Limoges à sang pour sang - François Tacot - E-Book

Limoges à sang pour sang E-Book

François Tacot

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Beschreibung

Limousin - Une femme est retrouvée morte lors du happening d’un artiste-peintre, admirateur de Walter Sickert qui fut en relation avec Jack l’éventreur.

Le meurtre reconstitue les crimes du tueur de l’East-End londonien. Le Capitaine Joseph Terdier de la PJ de Limoges, prêtre (sans affectation liturgique) et policier en activité, est chargé de l’enquête. Confronté à un meurtrier ingénieux mais secondé par deux Lieutenants efficaces et aux personnalités attachantes, il parviendra à ses fins tout en étant confronté à de graves problèmes éthiques.

À PROPOS DE L’AUTEUR

François TacotProfesseur de Lettres à la retraite, passionné de littérature. Pratiquant d’Arts martiaux (ceinture noire de Judo et marron de Karaté) Grand amateur de Blues et Rock’n’roll. Il vit à Limoges (87).

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François

TACOT

Limoges à sang pour sang !

© – 2023 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

À mes parents,

mes frères et sœur,

mon épouse et mes filles

je dédie cette sotie.

Jack the Ripper à Limoges !

La Une de La Montagne titra, le dimanche 3 avril 2022 : « Jack the Ripper frappe à Limoges ! ». Pour illustrer l’article, un portrait en noir et blanc de l’artiste-peintre Roger Barlot, alias SickArt, ou encore East-End, s’étalait sur quatre colonnes.

Mais le contenu de l’article, dû à la plume réputée acide de Théo Théault, le journaliste vedette du quotidien, allait décevoir les amateurs de gore : il s’agissait en fait d’un happening – devrais-je dire d’un coup de pub de l’artiste – destiné à choquer les foules et intéresser enfin le monde de l’Art aux toiles jusqu’alors délaissées du « Sickert du vingt-et-unième siècle », comme il aimait à se présenter.

Dans la nouvelle galerie d’Art moderne de l’avenue Garibaldi à Limoges, installée au rez-de-chaussée d’un immeuble récemment rénové, se pressaient les amateurs de peinture, le délégué régional à la culture, et une poignée de curieux, en ce jour frisquet mais ensoleillé du samedi 2 avril 2022. La salle, assez vaste de proportions s’étirait tout en profondeur. À droite de l’entrée, sur un bureau de style moderne, verre et acier, s’étalaient différents flyers (comme on dit en bon Français…) ; certains étaient consacrés aux expositions locales, régionales, mais le plus couru était celui qui présentait l’artiste du jour, bien entendu. Sur une dizaine de mètres, un verre à la main – obligeamment offert par une hôtesse recrutée à peu de frais dans un lycée hôtelier – se répartissaient les amateurs d’art attirés là par une affiche sibylline sur laquelle on pouvait lire : « SickArt, depuis l’East-End de son imagination vous convie à un voyage stupéfiant au pays de vos phantasmes les plus rouge-sang ! ». Dans le fond de la salle était, à main gauche, un podium, masqué par un rideau de couleur lie de vin ; l’étoffe descendait au ras du sol ne découvrant rien de l’œuvre qui devait si fort impressionner les visiteurs, ainsi que les critiques d’Art. À main droite, la galeriste, Caroline Guyancourt, impeccablement vêtue d’un tailleur gris perle et d’un chemisier bleu-pâle, Roger Barlot et les invités de marque. À leur droite, une porte donnant sur la cuisinette et de là, dans l’entrée de l’immeuble.

Après que la maîtresse des lieux eut dressé un bref panégyrique de l’artiste, remercié les officiels, la presse et les amateurs éclairés, SickArt, demanda le silence et, l’ayant difficilement obtenu, s’approcha du rideau qui masquait le fond de la galerie. Théâtralement, il s’exclama « À toi Walter Sickert ! » et tira sur la lourde tringle qui permettait de dévoiler le chef-d’œuvre du maître.

Sur un plan incliné, gisait une jeune femme quasi dénudée, livide, éventrée semblait-il ; sur le plateau disposé sur une table haute et circulaire, étaient artistement arrangés un cœur, un foie, deux reins et un intestin… L’odeur douceâtre, écœurante des viscères donnait tout son réalisme morbide à la scène. Une musique sombre et aérienne à la fois, associée à des éclairages changeants, passant du tamisé à la lumière crue de deux puissants projecteurs, permirent de donner à la scène toute la force qu’elle nécessitait.

