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Pas de répit pour le lieutenant Grange et ses amis ! La découverte d'un noyé flottant à la surface de l'eau dans un jardin aquatique, un soir de janvier 2022, les entraîne dans une nouvelle enquête. Pas de trace de lutte... Suicide, banal accident ? Un sérieux doute plane au dessus de ces hypothèses. Notre héros et son équipe vont devoir résoudre cette enquête, qui leur réservera bien des surprises.
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Seitenzahl: 274
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Mettre ou non en danger la vie de plusieurs personnes pour en sauver une, Laisser ou non impunie la mort d'un homme pour préserver la vie de nombreux innocents, sont des choix cornéliens auxquels aucun homme ne devrait être confronté !
Robjak – 2023
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
La fête battait son plein sur la terrasse d'un appartement situé au dernier étage d'un immeuble du cours Bayard, à Lyon. Les propriétaires et leurs invités fêtaient bruyamment le passage en l'an deux mille vingt-deux. Pour l'heure, il n'était plus question de confinement, de distanciation sanitaire, de port du masque : l'appartement démesuré et son toit-terrasse offraient la possibilité de recevoir de nombreux invités. Les blagues, les rires allaient bon train et claironnaient haut et fort que deux mille vingt et un et le COVID étaient morts, qu'il fallait profiter des premières heures de cette nouvelle année pour jeter bas le masque, et inciter les gens à retrouver un mode de vie plus agréable.
Axel Brock et Amélie Guesde ne comptaient plus le nombre de leurs visiteurs : certains ne faisaient qu'un bref passage pour leur présenter leurs vœux, tandis que d'autres connaissances, plus intimes, leur souhaitaient aussi un bon anniversaire.
Exceptionnellement, la porte d'accès à l'immeuble restait ouverte, à l'encontre du règlement intérieur de l'établissement ; cependant rien d'anormal, car Brock, directeur de l'agence immobilière qui occupait les deux premiers étages, logeait cinq niveaux plus haut et possédait la moitié des appartements…
À quelques reprises, Brock et Guesde s'interrogèrent sur la présence de personnes qui leur semblaient inconnues. Bon prince, le couple acceptait cependant qu'en ce premier jour de deux mille vingt-deux des pique-assiette s'invitent chez lui. Axel et Amélie avaient une vie confortable et refusaient de jouer les nouveaux riches, ces gens parvenus parfois malgré eux au sommet d'une fortune qui les avait ensuite corrompus. Ils savaient tous deux d'où ils venaient, se souvenaient de leur première aventure au lendemain d'une période difficile. Depuis, chaque nouveau jour était pour eux une vengeance sur leur malheur, un espoir de croire encore en de nombreux lendemains heureux.
Une personne se tenait face au buffet et tournait le dos aux hôtes, elle reposait une flûte de champagne pour en reprendre aussitôt une nouvelle, qu'elle but d'une gorgée. Encapuchonnée dans une veste de jogging, l'inconnue avait la stature d'un homme ; le doute fut levé lorsqu'il prit la parole sans le moindre problème d'élocution. Le visiteur s'adressait à toutes les personnes présentes, il voulait porter un toast. Le visage masqué par sa capuche, il n'était pas identifiable. D'une voix de stentor, il prononça un bref discours :
— Je lève mon verre à la mort de deux mille vingt et un et de son amie la Covid 19, je remercie nos hôtes pour leur générosité, pour tout ce qu'ils nous offrent pour nous régaler et nous désaltérer. C'est absolument divin… Mais derrière chaque brebis se cache un loup, il arrive parfois que l'ovine soit plus forte que le canidé. Aussi, je ne sais pas si je dois boire à la victoire d'Amélie, ma femme, véritable brebis enragée, qui a abandonné son foyer et sa fille, ou à celle d'Axel Brock, loup de l'immobilier, qui vous éblouit par la générosité de son buffet et qui m'a piqué Amélie !
Des murmures s'élevaient, mais personne ne comprenait vraiment le discours du prétendu époux d'Amélie Guesde, n'osait prendre parti. Remis de sa surprise, le propriétaire tenta de minimiser le malaise… puis s'emporta :
— Monsieur Guesde nous fait l'honneur d'une visite surprise, il a exprimé sa révolte contre le départ de son épouse. La vie est pleine de surprises, bien sots sont ceux qui croient que rien n'est immuable. Je, vous pouvez comprendre son aigreur, mais ce n'est ni le lieu ni l'heure pour en débattre !
