, quelques documents d'ordre privé : photos, correspondances… Enfin rien de bien particulier, même pas de quoi faire un semblant de chantage…
— Pourtant votre visiteur ne voulait rien d'autre et il s'est donné bien du mal pour masquer la raison de sa venue…
— Comment avez-vous découvert son intérêt pour mon ordinateur ? demanda Jardos.
— J'ai cru que vous n'alliez jamais le demander, ironisa Grange. Ma visite dans votre appartement n'avait rien donné et j'allais repartir, bredouille, quand j'ai remarqué que le clavier de votre PC avait été déplacé : la fine poussière qui s'était déposée chez vous durant votre absence manquait sur une partie infime du bureau, à la limite de votre clavier ; malheureusement les relevés de traces d'ADN n'ont rien donné…
— Je ne me suis rendu compte de rien, votre produit ne laisse-t-il pas une sorte de poudre noire ?
— Utilisée en grande quantité sur des surfaces plus ou moins rugueuses, oui, mais mon équipe a été très minutieuse et s'est efforcée de vous restituer votre ordinateur sans la moindre trace de notre produit !
— Merci à vos hommes…