Jamais Roger Barlot n’eût espéré un tel succès : poussant des cris de terreur, la plupart des présents s’enfuit sur le trottoir en hurlant, ce qui provoqua, l’on s’en doute, un attroupement gigantesque en quelques minutes. Si la galeriste semblait troublée mais impassible, si l’artiste souriait largement, les spectateurs semblaient pour le moins choqués. La Police, appelée par Ève Tribart, correspondante du magazine gratuit le Phare 87, s’incarnait pourtant déjà en la personne du Commissaire divisionnaire Louis-Jacques Mabatin, lui-même, venu en amateur éclairé honorer de sa présence la présentation de l’artiste ! Les trois agents de patrouille, invités par le Central à se rendre sur les lieux, canalisèrent alors la foule et tentèrent de retenir les témoins oculaires de la scène. Parmi ceux-ci, deux influenceurs (autoproclamés) prirent, au moyen de leur smartphone dernier cri quelques clichés aussitôt publiés sur les réseaux sociaux, et l’un d’eux se permit même le luxe d’un Facebook live ! Quand les policiers eurent mis un terme à ses pratiques honteuses de voyeurisme, il glapit que ses abonnés avaient droit à l’information et qu’il entendait protester contre les brutalités de l’état fasciste qui le rudoyait (mais en termes plus orduriers et en toute méconnaissance de la syntaxe…).

SickArt, jubilant, s’exclama alors « Femme, lève-toi ! » et la victime de Jack l’Éventreur se dressa, glissa du plan incliné et, venant prendre la main de l’artiste, salua le public éberlué (car tous n’étaient pas sortis, vous pensez bien ! et certains étaient entrés de nouveau afin de ne rien rater et d’avoir du croustillant à raconter chez eux). Ève Tribart perdit connaissance, et la nouvelle se répandit dans la rue : la morte était ressuscitée !

Rouge d’une colère mal contenue, le Commissaire, amateur d’Art à ses heures, ordonna aux agents de relever les identités des trublions et de les convoquer sans délai au Commissariat, afin de s’expliquer ; grand seigneur, il permit toutefois à la muse du peintre de se rhabiller avant d’être interrogée. Les pompiers, appelés à la rescousse, s’occupèrent de l’évanouie, puis il fallut disperser les curieux. L’identité des témoins, comprenez des spectateurs les plus proches de la scène, fut relevée afin qu’ils fussent entendus aussitôt que possible.

Le Commissaire Mabatin fut interrogé par l’équipe mobile de France 3 qui n’avait mis que très peu de temps à se rendre sur le théâtre d’une aussi révoltante manifestation : il promit des sanctions exemplaires et se retira en pestant contre ces barbouilleurs qui se permettaient de mettre la ville en émoi. SickArt, le continuateur des postimpressionnistes du 19e siècle, donna alors rendez-vous à la presse et aux amateurs d’Art pour une autre surprise de grande ampleur, le lendemain à dix heures précises.

Il ne croyait pas si bien dire. Au matin du dimanche 3 avril, la galeriste Caroline Guyancourt ouvrit la salle et fut intriguée par le fait que, comme la veille, le rideau était tiré devant le podium. Sa curiosité naturelle lui chuchota à l’oreille d’aller voir en quoi consistait, cette fois-ci, la surprise de taille promise par l’artiste. En y réfléchissant elle envisageait la possibilité d’un montage de tableaux reprenant l’installation de la veille. Cependant, redoutant d’être surprise, voire de provoquer une catastrophe en s’approchant trop du mystérieux assemblage – ce qui ruinerait tout l’effet prévu – elle renonça et fit le tour de la pièce afin de vérifier que tout était bien en place. À dix heures précises, elle ouvrit grandes les portes : l’extra était présente et partit rapidement ouvrir les bouteilles de Champagne et sortir les plateaux de canapés et autres petits-fours du réfrigérateur de la cuisine. Une trentaine d’amateurs d’Art, doublés de redoutables écornifleurs pour certains d’entre eux, faisaient le pied de grue en attendant la grande révélation. Ève Tribart, remise de ses émotions et ayant pris toutes ses précautions en avalant deux comprimés d’Euphytose avec son bol de café, vérifia de nouveau son dictaphone et le niveau de batterie de son appareil photo (il ne s’agissait pas de rater le scoop qui ferait d’elle la meilleure journaliste du Phare 87, et de loin !). Mais point de peintre et de Muse… Lassée de cette attente incongrue de près de dix minutes, et pensant que Barlot attendait le moment propice pour apparaître, la directrice de la galerie n’y résista plus et tira le rideau, dévoilant une présentation identique à celle de la veille ; à un détail près : la victime était cette fois bien réelle et les organes présentés étaient bien les siens. Dans son ventre, une poupée démembrée, la tête écrasée, renforçait l’horreur de la scène. Pour Théo Théault il faudrait revoir sa copie…

De la chasuble au commissariat.