S'adressant à l'intrus, Brock poursuivit :
— Monsieur Guesde, je vous prie de quitter ce lieu de votre plein gré. Je ne vous souhaite aucun mal, mais votre venue n'est pas appréciable…
— Appréciable, c'est ce que tu dois dire de la compagnie de ma femme, que tu m'as volée, quand elle te baise au lit !
— Kévin, s'écria Amélie, tu n'as décidément pas changé. Sais-tu que je pourrais porter plainte contre toi pour harcèlement, et pour maltraitance ?
— Et c'est pour cela que tu t'es barrée en me laissant ta progéniture !
— Monsieur Guesde, trois vigiles sont dans l'ascenseur et vont arriver d'ici peu. Je vous demande de les suivre sans histoire. Ils sont en contact avec la police municipale, dans la rue d'en face. Ce serait dommageable pour vous de faire intervenir ces agents !
Kévin dévisagea Axel, son regard de ce dernier dégageait des éclairs, révélait une fureur ancrée au plus profond de lui. Pourtant, il sortit sans précipitation, du pas assuré d'un homme sobre. Le champagne absorbé en toute hâte n'était, semblaitil, pas responsable de ses paroles…
Les personnes encore présentes feignirent d'ignorer l'altercation entre les deux hommes engagés auprès d'Amélie Guesde, Manourian de son nom de jeune fille. Certains balbutièrent timidement des félicitations pour les quatre ans de vie commune d'Axel et de sa compagne.
La mère de Brock était présente. Ce qu'elle venait d'entendre l'avait profondément ébranlée, mais elle ressentait le devoir de rassurer son enfant unique :
— Mon Axi chéri, tu as eu des malheurs bien pires que cet… cet abruti. Le treize novembre deux mille quinze, tu as perdu Sandra dans le terrible attentat du Bataclan, et il a fallu que tu te reconstruises. Amélie était là, au bon endroit, au bon moment ; tu la connaissais déjà un peu à travers les commentaires de Sandra, son amie d'enfance… Le destin joue des tours à plus d'une personne, sans laisser d'échappatoire à celles-ci.
— Je sais maman, mais je ne supporte pas l'idée de faire souffrir quelqu'un, pas plus que le mensonge…
— Et c'est pour cela que ton agence immobilière remporte autant de succès, tes clients te sont reconnaissants d'être écoutés, compris et guidés dans le sens de leurs intérêts. Je suppose que certains de tes employés, de tes clients et certaines de tes relations professionnelles sont encore là, interloqués par le discours de ce Guesde. Trouve quelques mots pour les rassurer !
Axel écouta le conseil de sa mère :
— Mes amis, je vous prie de m'excuser pour la scène déplorable qui s'est déroulée devant vous… Amélie, veux-tu bien me rejoindre ?
La femme s'exécuta, sans vraiment deviner ce que son amant attendait d'elle.
— Je parle sous le contrôle de ma compagne, de ma maman assise derrière le buffet, devant la porte… Monsieur Guesde, l'homme qui s'est exprimé devant nous tous il y a quelques instants, était le mari de ma compagne. Je ne vais pas vous raconter ma, notre vie privée, mais nous n'avons l'un et l'autre rien à nous reprocher. Quand une tranche de vie est terminée, aussi douloureux que cela puisse être, certains l'acceptent et passent audelà des rancœurs, d'autres non. Aucun couple ne doit juger le comportement d'un autre, chacun doit suivre son destin. Aussi, si vous le voulez bien, je vous propose de lever notre verre pour fêter la nouvelle année et nos quatre ans de notre vie commune, à Amélie et moi !
Des mots comme "Bonne année, bonne santé, bon anniversaire, bonheur, bravo" fusaient dans le groupe présent, tandis qu'Amélie embrassait langoureusement Axel.
La température douce de cette journée commençait à diminuer, le soleil approchait de son déclin. Seize heures trente passées, plus personne ne profitait de la vue à cent quatre-vingts degrés de la terrasse, les invités s'étaient retirés progressivement. Aucun d'eux n'avait fait de commentaire déplaisant, nuancé ou politiquement correct sur l'intervention de Guesde. Certains d'eux vivaient peut-être la même situation ou l'avaient découverte chez un proche. Il ne restait plus qu'Axel, sa mère et Amélie.
— Mes petits, oubliez cet homme. Ne vous en faites pas, l'aigreur et la révolte d'un inconnu ont beaucoup moins de chance d'être retenues que des faits qui touchent chacun. Les personnes qui l'ont entendu verser son fiel sur vous deux ont des préoccupations plus personnelles ; début deux mille vingt-deux, le Covid est encore sur toutes les lèvres, bientôt les élections présidentielles… De quoi vite faire oublier de petits tracas, comme le discours de ton ex, ma petite Amélie !
Andrée Brock s'adressait à son fils et à sa compagne sur le même ton compatissant qu'elle avait utilisé tout au long de sa carrière d'enseignante ; sa fibre maternelle avait-elle dicté son empathie pour les plus jeunes ou son métier avait-il influencé son comportement ? Vaste sujet dont ni elle ni Axel ne souhaitaient débattre. Tous deux avaient vécu des années de bonheur jusqu'à la disparition de l'homme de la maison en septembre deux mille dix, si robuste en apparence, et terrassé par une grippe sournoise. Pour la mère et son fils, le Covid 19 était un remake de H1N1, qui avait fait alors beaucoup moins de victimes et n'avait nécessité aucun confinement total dans l'Hexagone. Pourtant, cette pandémie méconnue avait fait des victimes, des gens pour la plupart âgés de moins de soixante-cinq ans. Thierry Brock faisait partie des morts, dans l'incompréhension et la stupéfaction de son entourage, dans l'indifférence des médias et des hommes politiques.
— Drôle de façon de débuter la nouvelle année, ma chérie. J'aurais tant voulu que cette journée te laisse un souvenir joyeux. Je n'ai pas su évaluer les risques et empêcher ton ex de venir !
— Ne t'excuse pas, tu es ce qui m'est arrivé de meilleur et quelques minutes embarrassantes ne représentent rien en comparaison des quatre années que nous avons passées ensemble. Je t'aime !
Amélie embrassa de nouveau Axel sous le regard approbateur d'Andrée.
Durant les jours qui suivirent, aucune des personnes présentes lors de l'incident ne fit allusion à l'intervention de Kévin Guesde, en réunion ou dans le cercle plus réduit des amis du couple ; la mère d'Axel semblait avoir vu juste. Personne ne pouvait prévoir une seconde réaction du mari délaissé à la suite de son esclandre ; Personne ? Axel avait croisé son regard et avait ressenti de la haine ; il n'avait pas voulu affoler Amélie, mais il pressentait que l'histoire n'était pas finie.
Jeudi six janvier : Kévin Guesde était présent sur un chantier et dirigeait ses équipes d'une main de maître, comme à son ordinaire. C'était d'ailleurs parce qu'il gérait sans faille la construction parfois simultanée d'édifices avantgardistes, que les constructeurs sélectionnés pour la seconde tranche d'aménagement du nouveau quartier éco-responsable de la Confluence l'embauchaient. Cette journée, qui commençait dès l'aube, aurait dû se passer comme toutes les autres pour le conducteur de travaux, mais… Le sort semblait en décider autrement. À dix heures, il reçut un SMS ; ce n'était pas le meilleur moment pour découvrir le message émanant apparemment de sa banque, le Crédit Lyonnais. La mise en place d'une poutre maîtresse pour soutenir la dalle en béton du cinquième niveau de l'immeuble qui lui faisait face était capitale, Kévin ne pouvait pas, ne devait pas être distrait ; il remit le portable dans sa poche. Une heure plus tard, il reçut un appel et il décrocha :
— Monsieur Guesde, bonjour, ici Flore, votre conseillère du Crédit Lyonnais…
L'homme écoutait, surpris.
— Nous vous avons adressé un message ce matin, mais peut-être ne l'avez-vous pas reçu ou s'est-il logé parmi vos SPAM…
— J'ai en effet reçu un SMS du Crédit Lyonnais, mais je n'ai pas encore eu le temps d'en prendre connaissance. Vous savez, sur les chantiers, il y a des priorités à respecter !
— Je comprends et je suis là pour clarifier votre situation : vos deux retraits sur DAB du premier janvier n'auraient pas dû être acceptés, ils dépassent votre plafond autorisé et de surcroît vous mettent débiteur.
Kévin resta coi.
— Par le passé, vous avez déjà eu quelques fois votre compte débiteur pour de petites sommes. Notre service de recours et du contentieux n'a d'autre choix que de vous réclamer avant demain soir la régularisation de votre compte !