Dimanche 3 avril, fin de matinée.

Le Commissaire Mabatin, de retour au Commissariat central, chargea le Capitaine Joseph Terdier de l’enquête ; il serait assisté de ses deux adjoints favoris, les Lieutenants Estelle Galliani et Justin Depierre. Mais il faut que je vous dise, le Capitaine Terdier, c’est moi. Et je forme ici une entreprise qui eut beaucoup d’illustres exemples (contrairement à Jean-Jacques !) : Sir Arthur Conan Doyle fit raconter les exploits de Sherlock Holmes par son collègue et ami le brave Docteur Watson ; pour ma part, je suis mon propre Watson et, retiré désormais de la vie trépidante d’un fonctionnaire de Police, je raconte mes plus extraordinaires enquêtes au profit d’une œuvre caritative. Car si j’étais Capitaine à la Brigade criminelle de Limoges, j’étais et demeure prêtre catholique !

Eh oui ! l’un n’exclut pas l’autre. Après avoir vécu une très heureuse jeunesse et une vie d’étudiant pour le moins agitée, ponctuée par de joyeuses fêtes, l’ingestion de spiritueux en tous genres (de bon vin également !), et même, oserais-je le confesser, par la conquête de jeunes filles toutes plus ravissantes les unes que les autres, la grâce me toucha soudainement. Je passais devant la chapelle Saint-Aurélien, dans le quartier de la Boucherie quand je ressentis une envie irrépressible : celle d’entrer dans le sanctuaire. J’y restai une heure au moins, conscient d’un appel irrationnel, mais ô combien réel ! C’est ainsi que, muni de mon Master en Droit (la vie estudiantine peut aussi être couronnée de succès !), et de deux ceintures noires, l’une de Judo (1er dan) l’autre de Karaté (4e dan), je suivis le Séminaire et fus ordonné prêtre. Naturellement, ma vocation subite intrigua mes amis et mes parents et j’eus droit à la vieille antienne « Mais tu vas gâcher ta vie », « T’enfermer dans un couvent ou une cure de campagne, mais t’es fou mon pote ! » « Et les femmes ? Tu ne vas quand même pas renoncer aux femmes ! » … Et je vous fais grâce de réflexions moins amènes… Anyway comme disent nos amis Grands Bretons. Curé d’une charmante bourgade de Creuse pendant plus de dix ans, et heureux de l’être, mon sacerdoce connut toutefois un bouleversement important car, un matin, ma première véritable pensée fut que je pourrais être plus utile dans le monde que dans l’espace restreint de ma paroisse. Le temps passa pourtant sur cette idée et rien ne changea. Ce fut un fait divers sordide qui décida de ma seconde vocation, celle de devenir flic. Une jeune femme avait été agressée, violée et étranglée, puis précipitée dans un fossé. J’étais très attaché à mes paroissiens, mais je ressentis encore une fois un appel, et il me fallut agir, vite. Je passai le concours d’entrée dans la Police nationale et eus le bonheur d’être reçu. À tort ou à raison, je quittai donc – avec l’aval de ma hiérarchie et à titre temporaire (car je ne voulais en aucun cas devenir un prêtre défroqué !) – ma charge de prêtre en fonction et intégrai le Commissariat central de Limoges, où j’exerçai pendant une décennie.

Je fus, je me dois de le dire, très amicalement reçu par la plupart de mes collègues (la plupart se montrant intrigués toutefois…). Oh, bien sûr, il n’en alla pas de même avec quelques fieffés matérialistes qui possédaient un sens de la démocratie à géométrie variable… Et pas mieux par le Commissaire divisionnaire Louis-Jacques Mabatin qui se défiait grandement de la calotte, et se demandait si un prêtre – même vêtu en civil et suivant scrupuleusement toutes les procédures – était à même de respecter la sacro-sainte laïcité à la française qui est de mise dans la fonction publique. L’expérience lui prouva que c’était possible.

Et puis, disons-le, j’eus la chance de travailler avec deux lieutenants aux caractères très différents, mais irréprochables dans leur conception du métier de policier et qui m’honorèrent d’une amitié sans faille, comme le disent les gens lettrés.