— Samedi, je n'ai fait aucun retrait. Et puis, qui puis-je si vous n'avez pas fait votre boulot, si vous n'avez pas interdit ces retraits ?
— Pensez-vous que quelqu'un d'autre ait pu utiliser votre carte, l'avez-vous prêtée à un tiers, êtes-vous sûr de toujours la posséder ?
— Je suis le seul à m'en servir, aussi, je suis sûr de ne pas avoir retiré d'argent. J'irai dans mon vestiaire pour m'assurer que j'ai toujours ma carte pendant l'interruption de midi. Combien aurais-je retiré ?
— Deux fois trois cents euros, à dix heures quinze à notre agence, puis à dix heures dix-neuf à la Poste !
— C'est possible, ça, de prélever deux fois le même jour ?
— D'ordinaire non, mais en si peu de temps, un jour férié… Un bug informatique a pu se produire et ne pas être relevé…
— Vous admettez donc que vous êtes en partie responsable de mon découvert…
— Nous, non. Le service national de gestion des cartes bancaires, oui. Notre direction vous affranchit cependant des frais de recours et des intérêts sur compte débiteur si vous régularisez votre situation avant demain soir !
— Combien me faut-il ?
— Cinq cent quatre-vingt-onze euros !
— Pouvez-vous me faire un prêt pour régler cette affaire ?
— Hélas non, c'est contraire au terme de votre contrat. Par contre, si on vous a volé votre carte et que vous contestez les deux retraits, que vous portez plainte au commissariat de police, vous serez dispensé de faire votre règlement !
— Je vous appelle après la pause déjeuner. Mais je sais pertinemment que je n'ai pas retiré d'argent le premier janvier, martela Kévin.
Peu avant midi, Guesde appela un homme basé au PC de télésurveillance de la Confluence. Le conducteur de travaux savait qu'il existait des caméras de surveillance sur la Darse, petit port plaisancier artificiel, sur la rive droite duquel se trouvaient le Crédit Lyonnais et la Poste, distants l'un de l'autre d'environ deux cents mètres.
— Bonjour Salim, toux mes vœux pour la nouvelle année, et bonne santé à tous. Ton petit dernier va mieux ?
— Oui, oui, mon Ami… C'est toujours un plaisir de t'entendre. Dans le coin, et dans notre profession, on est plutôt des suppôts de Satan, des yeux espions engagés uniquement pour signaler les effractions…
— Et je parie que personne ne vous remercie pour la sécurité que toi et tes collègues assurez dans le secteur, hier abandonné par l'État, aujourd'hui vitrine d'un éco-quartier où il fait bon vivre !
— Comme à chaque fois, tes mots justes me touchent, aussi lorsque je te dis "mon Ami", c'est plus qu'une parole courtoise…
— Je n'en ai jamais douté et c'est pour cela que je vais te demander un petit service…
— Vas-y, je t'écoute !
— Je voudrais que tu m'envoies les photos d'une personne qui a fait un retrait au DAB du Crédit Lyonnais le premier janvier à dix heures quinze, puis à la Poste le même jour à dix heures dix-neuf !
— À la Darse ?
— Oui !
— Je vais voir ce que je peux faire, mais tu comptes en faire quoi ?
— C'est pour régler un petit différend avec ma banque !
— Si tu utilises les photos comme preuve, je risque des problèmes !
— Non, rassure-toi. Je veux juste en avoir le cœur net et m'assurer que ma banque ne me mène pas en bateau. Je te promets que je serai le seul à regarder tes photos, qu'elles ne sortiront pas de chez moi, sous quelque format que ce soit !
— Si une autre personne me le demandait, je refuserais, je risque gros. Toi, je te connais depuis plusieurs années, tu es le seul à me considérer comme ton égal, tu ne m'as jamais rien demandé jusqu'à maintenant. Peux-tu me dire si tu recherches plutôt un homme ou une femme sur tes photos ?
— Je n'en sais fichtre rien, seulement la même personne ou silhouette devrait être présente à quatre minutes d'intervalle sur les deux photos, peut-être filmée aussi sur la caméra intermédiaire, à l'angle de la rue Denuzières !
— Et tu veux ça pour quand ?
— Tout de suite…
— Désolé mon Ami, je prends mon poste à treize heures trente !
— Tu peux faire tes recherches pour quatorze heures ?
— Sauf imprévu, oui. C'est plutôt calme en ce moment, en semaine !
— Merci. Préviens-moi si tu as un contretemps, car de mon côté, il y a urgence. Embrasse ta famille pour moi !
Guesde savait que sa carte bleue était dans son portefeuille, il était cependant tenté de rebondir sur la main tendue de sa conseillère et de prétendre qu'on la lui avait volée. Mais pour cela, il devait en avoir le cœur net et découvrir si une personne avait réellement fait deux retraits à quatre minutes d'intervalle. Il y avait eu un dysfonctionnement du système informatique utilisé pour la gestion des retraits aux DAB, peut-être que les caméras montreraient différents clients… Les images que lui adressa Salim lui firent l'effet d'un électrochoc et lui interdirent de plaider pour le vol de sa carte. Les photos qu'il avait obtenues de manière officieuse pourraient sans aucun doute être fournies au Crédit Lyonnais et à la police, l'inculper de déclaration frauduleuse et de tentative d'escroquerie à l'assurance. Il était dans la mouise. Il appela sa conseillère :
— Madame Flore, j'ai vérifié dans mon portefeuille, ma carte y est bien, comme je n'en ai jamais douté…
— Quelqu'un aurait-il pu vous l'emprunter en cours de journée ? Si vous la laissez dans votre vestiaire, d'autres personnes auraient pu s'en servir à votre insu !
— Peut-être pendant une journée de travail, mais le premier janvier… Non, je n'ai aucune explication et je crains de devoir payer. Je vais voir si je peux obtenir une avance sur mon salaire, mais en début de mois, cela me semble improbable !
— Vous ne disposez malheureusement que de quelques heures pour régler votre problème. Demain à dix-sept heures, notre service de contentieux déclarera votre incident de paiement à la Banque de France et après votre inscription sur son fichier, vous serez interdit bancaire. C'est malheureusement la loi…
— Je pourrais demander de l'aide et de la compréhension à la Banque de France !
— Elle n'en a pas les moyens, son rôle se limite à enregistrer les incidents de paiements déclarés par les banques, et de permettre à tous les établissements financiers qui en font la demande de consulter ces infos.
— Si je vous rembourse dans une semaine ?
— Vous serez alors à jour chez nous et votre compte sera fermé sans suite.
— Vous pourriez le rouvrir ou m'en accorder un autre ?
— Non, vous devrez ouvrir un compte dans un établissement ouvert aux clients en défaut de paiement !
Ce que venait d'apprendre Kévin de la bouche de sa conseillère et les photos envoyées par Salim étaient incroyables, le conducteur de travaux était choqué. Il lui fallut un courage extrême pour terminer sa journée de travail sans reporter son malaise sur les équipes du BTP, sans baisser sa garde et amoindrir son attention. Durant ces heures, il avait l'étoffe d'un héros ignoré de tous, mais tellement plus glorieuse que l'image qu'il avait offerte aux convives d'Axel Brock !
Lucie n'était pas encore rentrée lorsque Kévin rejoignit son appartement vétuste de la rue Dugas-Montbel. En d'autres circonstances, il ne s'en serait pas inquiété ; n'avait-il pas un jour déclaré à sa fille qu'il lui faisait confiance, alors qu'elle voulait passer une soirée pyjama avec des copains et des copines et qu'il était opposé à cette fête ? Cette confiance, Lucie l'avait obtenue en pleine crise ado, peu après le départ d'Amélie. Les mots utilisés par cette gamine de quatorze ans lui revenaient encore aux oreilles :
— Tu ne veux pas que j'y aille, avait-elle crié, parce que tu n'as pas confiance en moi. Tu crois que je suis encore un bébé… Je suis grande et je ne suis pas Maman !
Kévin était ému et il constatait que quatre années s'étaient écoulées, avec leurs lots de bonheur, d'espoir, de tension, de chagrin et de déception.
L'homme regardait une nouvelle fois les photos envoyées par Salim ; il se rendit compte qu'il ne l'avait pas remercié, aussi l'appela-t-il pour réparer cet oubli.
— Rebonjour Salim, je te remercie pour tes photos, elles sont d'une très bonne qualité et montrent sans aucun doute qu'il s'agit bien de la même personne. Comme je te l'ai promis, je ne les utiliserai pas pour mon problème à la banque.
— Pas de problème, mon Ami. Heureux de t'avoir rendu service… J'espère que tu as découvert ce que tu souhaitais !