Tout d’abord, évoquons Estelle Galliani, lieutenant(e), galanterie oblige (on a beau être curé, on n’en est pas moins un homme bien éduqué !). Âgée de trente-sept ans, elle avait intégré, dix ans auparavant, la Police nationale par vocation. De complexion fine mais néanmoins athlétique en raison de sa pratique du Krav Maga et de la course à pied, elle se distinguait surtout par sa sagacité et son caractère bien trempé. Chacun sait que « l’habit ne fait pas le moine » et c’était très vrai avec Estelle : son visage ovale – aux traits finement dessinés, surmonté d’une épaisse chevelure, noir de jais, coiffée en queue de cheval, aux yeux verts étincelants, à la bouche fine évoquant la douceur – cachait un fort caractère dont les plus machos des fonctionnaires du commissariat avaient fait les frais. Remis à leur place gentiment, mais fermement, ils se seraient depuis fait couper en morceaux pour elle. Pourtant, elle était d’un caractère plutôt introverti ; mais au cœur d’une enquête ses « petites cellules grises » faisaient merveille ! D’une très grande adaptabilité, elle arrivait à supporter avec bonheur son frère d’armes, le lieutenant Justin Depierre.

D’une complexion athlétique – un mètre quatre-vingt-dix, pour un bon quintal – assortie d’un début d’œuf colonial (autrement nommé durillon de comptoir), il était habillé d’une manière qui aurait suscité l’ire et les sarcasmes du dandy George Brummel ; et doté, surtout, d’un langage fleuri qui suscitait souvent l’incompréhension voire choquait ses interlocuteurs (une sorte de capitaine Marleau version testostérone, mâtinée de titi parisien). De plus, il faisait souvent preuve d’un humour pour le moins particulier… et même parfois drôle ! Je n’oublierai pas de vous préciser, enfin, qu’il possède un instinct infaillible ; le terme de fin limier lui convient parfaitement ! Pourtant, apparemment, il détonnait dans notre trio.

En effet, je suis moi-même d’une taille très convenable (cent quatre-vingt-cinq centimètres sous la toise), plutôt bel homme si j’en crois ma mère (et aussi quelques conquêtes passées), toujours vêtu d’un costume deux pièces et de chaussures de ville (la tenue jean baskets ne me convenant pas vraiment…) et possédant un esprit analytique qui me rend bien des services dans ce nouveau sacerdoce qui est le mien.

L’équipe que nous formons donc – qui nous a valu les fins sobriquets de Chanoine Kir, de Sœur Thérèse et de Béru, cadeau de quelques collègues facétieux – fonctionna du feu de Dieu, si j’ose m’exprimer ainsi…

Mais maintenant que les présentations sont faites, revenons à notre propos. Voici ma dernière enquête, peut-être la plus extraordinaire (au sens propre du terme)…

De l’Art au meurtre…

Roger Barlot avait toujours été fasciné par Walter Sickert. Et par Jack l’éventreur dont il fut, dit-on le complice, gardant le silence en échange d’une fréquentation des scènes de crime propres à l’inspirer. La condition d’artiste-peintre est, on ne le sait que trop bien, très incertaine et gagner sa vie en vendant ses œuvres relève désormais de l’exception. SickArt et East-End avaient donc paru deux excellents pseudonymes à Roger Barlot : ils renvoyaient aux sombres ruelles de l’Est End londonien, et le double jeu de mots contenu dans SickArt devait être à même de faire saisir au public toute l’ironie de la situation de l’artiste limougeaud.

Mais, malgré sa louable persévérance, sa présence à tous les salons auxquels il arrivait à se faire inviter, sa carrière, en dépit de son talent, ne décollait toujours pas. En revanche, sa muse, la très ravissante Cindy Hablin, avait la double chance de travailler, comme hôtesse d’accueil dans le plus grand hôtel-restaurant de la cité – le Grand Veneur, rien de moins ! – et de posséder un petit appartement dans l’immeuble qui allait abriter la nouvelle galerie d’Art de la ville. C’est lors de la réception qui avait suivi l’exposition de dix toiles du génie Américain Carcass’John qu’ils avaient fait connaissance. Doté d’une faconde réputée dans les milieux artistiques de la région, Roger Barlot avait réussi à convaincre la naïve Cindy qu’il allait faire d’elle la nouvelle Dora Maar ; éberluée, et ne connaissant rien de la vie de l’épouse de Picasso, la crédule Cindy avait accepté de le revoir, de visiter son atelier et de poser pour lui, mais en tout bien tout honneur ! Le peintre avait promis et, sous le prétexte de réaliser des esquisses qui ne pouvaient attendre, s’était souvent manifesté à l’heure du dîner. Les génies n’ignorent pas la faim, c’est bien connu !