— Oui, et grâce à toi, je vais pouvoir dormir serein ! mentit Kévin
Quelques minutes plus tard, Lucie fit une arrivée discrète. Elle semblait vouloir éviter son père. Lorsque celui-ci l'interpella, elle prétexta une forte migraine et le besoin impératif de se réfugier dans sa chambre, dans le silence et la pénombre. Cela lui était déjà arrivé, alors Kévin n'insista pas. Il se contenta de lui dire :
— Demain matin, nous devrons avoir une conversation avant tes cours !
Kévin Guesde passa une fort mauvaise nuit. Il ne cessa de ressasser son discours avec la conseillère financière, de revoir les photos envoyées par Salim, de penser à sa fille, encore adolescente, mais déjà tellement femme dans sa manière d'agir avec les autres, avec lui. L'image de son ex, qui l'avait lâchement abandonné pour un autre, ne lui était d'aucun réconfort. Il ne comprenait toujours pas pourquoi son couple avait pris l'eau, il avait renoncé à ses propres rêves pour réaliser d'abord ceux d'Amélie, puis ceux de Lucie. Certes, il avait changé depuis le départ de son épouse, il était devenu un tantinet irascible, colérique… mais jamais, jusqu'au premier janvier, il n'avait laissé libre cours à sa peine, doublée d'une colère sourde et permanente. Quel fut le déclencheur qui le poussa à courir chez Brock, à l'humilier devant ses invités et devant Amélie ? Il l'ignorait et il redoutait de se comporter ainsi devant sa fille. Il s'était levé très tôt et il cherchait comment aborder le problème qui le tenaillait avec l'adolescente. Lorsque cette dernière pénétra dans la cuisine, il était prêt à tout abandonner, seulement la pression exercée par sa banque le lui interdisait.
— Bonjour, mon ptit chou, tu te sens mieux ?
Comme à son accoutumée, Lucie n'était pas très loquace durant les premières minutes qui suivaient son émersion du lit, son abandon de la couette protectrice. Tout juste adressa-t-elle un regard vide à son père, semblant lui rappeler qu'elle ne voulait pas être dérangée avant d'être en pleine possession de tous ses moyens. Malheureusement, le temps passait, vite, très vite et la discussion devait avoir lieu.
— Tu sais, poursuivit Kévin, en temps normal, je te laisserais prendre ton petit-déjeuner en toute tranquillité, mais là, il faut qu'on parle !
L'adolescente comprit qu'elle n'avait pas le choix, elle n'avait aucune possibilité d'échapper à ce tête-à-tête qu'elle redoutait tant. Elle laissait son père s'exprimer, mais n'écoutait que superficiellement ce qu'il racontait ; elle devinait par avance ce qu'il voulait savoir.
— Dès tes quatorze ans, tu m'as demandé de te faire confiance, de croire en toi. Je l'ai fait et je n'ai jamais eu à le regretter. Peux-tu me prouver que quatre ans plus tard, je n'ai aucune raison de m'interroger ou de regretter ce choix ?
Lucie haussa les épaules et détourna son visage.
— Pourquoi ne réponds-tu pas, insista Kévin. Estce parce que tu as fait quelque chose dont tu voudrais me parler, mais pour laquelle tu as peur de mon incompréhension, de ma colère ?
— Non, répondit timidement la fille d'une voix d'enfant fautif.
— Je vais t'aider un peu et te rafraîchir la mémoire. Qu'as-tu fait samedi matin ?
— Le premier janvier ?
— Oui. Dis-moi tout, prouve-moi que tu es toujours la petite enfant qui méritait ma confiance !
— Pardon Papa, j'avais un besoin urgent d'argent. Tu n'étais pas là, mais tu avais laissé ton portefeuille sur la table. Je l'ai ouvert, tu n'avais qu'un billet de dix euros, alors j'ai pris ta carte bleue et j'ai retiré de l'argent !
— Comment as-tu deviné mon code, combien astu retiré et surtout, pourquoi ? Qu'est-ce qui pouvait être si urgent ?
Des larmes glissèrent sur les joues de l'adolescente et finirent leur course sur la table. Un lourd silence s'installa, entrecoupé par la respiration saccadée et les reniflements de Lucie. Le moment fatidique qu'elle redoutait tant était arrivé, elle devait s'expliquer et elle craignait de ne pas être comprise, de ne pas obtenir le pardon de son père.
— Ton code, il ne pouvait être qu'en rapport avec Maman ou moi. Je t'ai entendu dire, le jour où tu as reçu ta nouvelle carte, après le départ de Maman, que ce nouveau code serait facile à retenir. J'ai tenté le mois et l'année de naissance de Maman, puis les miens…
— Il ne te restait plus qu'une chance avant de bloquer ma carte, qu'aurais-tu fait si cela s'était produit ?
— Je l'ignore, mais je ne serais peut-être plus là pour t'en parler !
Kévin blêmit et avala bruyamment sa salive.
— Heureusement, j'ai saisi le bon code : 0118… La date anniversaire du départ de Maman !
— Qu'as-tu fait de cet argent ?
— Je… Je dois une grosse somme, et je devais payer des intérêts de retard pour faire patienter mon prêteur !
Lucie pleurait, elle avait prononcé ses derniers mots à toute hâte et elle devait avouer maintenant le plus difficile. Kévin attendait, muet. L'inquiétude se devinait sur son visage, se dessinait avec l'apparition de rides horizontales sur son front et avec ses sourcils rehaussés, qui agrandissaient ses yeux bleus.
— J'ai acheté de la drogue, je ne me suis pas rendu compte tout de suite de ce que ça coûtait, je voulais faire comme les copines…
— De la drogue… Cela fait depuis longtemps que ça dure ?
— Depuis la rentrée de septembre !
— Comment as-tu fait pour ne pas te trahir, comment ai-je pu passer à côté de cela… Combien as-tu retiré, tu dois combien ?
— J'ai retiré six cents euros !
— Et tu dois encore combien ? insista le père.
— Cinq mille…
Kévin était anéanti. Que pouvait-il faire, à qui s'adresser, de quel délai bénéficiait sa fille avant de devoir payer d'autres intérêts ? Il n'était pas policier et il n'avait jamais eu affaire à des dealers ; il savait cependant qu'il ne pouvait pas dénoncer Lucie pour la sauver de ses créanciers. Ses chances de rembourser son découvert au Crédit Lyonnais étaient réduites à néant, mais cela ne le perturbait plus ; il avait un problème bien plus sérieux à résoudre !
— Va à tes cours et fais-moi le plaisir de ne plus acheter de drogue. Promets !
— Oui Papa !
— Si tu me décevais encore une fois, je ne sais pas ce que je ferais !
— Pardon Papa, pardon !
Guesde devait trouver de l'argent ; il ne s'agissait plus de quelques centaines d'euros, mais de cinq mille six-cents euros, à supposer que le créancier de Lucie ne réclame pas de nouveaux intérêts… Le père, profondément déçu, avait encore beaucoup de choses à apprendre de sa fille. Il lui était primordial de connaître selon quel scénario elle avait réussi à se procurer de la drogue, qui étaient son distributeur et son créancier ? Il était persuadé que Lucie avait toutes les réponses, mais pas question de les lui demander au petit-déjeuner et de risquer d'alerter ceux qui profitaient de sa crédulité. Il attendrait son retour des cours pour lui demander ce complément d'informations. D'ici là, il avait fort à faire pour trouver un prêteur conciliant et peu curieux.
Le conducteur de travaux ne se rendit pas à son travail et prétexta le surmenage, les prémices d'un burn out. Son employeur actuel lui demanda quelques infos sur le chantier en cours et lui accorda une pause… de courte durée.
— Reposez-vous et à lundi. Votre présence sera indispensable sur le chantier ! lui avait-il lâché avant de raccrocher son téléphone.
Kévin ne perdit pas une minute. Il consulta les pages jaunes, à la recherche d'établissements financiers proposant des prêts sans justificatif. Il en trouva quelques-uns qui permettaient de faire directement une demande en ligne, mais à chaque fois, il devait saisir l'IBAN de son compte bancaire. C'était différer le problème de quelques jours. Il savait que s'il voulait s'en sortir, il devait valider une de ses demandes avant l'heure fatidique, sinon il serait déclaré mauvais payeur. Il n'avait que quelques heures devant lui pour agir.
Guesde hésitait : il n'avait jamais joué avec le feu. Emprunter de l'argent, qu'il n'était pas sûr de pouvoir rembourser dans les délais, ou avec des mensualités trop importantes selon la durée choisie pour le prêt, lui paraissait suicidaire. Il devait trouver une autre solution… Aussi, à neuf heures, se posta-t-il ce vendredi matin à proximité de la pharmacie où travaillait sa femme. Il attendit patiemment son arrivée et l'interpella avant qu'elle n'entre dans l'officine :
— Bonjour Amélie…
— Je n'ai rien à te dire, dégage !