Las, les mois passèrent et les trompettes de la renommée s’avérèrent bouchées pour l’artiste et sa muse…

Alors, relisant pour la énième fois Retour à White Chapel de Michel Moatti, Barlot eut l’idée de la sinistre mise en scène qui devait lancer sa carrière une bonne fois pour toutes. Cindy fut toutefois difficile à convaincre : jouer le rôle d’un cadavre après avoir subi une exténuante séance de maquillage, plusieurs heures étant nécessaires afin d’obtenir l’effet souhaité ; longtemps supporter l’odeur fétide de viscères peu ragoûtants, voilà qui ne l’incitait guère à partager l’enthousiasme du créateur…

Mais Barlot eut gain de cause et la chance lui sourit même : Cindy fréquentait avec une régularité admirable la meilleure parfumerie de la ville ; et elle s’y était trouvé une amie. Sabine Bergat travaillait, en effet, comme vendeuse à Div’Essences. Le statut de cliente VIP, avait favorisé la rencontre des deux jeunes femmes ; elles commencèrent par déjeuner ensemble une fois par semaine, puis s’adonnèrent aux joies du Limoges by night (restaurant puis boîte !). Et quand Sabine dut quitter son appartement, fin mai 2019, car le propriétaire désirait l’offrir à son fils fraîchement diplômé, Cindy l’hébergea trois semaines, et lui obtint l’appartement, situé au-dessus du sien, et réservé d’ordinaire aux étudiants. Une plastique avantageuse et un sourire irrésistible s’avèrent souvent très précieux dans des négociations improbables… Que demander de plus à Dame Fortune ? Sabine réaliserait donc le maquillage avec l’aide de l’artiste toutefois, car donner l’illusion d’une éventration demande plus que des produits standardisés de fardage ! Barlot obtiendrait les viscères nécessaires à la bonne réussite de l’opération de son ami Antonin qui travaillait aux abattoirs, et il tenterait de convaincre la directrice de la galerie de se prêter à ce macabre, mais potentiellement lucratif jeu de rôle. Si l’idée de SickArt lui paraissait loufoque, la perspective du buzz qui ne manquerait pas de naître de ce happening (très mode à New York, chère madame !), avait fini par la persuader.

Une date fut arrêtée, ce serait le 2 avril, le samedi étant tout à fait indiqué pour attirer le curieux, le client, et les journalistes !

Ainsi fut fait. Avec le succès que l’on sait. Mais la chance, nous le savons désormais, avait tourné dès le 3 à dix heures dix minutes du matin.

Qui est suspect ?

Dimanche 3 avril.

Anéanti par tant d’horreur, je dus prendre sur moi pour mener mes premières investigations. Le médecin légiste avait été formel : ce travail était l’œuvre d’un professionnel, tant les découpes étaient nettes, précises et ne rendaient compte d’aucune hésitation. La victime avait-elle été éviscérée ante ou post mortem, voilà ce qu’il nous dirait après l’autopsie… à laquelle, le sourire aux lèvres, il nous convia. Le corps fut alors transporté à l’hôpital Dupuytren, et les scellés apposés sur les portes de la galerie. Les photographies de la scène de crime seraient disponibles dès la fin de la matinée.

J’assurai donc le légiste que je me rendrais à la morgue du CHU le lendemain matin à dix heures comme il me le proposait. Mes adjoints travailleraient, eux, pour partie, au Commissariat central ; la vue sur le parc Victor Thuillat, remarquable par sa conception « à l’Anglaise » et par la sérénité qu’il procure aux promeneurs, leur serait d’un réconfort appréciable. Et puis, après tout, se montrer charitable rentre parfaitement dans mes attributions !

Aucun d’entre nous ne put déjeuner comme vous vous en doutez. L’après-midi fut consacrée à l’établissement d’un premier tableau consacré à l’affaire de la galerie d’Art. L’identité de la victime ne faisait aucun doute et celle de l’artiste non plus. Mais, fait étrange, celui-ci n’avait pas paru de la matinée et s’avéra absent de son domicile. Était-il en fuite ? Le Lieutenant Depierre s’apprêtait à lancer un mandat de recherche à son encontre lorsqu’il se manifesta de lui-même au Commissariat. D’une pâleur extrême, hagard même, il confessa avoir dormi, chez Cindy Hablin, jusqu’à onze heures vingt, et avoir appris l’horrible nouvelle par les chaînes d’info continue en avalant son café. Il ne s’expliquait pas le sommeil pesant qu’il avait subi, lui qui dormait très peu d’ordinaire ; de même, en y réfléchissant, il se demandait s’il n’avait pas été drogué à son insu car, depuis son lever, de continuelles nausées, l’affectaient sans cesse. Il accepta d’être examiné par un médecin et de subir une prise de sang qui confirmerait, il nous l’assura, ses dires. Ce qui fut fait dans l’heure.