— Je m'excuse pour samedi…
— Fous le camp !
— Il ne s'agit pas de moi, mais de Lucie…
— Va-t'en ou j'appelle au secours, ou plutôt non… Je crie au viol !
La femme, ulcérée par la présence de son expartenaire, qui était encore officiellement son mari, ouvrit violemment son manteau et porta la main sur son chemisier, prête à le déchirer. Guesde n'avait pas d'autre choix que de s'éloigner.
— Qu'es-tu devenue ? lui lança-t-il, détruit de l'intérieur.
— Ta fille et toi, vous êtes des crottes. Je préfère vous éviter plutôt que de salir mes semelles ! hurla Amélie dans l'indifférence totale des rares passants.
Guesde était profondément secoué, il ne savait plus quoi penser ou faire ; son instinct de survie et son amour paternel lui ordonnaient cependant de réagir, de poursuivre sa quête. Il était conscient qu'une autre personne pouvait potentiellement l'aider ; l'entrevue avec celle-ci ne serait cependant pas des plus aisées, mais l'unique chance de tout régler en douceur. Il espérait que sa fille n'était pas dépendante de la drogue et que tout ce qu'il entreprenait ce jour la sortirait d'affaire.
L'employée postée à l'accueil de l'agence Citya gardait les yeux sur l'impressionnant bâtiment de la Banque de France qui lui faisait face. Peu de clients se présentaient instantanément, les rendezvous avec les commerciaux avaient débuté, certains devaient se finir sous peu. La jeune femme n'enregistrait aucune nouvelle prise de rendez-vous et s'interrogeait sur le rôle qu'exerçait la banque nationale. Une sonnerie la tira de sa réflexion, un visiteur souhaitait entrer. Elle jeta un bref regard sur sa montre, il était neuf heures quinze ; les commerciaux ni contaminés par le Covid 19 ni cas contacts étaient là, en fin de rendez-vous pour certains, aussi accorda-t-elle l'accès à son visiteur. Ce dernier s'adressa directement à elle :
— Bonjour Madame, je souhaiterais voir ce que vous pouvez me proposer comme location dans le secteur. J'ai regardé avec attention vos offres, sur les présentoirs, derrière vos vitres. J'ai vu plusieurs fois les mêmes, donc peu de choix. Qu'offrez-vous de plus ?
— Vous êtes très observateur, répondit l'hôtesse d'accueil, mais rassurez-vous, nos conseillers vous proposeront beaucoup plus de choix. C'est une volonté de notre agence, de notre chaîne, de limiter les annonces en vitrine. Trop de choix incitent les curieux à entrer, à perdre leur temps et le nôtre en vaines discussions. Chaque personne qui pénètre dans nos bureaux doit avoir envie de découvrir nos offres, toutes nos offres… Les badauds sont ainsi déboutés !
— Choix surprenant, mais je peux comprendre que vous limitiez vos entretiens à de potentiels clients, au grand dam des curieux. Quand pourrais-je voir un de vos conseillers ?
L'employée pianota sur son ordinateur et annonça :
— L'une d'elles sera disponible dans un petit quart d'heure…
— Parfait, je peux attendre ici ?
— La salle d'attente est derrière vous, vous pouvez feuilleter une ou plusieurs revues sans crainte du Covid, nous les changeons tous les jours !
Le visiteur prit place sur un siège qui lui permettait de garder la vue sur l'entrée et sur le va-et-vient des employés. Le nez plongé dans un hebdomadaire, il semblait ne prêter attention à aucune personne, ne réagir à aucun mouvement, mais…
— Brock, j'espérais bien vous voir !
— Monsieur Brock, reprit le directeur de l'agence d'un ton ferme. Que me voulez-vous ?
— Pas de mondanité entre nous, nous savons tous les deux à qui nous avons affaire. Souhaitez-vous que je m'explique dans ce hall ?
— Non, bien sûr, suivez-moi. Aurélie, faites patienter mon prochain rendez-vous, je n'en ai que pour quelques minutes !
— Le fils du Préfet… Vous voulez vraiment le faire attendre ?
— Oui, répondit Axel en faisant la moue et en écartant les avant-bras, paumes tournées vers le ciel.
Guesde avait perçu le sentiment d'impuissance, de fatalité, de prière divine que symbolisait la posture du directeur.